x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

International Publié le mardi 20 janvier 2009 | Nord-Sud

Etats-Unis : Obama ou la contre-histoire

Au moment où Obama sera investi comme 44ème président des Etats-Unis, le premier Noir à accéder à cette fonction prestigieuse dans le pays le plus puissant du monde, au-delà des joyeusetés des premiers instants et de l’enthousiasme débonnaire affiché ici et là sur le continent, le moment est peut-être venu de s’interroger sur la portée de cet événement considérable qui va à contre courant de l’Histoire, celle d’où est exclu le Noir, celle où il est marginalisé ou minoré.

Car la victoire de Obama ne doit rien au hasard ; elle est incontestablement l’aboutissement d’une très longue lutte qui a connu l’incertitude et les impasses en tout genre. Pêle-mêle, rappelons les nègres marrons, ces esclaves qui se révoltaient et se réfugiaient sur les collines ; ils ne rentraient qu’à la nuit tombée pour se nourrir au péril de leur vie ; rappelons le jazz et le blues (avoir du bleu dans l’âme ) que les esclaves ont inventés dans les plantations de canne à sucre pour résister un temps soit peu à leurs conditions d’existence pénibles ; évoquons les chansons engagées de James Brown, entre autres, dont le célèbre : « Je suis noir et j’en suis fier ! » ; remémorons- nous les bras levés de Tommy Smith et de ses compatriotes et concurrents, gantés de noir, à l’issue de leur victoire aux 100 mètres aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968 : ce geste symbolique leur a coûté leurs médailles ; actualisons le rêve prophétique de Martin Luther King d’Août 1963 : il voyait un monde où les hommes de toutes les couleurs vivraient libres et égaux ! (officiellement la ségrégation raciale a été supprimée aux Etats-Unis en 1964 !) ; ajoutons Angela Davis et les panthères noires : la lutte des Américains Noirs pour leur libération fut totale, longue et périlleuse. A tous les égards, Obama est probablement le premier bénéficiaire d’un processus qui le dépasse.

En Afrique aussi Myriam Makeba dont nous saluons la mémoire, a su monnayer son talent dans un engagement sans compromission qui lui a fait connaître la nostalgie et les douleurs de l’exil ; le destin de son compatriote Mandela lui-même, emprisonné pendant vingt-sept ans, figure emblématique de la lutte anti-apartheid, est tout aussi exemplaire. Nous pourrions multiplier à l’envi les exemples pour souligner que l’Histoire, telle qu’elle a été perçue et enseignée par Hegel qui mentionnait dans son ouvrage, La raison dans l’Histoire, s’agissant de l’Afrique : «Ce continent n’est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation» a traumatisé toute une race. Or donc, les Noirs ont été précipités dans une situation historique totalement honteuse. Nous mesurons ainsi à sa juste valeur la victoire de Obama- celle de tous les Noirs, croyons-nous- parce qu’elle rejette la vision hégélienne de l’Histoire et se révèle comme un défi dont l’une des tâches est de s’approprier le présent. D’un certain point de vue, il s’agit de la réhabilitation du Noir. Mais gardons la raison et évitons les dérives…

Bien sûr, ce n’est pas la seule leçon à tirer de cet événement intéressant sur bien des registres. En toute lucidité, saluons le peuple américain dans son ensemble pour sa remarquable ouverture d’esprit et sa maturité; c’est l’un des enseignements de cette élection présidentielle: car ne nous y trompons pas, si le père de Obama est un Kenyan, Obama, lui, est un Américain; si Obama est un Noir (Aux Etats-Unis, un métis est assimilé à un noir), il n’est pas Africain (malgré son ascendance authentiquement africaine). Si le triomphe de Obama a suscité de la jubilation et est commenté abondamment sur le continent, si sa victoire s’inscrit dans une contre-histoire et ouvre à coup sûr des portes, l’important pour l’Afrique sera d’en tenir compte pour modifier sa propre pratique de l’existence. Sans remuer le couteau dans la plaie, souvenons-nous de Kenneth Kaunda qui a dirigé la Zambie vingt-sept ans durant pour se voir nier la nationalité de ce pays ! Dans notre propre pays un passé récent (immédiat peut-être) a manipulé un cas similaire qu’il vaut mieux oublier au plus vite !

Pour le reste, laissons à Sony Labou Tansi le très grand et toujours regretté romancier congolais les mots de la fin : «Les Nègres [ne sont] pas des Nègres mais bien des hommes comme nous, [les Blancs], avec une intelligence, une sensibilité, une beauté intérieure, une rigueur d’âme (…)».


Par le Dr Cissé Idriss. Université de Cocody, UFR Langues, Littératures et Civilisations
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Titrologie

Toutes les vidéos Titrologie à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ