Le ministère de l'Éducation nationale du Sénégal a annoncé l'interdiction stricte de l'usage du téléphone portable en milieu scolaire, aussi bien dans les établissements publics que privés.
Cette mesure, qui prendra effet dès la rentrée scolaire 2025-2026 prévue en octobre, vise à protéger la concentration des élèves, la qualité de l'enseignement et les valeurs éducatives.
Selon le communiqué publié le 21 septembre 2025, l'utilisation non régulée des téléphones nuit à l'apprentissage, fragilise la discipline et expose les jeunes à des dérives comme le racket, le vol ou encore le cyberharcèlement.
Désormais, chaque école, collège et lycée devra mettre en place un dispositif de gestion des portables, allant du dépôt en casiers sécurisés à la collecte par les enseignants.
Avec cette décision, le gouvernement sénégalais espère créer un environnement scolaire plus propice à l'apprentissage et à l'intégration progressive des technologies numériques de manière encadrée.
La mesure a suscité des réactions mitigées dans l'opinion publique.
« Cette interdiction ne concerne pas les outils numériques à vocation pédagogique (tablettes, ordinateurs, liseuses, etc.), utilisés sous la responsabilité des équipes éducatives, conformément à la Stratégie du Numérique pour l'Éducation. Des exceptions strictement encadrées sont également prévues pour les élèves en situation de handicap ou atteints de troubles de santé nécessitant des dispositifs médicaux spécifiques, ainsi que pour certains usages pédagogiques ponctuels, autorisés par les établissements », précise le ministère de l'Education.
Pour garantir l'application de la mesure, chaque établissement devra instaurer un dispositif obligatoire de dépôt des téléphones portables dès l'entrée dans l'enceinte scolaire.
Plusieurs options sont prévues : casiers sécurisés, collecte des appareils en début de journée ou conservation éteinte dans les sacs des élèves.
En cas d'infraction, des sanctions graduées et proportionnées seront mises en place, définies en concertation avec les Conseils de gestion des écoles, les associations de parents d'élèves et l'ensemble de la communauté éducative.
Entre inquiétudes et approbations des parents
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L'annonce de cette mesure a suscité une multitude de commentaires et d'avis, aussi bien dans les rues de la capitale Dakar que sur la toile.
Du côté des familles, beaucoup ont accueilli globalement avec satisfaction la décision du ministère de l'Éducation nationale d'interdire l'usage du téléphone portable dans les établissements scolaires.
Sur les réseaux sociaux, les avis sont partagés. Certains parents saluent une décision qui rejoint les préoccupations récurrentes des professionnels de santé sur les dangers du numérique : baisse de la concentration, isolement social, difficultés de socialisation.
D'autres par contre craignent qu'une interdiction trop rigide prive les enfants d'un outil utile dans leur apprentissage et dans leur sécurité au quotidien.
La plupart des parents d'élèves y voient un moyen de renforcer la discipline et de recentrer les élèves sur l'essentiel : l'apprentissage.
Mais d'autres appellent à plus de concertation avec les enseignants, les parents et les organisations de la société civile pour assurer une mise en œuvre équilibrée.
La COSYDEP, une coalition des organisations militant en faveur de l'école publique, salue une mesure qui « réaffirme un principe déjà en vigueur dans plusieurs écoles et lieux de travail pour préserver la concentration et la productivité ».
Mais la coalition rappelle que la décision ministérielle ne porte pas sur la détention des téléphones, mais bien sur leur usage. Or, le portable reste un outil multifonction pour les élèves : recherches documentaires, communication, organisation pratique. Elle recommande donc d'ouvrir un dialogue inclusif avec les acteurs éducatifs et d'élaborer un cadre normatif pour réguler l'usage du numérique et de l'IA en milieu scolaire.
La COSYDEP va plus loin en plaidant pour une nouvelle loi d'orientation adaptée aux réalités économiques, sociales et technologiques actuelles.
Elle insiste aussi sur la nécessité de cohérence avec la récente circulaire du ministère de l'Education nationale encourageant l'introduction de l'intelligence artificielle (IA) à l'école.
Les alertes des professionnels de santé
Médecins et psychologues mettent en garde contre l'usage excessif des écrans, en soulignant son impact sur le bien-être, le développement psychique et l'apprentissage.
Des organisations médicales recommandent de réduire l'exposition des jeunes aux téléphones portables, considérée comme un facteur de troubles cognitifs et comportementaux.
Les données internationales vont dans le même sens. L'enquête PISA de l'OCDE révèle que le temps consacré aux smartphones à l'école pour des usages récréatifs est fortement corrélé à une baisse des performances scolaires.
Un enjeu éducatif majeur au Sénégal
Au Sénégal, l'usage incontrôlé du téléphone est perçu comme un facteur aggravant la baisse du niveau scolaire et de distraction.
Plusieurs spécialistes en éducation estiment qu'il a contribué, aux côtés d'autres difficultés structurelles, à la baisse préoccupante du niveau global des élèves et des résultats aux examens de fin de cycle.
C'est l'une des raisons évoquées par le ministère de l'Éducation qui a choisi de trancher, en interdisant strictement les téléphones et les tablettes dans les établissements, tout en autorisant l'usage pédagogique de ces outils sous la responsabilité des enseignants et dans le cadre de la Stratégie du numérique pour l'éducation.
L'efficacité de l'interdiction du téléphone à l'école pose cependant des question et les études menées dans des pays qui l'ont adoptée, sont contradictoires.
Une récente étude publiée dans The Lancet's Regional Health Europe remet en question l'efficacité des interdictions de téléphones portables dans les établissements scolaires.
Après avoir analysé plus de 1200 élèves âgés de 12 à 15 ans dans 30 écoles britanniques, des chercheurs de l'Université de Birmingham n'ont trouvé aucune corrélation significative entre l'interdiction des téléphones et une amélioration des résultats scolaires ou du bien-être des élèves.
En attendant la mise en pratique, de nombreuses questions demeurent : comment prévenir les risques de vol ? Que faire des montres connectées ? Comment répondre aux besoins urgents des parents souhaitant joindre leurs enfants ? L'interdiction rend-elle plus difficile pour les élèves de contacter leurs proches en cas d'urgence ou pour gérer des problèmes de santé ? La mesure réduit-elle significativement l'exposition des jeunes aux écrans et aux contenus inappropriés, ou ne fait-elle que retarder cette exposition ?
Dans ce contexte, les retours d'expérience et les enquêtes préalables d'autres pays sont précieux.
Plusieurs pays africains ont interdit le téléphone portable dans les écoles, notamment le Cameroun qui a pris une mesure similaire il y a plusieurs années, ainsi que d'autres pays comme le Tchad, le Togo, le Bénin et la Côte d'Ivoire où une interdiction existe depuis peu.
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