Entre janvier et août 2025, 39 embarcations ont été interceptées au niveau des eaux sénégalaises, 2965 migrants interpellés, dont 1335 Sénégalais et 1630 étrangers a indiqué à BBC News Afrique, Dr Modou Diagne, contrôleur de police, Secrétaire permanent du Comité interministériel de lutte contre la migration irrégulière (CILMI) du gouvernement sénégalais.
''Quand vous prenez les migrants interpellés, le nombre a chuté de 3606 entre janvier et août 2024, à 2965 entre janvier et août 2025'', a t-il précisé.
Dans le même temps, le nombre de passeurs déférés a également fortement diminué passant de 295 entre janvier et août 2024, à 124 sur la même période en 2025.
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Interrogé sur ceux qui échappent aux filets des forces de sécurité, Diagne soutient que les données collectées confirment une tendance baissière des arrivées aux Iles Canaries.
''Pour les arrivées, entre janvier et au juin 2025, il y a eu 11 449 migrants, contre 27 869 un an auparavant, soit une baisse de 50 %'', dit-il.
''Ces données statistiques montrent d'une part l'efficacité du dispositif de lutte coordonnée par le CILMI et mis en oeuvre par les forces de défense et de sécurité, mais aussi la sensibilisation qui est faite au niveau des localités'' a précisé l'officier de police sénégalaise qui coordonne la lutte contre la migration irrégulière.
Il y a quelques jours, une embarcation avec 112 migrants clandestins à bord, a été ramenée à quai par les forces de sécurité sénégalaises. Les occupants qui rêvaient tous de débarquer en Espagne sont des candidats au ''Barça'' ou ''Barçakh'', cette expression triviale qui désigne la migration clandestine (Barça) pour indiquer la destination de l'Espagne, ou le cas contraire, mourir en mer, rejoindre ''Barçakh'' (l'au-delà en wolof).
Quelques semaines plutôt en fin août dernier, une embarcation échouée en Mauritanie avait été retrouvé avec 69 corps sans vie à bord dont plusieurs jeunes sénégalais.
Cette découverte macabre et la pirogue interceptée ont relancé le débat sur l'efficacité de la lutte contre la migration irrégulière.
Toujours des candidats, mais nettement moins de départs et d'arrivées
Durant les cinq premiers mois de l'année, quelque 110 personnes provenant des côtes sénégalaises ou gambiennes sont mortes en mer en tentant de rejoindre l'Espagne.
D'après Caminando fronteras, une ONG espagnole qui compile les données sur les migrants, ce sont ''1865 personnes qui sont mortes ou portées disparues à la frontière ouest-africaine en tentant de rejoindre l'Espagne durant les cinq premiers mois de l'année''. Il y a eu ''38 embarcations qui ont été portées disparues avec toutes les personnes à bord, dont 112 femmes et 342 enfants sont morts'' dans leur voyage périlleux pour atteindre les côtes espagnoles entre janvier et mai 2025.
''La route atlantique reste la plus meurtrière avec un total de 1482 morts, soit 80 % du nombre total de décès enregistrés au cours des premiers mois de l'année 2025'' écrit Caminando fronteras dans son rapport publié en juin dernier.
''Le plus grand nombre de décès a été enregistré sur la route au départ de la Mauritanie, avec 1 318 victimes durant cette période, tandis que les départs du Sénégal et de la Gambie ont causé 110 victimes'' renseigne l'ONG.
Cinquante autres victimes seraient parties de la zone côtière entre Agadir et Dakhla (Maroc), tandis que la route algérienne de la Méditerranée occidentale a fait 328 victimes.
Par rapport en 2024, les données de Caminando Fronteras font état d'une baisse des départs et des victimes enregistrées sur la même période.
Un constat conforté par le ministère espagnol de l'Intérieur qui a recensé 10 882 arrivées entre janvier et mi-mai, soit une baisse de 34,4 % par rapport à la même période l'année précédente.
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L'année 2024 a été particulièrement meurtrière, le nombre de victimes sur la frontière ouest-africaine s'élevant à 10 457 morts dont 421 femmes et 1538 enfants, selon Caminando fronteras.
La route de l'Atlantique, avec 9757 morts, reste la plus meurtrière du monde. ''Les tragédies ont particulièrement augmenté sur la route de la Mauritanie, consolidant ce pays comme le principal point de départ vers les îles Canaries'' lit-on dans le rapport de l'ONG espagnole.
La route algérienne, dans la Méditerranée, est la deuxième plus meurtrière, avec 517 victimes.
Au total, l'ONG affirme avoir recensé l'arrivée de 46 843 migrants aux Canaries en 2024, un record jamais égalé.
Selon Adama Mbengue, président de l'ONG ADHA (Action pour les Droits Humains et l'Amitié), joint par BBC News Afrique, la persistance du phénomène de la migration irrégulière est liée à plusieurs facteurs.
''Le chômage endémique des jeunes, le manque d'opportunités économiques viables, l'absence de perspectives sociales, mais aussi l'illusion d'un "eldorado européen" largement alimentée par les réseaux sociaux et les récits de réussite de certains migrants'' seraient les principales raisons.
À cela s'ajoute dit-il, ''le rôle des réseaux de passeurs qui exploitent la détresse et la vulnérabilité des jeunes'' car ''les passeurs sont très en avances et exploitent tous les chemins par la mer (les pirogues de fortune), la terre ( la route ) et l'air ( avec la vente de visas).
Il regrette par ailleurs l'adoption d''une approche sécuritaire et répressive, alors qu'il faudrait davantage investir dans la prévention, la sensibilisation et surtout dans le développement économique local et la formation professionnelle adaptée au marché du travail'' pour contrôler la migration irrégulière.
Le Sénégal s'est doté d'une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière
Au Sénégal, les victimes de la migration irrégulière se compte par centaines, voire milliers. Ces dernières années, le pays s'est doté d'une stratégie nationale de lutte contre le phénomène et un comité ministériel de lutte contre la migration irrégulière (CILMI) a été mis en place et dirigé par un Secrétariat permanent.
La stratégie nationale repose sur cinq axes : à savoir la prévention, la gestion des frontières, des mesures de répression (contre les convoyeurs), des mesures d'aide, d'assistance et de protection, le retour et la réinsertion des migrants.
''L'objectif général est de lutter contre la migration irrégulière par une gestion intégrée des frontières pour contribuer au développement économique et social'' lit-on dans le document de présentation de la stratégie.
''La stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière a été validée en 2023 et l'objectif, c'est de réduire drastiquement le phénomène dans un horizon de 10 ans ou 20 ans '' dit Modou Diagne.
En pratique, le gouvernement travaille à ''l'amélioration du cadre juridique, institutionnel et organisationnel, la modernisation et l'intégration du système de gestion des frontières, le renforcement de l'assistance et la protection des migrants vulnérables.
Se disant satisfait des progrès réalisés, il a toutefois admis l'inéfficacité du dispositif de lutte avant la création du CILMI.
''Effectivement il y avait avant 2024, plusieurs ministères, plusieurs structures qui étaient compétents pour travailler en tout cas à lutter contre cette migration irrégulière, mais il n'y avait aucune harmonisation, ni coordination'' dit-il.
Dans un souci de coordonner la réponse, le gouvernement a mis a adopté une stratégie et a mis en place le CILMI.
''A ce jour entre octobre 2024 et mai 2025, 46 comités ont été installés dans les 46 départements du Sénégal et 14 comités régionaux''.
Dans ces comités régionaux, il y a les représentants de l'État à savoir le gouverneur, le préfet, il y a aussi les chefs de services déconcentrés au niveau régional ou départemental, les maires et les présidents des conseils départementaux, les représentants des agences de migrants, des jeunes, les chefs religieux, coutumiers traditionnels, les délégués des quartier etc.
En résumé, toute la communauté de base est intégrée dans ces comités. ''Et ça, c'est une réponse qui est donnée avec un projet de territorialisation de la lutte qui parte de la base au sommet'' fait remarquer Diagne.
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