Demain prendra fin la 21e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, Fespaco.
Sans être dans le secret des Dieux, disons que les productions ivoiriennes, après des absences à ce rendez-vous, surtout depuis la crise de 2002, ont des chances bien minces de se hisser sur les plus hautes marches du podium de cette 21e édition. Et ce, pour deux raisons.
La première. Sans grands moyens, sans aide non plus pour leur permettre de participer à cette rencontre bisannuelle capitale pour le cinéma africain, le Fespaco, les réalisateurs des films ivoiriens en compétition semblent eux-mêmes se "chercher".
C'est à Ouaga, le jour de notre arrivée, samedi, à quelques maigres heures de l'ouverture de cette fête bisannuelle que nous avons rencontré la plupart d'entre eux. "Il faut nous aider…", entendait-on dire. Mais en quoi faisant ? Ils n'en sont qu'à leur premier contact véritable, en tant que… réalisateur, avec ce monde du cinéma et ses pratiques insoupçonnées ; où l'effet médiatique qui joue un grand rôle peut, quelque fois, sinon toujours, réorienter les avis de ceux qui décident, en définitive. On ne va donc pas à un tel rendez-vous sans s'entourer de ce minimum, de ce petit quelque chose, qui peut faire…Etalon. Ils espèrent, cependant, pouvoir glaner quelques lauriers… Ce ne sera pas une mince affaire. Car, même au niveau du prix du public, il faut pouvoir faire sa propre promo, attirer le public, et projeter son œuvre dans des conditions idoines. Ce qui, sur le terrain, n'est guère évident. Un exemple : Hassan David a projeté, mardi, au Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (SIAO) son film Héritage dans une salle inappropriée. L'écho, ajouté à la lumière dans la salle qui venait du toit créaient tout l'inconfort d'un visionnage. Il en a été de l'intéressant film de sensibilisation au civisme fiscal, La mobylette du vieux Séry, présenté par la Direction générale des impôts de Côte d'Ivoire. Même s'il n'était pas en compétition, mais en découverte, ce fut dans la même salle, avec les mêmes inconforts.
La seconde. C'est que la plupart, de jeunes réalisateurs sont sans grande expérience, ni référence. Il n'est, pour s'en convaincre, que de citer : Le prix de l'amour de Léa Dubois Ziré, L'équipe de Gbehi Jean Noël Bah, L'héritage d'Hassan David, No way d'Owell Brown. Ils arrivent déjà, noyés dans l'anonymat, dans un monde vieux de 40 ans, le Fespaco, avec ses pratiques. A quel pays donnera-t-on le prix cette année ? Bien malin qui pourrait le savoir. Des observateurs "avertis" - il y en a tellement !- voient déjà un Etalon venu de l'Afrique… blanche. Auront-ils raison ? Passons. Comme on le voit, côté ivoirien, on est loin des périodes de l'âge… d'or du cinéma ivoirien, avec ses grands noms, au long parcours. Heureusement qu'auprès d'eux, des jeunes réalisateurs en compétition, on note la présence réconfortante de deux doyens qu'on ne présente plus : Sidiki (Sijiri) Bakaba, avec Il nous faut l'Amérique et Idriss Diabaté La femme porte l'Afrique. A eux s'ajoutent, Honoré N'Zué, avec Bla Yassoua et Mohamed Dazelor, dans Comian (La voie des génies). De ces productions ivoiriennes, cependant, j'ai eu un coup de cœur pour ce documentaire de Dazelor. Un regard original sur le monde des Komian, dédié au célèbre écrivain ivoirien, Grand prix littéraire de l'Afrique noire, feu Jean-Marie Adé Adiaffi, défenseur acharné des représentants du monde de l'invisible, les Comian, les prêtresses issues de l'univers Akan.
Un documentaire fortement instructif sur un pan de nos us et coutumes qu'on ne saurait perdre au risque de se perdre. Choc des images, interviews bien menées qui ramassent, tour à tour, l'origine des élèves-comian, sous la direction d'une femme tout plein de mystère et de foi mêlés : dame Adingra Agnès ; elle-même formée par une célèbre prêtresse défunte de Tanguelan (Abengourou). Elle leur apprend, en effet, le chant, la danse et l'art " d'ouvrir les yeux". Et l'on suit, curieux de savoir où nous mène cette camera qui nous introduit dans ce mystérieux monde, à travers une musique bien à propos, celle de l'artiste musicien, le reggaemen Tiken Jah. "Viens voir ! Viens voir ! Toi qui parles sans savoir…".
Et l'on suit, jusqu'au bout, dans un montage intelligent, du bac de Béttié à Borobo (Est de la Côte d'Ivoire, lieu de formation des Comian), guidé par l'œil d'une caméra qui n'entend rien rater de l'opportunité qui fut la sienne d'être témoin d'une sortie de prêtresses, au bout d'une formation qui peut durer des années. Il les suit, étape par étape. Depuis l'antichambre, le sanctuaire sacré, les premiers stades des transes, jusqu'à leur sortie sur la place publique. Et il faut les voir danser "l'awê", tourbillonner, et chanter. Et il faut voir comment cette caméra les saisit admirablement dans leurs gestuelles qu'elle ne pourra jamais expliquer. Il faut avoir grandi dans sa chaleur pour qu'à son appel répondent toutes les voix du sang. Celles des génies, celles des vivants aussi. Elles sont les intercesseurs entre les mondes visible et invisible. Tout y est. Net et précis. Même si ce documentaire n'est "qu'une infime partie visible" des activités des Comian estimées aujourd'hui à environ plus de 5000, en Côte d'Ivoire. Ce documentaire est aussi dédié aux générations futures. Aura-t-il un prix ? Il colle si bien au thème de cette 21e édition : "Cinéma, tourisme et valorisation du patrimoine culturel". Auront-ils un ou des prix ? Il n'empêche que le mérite est grand, de ces artistes, comédiens, réalisateurs qui ont tenu à être présents, malgré un environnement des plus démotivants. Ils ont compris que partout où se réunit l'Afrique culturelle, ils doivent répondre présents. Même si cela ne semble pas être une préoccupation du moment.
Michel Koffi
Envoyé spécial à Ouagadougou
Sans être dans le secret des Dieux, disons que les productions ivoiriennes, après des absences à ce rendez-vous, surtout depuis la crise de 2002, ont des chances bien minces de se hisser sur les plus hautes marches du podium de cette 21e édition. Et ce, pour deux raisons.
La première. Sans grands moyens, sans aide non plus pour leur permettre de participer à cette rencontre bisannuelle capitale pour le cinéma africain, le Fespaco, les réalisateurs des films ivoiriens en compétition semblent eux-mêmes se "chercher".
C'est à Ouaga, le jour de notre arrivée, samedi, à quelques maigres heures de l'ouverture de cette fête bisannuelle que nous avons rencontré la plupart d'entre eux. "Il faut nous aider…", entendait-on dire. Mais en quoi faisant ? Ils n'en sont qu'à leur premier contact véritable, en tant que… réalisateur, avec ce monde du cinéma et ses pratiques insoupçonnées ; où l'effet médiatique qui joue un grand rôle peut, quelque fois, sinon toujours, réorienter les avis de ceux qui décident, en définitive. On ne va donc pas à un tel rendez-vous sans s'entourer de ce minimum, de ce petit quelque chose, qui peut faire…Etalon. Ils espèrent, cependant, pouvoir glaner quelques lauriers… Ce ne sera pas une mince affaire. Car, même au niveau du prix du public, il faut pouvoir faire sa propre promo, attirer le public, et projeter son œuvre dans des conditions idoines. Ce qui, sur le terrain, n'est guère évident. Un exemple : Hassan David a projeté, mardi, au Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (SIAO) son film Héritage dans une salle inappropriée. L'écho, ajouté à la lumière dans la salle qui venait du toit créaient tout l'inconfort d'un visionnage. Il en a été de l'intéressant film de sensibilisation au civisme fiscal, La mobylette du vieux Séry, présenté par la Direction générale des impôts de Côte d'Ivoire. Même s'il n'était pas en compétition, mais en découverte, ce fut dans la même salle, avec les mêmes inconforts.
La seconde. C'est que la plupart, de jeunes réalisateurs sont sans grande expérience, ni référence. Il n'est, pour s'en convaincre, que de citer : Le prix de l'amour de Léa Dubois Ziré, L'équipe de Gbehi Jean Noël Bah, L'héritage d'Hassan David, No way d'Owell Brown. Ils arrivent déjà, noyés dans l'anonymat, dans un monde vieux de 40 ans, le Fespaco, avec ses pratiques. A quel pays donnera-t-on le prix cette année ? Bien malin qui pourrait le savoir. Des observateurs "avertis" - il y en a tellement !- voient déjà un Etalon venu de l'Afrique… blanche. Auront-ils raison ? Passons. Comme on le voit, côté ivoirien, on est loin des périodes de l'âge… d'or du cinéma ivoirien, avec ses grands noms, au long parcours. Heureusement qu'auprès d'eux, des jeunes réalisateurs en compétition, on note la présence réconfortante de deux doyens qu'on ne présente plus : Sidiki (Sijiri) Bakaba, avec Il nous faut l'Amérique et Idriss Diabaté La femme porte l'Afrique. A eux s'ajoutent, Honoré N'Zué, avec Bla Yassoua et Mohamed Dazelor, dans Comian (La voie des génies). De ces productions ivoiriennes, cependant, j'ai eu un coup de cœur pour ce documentaire de Dazelor. Un regard original sur le monde des Komian, dédié au célèbre écrivain ivoirien, Grand prix littéraire de l'Afrique noire, feu Jean-Marie Adé Adiaffi, défenseur acharné des représentants du monde de l'invisible, les Comian, les prêtresses issues de l'univers Akan.
Un documentaire fortement instructif sur un pan de nos us et coutumes qu'on ne saurait perdre au risque de se perdre. Choc des images, interviews bien menées qui ramassent, tour à tour, l'origine des élèves-comian, sous la direction d'une femme tout plein de mystère et de foi mêlés : dame Adingra Agnès ; elle-même formée par une célèbre prêtresse défunte de Tanguelan (Abengourou). Elle leur apprend, en effet, le chant, la danse et l'art " d'ouvrir les yeux". Et l'on suit, curieux de savoir où nous mène cette camera qui nous introduit dans ce mystérieux monde, à travers une musique bien à propos, celle de l'artiste musicien, le reggaemen Tiken Jah. "Viens voir ! Viens voir ! Toi qui parles sans savoir…".
Et l'on suit, jusqu'au bout, dans un montage intelligent, du bac de Béttié à Borobo (Est de la Côte d'Ivoire, lieu de formation des Comian), guidé par l'œil d'une caméra qui n'entend rien rater de l'opportunité qui fut la sienne d'être témoin d'une sortie de prêtresses, au bout d'une formation qui peut durer des années. Il les suit, étape par étape. Depuis l'antichambre, le sanctuaire sacré, les premiers stades des transes, jusqu'à leur sortie sur la place publique. Et il faut les voir danser "l'awê", tourbillonner, et chanter. Et il faut voir comment cette caméra les saisit admirablement dans leurs gestuelles qu'elle ne pourra jamais expliquer. Il faut avoir grandi dans sa chaleur pour qu'à son appel répondent toutes les voix du sang. Celles des génies, celles des vivants aussi. Elles sont les intercesseurs entre les mondes visible et invisible. Tout y est. Net et précis. Même si ce documentaire n'est "qu'une infime partie visible" des activités des Comian estimées aujourd'hui à environ plus de 5000, en Côte d'Ivoire. Ce documentaire est aussi dédié aux générations futures. Aura-t-il un prix ? Il colle si bien au thème de cette 21e édition : "Cinéma, tourisme et valorisation du patrimoine culturel". Auront-ils un ou des prix ? Il n'empêche que le mérite est grand, de ces artistes, comédiens, réalisateurs qui ont tenu à être présents, malgré un environnement des plus démotivants. Ils ont compris que partout où se réunit l'Afrique culturelle, ils doivent répondre présents. Même si cela ne semble pas être une préoccupation du moment.
Michel Koffi
Envoyé spécial à Ouagadougou