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Politique Publié le vendredi 6 février 2009 | Nord-Sud

Pierre Kipré (Ambassadeur de Côte d`Ivoire à Paris) : "Je ne reviens plus sur l’ivoirité"

L’ancien ministre Pierre Kipré ne partage pas un certain nombre de points de vue sur la responsabilité des intellectuels ivoiriens dans la crise qui secoue la Côte d’Ivoire. Il le signifie dans cette interview dans laquelle il invite au respect de la Constitution, en se référant au texte fondamental des Etats-Unis.


•En tant qu’intellectuel de renom, acceptez-vous d’assumer votre part de responsabilité dans la crise que vit la Côte d’Ivoire depuis une décennie?

En tant que citoyen de Côte d’Ivoire, je considère que nous sommes tous responsables. En tant qu’intellectuel, il faut bien clarifier les choses. D’abord, c’est quoi un intellectuel ? Un intellectuel est un producteur d’idées, une personne qui, à travers les œuvres de l’esprit qu’il produit, se donne une mission personnelle dans son domaine de compétence. Et c’est la qualité de cette production qui le signale à la société, au point que celle-ci attend de lui un certain nombre d’idées ou d’actions qui permettent à cette société d’avancer. De ce point de vue, le succès ou l’échec dépend de nombreuses circonstances, mais surtout du positionnement de cet intellectuel par rapport à trois pouvoirs. Le premier, celui de la politique, de l’action sur la cité ; le deuxième, celui de l’avoir, c’est-à-dire celui des détenteurs d’un pouvoir économique. Et le troisième pouvoir : le savoir est celui auquel appartient l’intellectuel. Selon les sociétés, les détenteurs de tel ou tel pouvoir font ou non une place importante au détenteur du savoir qu’est ou sensé être l’intellectuel. Il se trouve que dans nos pays, dans nos sociétés, comme la société ivoirienne, il n’y a pas un seul type d’intellectuel. Vous en avez selon nos cultures anciennes, ceux que l’opinion courante appelle les sages du village. En deuxième catégorie, il y a celle des intellectuels qui sont le produit de la culture de l’écriture, qui produisent des ?uvres de l’esprit fixées sur papier ou sur support autre qu’oral.


•C’est sur cette deuxième catégorie que nous vous interrogeons…

Les rapports de cette deuxième catégorie avec le pouvoir politique ou avec le pouvoir de l’argent n’ont jamais été simples dans nos pays. Ils ont même été, pour prendre le cas de la Côte d’Ivoire, souvent conflictuels. Il y a toujours eu la tendance du pouvoir politique à récupérer, d’une manière ou d’une autre, les détenteurs de ce savoir écrit. Parfois, ils y arrivent définitivement ou provisoirement. Mais généralement, lorsqu’on a l’impression qu’ils sont arrivés, les détenteurs du pouvoir politique ne sont jamais rassurés. Parce que l’intellectuel a cela de particulier, c’est qu’on peut difficilement le cantonner dans des cadres rigides. Il s’échappe toujours. Ou en tout cas, il est iconoclaste à certains moments. C’est ce qui explique que ceux que vous appelez intellectuels se sont souvent mis dans des chapelles politiques de différents bords espérant apporter une contribution. Il se trouve que lorsque quelqu’un se trouve dans une chapelle et que celle-ci n’est pas au pouvoir, il y a une mauvaise tendance à ne pas prendre chez cette personne ce qui peut enrichir. Bien au contraire, il y a une tendance à le diaboliser ; ce qui signifie que le monde des intellectuels en Afrique noire n’a pas encore surmonté un certain nombre de handicaps, notamment celui du procès d’intention ; là où il devrait y avoir un débat contradictoire sain. C’est tout cela qui fait que la voix de l’intellectuel en Côte d’Ivoire ne porte pas très loin, ou alors de manière décisive. C’est vrai, de temps en temps, il y a des prises de position qui font bouger un peu. Mais quand vous prenez l’ensemble de ces clercs, vous vous apercevez que ce sont des gens qui ne se sentent pas tout à fait bien dans leur peau, parce qu’ils se disent incompris du pouvoir politique, même lorsqu’ils appartiennent à des chapelles…


•Justement, pensez-vous qu’un intellectuel doit militer activement dans un parti politique ?

C’est un citoyen, il doit militer dans le parti de son choix. Ce n’est pas parce que vous êtes intellectuel que vous cessez d’être citoyen. Et l’appartenance à un parti politique est un acte normal de citoyenneté. Mais, si vous voulez vous assumer comme intellectuel, vous devez savoir que quel que soit le lieu où vous vous trouvez, vous devez être en rapport avec la logique de votre pensée et vous devez pouvoir avoir le courage d’assumer les idées que vous produisez. Ce n’est pas parce que je serais du Pdci que je me ferais le chantre d’idées auxquelles je ne crois pas. Bien au contraire, j’estimerai de mon devoir de dire ma part de vérité, même si ça dérange, pour faire avancer la réflexion au sein de mon parti. Si je réfléchis ainsi, alors, je me mets au service de ma société, mais étant bien entendu que je n’ai pas la science infuse, que je ne suis pas le seul producteur d’idées et que je dois avoir suffisamment d’humilité intellectuelle pour accepter la contradiction, trouver dans l’autre les éléments de mon enrichissement. Un intellectuel est aussi quelqu’un qui a une très grande capacité de tolérance.


•En Côte d’Ivoire, les intellectuels ont été souvent accusés d’avoir défendu ou prôné des idées qui ont conduit à la crise. Je veux parler de l’ivoirité ou de certaines dispositions dans la Constitution. Vous en convenez ?

Il ne faut pas non plus prêter plus qu’il ne faut aux intellectuels. Ce sont des gens qui parlent bien, qui écrivent bien, qui produisent des idées séduisantes. Mais ce n’est pas telle ou telle idée qui va mettre le feu aux poudres. La parole n’est pas un fusil. Cela dit, sur la question de l’ivoirité, vraiment, je n’ai plus envie de revenir là-dessus. Je crois avoir dit ce que j’en pense. Je ne reviens plus là-dessus.

Sur la Constitution, je crois qu’il faut que nous ayons le courage d’assumer le choix qui a été fait d’un retour à la démocratie pluraliste en avril 2000. Cela signifiait que lorsqu’il y a un problème, tout le monde débat et on confie au corps électoral des citoyens. Il y a eu un référendum. Que l’on ait mis des groupes de réflexion, etc., c’est normal. Chacun a pu avancer des idées les plus farfelues. Il n’y a pas de problème. Mais, dès lors que le projet de Constitution a été présenté au peuple, c’était à lui de choisir. Mais le peuple n’a pas choisi pour faire plaisir à X ou Y ou pour faire plaisir à tel ou tel intellectuel. Le peuple a choisi par rapport à ce qu’il a pensé être bon pour lui. Si le peuple a dit oui, c’est donc le oui du peuple. Et c’est terminé. C’est la loi de la majorité. Si on doit revenir sur des éléments de la Constitution, ça va faire l’objet d’un débat et on retourne devant le peuple pour dire que nous vous renvoyons la question à nouveau sur tel ou tel point. Si le peuple dit oui, c’est oui. S’il dit non, c’est non. Mais on ne peut pas refuser le principe de la démocratie. On ne peut pas considérer qu’après un référendum, on veut mettre en cause la décision du peuple. C’est anti-démocratique.


•Le professeur Zadi Zaourou estime que cette Constitution était dangereuse car porteuse de…

(Il nous interrompt et s’emporte). Ça c’est le point de vue de M. Zadi Zaourou. M. Zadi Zaourou n’est pas le peuple.


•Ce n’est pas le peuple qui a rédigé la Constitution. Des rédacteurs peuvent y introduire des dispositions conflictuelles.

Non, non, non. C’est ça le drame. On refuse le jeu démocratique. Dès lors que vous êtes battu, vous dites non, ce n’est pas démocratique. Il fallait refuser alors de ne pas organiser le référendum. Mais dès lors que tout le monde a été d’accord pour soumettre le projet de Constitution à référendum, c’est terminé. Je trouve malsain de considérer que les millions de citoyens ivoiriens qui ont été consultés à cette époque soient considérés comme des minus. C’est une insulte à la citoyenneté. C’est pour cela que j’ai toujours dit, je l’ai dit en 1990 et je le répète toujours : tant que nous n’aurons pas mis au c?ur de notre démocratie, le respect absolu du citoyen, nous n’avancerons pas. A partir du moment où vous le reconnaissez comme acteur principal et suprême, c’est à lui que vous vous adressez pour trancher en dernier instant. C’est lui qui constitue un corps électoral et qui choisit ceux qui parlent en son nom, qui dirigent en son nom. C’est le B-A BA de la démocratie. Or il se trouve que nous refusons de considérer que le citoyen soit le principal acteur.


•Donc pour vous, quand un texte a été adopté et qu’il comporte des insuffisances, on ne doit pas le critiquer?

Ce n’est pas la même chose de dire on a voté un texte, on respecte, on l’applique, mais ça peut être amélioré. Ce n’est pas la même chose de dire : bien que cela ait été voté, moi je ne le reconnais pas. Ce sont ceux qui ont dit : on ne le reconnaît pas, qui nous aurons amenés à ce que nous connaissons aujourd’hui. Il faut dire les choses telles quelles sont. C’est le refus de reconnaître le résultat du jeu démocratique qui nous aura amenés dans cette situation. Si nous acceptons ce résultat, alors lorsqu’il y aura un autre rapport de force politique, pas militaire, alors on remet en jeu. Ou même quand il n’y a pas de nouveaux rapports de force, à l’usage on s’aperçoit qu’il y a des choses qui ne vont pas, un groupe de citoyens argumente et essaie de convaincre tout le monde. On peut le soumettre au peuple à nouveau.

La Constitution des Etats-Unis date de 1787. En ce moment, il y avait l’esclavage et les femmes ne votaient pas. Quand est-ce que l’esclavage a cessé ? En 1865, à la suite d’une guerre civile. Même après la guerre civile, on a continué par d’autres moyens. C’est seulement au début des années 60 que les choses ont véritablement changé. Aujourd’hui on a Obama. Cette même Constitution de 1787 a posé quelques fondamentaux : le droit à la liberté, le droit pour les citoyens de choisir eux-mêmes leurs représentants. Etc. Elle n’a été amendée que quatre fois depuis 1787 jusqu’à présent. Nous nous refusons d’entrer dans cette logique au seul motif que, non moi ça ne me convient pas. On a manipulé des gens, ils ont voté mais moi je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas démocratique.


•Parlant de Barack Obama, quelle leçon pouvez-vous tirer en relation avec la Côte d’Ivoire ?

L’élection d’Obama se comprend par rapport au contexte spécifiquement américain. Mais en même temps, c’est un grand pas dans l’histoire de l’humanité, dans la lutte contre les idées rétrogrades, les idées racistes, le génie de telle race. Il suffit d’être simplement humain. Un être humain vaut un autre être humain. C’est la grande leçon que je tire de cela. Et je suis très heureux que ce soit dans un grand pays comme les Etats-Unis que la leçon nous est donnée de considérer chacun dans ce que Dieu nous a donné de plus utile, être simplement un être humain.


•Les universités de Côte d’Ivoire se sont vidées de leurs éminents enseignants. Seriez-vous prêt à reprendre la craie, une fois votre mission de diplomate achevée ?

Je suis entré à la fonction publique en 1968. J’ai enseigné jusqu’à l’année 2001, date à laquelle j’ai demandé ma mise à la retraite anticipée. Non pas parce que j’étais fatigué. Pas du tout. Vous savez, l’enseignement est un métier extrêmement difficile qui ne rapporte pas beaucoup d’argent mais qui rapporte énormément du point de vue moral, intellectuel. Etant fils d’enseignant et enseignant moi-même, j’ai eu dans l’exercice de ce métier les plus belles joies que Dieu ait pu me donner à chaque fois que j’ai fait un bon cours et que je l’ai ressenti dans le regard de mes étudiants.

Mais j’ai demandé ma mise à la retraite lorsque j’ai constaté que les jeunes pour lesquels vous passez des nuits blanches à préparer des cours, à aller dans les archives ne respectaient plus leurs maîtres. C’est peut-être prétentieux, mais je ne peux pas accepter qu’un enfant à qui je donne le plus profond de moi, le peu que Dieu a pu me donner comme savoir, à qui je donne tout, puisse me manquer de respect. Je ne peux pas l’accepter, même si on me donne des millions par mois. J’ai préféré partir pour ne pas provoquer d’incident. Et comme j’avais largement dépassé mon temps normal de fonction, j’ai préféré partir. Je suis donc venu en France où je donnais quelques cours à l’université de Paris VII et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess).

Interview réalisée par Karim Wally, Correspondant permanent à Paris
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