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Politique Publié le mercredi 21 janvier 2009 | Nord-Sud

Koné Dramane (Ancien ministre de la Culture) : "Il faut relativiser la notion de démission"

•Partagez-vous l’opinion selon laquelle les intellectuels ivoiriens ont démissionné ?

Démissionner ? Je ne sais pas, je ne sais pas sur quoi ça repose. Il y a une crise de représentations. Quelle est la représentation que j’ai de vous ? Je ne pense pas que les intellectuels aient démissionné. Chacun est amené à jouer son rôle dans la société, souvent avec bruit, d’autres fois avec moins de bruit. Mais les gens ont fait ce qu’ils peuvent et chacun continue de jouer son rôle.



•Par exemple, les intellectuels qui ont conceptualisé l’ivoirité et qui n’ont pas su dire non quand il y avait des dérives…

…Je pense que ça été de même pour d’autres concepts comme le nazisme, tout comme le communisme. Il y a eu des prises de position sur les concepts. Certains peuvent prospérer comme d’autres non. Il y a eu même des concepts mort-nés. Je pense que l’ivoirité a été combattu et c’est parce qu’il a été heureusement combattu qu’il n’a pas prospéré. Ça, je tiens à l’affirmer, ce n’est pas le travail de tous les intellectuels. C’est l’œuvre de certains qui, appartenant aux cellules universitaires des partis politiques, ont créé ce concept mais il n’a pas prospéré. Un concept, c’est comme un être humain. Il naît, il vit et meurt par la suite. Si ceux qui ont créé le concept n’ont pas été capables de le recadrer, c’est eux qui endossent la responsabilité. Ce ne sont pas les intellectuels ivoiriens.



•Sous la transition, les intellectuels ont également démissionné au moment de la rédaction de la Constitution. Qu’en pensez-vous ?

Je dis que les crises que nous vivons sont souvent des crises de représentation. Quelle est la représentation que les gens ont des intellectuels ? Je me souviens des débats contradictoires sur la Constitution. Mais une Constitution est un texte qui une fois rédigé est soumis à la population et le texte a été soumis à un référendum. Les intellectuels en Côte d’Ivoire, ce n’est pas la totalité des Ivoiriens. Je pense qu’il y a eu des débats et il y a eu des gens qui étaient pour alors que d’autres étaient contre. Il me semble que la majorité était pour le texte et c’est pourquoi cette Constitution est passée. Si vous regardez le résultat du référendum, vous verrez que le texte n’a pas été voté à 100%. On parle de 84 à 86%, ce qui est un bon chiffre en démocratie. Je pense qu’il faut relativiser le concept de démission. Je me souviens encore des grands débats dans lesquels nous avons été engagé où nous avons discuté de grandes questions. Je ne pense pas que la Constitution soit bancale. Ça aussi, c’est une crise de représentation. C’est une Constitution qui n’est pas parfaite puisqu’elle n’a pas été votée à 100%, mais elle fait quand même une fierté. Elle est soumise aussi à l’épreuve du temps et de l’application.



•Les partis politiques ont reconnu en son temps que la Constitution n’était pas bonne. Mais ils ont demandé à leurs militants de la voter afin de sortir juste de la transition ; ensuite on pourra apporter les corrections nécessaires ont-ils conseillé. Huit années après, c’est le statu quo.

Je ne me suis pas souvenu d’une telle appréciation.



•Laurent Gbagbo avait soutenu cela au moment de la campagne pour son adoption ?

Il y avait le problème de la transition et il y avait également cette volonté de sortir d’une transition dans laquelle on ne pouvait pas s’éterniser. Il ne faut pas perdre de vue le fait que le référendum ait donné un vote de plus de 86%. Intellectuellement, un texte qui est appelé à être soumis à référendum ne peut pas être parfait à 100%, mais je pense aussi que ce texte va être soumis à l’épreuve du terrain et au fur et à mesure qu’on avance, il y a d’autres problèmes qui se posent dans la société. Il y a des grandes mutations dans lesquelles nous sommes tous engagés et par rapport à ces mutations-là, on peut adapter, on peut changer certaines parties de la Constitution.


Il y a des grands livres comme la Bible et le Coran et vous savez les interprétations qui entourent ces livres là aujourd’hui. Ce sont les représentations que certains ont de ces deux livres-là qui créent des courants dans les religions.


•Avec la refondation, les grands professeurs ont déserté l’université au profit des cabinets ministériels. . Qu’en pensez-vous ?

Je peux m’engager avec vous à accepter cela. C’est un constat. Mais ce que je veux ajouter, ce n’est pas parce que les refondateurs sont arrivés au pouvoir que les intellectuels ont déserté l’université. Il faut se souvenir que la lutte syndicale est le fait des enseignants. Vous connaissez le poids du Synares, du Synesci dans la société. Quand le multipartisme arrive, ce sont ces mêmes intellectuels qui forment les partis politiques pour la révolution. Quand le Fpi arrive au pouvoir à l’an 2000, naturellement ceux qui ont animé ces syndicats et ces partis politiques, c’est eux qui vont virer. C’est sûr qu’il va avoir un déséquilibre, mais ces gens ne sont pas tombés du ciel pace que la refondation est arrivée au pouvoir. Ils ont toujours animé la vie politique. De ce point de vue, on peut aussi dire que la société a besoin d’un recadrage, d’un rééquilibre parce qu’il faut porter la révolution jusqu’au bout. Il me semble que les intellectuels ont été à la hauteur et c’est pourquoi, ils ont soutenu cette révolution-là.



•Certains enseignants disent aujourd’hui qu’ils ont honte d’être appelés intellectuels. Quelle appréciation en faites-vous ?

C’est un point de vue. Moi, je suis fier d’être un intellectuel ivoirien et d’avoir été et d’être encore témoin de tout ce qui se passe. J’apporte ma contribution toutes les semaines et je n’en ai pas honte.



•D’autres encore estiment que la pensée est morte. Qu’en dites-vous ?

Je n’en sais rien. Je voudrais qu’ensemble on regarde les choses. Je prends pour principe que nous traversons une période de crise et naturellement cela soutient une représentation des uns des autres. On a eu une épreuve difficile qui a été la guerre. Nous sommes sortis de la guerre pas victorieux, mais nous sommes sortis sains et saufs. Nous n’étions pas armés, nous n’avions pas de fusils, chacun a apporté sa petite contribution pour qu’on puisse gagner cette guerre parce que je pense que psychologiquement et intellectuellement, nous avons gagné cette guerre. Si nous pensons que cela a déteint sur nos représentations, nous devons reconnaître par ailleurs que c’est parce que la pensée existe encore. L’argent n’a pas toujours eu raison de la pensée en Côte d’Ivoire. Il y a encore des intellectuels. On ne peut pas dire que Memel Fôté qui s’est couché il y a quelques mois de cela n’était pas un intellectuel. On ne peut dire que sa pensée est morte. Il y a des gens dans le paysage politique comme Barthélemy Kotchy, Sery Bailly. Il peut avoir un moment de silence, mais ce silence n’est pas synonyme de mort.

Propos recueillis par Traoré M Ahmed
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