x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Société Publié le mercredi 1 octobre 2025 | BBC

Campagne électorale sous tension dans les régions anglophones du Cameroun, entre sécurité renforcée et défis séparatistes

Campagne électorale sous tension dans les régions anglophones du Cameroun, entre sécurité renforcée et défis séparatistes
© BBC
Campagne électorale sous tension dans les régions anglophones du Cameroun, entre sécurité renforcée et défis séparatistes
Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la campagne électorale se déroule sous tension. Les "villes mortes" imposées par les séparatistes paralysent les activités en semaine. Malgré l’ouverture des bureaux d’ELECAM, l’absence d’activités politiques est manifeste : seules les affiches du candidat Biya rappellent la présidentielle.

La campagne électorale dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se déroule dans un contexte particulier.

Alors que les groupes armés séparatistes ont décrété les samedis et dimanches comme jours ouvrables ; les lundis, mardis, mercredis, jeudis et vendredis sont marqués par des "villes mortes" quasi généralisées. L'atmosphère à Bamenda, par exemple, est palpable : marchés et commerces sont fermés, et les forces de l'ordre sont massivement déployées.

Les populations nourrissent des espoirs légitimes de paix, de sécurité et de reconnaissance, mais sont confrontées aux réalités du "lockdown" séparatiste et à la complexité des enjeux politiques.

Lors des meetings de campagne, le climat de tension est palpable parmi les participants. Bien que certains arborent fièrement les couleurs de leur parti, beaucoup prennent des précautions pour rester méconnaissables.

« J'ai mis une casquette et un cache-nez, pas pour le style, mais pour éviter qu'on me reconnaisse sur les photos », confie un militant. La peur d'éventuelles représailles pousse plusieurs à se montrer discrets, malgré leur engagement.

« On soutient, mais on ne veut pas se faire attaquer après », murmure une jeune femme en quittant le rassemblement. D'ailleurs, à peine les discours terminés, nombreux sont ceux qui retirent rapidement leurs uniformes politiques, comme pour effacer toute trace de leur présence.

Malgré l'ouverture des bureaux de l'organe électoral, ELECAM, ils sont étroitement surveillés.

Dans cette capitale régionale, l'absence d'activité politique durant ces journées est frappante : seules les affiches du candidat Biya témoignent de la campagne présidentielle.

Cette campagne électorale au Cameroun a officiellement débuté, mais dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l'atmosphère est loin d'être celle d'une simple compétition politique.

La peur, la sécurité renforcée et les appels au boycott des groupes séparatistes dominent, alors que les partis politiques tentent de mobiliser les électeurs malgré les menaces.

La capacité des candidats à se déplacer librement dans ces deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest reste incertaine.

Depuis des mois, la violence a connu une escalade dans les principales villes, avec des affrontements quotidiens entre l'armée et les combattants séparatistes opposés à la tenue de l'élection.

Le gouverneur de la région du Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique, minimise ces tensions en les qualifiant d'"actes isolés" limités à quelques localités. Il a déclaré à BBC News Afrique que "toutes les mesures ont été prises pour sécuriser le processus électoral. Les candidats doivent faire savoir leur programme de campagne en avance, pour que les autorités puissent les accompagner avec les mesures sécuritaires."

Début de campagne sous haute surveillance

C'est donc sous haute sécurité que la campagne électorale se déroule.

Le candidat du Social Democratic Front (SDF) à l'élection présidentielle du 12 octobre, qui a tenu son tout premier meeting de campagne à Bamenda le 27 septembre, a exposé sa vision d'un Cameroun transformé.

« Je suis l'unique candidat dans cette élection qui s'attaque au système », a déclaré Joshua Osih, soulignant sa volonté de ne pas simplement occuper le pouvoir, mais de réformer profondément les institutions. « Nous avons une course à l'élection où il y a 11 candidats qui se battent pour le trône et un candidat qui veut et qui a un programme et un projet de changer le système de fond en comble. »

Le candidat du SDF propose un programme débutant par un « exercice de paix et de réconciliation » suivi d'une « grande causerie nationale » menant à une conférence constitutionnelle. L'objectif ultime est l'adoption par référendum d'une nouvelle Constitution, instaurant un système fédéral et parlementaire. « Cette Constitution, nous la voulons fédérale » a-t-il précisé.

Face à l'urgence de la crise anglophone, Osih promet des mesures de rupture dès le premier jour de son mandat. « Nous proposons qu'en 100 jours nous mettrons fin à la violence dans le Nord-ouest et le Sud-Ouest, » a-t-il affirmé, mettant en avant sa connaissance approfondie de la région et l'histoire du SDF dans ces zones.

Il insiste sur la nécessité de séparer la violence du problème politique et de créer un climat de confiance. « Il faut séparer la violence du problème politique, les deux ne doivent pas se mélanger. » Dans cette optique, il propose la libération des prisonniers liés à la crise qui n'ont pas commis de crimes de sang.

Malgré les défis sécuritaires persistants, Osih a tenu à lancer sa campagne à Bamenda, saluant le courage des habitants du Nord-Ouest. « Il n'y a aucune région où il y a des citoyens plus braves que celles du Nord-Ouest, » a-t-il déclaré, les exhortant à se mobiliser massivement pour « mettre fin à l'autocratie qui nous tue depuis 65 ans et au règne de Monsieur Biya. »

De son côté, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, a organisé un rassemblement au Palais des Congrès de Bamenda, un lieu symbolique pour le parti.

Philémon Yang, ancien Premier Ministre et directeur de campagne du président sortant Paul Biya, a appelé à voter pour "l'expérience" du chef de l'État, un argument souvent mis en avant par le parti au pouvoir. "Nous devons choisir la stabilité et la continuité" a-t-il déclaré devant la foule présente au palais des congrès de Bamenda.

Ces meetings de campagne sont des moments propices pour des militants du RDPC au pouvoir d'exprimer leur soutien indéfectible au président Paul Biya, qu'ils considèrent comme le seul capable de ramener durablement la paix dans le Nord-Ouest.

« Depuis plus de sept ans, nous subissons dans cette région, et seul le président Biya connaît les vraies solutions pour ramener la paix », affirme Dooh Jerome Penbaga. Pour lui et ces partisans, Biya incarne un leadership authentique, loin de toute démagogie : « C'est un leader sincère, un père de famille qui pardonne voilà pourquoi nous appelons tous les jeunes, les femmes et nos frères du Nord-Ouest à sortir massivement le 12 octobre pour le plébisciter. »

Dans le Sud-Ouest du pays, le Premier Ministre sur le terrain était quant à lui à Buea. Joseph Dion Ngute a défendu la candidature de Paul Biya, le présentant comme le garant de la stabilité et du développement pour la région du Sud-Ouest. Dion Ngute avertit que la non-réélection du président sortant pourrait entraîner la perte d'acquis importants, citant la représentation du Sud-Ouest dans les institutions et des projets comme l'usine de gaz de Kumba. Cette rhétorique vise à consolider le soutien de la région en associant sa prospérité à la continuité du pouvoir. « La politique est un jeu d'intérêts, et le président Biya défend ceux du Sud-Ouest », a-t-il insisté.

L'annonce de nouveaux projets, tels que le port de Limbé, la route Bekoko-Idenau et la modernisation de l'aéroport de Tiko, sert également à renforcer cette image de « sauveur » économique de la région. Aucun incident majeur n'a été rapporté lors de ce premier jour, mais la tension reste vive.

Entre peur, espoirs fragiles et menaces persistantes

Dans ce climat de peur et d'incertitude, les populations anglophones nourrissent des attentes complexes et parfois contradictoires vis-à-vis de la présidentielle. Des attentes d'autant plus difficiles à satisfaire que les groupes armés séparatistes maintiennent un "lockdown" strict, entravant la vie quotidienne et le processus électoral.

Ces attentes des populations sont multiples. Au premier rang figure, bien évidemment, le retour de la paix et de la sécurité. Après des années de violences, de déplacements de populations et de traumatismes, « la priorité absolue est de mettre fin au conflit et de restaurer un climat de stabilité » affirme un conducteur de Moto. Rencontré dans son bureau, un journaliste et chef d'une station de Radio à Bamenda espère que la nouvelle présidence saura engager un dialogue « sincère et inclusif avec toutes les parties prenantes, y compris les groupes armés, afin de trouver une solution politique durable à la crise » .

Certains militants politiques nourrissent l'espoir que l'élection puisse apporter des changements significatifs. « Je suis un militant du Social Democratic Front (SDF) depuis des années. Pour moi, la solution à la crise anglophone réside dans un véritable fédéralisme. La décentralisation prônée par Joshua Osih est un pas dans la bonne direction, mais elle reste insuffisante. Seul un système fédéral, avec une autonomie significative pour les régions anglophones, peut garantir la protection de nos droits et de notre identité. J'espère que l'élection pourra ouvrir la voie à un débat sérieux sur cette question cruciale, » déclare Nimpa Francis, militants du SDF.

Stratégies face à la peur et aux menaces

Face à la peur palpable et aux menaces des groupes armés, les partis politiques adoptent des stratégies différentes. Deux partis politiques semblent être plus présents sur le terrain dans ces régions anglophones. Le RDPC au pouvoir et le SDF. L'opposition, notamment le SDF, tente de mobiliser en insistant sur la nécessité de faire entendre sa voix et de ne pas céder à la peur. Le parti appelle à la participation massive, tout en dénonçant les intimidations et les restrictions à la liberté d'expression. Le « porte-à-porte » semble être l'option choisie.

Le gouvernement mise sur un déploiement massif des forces de sécurité pour rassurer les électeurs et garantir le bon déroulement du scrutin. Les meetings sont strictement encadrés et les mouvements de population surveillés. Outre le RDPC et le SDF, les autres candidats ou partis politiques en lice à cette présidentielle sont toujours attendus dans le Nord-ouest et le Sud-ouest.

Mais soulignons qu'avant le démarrage officiel de la campagne a cette présidentielle du 12 octobre 2025, Bello Bouba Maïgari, candidat de l'UNDP, était déjà à Bamenda. Lors de son passage à Bamenda, il a promis « des consultations inclusives » et « un statut spécial pour la région » afin de résoudre la crise anglophone. Son plan inclut aussi la modernisation de la route Bamenda/Bafoussam, la création d'un parc agro-industriel et l'installation d'une micro-centrale hydroélectrique sur la Menchum River.

Deux figures de l'opposition, Ateki Seta Caxton qui était déjà à Bamenda avant le début officiel de la campagne et Akere Muna, se sont retirées pour soutenir sa candidature. « J'ai entendu l'appel du peuple à l'unité », a déclaré Ateki Seta Caxton sur sa page Facebook, évoquant une « coalition » pour le changement. Akere Muna a confirmé son ralliement en annonçant sur Facebook : « Une nouvelle alliance majeure vient de voir le jour ». Cette dynamique positionne Bello Bouba Maïgari comme le candidat de consensus pour une nouvelle ère politique.

Un contexte de crise et de revendications

Depuis 2016, les régions anglophones du Cameroun sont plongées dans une crise sociopolitique majeure, née de revendications corporatistes et évoluant vers un conflit armé. Tout commence en octobre 2016, lorsque les avocats anglophones protestent contre l'imposition de magistrats francophones et l'absence de textes juridiques traduits en anglais. En novembre, les enseignants rejoignent le mouvement, dénonçant la marginalisation du système éducatif anglophone. La réponse de l'État est marquée par une répression sévère : arrestations, coupures d'internet et militarisation des zones concernées. Cette répression radicalise une partie de la population, menant à l'émergence de groupes séparatistes armés qui proclament symboliquement le 1er octobre 2017 l'indépendance des deux régions anglophones appelées par eux, « Ambazonie ».

Le conflit a depuis causé des pertes humaines et des déplacements massifs. Selon International Crisis Group, plus de 6 000 personnes ont été tuées dans les affrontements entre forces gouvernementales et groupes armés. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU (OCHA) estime à plus de 700 000 le nombre de déplacés internes, tandis que le HCR recense plus de 87 000 réfugiés camerounais au Nigeria. Human Rights Watch souligne également les graves violations des droits humains, notamment les exécutions extrajudiciaires, les incendies de villages et les attaques contre les écoles.

Cette crise, qualifiée par l'ONU de « l'une des plus négligées au monde », continue de fragiliser la cohésion nationale et de plonger les populations dans une détresse humanitaire profonde. Une solution politique inclusive reste indispensable pour mettre fin à ce conflit meurtrier.

Dans ce contexte toujours tendu, les groupes séparatistes ont juré de perturber le processus électoral, considérant qu'il s'agit d'une tentative du gouvernement de légitimer son pouvoir sur les régions anglophones. Ils ont décrété des "villes mortes" durant toute la période électorale, appelant la population à boycotter les urnes et à rester chez elle.

Perspectives incertaines

La situation reste extrêmement précaire. La participation électorale sera un indicateur clé de la légitimité du scrutin dans les régions anglophones. Reste à voir si les électeurs oseront braver les menaces des séparatistes et si les partis politiques parviendront à convaincre une population profondément marquée par la crise et la violence. L'avenir des régions anglophones, et par conséquent de tout le Cameroun, se joue peut-être dans les urnes.


PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

A voir également

Playlist Société

Toutes les vidéos Société à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ