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International Publié le samedi 21 février 2009 | Le Temps

Me Hermann Yameogo (opposant burkinabe) fait de graves révélations - “Un chef d’Etat m’a proposé de renverser Compaoré”

Maître, où en est la Refondation ?
Vous aurez la pleine réponse à cette question dans les jours à venir car nous nous sommes réunis le mercredi 11 février dernier, aux fins d'envisager l'An I du Mouvement des Refondateurs nationaux.
Un grand moment à venir alors ?
Je ne vous le fais pas dire. Ce sera l'occasion de faire le point en notre sein, de renouveler les serments, d'envisager l'avenir en tenant compte des conclusions à tirer de notre appel à la Refondation tant au plan interne qu'international.
On ne peut pas avoir plus d'éclaircissements ?
Ne soyez pas impatient. Il y a tout un chronogramme prévu par les Refondateurs qu'il ne m'appartient pas de déflorer. Vous en serez informé en temps opportun.
Actuellement, on n'en a que pour l'alternance et pour cette opposition inexistante qui devrait en être l'instrument…
La question dans sa formulation comme dans son traitement, a de quoi crisper.
Expliquez-vous.
Dans ce débat qui me semble plutôt téléphoné, sédimenté par une rhétorique dont le pouvoir a le secret, il y a plusieurs objectifs arrêtés et qui parfois, même contradictoires en apparence, n'ont qu'une seule ambition : augurer que le pouvoir en place raflera encore la mise par défaut en 2010. Ainsi, dans un premier temps, on s'efforce de montrer que la fête sera belle, et sur la lancée, on donne de l'intérêt à la compétition en laissant entendre que la chose pourrait même se gagner à l'arrachée. II pourrait y avoir, dit-on, parmi les compétiteurs, des hommes comme Diabré Zéphirin, Me Benewende Sankara, François Kaboré... Si l'on prend en considération certaines exégèses, on a ici matière à créer une bulle électorale susceptible d'appâter quelque peu l'opinion. Mais dans le même temps, on laisse entrevoir que nous n'avons pas au Faso, ce type d'opposition capable d'enfanter l'alternance. La littérature est surabondante sur les divisions des partis d'opposition, sur leur inorganisation, leur absence de programmes, etc. ; bref, sur le fait que l'opposition burkinabé est bien plus bête au Faso que dans tous les autres pays d'Afrique où déjà, elle ne brille pas toujours de mille feux.
Mais quel est votre jugement sur cette opposition définie comme incapable de réaliser le rêve de l'alternance démocratique ?
Pour moi, la question est mal posée car on met la charrue avant les bœufs. Au lieu de se demander quelle opposition il faut pour assurer l'alternance démocratique, je pense qu'il faut se demander quelle démocratie il faut au Burkina Faso pour enfanter l'opposition qui soit en mesure de réaliser l'alternance démocratique. Là est toute la question, le reste n'est que vocabulaire, que comédie.
Que voulez-vous dire par là ?
Que par 1.000 stratagèmes, on fait croire que le problème de l'alternance réside dans les "tares" congénitales de l'opposition, on se paie même le toupet de trouver dans l'opposition des démarcheurs de cette contrevérité. Pour ma part, je dis que la toute première cause de ce qu'on considère improprement comme étant une "impéritie" de l'opposition chez nous réside dans cette démocratie biaisée qui fait qu'on a des institutions, des mécanismes d'application tronqués. Que vaut une opposition lorsqu'en amont, les institutions de la gouvernance nationale sont mises en place sur la base de la fraude, de la corruption ? Que valent les instruments représentatifs de la démocratie nationale lorsqu'ils désobéissent au primat (en démocratie véritable) de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance de la justice, de la soumission du pouvoir aux contrôles ? Je ne parle pas du recours structurel aux coups d'Etat contre les partis d'opposition, du refus d'appliquer la loi votée, des violations de la loi fondamentale, de la captation des médias d'Etat par le pouvoir, de la dénaturation de la concurrence économique par la promotion de monopoles de fait… Comment voulez-vous dans ces conditions, parler d'une opposition quand tout est mis en œuvre pour qu'elle n'existe pas sinon que comme faire-valoir ?
Pour vous donc, on fait une mauvaise querelle à l'opposition et la question de l'alternance ne se trouve pas dans le manque de cohésion de l'opposition ?
L'opposition sous les seconde et troisième Républiques, parce qu'elle n'était pas l'objet de coups d'Etat permanents, ne souffrait pas de ces critiques. Ainsi, elle a pu, grande première en Afrique, réussir un ballottage et s'offrir dans la foulée, le luxe de dessiner une représentation parlementaire dans laquelle un seul élu faisait la différence entre majorité et opposition. Sans l'air d'y toucher, le pouvoir a réussi aujourd'hui, à faire passer l'opposition pour responsable de ses blessures et handicaps alors qu'il en est le premier accidenteur, devant des partenaires abusés ou complices et des médias militants. On fait grief à l'opposition d'être pléthorique pendant que le pouvoir aurait pu, comme sous la IIIe République, prendre des dispositions légales pour éviter cela en limitant constitutionnellement le nombre des partis. On dénonce que l'opposition n'a pas de structures pérennes lorsque c'est encore le pouvoir qui la prive de financements (ou lui donne des miettes) et surtout la déstabilise, et pas par des armes de bonne guerre. On accuse l'opposition d'avoir le cœur qui balance entre l'entrisme et l'activisme extra-gouvernemental lorsque c'est encore ce même pouvoir qui fait tout pour que cette délimitation entre majorité et opposition soit floue. On monte en neige l'inconsistance, l'absence de programme des partis d'opposition par rapport à la majorité quand bien même les programmes de certains partis d'opposition et leurs capacités de propositions n'ont rien à envier à ceux du pouvoir en place.
Mais la faute vient aussi de certains intellectuels, de ces représentants (pas tous, je voudrais le souligner) de la société civile, qui font porter la responsabilité de la bonne marche de la démocratie, de l'alternance, sur les épaules des seuls partis d'opposition lorsqu'ils se défaussent-en tant qu'intellectuel et citoyen- de leur propre part à assumer à cet effet. Enfin, il y a cette opinion "possédée" à l'insu de son plein gré qui consomme jusqu'à inculturation parfois ce qu'on lui donne à consommer. Quelqu'un a dit qu'avec la seule emprise du pouvoir sur la TNB, les élections sont toujours jouées par avance. Comme je lui donne raison !
Et l'opposition, serait-elle blanche comme neige à vos yeux ?
Loin s'en faut. Dans le personnel de l'opposition, il en est beaucoup qui tirent vers le bas le jeu politique, et qui comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, font de l'ombrage aux politiques non improvisés. Il y en a qui se raccrochent à des mythes éculés et d'autres qui pensent qu'en politique comme ailleurs, il faut toujours mentir, faire comme la poupée qui dit toujours non, critiquer pour critiquer, travestir parce qu'il en restera toujours quelque chose. Mais malgré l'impact de ces scories, de leurs perversions sur la mal-gouvernance et les difficultés qui en découlent pour l'alternance, tout cela n'a rien à voir avec la responsabilité première qui incombe au pouvoir. Ce n'est pas Salif Diallo qui dira le contraire, lui qui a reconnu les actions qu'il a eu à mener contre l'opposition et les animateurs actuels de l'Undd et qui a affirmé que, sauf ces coups, les opposants "seraient au pouvoir aujourd'hui" (L'Evènement du 15 février 2008) ; ce ne sont pas non plus les propos de Djibril Bassolet qui démentiront l'affirmation de la responsabilité majeure du pouvoir, lui qui a avoué ceci : " Si j'en avais la possibilité, j'aurais liquidé l'Undd" (L'Observateur Paalga N° 6314 du 19 au 20 janvier 2005), confirmant quelque peu après coup, les aveux de l'homme du Yatenga.
Que le pouvoir commence par adopter courageusement les dispositions constitutionnelles et légales qui campent mieux les droits de l'opposition et de la majorité, qu'il nettoie l'espace partisan encombré de partis dupliqués nés après moult coups d'Etat, qu'il donne la prévalence à la transparence, à l'équité dans l'expression du suffrage populaire, qu'il mette fin à la privatisation des fonctions et autres charges de l'Etat et l'on verra que les choses changeront.
On dit que vous avez une responsabilité dans l'inconsistance de l'opposition et que vous manquez de courage à assumer une candidature à la présidence.
Il est symptomatique de constater qu'on dit sur moi beaucoup plus que sur tout autre politique, je trouve tout à fait curieux qu'un seul homme puisse être depuis tant d'années un handicap à la constitution d'une opposition forte. Pour peu, ce serait un hommage à rebours. Ceci dit, depuis que je suis en politique, je n'ai jamais eu de crainte à m'opposer à un président en exercice et je ne vois pas pourquoi j'en aurais à me présenter à une élection présidentielle. Remontons quelque peu le cours du temps pour ceux qui, de bonne foi ne savent pas et veulent savoir. Je ne me suis pas présenté en 1978 parce que je n'avais pas l'âge requis. Pour la première élection présidentielle sous la 4e République en 1991, mes pourfendeurs oublient souvent de souligner qu'il avait été décidé par la Coordination des Forces démocratiques (Cfd) qu'il n'y aurait aucun candidat de l'opposition. C'est pour cela que je ne me suis pas présenté. Ce fut le cas également de Gérard Kango Ouédraogo du Rda, de Pierre Claver Damiba de la Cnpp… A la seconde élection en 1998, l'opposition regroupée dans le G 14 avait encore décidé qu'il n'y aurait aucun candidat à l'élection. Je ne me suis donc pas présenté, tout comme les autres membres du groupe comme Philippe Ouédraogo, Ernest Nongma Ouédraogo, etc.
A la troisième élection en 2005, l'opposition reconstituée sous l'appellation " Alternance 2005 ", tirant conclusion des élections jusque-là bidouillées, des charcutages de la constitution, du blocage de fait de l'alternance, posait comme préalables à sa participation à l'élection présidentielle, l'obtention de meilleures garanties de transparence et surtout l'empêchement de la candidature inconstitutionnelle de Blaise Compaoré à un troisième mandat. Blaise Compaoré devenant donc candidat par la volonté du juge et les conditions de transparence n'étant pas remplies, j'ai donc refusé de confirmer ma candidature et nous avons interpellé les partenaires sur la perversion de l'expression politique, la récupération des instruments de régulation démocratique et sur la gravité du crime qui venait d'être commis.
N'avez-vous pas cherché d'autres solutions alternatives ?
Oh que si ! Je voyais bien que le plan était de conduire le maximum de partis et de responsables de l'opposition à l'élection présidentielle pour donner à Blaise Compaoré la légitimité qu'il n'avait jamais eue. J'ai été l'objet de tout un savant travail pour que, contre mon gré, ma candidature soit maintenue ! Mais je n'entendais pas me faire conduire ainsi à l'abattoir par qui que ce soit en chantant.
Que voulez-vous dire ?
Lorsque dans une opposition, on sait très bien que les conditions de transparence ne sont pas réunies pour s'inscrire à une compétition, qu'on sait également que bien que la Constitution interdise un troisième mandat, un des candidats passera en force, et qu'en dépit de tout (et malgré surtout les engagements pris), on insiste à y aller, c'est qu'il y a quelque chose d'anormal. Le boycott, actuellement prôné par les opposants algériens à ce 3e mandat forcé de Bouteflika, je le félicite, soit dit en passant. Cette autre rhétorique de la politique de la chaise vide si mauvaise, reprise curieusement en duo par certains partenaires et autocrates, ne traduit qu'une connivence dans la disqualification de l'opposition. Lorsque, par ailleurs, au sein d'un parti comme l'Undd qui a vécu l'enfer pour ses prises de position pendant la crise ivoirienne (et dont on savait qu'on avait programmé l'exécution électorale), on en trouvait malgré tout pour tenir dur comme fer que son président devait se présenter à l'élection, c'est qu'il y avait là aussi matière à vigilance. J'ai dit non, voulant être celui au moins qui témoigne devant l'Histoire, de la forfaiture.
N'avez-vous pas essayé de rattraper le coup au niveau de l'opposition ?
Bien sûr que j'ai tenté. Voyant que les carottes étaient cuites, j'ai approché chacun des candidats d' " Alternance 2005 " en me rendant à leurs sièges ou domiciles. J'ai demandé qu'on ait un acte courageux de défiance et de sursaut qui pallie le défaut de boycott général : mettre en place, après les élections forcément illégitimes, un gouvernement parallèle.
Ah bon ? Du Rajoelina avant l'heure en somme ? Et qu'est-ce qu'ils ont répondu ?
Ils ont demandé un temps de réflexion, de consultation de leurs structures. Ne voyant rien venir, j'ai adressé avant la confection des logos mes correspondances pour retirer ma candidature.
Candidature maintenue en définitive contre votre gré, n'est-ce pas ?
Oui, l'Histoire retiendra cette bizarrerie juridique. Le Conseil constitutionnel avait demandé à m'entendre sur les raisons de mon retrait. Il disait que ce cas était sans précédent, donc sans guide jurisprudentiel, il voulait connaître mes motivations. Je me suis exécuté et il m'en a donné acte. Ma surprise a été grande juste après, dans les radios, d'entendre que j'étais partant. Mais dans le même temps, le Conseil supérieur de la communication de l'époque, prenant de son côté acte de ma décision, me notifiait le retrait de mes temps de passage dans les médias d'Etat alors que la Ceni qui n'avait pas reçu le bon à tirer pour mon logo, maintenait ma candidature malgré mon désistement. Voilà l'imbroglio mais aussi la magistrale feinte. La guillotine électorale n'a pas eu lieu puisqu'Hermann Yaméogo, contraint et forcé, n'est pas allé à l'élection, et comble d'ironie, ne sera même pas le dernier de la classe puisque bien que n'étant pas candidat et l'ayant fait savoir, des électeurs ont tenu à voter pour lui.
Que sont dans ces conditions, devenus vos 5 millions de caution et les plus de 7 millions de votre subvention ?
Je n'ai rien récupéré de ces sommes. Seul le Trésor peut vous dire ce qu'il en a été fait.
On dit que pour l'élection de 1991, vous auriez décroché la présidence sur un plateau d'argent mais que vous n'avez pas osé assumer…
HY : C'est bête et méchant de continuer à induire le peuple dans une telle méprise. Je vous rappelle, comme je vous le disais tantôt, que pour cette élection de 1991, tous les partis de la Cfd avaient décidé le boycott. Nous avions même établi à la Cour suprême des piquets de boycottage pour nous assurer que personne ne violerait le mot d'ordre. J'ai respecté l'engagement. Maintenant, quand j'entends dire, et surtout par des gens qui n'étaient même pas politiquement engagés à l'époque, que je n'ai pas eu assez de couilles pour me présenter, je dis que non seulement ils ne savent pas mais que plus grave, ils manquent de jugeote : croire que le pouvoir était posé comme ça au chaud, sur un plateau, m'attendant seulement pour être consommé, c'est tout simplement idiot ; c'est oublier les circonstances de l'avènement de Blaise Compaoré au pouvoir, les appuis dont il a pu bénéficier à cet effet au plan international ; c'est méconnaître les exigences, les craintes de ces élites militaires qui l'ont aidé pour réaliser le 15 octobre. Croire vraiment, et le répandre alentour béatement, que je pouvais arriver comme ça, comme une rose et dire: "C'est moi Hermann Yaméogo que me voilà, donnez-moi mon pouvoir", c'est de l'infantilisme politique en barre !
Mais que dites-vous à ceux qui soutiennent que ce n'est pas le pouvoir en tant que tel qui vous intéresse ?
Soyons clairs. J'estime que comme tout Burkinabé, je peux avoir des prétentions à assumer les plus hautes responsabilités dans ce pays, la seule différence, c'est que je ne fais pas une fixation sur cet objectif, au point de considérer comme un fait glorieux de chercher le pouvoir à n'importe quel prix. Sinon, j'ai eu des occasions de prise de pouvoir sans coup férir mais au prix fort et je n'en ai pas voulu.
Accouchez-nous vite de ce scoop…
Un chef d'Etat qui avait une certaine influence, m'a approché pour me parler en des termes tels de Blaise Compaoré que je savais que son plan était de s'en défaire. Il m'a dit textuellement : " Il a tué par le glaive, il périra par le glaive ". Il m'a laissé entendre qu'il ne pouvait pas valablement rester à la tête du pays. L'entretien, qui a duré près de 2 heures, a comporté nombre de volets qui me faisaient comprendre que si je le voulais, je pouvais être l'instrument de la création d'un nouvel ordre chez nous. Mon acceptation m'aurait assuré un ticket pour le pouvoir car elle aurait bénéficié d'appuis internationaux solides mais j'ai simplement répondu que mon souci à moi, c'était la reprise des dégagés et licenciés, la réhabilitation des anciens présidents injustement condamnés par des tribunaux d'exception et surtout le retour à une vie constitutionnelle normale.
Comment avez-vous pu laisser passer cette occasion que certains diraient en or ?
Peut-être est-ce là la réponse à ceux qui croient que le fils de son père n'a été élevé que dans un seul but : celui d'accéder au pouvoir. C'est vrai que je suis allé à la bonne école pour avoir ces prétentions mais ma passion pour défendre des idées, des causes, me remplit tout autant d'exaltation que la perspective à proprement parler d'assumer les premiers rôles, surtout lorsque c'est dans des conditions où j'aurais sur la conscience des actes que je réprouve. Je me suis efforcé, sur ce plan-là mais en vain, de m'en expliquer à certains de l'opposition et même à Blaise Compaoré.
Comment cela ?
Au plus fort de la crise sous la Cfd, après m'avoir reçu à la présidence, Blaise Compaoré m'a expliqué qu'il n'avait pas ce goût immodéré du pouvoir qu'on lui prêtait et que son ambition était d'assumer un premier septennat aux fins de stabilisation des institutions républicaines. Je lui ai dit que mon seul souci à moi était de travailler à obtenir un retour irréversible à une vie démocratique normale, à gagner le combat de la reprise des dégagés et licenciés…Je n'ai jamais voulu faire de ma personne un blocage. Tenez encore, quand il s'est agi, à un moment donné, de mettre en place un organe de transition, au cours des échanges préliminaires notamment avec Gilbert Diendéré, au Conseil de l'Entente, j'ai eu à proposer, au lieu de ma personne, Macaire Ouédraogo (à son insu, je le précise) pour occuper un éventuel poste de premier ministre.
Donc, Hermann Yaméogo, ce n'est pas l'obsession du pouvoir ?
Je dirai qu'Hermann Yaméogo, c'est l'obsession de la Démocratie. Une obsession qui cependant ne me fait pas porter des œillères, ni ne m'égare. C'est ainsi que depuis 1978, j'ai toujours refusé de diffamer, d'insulter les adversaires politiques, que j'ai toujours lutté pour une justice sociale véritable, une régionalisation démocratique, une intégration africaine solidaire, et que je me suis toujours préoccupé de la cause des femmes comme des jeunes pour lesquels je demandais déjà un Conseil national des jeunes. Cet attachement à la démocratie et aux valeurs républicaines, à une opposition responsable, m'a amené au plus chaud de la Cfd, lorsque j'ai été approché par des militaires, à refuser des grenades, des armes et autres matériels de guerre qu'ils me proposaient pour changer radicalement la situation.
Un jour que je discutais avec le président Laurent Gbagbo, il m'a fait savoir qu'il avait eu de telles approches, qu'il avait même prévenu Henri Konan Bédié à Ouagadougou alors qu'il s'y trouvait lui aussi, des risques de déstabilisation qui pesaient sur son régime, et que s'il l'a fait, c'est parce que, bien qu'opposant, il inscrivait son action dans la légalité républicaine. Je ne lui ai pas dit que j'avais eu les mêmes propositions et que s'agissant de Henri Konan Bédié, j' avais fait les mêmes mises en garde à l'intéressé, mais je me suis senti une affinité de plus avec l'homme.
Maître, une question un peu abrupte. Dites-nous : avez-vous dit à une certaine époque que votre parti était la seconde épouse de Blaise Compaoré ?
J'entends des politiques, prompts à donner des coups au-dessous de la ceinture, répandre avec délectation cette assertion. Mais si ce propos a été effectivement tenu, c'est à une journée de rencontre au Liptako Gourma où je n'y étais pas personnellement, et par quelqu'un qui depuis ne fait plus partie de l'Undd.
Une autre question tout aussi abrupte : êtes-vous contre les Sankaristes ?
Je ne suis pas contre les Sankaristes mais je ne suis pas Sankariste. Ce n'est pas plus compliqué que cela.
Sachez toutefois qu'entre le père de Thomas Sankara et le mien, il y avait des relations d'amitié. Je vous avouerai même qu'ils ont fait au temps de leur jeunesse, comme on dit, les 400 coups ensemble, à Yako. Ces antécédents aidant -certainement-, Joseph Sankara a milité à l'Undd version 1978 à Paspanga où il était dans le bureau du quartier. Je me suis laissé dire que Thomas Sankara, que j'ai eu à rencontrer brièvement à Pô, aurait été séduit par la campagne anticolonialiste, anti-impérialiste de l'Undd et qu'il aurait même voté pour ce parti de la jeunesse et du changement.
Feu Inoussa Sankara, que vous avez peut-être connu, qui a été député Undd, a fait la navette entre Koudougou et Ouagadougou, du temps où Sankara était détenu par le Csp pour obtenir une intercession du président Maurice Yaméogo dans ce dossier. C'est vous dire qu'il y avait des liens.
Mais en dépit de ces considérations et du fait que j'ai été au nombre de ceux qui ont été séduits par le célèbre "Malheur à ceux qui bâillonnent leurs peuples", je ne me suis pas senti concerné par la Révolution. Et je n'ai pas aimé sa gestion de la démocratie, des droits de l'homme. Et même si je reconnais que par certains endroits, elle a eu des effets positifs, je considère pour ma part que le passif est trop important pour qu'on veuille aujourd'hui, y voyant un âge d'or, la restaurer. Encore une fois, je ne suis pas contre les Sankaristes parce qu'une relecture honnête de l'Histoire révèlerait que j'ai été parmi ceux qui ont aidé au plan national à les ramener au-devant de la scène, à l'époque de la Cfd. A un moment où il ne faisait pas bon les fréquenter, j'ai rendu visite à Ernest Nongma Ouédraogo, en quasi internement à Réo et lutté par la suite pour les faire admettre à la Cfd, alors que beaucoup ne souhaitaient pas les y voir évoluer.
Maintenant, que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes tantôt opposant radical, tantôt opposant modéré ?
J'ai eu à dire un jour que le plus court chemin d'un point à un autre en politique n'était pas forcément la ligne droite. Le bon politique, pour moi, c'est celui qui sait prendre la mesure des réalités, sachant qu'il n'est pas le maître du temps. C'est aussi celui qui a le courage de reconnaître que son adversaire peut avoir raison et qui, par-dessus tout, met l'intérêt général au-dessus de l'intérêt particulier. Et si je reste un adepte de la démocratie consensuelle, c'est parce que je suis convaincu que la nature plurale, hétérogène de nos sociétés, les multiples défis nationaux et internationaux auxquels nous sommes confrontés, au moment où l'Etat Providence se meurt, nous conseillent de donner beaucoup plus de valeur à l'union, au compromis dynamique pour préserver la démocratie mais surtout conserver un avenir à l'Etat, sans lequel d'ailleurs, il ne saurait y avoir de démocratie.
Pensez-vous que la démocratie consensuelle soit toujours d'actualité ?
Demandez à Ségolène Royal, à Nicolas Sarkozy, à Barack Obama himself (qui ferraille malgré les difficultés, pour rassembler démocrates, républicains et indépendants dans ce combat de restauration de la confiance et du sursaut impératif pour sauver le pays) ce qu'ils en pensent ! Vous comprendrez rétroactivement que beaucoup ont eu tort de m'accuser d'avoir théorisé un concept nébuleux, il y a 20 ans uniquement pour aller à la soupe.
Maintenant, de façon concrète, que pensez-vous de 2010 ?
Nous aurons l'occasion d'y revenir beaucoup plus en profondeur mais je dis que je ne suis pas encore, loin s'en faut, à penser à une candidature. Pour moi actuellement, la priorité des priorités, c'est la Refondation, ce vaste chantier visionnaire et incontournable, en un temps moqué, mais qui, par un pied de nez de l'Histoire, se trouve aujourd'hui, validé par les institutions de Bretton Woods, celles des Nations unies et par des personnalités politiques au nombre desquelles Barack Obama. Je sais que comme naguère sous le Front populaire burkinabé, l'ouverture, le dialogue refondateur, induisent des renoncements, des remises en cause douloureuses et que pour cela, ils buttent devant les mécanismes de freinage habituels de ceux qui ont acquis la conviction que l'Etat, c'est leur propriété et qui sont même de nos jours plus prêts qu'hier à savonner la planche au chef de l'Etat (maintenant qu'ils ont une force de frappe) pour sauvegarder leur intérêt dans le maintien de l'immobilisme. Les refondateurs du CDP ne me dédieront pas sur ce point.
Mais les Etats du monde, grands comme petits, sont aujourd'hui (phénomène d'internationalisation oblige) placés au pied du mur. Ou bien ils s'inventent un mode de gestion plus soucieux de justice, d'économies, de préservation de l'environnement, ou c'est le suicide collectif. Voilà ce que la crise internationale a révélé avec brutalité au grand jour à ceux qui refusaient de voir les choses en face, et que nous pressentions en interne sous la contrainte de nos multiples problèmes. Il nous faut revoir nos stratégies, notre modèle de gouvernance, nos politiques de développement, réorienter nos priorités budgétaires, imaginer avec l'accord de l'Uemoa, une nouvelle fiscalité plus soucieuse de justice sociale, donner plus de place à l'intégration. Ce à quoi nous avons affaire aujourd'hui, ce n'est pas une simple politique d'ajustement conjoncturel, c'est d'une politique de réformes structurelles qui ne s'est jamais posée avec autant d'acuité aux Etats. Tâter ensemble le pouls de la nation, ausculter la machine au plan politique, économique, social, pour resserrer les boulons, changer les pièces défectueuses, nous accorder un dialogue national inclusif pour définir un nouveau contrat national afin de ressouder les solidarités, de ranimer la flamme de la confiance, c'est l'ouvrage qui doit d'autant plus nous interpeller qu'il est quasiment partout en œuvre pour tenir compte d'un monde qui change et pas forcément du bon côté.
Vous voulez donc dire que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes au Faso ?
C'est vrai qu'il en est qui me prennent pour le Prophète du malheur national mais je voudrais qu'on me rende justice de ce que je ne suis pas l'opposant buté, incapable de subalterner son intérêt personnel à l'intérêt général, le politique inapte à faire la différence entre ce que le pouvoir fait de bien et de mal. Maintenant, qu'on me reconnaisse aussi la liberté de pouvoir dire, et de manière forte, que ça ne va pas quand manifestement, ça ne va pas surtout quand je critique en indiquant d'autres pistes.
Me, au Faso, on n'est tout de même pas en guerre, il y a la stabilité et une certaine croissance: alors, qu'est-ce qui ne va pas pour vous ?
Malgré ces indicateurs dont vous faites état, la pauvreté s'accroît inexorablement avec une vie devenue de plus en plus chère, la fracture sociale et nationale se fait plus profonde, accusant des inégalités de plus en plus criardes entre citoyens et régions du pays. Malgré la situation de non-guerre, nous n'avons pas mis à profit ce capital pour construire sur du roc nos institutions et provoquer l'adhésion des masses à leur endroit. S'agissant de la stabilité, attention, il y a celle contrainte et forcée dont on a des exemples dans certaines dictatures soviétiques et africaines célèbres et il y a celle découlant d'un véritable consensus national dans les institutions comme on en voit dans les démocraties avancées. Même s'il faut se réjouir de ce que le pays n'ait pas sombré, il y a en considération de ce que j'avance, des éléments caractéristiques d'une crise et qui s'observent entre autres dans l'insécurité, la corruption, l'impunité, la crise alimentaire, l'absence de perspective d'alternance. Quand on y ajoute les effets ravageurs à venir de la crise financière et économique mondiale, on ne peut pas continuer à gober béatement les propos glorificateurs du pouvoir. Il faut accepter, quand pratiquement, encore une fois, tous les Etats du monde, même ceux qui avaient une croissance à deux chiffres, se dotent de plans de sauvetage face aux menaces générales déjà en cours, de nous prémunir aussi contre les chocs à venir.
On dit que vous vous apprêtez à lancer des mots d'ordre de désobéissance civile, voire de casse, et à rééditer au Faso ce que Rajoelina a fait à Madagascar.
J'ai plus ou moins lu cela. Mais est-il besoin de s'appesantir sur de telles médisances ? Il y en a qui ne renouvellent pas leurs méthodes de lutte. Hier, on m'a accusé faussement d'entretenir des milices, de préparer, sur financement de présidents étrangers, une rébellion au Burkina Faso. Cela a valu d'ailleurs 6 mois de prison à mon frère Noël Yaméogo (membre du Bureau exécutif national) et des désagréments à bien de responsables et militants du parti. Je pense que les Burkinabè connaissent maintenant la méthode. Je dirai simplement que je suis un républicain, qui trouve dans la constitution de la IVe République (même si de plus en plus, elle ne s'apparente plus qu'à un simple parchemin) toute la panoplie des méthodes d'action susceptibles à un opposant, de montrer son désaccord avec la gouvernance de son pays sans passer pour un putschiste.
Pour une certaine opinion, vous vous êtes mis quelque peu en marge de l'action politique depuis quelque temps, ce qu'un de vos admirateurs dans Le Pays a regretté, vous exhortant à reprendre du poil de la bête. Comment réagissez-vous à cela ?
Je voudrais d'abord relever que si j'ai pu prendre quelque distance par rapport à une forme d'activisme politique, le parti, lui, a toujours été présent et audible ainsi que beaucoup l'auront observé à travers le film qu'il a réalisé après les élections de 2007 et le point fait de ses activités en 2008 à l'occasion des vœux.
Maintenant, en ce qui me concerne, j'avais pour plusieurs raisons, choisi de prendre pour quelque temps un peu de champ. La première des raisons est liée à la crise ivoirienne. Dès la conclusion de l'Accord politique de Ouagadougou que j'ai appelé de tous mes vœux, je me devais d'adopter une attitude qui ne gêne en rien ni Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, ni le Facilitateur. Ce qui était ici en jeu était trop important pour que je "ramène ma fraise", passez-moi l'expression. Ensuite, il faut savoir éviter de gaver l'opinion d'une présence pas trop intempestive. Savoir parfois se faire oublier peut créer un besoin de soi. Mais je crois que j'ai bien rempli mon temps de relâche que je me suis imposé et je peux assurer l'auteur de l'écrit, que je suis prêt à reprendre mon combat au long cours.
Le mot de la fin, Me
Pour revenir à la situation que nous vivons, je serai d'avis que l'on réfléchisse beaucoup plus sur l'impérieuse nécessité de mettre en jeu l'évaluation de nos institutions, de notre gouvernance, et plus encore que l'on se penche sur cette dangereuse houle qui peut déferler sur le pays et causer beaucoup de dégâts si on ne désamorce pas les facteurs qui la gonflent. Je veux parler de la hausse des prix, du manque de céréales, de la cherté des médicaments, du sentiment angoissant des Burkinabè d'être dans leur majorité abandonnés sur le bas côté de la route, de vivre dans une démocratie de façade qui permet à une minorité de s'approprier jusqu'aux privilèges de l'Etat. Continuer à ne faire que dans la fuite en avant, à sanctifier nos institutions quand partout dans d'autres pays, des dialogues et autres concertations les revisitent, n'avoir d'attente que pour l'élixir des djandjobas électoraux annoncés quand il y a péril en la demeure, peut nous préparer des lendemains douloureux. Promenez alentour vos micros, prenez le soin d'observer les regards embués par cette ire populaire montante, écoutez et vous verrez que c'est avec des mots autrement plus crûs que l'on vous parlera jusque dans les cercles du pouvoir de la situation et que l'on vous prédira même pour demain, des raisins de la colère pour vendange. C'est parce que je ne voudrais pas qu'il me soit, à moi, aux miens ou aux Burkinabè, imposé de consommer de ce raisin-là que je n'ai de cesse d'agiter les clochettes.

In San Finna
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