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Politique Publié le samedi 14 février 2009 | Nord-Sud

Synthèse - Débat sur la démission des intellectuels - Intellectuels ivoiriens : anges ou démons ?

Les universitaires Zadi Zaourou, Barthélemy Kotchy, Samba Diarra, Mamadou Koulibaly, Ouraga Ougou , Sidibé Valy, Maurice Bandaman, Pierre Kipré, Koné Dramane ont animé le débat sur la démission des intellectuels ouvert par Nord Sud Quotidien. Que retenir ?

Que retenir au terme de notre série d’articles destinée à mettre en relief le rôle joué par les intellectuels dans la survenance de ce qu’il est convenu d’appeler “le mal ivoirien”? De prime abord, nous avons pu réaliser à quel point le débat contradictoire manquait à notre pays. Les échanges de vues et de positions, souvent antagoniques, nous ont permis un tant soit peu, de rompre avec les « one man show » et autres monologues auxquels les Ivoiriens sont habitués. Nous l’avons constaté : l’engouement et l’intérêt suscités par ce débat étaient réels. Outres les réactions, nombreuses, enregistrées par la rédaction, nous avons pu saluer l’intervention du groupe Initiative pour le Changement et le Progrès du Pdci-Rda( ICP) qui a pris part au dans le débat que nous avons initié. Il a donné son point de vue dans les colonnes de notre confrère «Le Nouveau Réveil » du 30 janvier. De même, nos confrères du groupe Olympe ne sont pas restés en marge des questions que nous avons abordées. Dans «Soir Info» du 24 janvier et dans « L’Inter » du 30 janvier, ils ont apporté leur contribution à l’enrichissement du débat.


Le rôle de l’intellectuel

C’est donc le lieu de remercier tous les grands maîtres et éminents professeurs qui, avec humilité et courtoisie, ont accepté de s’ouvrir à nous. Sans faux-fuyant. Nous saluons avec déférence, les professeurs Barthélemy Kotchy, Samba Diarra, Zadi Zaourou, Ouraga Obou, Mamadou Koulibaly, Pierre Kipré, Sidibé Valy, Koné Dramane, Maurice Bandaman, dont les contributions ont alimenté les débats. La densité et la richesse de leurs interventions sont incommensurables.


Aussi, tenons-nous à présenter nos excuses à tous nos lecteurs et observateurs dont les contributions, à nous parvenues, n’ont pu être publiées. Nous ne saurions avoir la prétention de boucler un tel dossier. Mais la rigueur nous invite à le refermer maintenant afin d’en tirer les enseignements qui s’imposent.


Pendant toute une décennie, très peu d’intellectuels ont joué le rôle qui leur était dévolu par la Cité. A savoir, prévenir et annoncer les orages qui s’amoncèlent, selon le mot de Maurice Bandaman. Avec le Pr Pierre Kipré, nous avons eu une bonne esquisse de ce que doit être le rôle de l’intellectuel. Selon lui, «c’est un producteur d’idées, une personne qui, à travers les œuvres de l’esprit qu’il produit, se donne d’abord une mission personnelle dans son domaine de compétence. Et c’est la qualité de cette production qui le signale à la société, au point que la société attend de lui un certain nombre d’idées ou d’actions qui permettent à cette société d’avancer ». Tous les professeurs qui ont participé à ce débat sont d’avis que l’intellectuel est celui qui, installé au-dessus de la caverne, éclaire le peuple de sa science ou de sa sagesse et lui indique les orientations nécessaires. Le constat qui se dégage, après ce débat, est qu’une grande partie de l’intelligentsia ivoirienne n’a pas joué le rôle qu’on attendait d’elle face aux périls qui menaçaient la Cité. Certains d’entre eux sont même accusés de s’être rendus complices de mauvaises stratégies politiques qui ont plongé le pays dans l’abîme. Une infime partie d’entre eux a eu le courage d’élever la voix. Mais, leurs voix ont été couvertes par le tumulte entretenu par leurs pairs antagonistes ainsi que la propagande entretenue par un puissant appareil idéologique d’Etat. Par peur, nombre d’entre eux se sont tus. Ils ont choisi l’exil intérieur. Cette posture a été qualifiée par beaucoup de conspiration du silence. Car comme chacun sait, le Mal triomphe par l’inaction des gens de Bien. C’est vrai, tous sont mortels comme Socrate, mais un des traits définitoires de l’intellectuel c’est son refus du silence face à l’inacceptable. Ne pas le faire, c’est démissionner. C’est trahir Voltaire et Zola. Dans un ouvrage intitulé : « A l’intelligentsia ivoirienne », la Française Gisèle Dutheuil inocule cependant l’espoir. « J’ai, en effet, l’intime conviction que ce sont les intellectuels africains qui donneront l’impulsion du changement ».


Le diagnostic des intellectuels

Dans la recherche des raisons qui ont fracturé le pays d’Houphouët-Boigny, les intellectuels interrogés ont presque tous embouché la même trompette. Tous ont pointé un doigt accusateur vers l’ivoirité et la question de la succession mal réglée du père de la nation. L’ivoirité politisée fut l’avatar le plus meurtrier de cette succession ratée à cause de ses relents monarchiques. Selon le Pr. Zadi Zaourou, ministre de la Culture à l’époque de l’ivoirité triomphante : « C’était un concept d’intégration culturelle. Les Ivoiriens et les autres Africains qui vivent en Côte d’Ivoire devaient travailler jusqu’à ce qu’il y ait une symbiose ». Las ! Ce néologisme créé par le Pr Niangoran Porquet est devenu un véritable poison pour l’unité nationale. La preuve de son caractère nocif est que nul ne veut aujourd’hui s’en revendiquer ouvertement. Même l’historien Pierre Kipré, à qui l’on reproche d’avoir introduit la notion d’Ivoirien de “souche multiséculaire“, induisant de fait une classification des citoyens, refuse désormais d’en parler. « Je ne reviens plus sur l’ivoirité », nous a-t-il confié. Jean-Noël Loucou, souventes fois cité par ses collègues comme l’un des idéologues de l’ivoirité, quand nous l’avons contacté, a choisi de remettre à plus tard sa réaction. Il estime que le moment de parler n’est pas venu. La frange d’intellectuels qui a combattu l’ivoirité, revendique, elle, cette posture avec fierté. L’ancien ministre de la Culture Koné Dramane note que « ce n’était pas le travail de tous les intellectuels. C’est l’œuvre de certains qui appartenaient aux cellules universitaires des partis politiques. Si l’ivoirité n’a pas prospéré c’est parce qu’il y a eu gens pour la combattre ». En un mot, le bilan de l’ivoirité a été négatif. Le deuxième élément identifié par l’élite nationale comme source de la crise a trait aux mauvaises lois. Le mode de succession à la tête de l’Etat à partir de lois qui réduisent le jeu démocratique à une succession de type patrimonial est pour beaucoup dans la destructuration du tissu social. Outre l’article 11 de la Constitution de 1960 qui a suscité beaucoup de polémique à la mort d’Houphouët Boigny, il y a le code électoral de 1999, taillé sur mesure dans l’intention évidente d’écarter Alassane Ouattara de la compétition et la révision constitutionnelle opérée en 1998 sous Bédié qui ont défrayé la chronique. Cette révision faisait sauter le verrou qu’était la limitation de mandats présidentiels et faisait passer la gouvernance du quinquennat au septennat. Dans son ouvrage intitulé « Faire, défaire et refaire la Constitution en Côte d’Ivoire : un exemple d’instabilité chronique », le professeur Dedjro Mélèdje a mis les pieds dans le plat. « La révision constitutionnelle du 2 juillet 1998 par le président Henri Konan Bédié est la manifestation d’une régression démocratique, un véritable pas en arrière par rapport à l’évolution qui avait été amorcée à partir de 1990 », a-t-il écrit.

Dans le registre des lois scélérates, la Constitution du 4 août 2000 est inscrite en lettres d’or. Elle a été mise à l’index par tous les intervenants, son « rédacteur en chef », Ouraga Obou , y compris. Celui-ci nous a indiqué pourtant avoir prévenu les Ivoiriens lors de son élaboration. « Il ne faut jamais rédiger une loi dans la passion en vue de régler des problèmes ponctuels. Sinon, comme la loi de karma, vous êtes toujours rattrapé par votre destin. C’est ce qui nous est arrivé ici » a-t-il souligné. Les lois ont, en effet, pour vocation d’être impersonnelles et de traverser le temps. Djedjro Francisco Mélèdje, nous enseigne d’ailleurs que : « La Constitution s’appréhende donc comme un instrument de construction de l’Etat en général et de consolidation des institutions politiques. Ce qui signifie que la Constitution elle-même doit être construite sur la stabilité et la durée ».


Le profil de l’Ivoirien de demain

Puisqu’à quelque chose malheur est bon, cette crise aura permis aux Ivoiriens de réaliser à quel point l’on peut payer chèrement le prix de ses propres turpitudes. Tous les intellectuels se démarquent aujourd’hui clairement de l’ivoirité au vu de ses effets néfastes sur l’unité nationale. De même, rares sont ceux d’entre eux qui n’admettent pas que la Constitution censée installer la Deuxième République, s’est avérée être un nœud de vipères. Tous admettent, de même, que les élections calamiteuses d’octobre et décembre 2000 ont ouvert la boîte de Pandore. Tous, enfin, ont stigmatisé le recours aux armes comme mode de règlement des contradictions à l’intérieur d’une nation. Sur la base de nos échecs actuels et des expériences amèrement acquises, on se pose la question : quel pourrait être le profil sociologique de l’Ivoirien de demain, celui qui naîtra de ces années de feu ? En premier lieu il doit, comme le reconnaissent les professeurs Samba Diarra et Barthélemy Kotchy, aimer le travail plus que tout. Il doit être convaincu que seuls le mérite et la saine compétition décident du sort de ceux qui doivent diriger. Il doit savoir que la Nation ivoirienne est une, indivisible, non ethnique, non tribale, non théocratique. L’Ivoirien de demain est à construire. En avant-garde de ce combat doivent se positionner les intellectuels que Fidel Castro appelle les « soldats des idées ». S’ils se liguent, se lèvent, s’insurgent, chantent, parlent, écrivent (des articles, des poèmes, des pièces de théâtre, des livres), le pays, à force, les entendra. Ce faisant, ils se montreront tels que le pays les veut : libres, insoumis, intelligents, porteurs de lumière.

Traoré M. Ahmed
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