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Politique Publié le mardi 3 mars 2009 | Le Nouveau Réveil

La présomption de culpabilité ? "Plus de 2000 personnes à la MACA sans jugement depuis près de 10 ans"

Il ne faut jamais vendre la peau du cacao avant de l'avoir jugée. Ceux qui pensaient à la condamnation rapide des responsables des structures de gestion de la filière café cacao, viennent d'apprendre cette vérité, à leurs dépens. Lorsque, à partir du 17 juin 2008, par vagues successives, lesdits responsables ont été expédiés à la Maca, beaucoup y avaient vu la volonté de la justice ivoirienne, s'appuyant sans aucun doute sur des preuves irréfutables, constituant un dossier en "béton", de boucler l'affaire en deux temps trois mouvements. Seulement voilà. Du jour de l'arrestation systématique de ces dirigeants au jour d'aujourd'hui, huit longs mois se sont écoulés sans qu'il ne se passe quoi que ce soit. Et leur détention préventive vient d'être prorogée, ce vendredi 20 février, de 4 nouveaux mois. Ce qui a eu pour conséquence de provoquer le courroux de l'ancien bâtonnier et membre du collectif des avocats de la défense, Maître Adjé Luc qui s'est écrié dans le Nouveau Réveil du 20/02 : "qu'on ne transforme pas la présomption d'innocence en présomption de culpabilité. Aujourd'hui, on a l'impression que ces personnes qui sont en détention sont considérées comme coupables. Et qu'étant coupables, la mission du juge est de rechercher les éléments de leur culpabilité. Alors qu'il appartient à l'organe de poursuite de rapporter la preuve de leur culpabilité avant de viser l'article 110", du code pénal. En disant cela, l'ancien bâtonnier avait certainement à l'esprit, les propos tenus sur la question, en janvier dernier, par le chef de l'Etat : "je veux que, quand on commence un procès, on aille jusqu'au bout… il ne s'agit pas de milliers de francs ni de millions, mais de milliards qui ne sont ni dans les caisses de l'Etat ni dans les poches des paysans". Et les avocats de la défense, face à cette nouvelle prorogation de 4 mois, n'hésitent plus (indignés), à parler de violations des droits de l'homme. "Au lieu d'appliquer les conventions internationales de justice, la nôtre s'emploie à traiter ses propres citoyens en violation flagrante des droits de l'homme…", une référence très claire à la présomption d'innocence qui est train d'être transformée (selon eux), en présomption de culpabilité. Et cela, en violation des droits de la défense sans lesquels, nul ne serait à l'abri des abus et l'arbitraire dont peut faire preuve toute personne qui possède une petite parcelle de pouvoir. La réaction des avocats des responsables de la filière café cacao soulève deux questions : qu'est ce que la présomption d'innocence ? Pendant combien de temps un juge d'instruction peut-il maintenir légalement un inculpé en prison sans jugement ? La présomption d'innocence est un principe constitutionnel ( donc très important), qui ( on va faire simple), dispose que tant qu'un citoyen, poursuivi par la justice, n'a pas été jugé, déclaré coupable et condamné au cours d'un procès équitable, procès précédé lui-même par une procédure respectueuse de tous les droits de la défense, et que, tant que cette condamnation n'est pas devenue définitive après extinction de toutes les voies de recours, on ne peut, en aucun cas, ni subjectivement ni objectivement, le traiter comme un coupable.

Concrètement, cela signifie que dans un système " cleptocratique " ( où tout le monde vole et tout le monde ment), comme le nôtre, même quand on prend quelqu'un, les deux mains dans la caisse de l'Etat, on ne peut pas le traiter comme un coupable tant qu'un tribunal ne l'a pas reconnu comme tel. A plus forte raison, quand on arrête quelqu'un sur la base de simples spéculations médiatisées. C'est pour cette raison que les avocats ne supportent pas que l'on traite leurs clients incarcérés, comme s'ils ne bénéficiaient pas eux aussi, en tant que citoyens et non des moindres, de la présomption d'innocence, parce qu'ils auraient (ce qui reste à prouver), détourné des milliards et qu'on les maintienne de ce fait, en prison, sans jugement, au-delà du délai légal de détention préventive. Ce qui nous amène à la deuxième question.

La détention d'un homme étant l'exception et la liberté, le principe, l'article 138 du code de procédure pénale dispose qu'en matière correctionnelle et en matière criminelle, l'inculpé ne peut être détenu respectivement plus de 6 mois et plus de 18 mois. Le juge d'instruction doit, à l'issue de ces délais, ordonner la mise en liberté provisoire de l'inculpé. Et l'article 139 d'ajouter qu'en cas d'inobservation par le juge d'instruction des délais sus visés, l'inculpé est en détention injustifiée. Dans le cas d'espèce, selon l'ancien bâtonnier, le procureur aurait visé l'article 110 du code pénal (circonstances aggravantes), ce qui signifie que quand bien même ce que l'on reproche aux responsables de la filière demeure des infractions correctionnelles, ils peuvent être légalement maintenus en prison pendant 18 mois, sans jugement, comme s'il s'agissait d'un crime. Et c'est pour cette raison que leur détention vient d'être prorogée de 4 mois, au grand dam des avocats qui estiment, eux, que leurs clients sont traités comme des coupables avant jugement. La question qui découle de cette situation est de savoir si la justice ivoirienne, au terme des 18 mois, ordonnera, si elle n'est pas prête à juger, la libération des responsables en question. Autrement dit, les articles 138 et 139 du code de procédure pénale sont-ils scrupuleusement appliqués par la justice ? Les quelques exemples qui suivent permettront à chacun de se faire une idée.
1.K. JEAN JACQUES : mandat de dépôt : 6/01/2000. Numéro d'écrou : 18. Infraction : consommation de cannabis. Tribunal : plateau. Détenu depuis plus de 8 ans sans jugement.
2.A. KOFFI : mandat de dépôt : 10/07/1998. Numéro d'écrou : inconnu. Infraction : vol à main armée. Tribunal : plateau. Détenu depuis plus de 10 sans jugement.

3.D. CHANTAL : mandat de dépôt : 17/12/2001.Numéro d'écrou : 6175. infraction : abus de confiance. Tribunal : plateau. Détenue depuis 8 ans sans jugement.

4.G. EMMANUEL : mandat de dépôt : 9/10/2001. numéro d'écrou : 5913. Infraction : escroquerie. Tribunal : plateau. Détenu depuis plus de 8 ans sans jugement.

5.G. ADOU : mandat de dépôt : 17/09/2001. Numéro d'écrou : inconnu. Infraction : consommation de cannabis. Tribunal : plateau. Détenu depuis plus de 8 ans sans jugement.

6.G. LUCIEN : mandat de dépôt : 30/10/2001. numéro d'écrou : 5342. infraction : abus de confiance. Tribunal : plateau. Détenu depuis plus de 8 ans sans jugement.

7.A. T. JOSEPH : mandat de dépôt : 10/04/1996. Numéro d'écrou : inconnu. Infraction : homicide. Tribunal : inconnu. Détenu pendant 12 ans avant d'être jugé en octobre 2008 par la cour d'assises et condamné à 20 ans de prison ferme. Après 12 ans de détention sans jugement.

8.M.B. FULBERT. Mandat de dépôt : 30/03/2001. Numéro d'écrou : 1686. infraction : vol. tribunal : plateau. Détenu depuis plus de 8 ans sans jugement.

9.D. AROUNA. Mandat de dépôt : 15/12/2000. numéro d'écrou : 6522. infraction : vol en réunion. Tribunal : plateau. Détenu depuis plu de 8 ans sans jugement.

10.KONATE MOUSSA : mandat de dépôt : 13/03/1991. Numéro d'écrou : 4003. infraction : vol en réunion à mains armées. Tribunal : plateau : détenu pendant plus de 17 ans sans jugement et tué le 15 décembre 2008 pendant les événements survenus à la MACA. Il est mort en prison sans jugement après 17 ans. On ne saura jamais s'il était coupable ou innocent.

Ajoutons que tous les 14 prisonniers qui ont été jugés par la cour d'assise en octobre 2008 après 6 ans d'hibernation, avaient passé au minimum, 9 ans en prison sans jugement.

A la date du samedi 30 août 2008, 2156 personnes étaient concernées par cette situation à la Maca. Alors, la justice ivoirienne est-elle respectueuse des procédures et des droits de l'homme ? Chacun peut tirer sa propre conclusion. "Qu'on ne transforme pas la présomption d'innocence en présomption de culpabilité " ? La réforme s'impose pour " mettre fin à une justice qui rend des décisions qui nuisent au pays, qui rend des décisions contradictoires en moins d'une semaine ou qui donne tort à des gens qui savent très bien qu'ils ont raison ", dixit le Président Gbagbo. On est tenté d'ajouter : pour que les droits de l'homme ne soient pas à l'épreuve de la justice ivoirienne.

ASSALE TIEMOKO
sosjusticeci@live.fr
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