•Que pensez-vous des références à l’ethnie dans les activités des partis politiques et celles du chef de l’Etat ?
A la Lidho, nous avons toujours estimé qu’un pays comme la Côte d’Ivoire est en construction. Par conséquent, les considérations tribales doivent être tenues le plus loin possible de cette construction. Il faut bannir cela de tous les champs, mais, surtout du champ politique. De la même manière que nous saluons le chef de l’Etat pour la prise d’une loi sur le tribalisme, c’est aussi de cette même manière que nous voulons encourager tous les politiques à œuvrer pour la mise en application de cette loi en évitant d’utiliser les ethnies à des fins politiques. Au chef de l’Etat lui-même, nous demandons d’éviter de recevoir des populations à la présidence en tant que groupes ethniques.
•Pensez-vous que l’on vous écoutera ?
C’est vrai qu’une fois, nous en avions parlé dans un cadre officiel et l’on nous a dit que ce sont ces groupes ethniques eux-mêmes qui demandaient à rencontrer et à saluer le président de la République et que celui-ci ne pouvait raisonnablement pas les refouler tous. Mais, nous disons qu’il faut décourager la pratique. A la limite le chef de l’Etat peut recevoir des populations à travers des corps constitués et les professions qui ne sont pas de type ethnique. Nous ne disons pas que des populations ne doivent pas venir saluer le premier des Ivoiriens. Elles peuvent le faire. Mais, de grâce, pas par rapport à leur appartenance ethnique.
•La pratique est encore plus prononcée ces derniers temps dans les partis politiques.
Oui. Il en est de même pour les partis politiques. On ne milite pas dans ces partis par rapport à notre ethnie. Il n’y a normalement aucune référence à l’ethnie dans les statuts et règlement des partis politiques. Au contraire, la loi défend même la pratique. Pourquoi en faire référence et l’exploiter sur le terrain alors ? Ce que la Lidho voudrait surtout faire remarquer, c’est le rôle aberrant de la presse dans ce jeu qui tribalise la politique ivoirienne. C’est bien vous les journalistes qui servez ces gros titres dans vos journaux. On lit souvent à vos Unes que tel groupe ethnique était au palais ou encore que tel nombre de Bété ou de Baoulé ont adhéré ou quitté un tel parti. C’est comme ça que le puzzle de la crise en cours s’est construit. Ce genre de titre n’est pas bon pour la paix sociale. Et nous en savons tous quelque chose. Il faut cesser de faire croire que certaines ethnies sont otages de partis politiques particuliers. Nous devons tous dénoncer cela. Cela doit même faire mal aux groupes ethniques qui sont ainsi catalogués.
•Selon vous qu’est-ce qui pousse les politiques à brandir l’ethnie dans le débat ?
C’est le fait qu’on n’ait toujours pas réussi à nous convaincre que chaque parti ne doit pas être adossé à un groupe ethnique. Par ce jeu-là, on croit débaucher chez l’adversaire en brandissant des natifs d’une tribu jugée naturellement favorable à son parti. Des concitoyens deviennent comme des étendards qu’on brandit simplement sur la base de leur ethnie. Mais, pas pour leur mérite encore moins pour leur choix idéologique. C’est, à y voir de près, que l’on découvre la bassesse.
•Des intellectuels que nous avons interrogés pensent que ce ne serait pas complet au plan informatif de dire par exemple que des Ivoiriens de telle ville ou village étaient chez le chef de l’Etat. Pour eux, la précision de l’ethnie sera toujours demandée par les lecteurs et, dire que les Ebriés d’Anono étaient chez Gbagbo n’est pas du tribalisme.
Je réponds par une question. Est-ce une information nécessaire de dire que ce sont des Ebriés ? Si oui, c’est qu’il y a un message codé. Il y a une intention de démontrer quelque chose à partir de l’ethnie et pour des besoins politiques. Et c’est cela le danger. Pourquoi Le Nouveau Réveil n’écrit pas à sa Une que 400 Baoulé ont adhéré au Pdci ? Pourquoi Le Patriote n’écrit pas à sa couverture que 300 Malinké viennent d’adhérer au Rdr ? Pourquoi Notre Voie ne titre pas en gros caractère que 500 Bété ont rejoint le Fpi ? Alors pourquoi lorsque des Baoulé adhèrent au Fpi cela devient un événement ? C’est à ce niveau que chacun doit se demander pourquoi il est tenté d’en faire une information capitale dans ses journaux. C’est un mauvais jeu. Il faut donc que les partis politiques, la présidence de la République et toutes les institutions prennent garde de ne pas le faire. Ne recevons pas les groupes sur la base de leur appartenance ethnique.
•Des observateurs dénoncent le flou entretenu dans la loi sur ce volet particulier.
Ils ont raison. Mais, la loi peut même être suffisamment claire et il y aura quand même un manque de bonne volonté de l’appliquer profondément. Je n’ai pas toutes les références exactes du texte conte le tribalisme en tête, mais je sais que grosso modo, elle dit de ne pas tenir compte des considérations ethniques. On est allé jusqu’à interdire les scarifications qui permettaient de distinguer certaines populations. Ces scarifications attribuent les ethnies le plus souvent. Tant qu’il y aura une mauvaise volonté politique, on essayera de dire que sur tel point, on ne nous l’interdit pas. Mais, personne n’est dupe.
•Vous avez mis la presse en cause. Mais, que peuvent faire les journalistes pour ne pas s’en faire complice ?
Ils peuvent ne pas en rendre compte. Il faut qu’ils démasquent les acteurs coupables. Il y a des Ong et des associations qui se créent en s’adossant à un groupe ethnique dans le but de soutenir un parti politique. Il faut les dénoncer. La presse ne doit pas accepter des associations qui se font appeler par exemple, «Les Sénoufo pour Bédié», «les Malinké pour Gbagbo» où «Tous les Gouro pour la victoire d’ADO». C’est aberrant. Je pense que si un journaliste assiste au lancement d’une telle association, il doit simplement écrire que des nouveaux militants de tel parti, habitant telle localité ont décidé de s’engager dans la lutte pour l’élection de leur leader. Ils étaient tel nombre et ils veulent appliquer tel plan d’action. C’est tout. Que les journalistes évitent de rendre compte de ce qui est ethniquement exploité dans la politique. Ils aideront ce pays. Moi, en tant que lecteur, ça ne m’édifie pas de savoir que ce sont des Baoulé qui adhèrent. Je veux juste savoir avec quelle idée ils viennent. Je veux dire aussi que souvent les informations sur l’ethnie ne sont même pas fondées. Soit, les personnes brandies ne représentent rien dans l’ethnie visée, ce qui pousse d’autres de la même ethnie à réagir en nous enfonçant encore plus dans le tribalisme. Soit, on brandit effectivement deux représentants de l’ethnie visée avec des dizaines de figurants autour pour dire qu’une région entière est avec soi. C’est dangereux ! Arrêtons !
Interview réalisée par Djama Stanislas
A la Lidho, nous avons toujours estimé qu’un pays comme la Côte d’Ivoire est en construction. Par conséquent, les considérations tribales doivent être tenues le plus loin possible de cette construction. Il faut bannir cela de tous les champs, mais, surtout du champ politique. De la même manière que nous saluons le chef de l’Etat pour la prise d’une loi sur le tribalisme, c’est aussi de cette même manière que nous voulons encourager tous les politiques à œuvrer pour la mise en application de cette loi en évitant d’utiliser les ethnies à des fins politiques. Au chef de l’Etat lui-même, nous demandons d’éviter de recevoir des populations à la présidence en tant que groupes ethniques.
•Pensez-vous que l’on vous écoutera ?
C’est vrai qu’une fois, nous en avions parlé dans un cadre officiel et l’on nous a dit que ce sont ces groupes ethniques eux-mêmes qui demandaient à rencontrer et à saluer le président de la République et que celui-ci ne pouvait raisonnablement pas les refouler tous. Mais, nous disons qu’il faut décourager la pratique. A la limite le chef de l’Etat peut recevoir des populations à travers des corps constitués et les professions qui ne sont pas de type ethnique. Nous ne disons pas que des populations ne doivent pas venir saluer le premier des Ivoiriens. Elles peuvent le faire. Mais, de grâce, pas par rapport à leur appartenance ethnique.
•La pratique est encore plus prononcée ces derniers temps dans les partis politiques.
Oui. Il en est de même pour les partis politiques. On ne milite pas dans ces partis par rapport à notre ethnie. Il n’y a normalement aucune référence à l’ethnie dans les statuts et règlement des partis politiques. Au contraire, la loi défend même la pratique. Pourquoi en faire référence et l’exploiter sur le terrain alors ? Ce que la Lidho voudrait surtout faire remarquer, c’est le rôle aberrant de la presse dans ce jeu qui tribalise la politique ivoirienne. C’est bien vous les journalistes qui servez ces gros titres dans vos journaux. On lit souvent à vos Unes que tel groupe ethnique était au palais ou encore que tel nombre de Bété ou de Baoulé ont adhéré ou quitté un tel parti. C’est comme ça que le puzzle de la crise en cours s’est construit. Ce genre de titre n’est pas bon pour la paix sociale. Et nous en savons tous quelque chose. Il faut cesser de faire croire que certaines ethnies sont otages de partis politiques particuliers. Nous devons tous dénoncer cela. Cela doit même faire mal aux groupes ethniques qui sont ainsi catalogués.
•Selon vous qu’est-ce qui pousse les politiques à brandir l’ethnie dans le débat ?
C’est le fait qu’on n’ait toujours pas réussi à nous convaincre que chaque parti ne doit pas être adossé à un groupe ethnique. Par ce jeu-là, on croit débaucher chez l’adversaire en brandissant des natifs d’une tribu jugée naturellement favorable à son parti. Des concitoyens deviennent comme des étendards qu’on brandit simplement sur la base de leur ethnie. Mais, pas pour leur mérite encore moins pour leur choix idéologique. C’est, à y voir de près, que l’on découvre la bassesse.
•Des intellectuels que nous avons interrogés pensent que ce ne serait pas complet au plan informatif de dire par exemple que des Ivoiriens de telle ville ou village étaient chez le chef de l’Etat. Pour eux, la précision de l’ethnie sera toujours demandée par les lecteurs et, dire que les Ebriés d’Anono étaient chez Gbagbo n’est pas du tribalisme.
Je réponds par une question. Est-ce une information nécessaire de dire que ce sont des Ebriés ? Si oui, c’est qu’il y a un message codé. Il y a une intention de démontrer quelque chose à partir de l’ethnie et pour des besoins politiques. Et c’est cela le danger. Pourquoi Le Nouveau Réveil n’écrit pas à sa Une que 400 Baoulé ont adhéré au Pdci ? Pourquoi Le Patriote n’écrit pas à sa couverture que 300 Malinké viennent d’adhérer au Rdr ? Pourquoi Notre Voie ne titre pas en gros caractère que 500 Bété ont rejoint le Fpi ? Alors pourquoi lorsque des Baoulé adhèrent au Fpi cela devient un événement ? C’est à ce niveau que chacun doit se demander pourquoi il est tenté d’en faire une information capitale dans ses journaux. C’est un mauvais jeu. Il faut donc que les partis politiques, la présidence de la République et toutes les institutions prennent garde de ne pas le faire. Ne recevons pas les groupes sur la base de leur appartenance ethnique.
•Des observateurs dénoncent le flou entretenu dans la loi sur ce volet particulier.
Ils ont raison. Mais, la loi peut même être suffisamment claire et il y aura quand même un manque de bonne volonté de l’appliquer profondément. Je n’ai pas toutes les références exactes du texte conte le tribalisme en tête, mais je sais que grosso modo, elle dit de ne pas tenir compte des considérations ethniques. On est allé jusqu’à interdire les scarifications qui permettaient de distinguer certaines populations. Ces scarifications attribuent les ethnies le plus souvent. Tant qu’il y aura une mauvaise volonté politique, on essayera de dire que sur tel point, on ne nous l’interdit pas. Mais, personne n’est dupe.
•Vous avez mis la presse en cause. Mais, que peuvent faire les journalistes pour ne pas s’en faire complice ?
Ils peuvent ne pas en rendre compte. Il faut qu’ils démasquent les acteurs coupables. Il y a des Ong et des associations qui se créent en s’adossant à un groupe ethnique dans le but de soutenir un parti politique. Il faut les dénoncer. La presse ne doit pas accepter des associations qui se font appeler par exemple, «Les Sénoufo pour Bédié», «les Malinké pour Gbagbo» où «Tous les Gouro pour la victoire d’ADO». C’est aberrant. Je pense que si un journaliste assiste au lancement d’une telle association, il doit simplement écrire que des nouveaux militants de tel parti, habitant telle localité ont décidé de s’engager dans la lutte pour l’élection de leur leader. Ils étaient tel nombre et ils veulent appliquer tel plan d’action. C’est tout. Que les journalistes évitent de rendre compte de ce qui est ethniquement exploité dans la politique. Ils aideront ce pays. Moi, en tant que lecteur, ça ne m’édifie pas de savoir que ce sont des Baoulé qui adhèrent. Je veux juste savoir avec quelle idée ils viennent. Je veux dire aussi que souvent les informations sur l’ethnie ne sont même pas fondées. Soit, les personnes brandies ne représentent rien dans l’ethnie visée, ce qui pousse d’autres de la même ethnie à réagir en nous enfonçant encore plus dans le tribalisme. Soit, on brandit effectivement deux représentants de l’ethnie visée avec des dizaines de figurants autour pour dire qu’une région entière est avec soi. C’est dangereux ! Arrêtons !
Interview réalisée par Djama Stanislas