Redéploiement de l’administration, unicité des caisses, désarmement des ex-combattants, organisation des élections, rapports avec le RDR, avenir des Forces Nouvelles… Alain Lobognon, conseiller spécial du Premier ministre Guillaume Soro, SG des Forces Nouvelles (ex-rébellion) parle de tout…
Notre Voie : Deux ans après la signature de l`Accord politique de Ouagadougou (APO), quel bilan dressez-vous de son application sur le terrain ?
Alain Lobognon : En ma qualité de chef de délégation des Forces nouvelles (ex-rébellion armée) aux rencontres du dialogue direct à Ougadougou, s`il y a un bilan à faire, c`est de dire qu`il est positif. Il y a des éléments d`application qui nous permettent de dire que le bilan est positif. Même s’il y a des difficultés et non des moindres à surmonter pour aboutir au but final. A savoir restaurer complètement l`autorité de l`Etat sur l’ensemble du territoire et organiser les élections en Côte d`Ivoire. Donc après deux ans, l`APO est positif malgré le chemin à parcourir. L`accord a permis entre autres, la suppression de la zone de confiance, il a mis fin totalement à la belligérance.
N.V. : Vous dites que l`Accord politique de Ouagadougou est positif. Mais les questions fondamentales qui vont conduire à la paix ne sont pas encore réglées. Notamment le désarmement des ex-combattants, le redéploiement de l`administration, l`unicité des caisses et de la tenue des élections. L`on ne perçoit pas une évolution notable…
A.L. : Moi, j`ai une lecture différente des choses. Pour la question du désarmement, il faut noter qu`en signant l`Accord et les accords complémentaires, les acteurs sont parvenus à une évolution notable, on est sorti du débat classique qui est qu`on utilise la force pour aller désarmer les Forces nouvelles. On est sorti de ce débat pour mettre en place, un cadre qui voudrait que les éléments soient identifiés pour intégrer la nouvelle armée ou servir au sein du Centre de commandement intégré (CCI). Quant aux autres qui n`ont pas été retenus parce qu`ils ne remplissent pas les critères, ils pourront intégrer d`autres corps civils. C`est ce que nous appelons la réinsertion. Mais ce volet connaît des difficultés liées à l`absence de moyens financiers qui devaient permettre à l`Etat et aux structures mises en place de faire face aux projets de réinsertion. Il n`y a pas de moyens. Il faudrait les trouver.
N.V. : Où doit-on les trouver ?
A.L. : Je ne sais pas. C`est ce qui fait qu`on a l`impression que rien avance au niveau du désarmement.
N.V. : Et les soutiens financiers annoncés par les partenaires extérieurs ?
A.L. : Disons que pour les soutiens dont vous parlez, le constat est là. On annonce des soutiens à la Côte d`Ivoire mais les réaliser, est autre chose. La réalité, c`est que les moyens sont insuffisants pour faire face à la réinsertion des ex-combattants des FAFN et des groupes d`auto-défense appelés milices. Les moyens annoncés ne sont pas toujours mobilisés pour permettre au gouvernement de faire face à tous ces enjeux des accords politiques de Ouagadougou.
Par rapport au redéploiement de l`administration, je voudrais préciser que c`est dans ce cadre que l`avion du Premier ministre avait été attaqué, le 29 juillet 2007. Le Premier ministre allait à Bouaké pour l`installation des magistrats qui devraient conduire l`opération des audiences foraines. L`opération de redéploiement a connu différentes phases. Aujourd`hui, nous ne sommes plus à l`étape d`appeler les fonctionnaires à rejoindre leurs postes. Mais nous sommes à la phase où nous demandons les moyens pour permettre aux fonctionnaires de rester en place.
S`agissant du point clé relatif à la passation des charges entre le corps préfectoral et les “commandants” des zones, ce sont les acteurs du dialogue qui ont estimé qu`il fallait organiser une cérémonie, à savoir une passation des charges. La cérémonie devrait voir les responsables militaires des FN qui jusque-là ont assumé des missions d`administration et des responsabilités militaires, donc des préfets de l`Etat. Il fallait permettre à ces com`zones de remettre le pouvoir administratif aux préfets et sous-préfets. C`est cette cérémonie qui devait avoir lieu, le 4 mars et qui a été reportée sine die à la demande du ministre de l`Intérieur.
N.V. : Etiez-vous effectivement vraiment prêts pour la passation des charges ?
A.L. : En signant le 4ème Accord complémentaire, le 22 décembre 2008, nous prouvions ainsi déjà notre engagement pour le redéploiement de l`administration. La répartition des tâches a voulu que ce soit le ministre de l`Intérieur qui organise les passations des charges.
N.V. : Qui en a décidé ainsi ?
A.L. : C`est ce qui a été décidé au niveau de l`exécutif. C`est le ministre de l`Intérieur qui est chargé de mettre en application les dispositions pertinentes de l`APO. C`est lui qui a fixé la date du 4 mars 2009 à la demande du Premier ministre.
N.V. : N`êtes-vous pas responsables de l`échec de la passation des charges ?
A.L. : Nullement les Forces nouvelles ne sont responsables du report de la cérémonie de passation des charges. Aujourd`hui, il s`agit juste de demander une reprogrammation de la cérémonie.
N.V. : Pensez-vous sincèrement que les com`zones et com`secteurs sont prêts à s`effacer au profit des préfets et sous-préfets.
A.L. : Nous ne voyons pas pourquoi les Forces nouvelle qui ont participé à la rédaction du protocole d`accord qui doit leur permettre de céder la totalité des pouvoirs à l`Etat, devraient s`y opposer.
N.V. : Depuis la signature du 4ème accord complémentaire, le 22 décembre 2008, les choses traînent. On a entendu dire qu`au niveau des com`zones, il y a des réticences. N`est-ce pas ce qui explique en réalité le report sine die de la passation des charges ?
A.L. : Les Forces nouvelles attendaient la passation des charges qui n`a jamais eu lieu. On ne peut pas dire que ce sont les Forces nouvelles qui sont à la base de ce retard. Je le répète, les Forces nouvelles ne sont pas à la base de ce retard.
N.V. : Mais vous aviez demandé qu`on vous accorde du temps pour sensibiliser les ex-combattants et les populations qui vivent dans les zones centre-nord-ouest…
A.L. : On a fini la sensibilisation depuis longtemps. Nous avions demandé qu`il y ait maintenant la passation des charges. C`est d`ailleurs le Premier ministre qui a demandé au ministre de l`Intérieur de passer à l`organisation de cette cérémonie. Le Premier ministre l`a dit, c`est à la demande du ministre de l`Intérieur que la cérémonie a été reportée. Nous attendons qu`on nous communique une nouvelle date.
N.V. : Le porte-parole du Premier ministre, M. Méité Sindou, a soutenu lors d`une conférence de presse que l`effacement des com`zones est un processus. Cela signifie que les choses ne sont pas aussi faciles que vous le dites.
A.L. : Croit-on qu`après la passation des charges, les com`zones et com`secteurs devront être mis dans une chambre à gaz et être exterminés. Ce n`est pas de cela qu`il est question. Si d`autres personnes pensent qu`après la passation des charges, il faut mettre les com`zones et com`secteur sous un poteau d`exécution, je dis non. Les Forces nouvelles ne voient pas les choses de cette façon. Les Forces nouvelles savent ce que dit l`accord politique de Ouaga. L`accord dit que les com`zones et com`secteurs doivent rejoindre l`état-major des FAFN. Qui lui, sera chargé d`encadrer les 5 000 éléments encasernés prêts à intégrer la nouvelle armée. Donc je ne vois pas pourquoi on voudrait que ceux qui jusque-là ont été com`zones, soient rayés des effectifs des Force nouvelles.
N.V. : A quand alors la nouvelle date de la passation des charges ?
A.L. : Poser la question au ministre de l`Intérieur. C`est lui qui est habilité à fixer la date.
N.V. : Les Forces nouvelles ont-elles échangé avec le ministre de l`Intérieur pour savoir la date de la nouvelle échéance ?
A.L. : Je dis non, nous n`avons pas, nous Forces nouvelles à discuter avec le ministre de l`Intérieur. Il doit fixer la nouvelle date.
N.V. : Quel est l`état des rapports entre le ministre de l`Intérieur et les Forces nouvelles ?
A.L. : Disons qu’à un moment donné, le ministre Désiré Tagro a été le porte-parole du chef de l`Etat. Et je voudrais faire observer à ceux qui veulent être amnésiques que c`est ce monsieur qui a été le premier à rencontrer les Forces nouvelles pour préparer le cadre du dialogue direct. Donc il ne saurait avoir de conflit, de palabre entre le ministre et les Forces nouvelles. Maintenant, il est ministre de l`Intérieur. Il est chargé de la mise en œuvre de l`Accord politique de Ouagadougou, concernant certaines dispositions pertinentes. Il est donc vrai que dans la mise en œuvre de ces dispositions, il peut avoir des désaccords. S`il existe des désaccords, c`est normal. Mais on les surmonte toujours. Il n`y a pas d`opposition entre les Forces nouvelles et le ministre de l`Intérieur.
N.V. : Mais il y a des points sur lesquels vous n`avez pas la même vision. Peut-on savoir ces points ?
A.L. : C`est vrai, il existe des points sur lesquels nous n`avons pas la même lecture. Maintenant, il ne s`agit pas de les énumérer ici. Souffrez que je n`en parle pas parce qu`il n’est pas question de réveiller les vieux démons.
N.V. : L`unicité des caisses se fera-t-elle effectivement comme l’exige l’accord de Ouaga ?
A.L. : Mais elle est en train de se faire. Sachez que l`unicité des caisses est une trouvaille des Forces Nouvelles. Une trouvaille de leur premier responsable qui a voulu qu’avec l`accord signé, le 4 mars 2007 à Ouagadougou, la gestion qui se faisait dans des différentes localités change. Et qu`on permette à l`administration fiscale et douanière de l`Etat de reprendre sa place. C`est un processus qui a été lancé depuis le mois de janvier 2009 et qui est en cours. Le 4 mars 2009, le Premier ministre et le ministre de l`Economie et des Finances étaient à Bouaké pour ouvrir le premier guichet automobile qui doit permettre de procéder au dédouanement des engins roulants et des véhicules. L`opération est en cours. Elle est pilotée par le ministre de l`Economie et des Finances.
N.V. : Mais la douane ne s’est pas encore installée dans les zones occupées par les Forces nouvelles. C’est pareil pour d’autres régies financières. En quoi l`unicité des caisses est-elle donc en train de se faire ?
A.L. : Moi, j`ai toujours dit qu`il faut avoir une vision de ce processus de sortie de crise. Pendant longtemps, on a cru que le processus n`allait pas connaître un début de mise en œuvre. J`en veux pour preuve ceux qui avaient lancé le débat sur les audiences foraines. A un moment donné, ils ont failli avoir raison puisque le Premier ministre a échappé à un assassinat alors qu’il partait, justement, lancer les audiences foraines. Ces audiences foraines ont eu lieu.
N.V. : Vous connaissez donc les auteurs de l’attendat contre le Premie ministre, Guillaume Soro, à Bouaké?
A.L. : Disons qu`il ne me revient pas de dire “voici les responsables”. L`Etat de Côte d`Ivoire a demandé à l’ONU de mener des enquêtes pour éviter une chasse aux sorcières. Nous attendons les résultats de ces enquêtes.
Pour revenir à l`unicité des caisses, il faut savoir que les acteurs politiques ont voulu que ce processus soit conduit par le ministre de l`Economie et des Finances, tutelle administrative du corps de la douane, des impôts et du trésor. C`est donc tout un chapitre. Il appartient au ministre de mettre en place le dispositif qui doit permettre à l`Etat de reprendre sa place.
N.V. : Cette volonté du Premier ministre d`aller à l`unicité des caisses de l`Etat est-elle soutenue par tous les membres des Forces Nouvelles ?
A.L. : Quand l’on a une organisation, ce que le chef décide, est débattu et la position qui est arrêtée est appliquée. Ici, il y a de grands débats à l`issue desquels il s`agit de mettre en application l`unicité des caisses de l`Etat. Et c’est ce qui est en train d`être fait.
N.V. : Mais il y a toujours des barrages dressés sur toutes les voies en zone CNO. Le racket continue. Les populations se plaignent. Visiblement le Secrétariat général des Forces nouvelles ne semble pas avoir trouvé des solutions à ce problème. Ça rend pessimiste quant à l’effectivité de l’unicité des caisses…
A.L. : Je vous demande d`être optimiste. Parce qu’en passant sur le pont Houphouet-Boigny (Abidjan), on a un barrage de policiers. On aurait pas souhaiter le voir à cet endroit. Pour dire que les barrages pullulent en Côte d`Ivoire, sur l`ensemble du territoire. A un moment donné les autorités ont demandé la levée de certains barrages. Au niveau des barrages, il y a des choses anormales qui se déroulent, le racket. Je suis désolé. Il n`y a pas une caisse où l`argent du racket est mis.
N.V. : Mais “la centrale” des Forces nouvelles exite toujours à Bouaké, c’est dit-on, votre caisse noire qui serait encore gérée par le ministre Dosso Moussa…
A.L. : Il faut être clair. Je n`ai pas de preuve que l`argent du racket est reversé dans “la centrale”. A un moment donné les Forces nouvelles se sont réunies et ont demandé à leur secrétaire général de dissoudre “la centrale”. ça été fait. C`était pour permettre justement au ministre de l`Economie et des Finances de conduire le processus de l`unicité des caisses de l`Etat.
N.V. : Est-ce à dire que le ministère de l`Economie et des Finances devrait récupérer l`argent qui était destinté à “la centrale ?”
A.L. : C’est ce qui doit être fait. Mais je ne dis pas que le ministère de l`Economie et des Finances doit récupérer l`argent du racket. On ne peut pas récupérer l`argent du racket. Demandons donc aux services des douanes, des Impôts et du Trésor de se rédeployer pour faire leur travail. Je dis que la balle est dans le camp du ministre de l`Economie et des Finances.
N.V. : Les ex-combattants des Forces nouvelles se plaignent parce qu`ils se disent abandonnés par leurs supérieurs. Par conséquent, ils se livrent au racket pour survivre. Que comptez-vous faire face à cette situation ?
A.L. : Je me demande si vous êtes d`accord pour que le processus aille jusqu`à son terme. Puisque je suis fort étonné que c`est à vous, journalistes, que les Forces nouvelles s`ouvrent. Maintenant comme c`est une information que vous nous donnez, nous allons la prendre et améliorer les choses sur le terrain. Il est clair que des perspectives de carrière seront ouvertes pour les uns et les autres. Mais comme je l`ai dit au début, ce sont les moyens qui font défaut à l`Etat pour faire face à la réinsertion des ex-combattants. Maintenant, est-ce qu`il faut fixer un salaire mensuel à tous ceux qui ont pris les armes. Je ne penser pas que ce soit l’idéal.
N.V. : L’on parle de 40 milliards qui sont perçus par “la centrale” tous les mois dans la zone CNO. Cet argent ne pourrait-il pas être une bouffée d`oxygène pour l`Etat si le trésor public le récupérait ?
A.L. : C`est une question à laquelle je répondrais volontiers s`il s`agissait effectivement de 40 milliards de FCFA.
N.V. : Quel est le montant ? jusqu`ici les Forces nouvelles n`ont pas démenti ces informations…
A.L. : Ecoutez, au niveau des Forces Nouvelles, nous ne passons pas notre temps à démentir ce qui n`est pas. Donc vraiment, s`il y a 40 milliards de FCFA, ce n`est pas loin de la masse salariale mensuelle des fonctionnaires de la Côte d`Ivoire. Si c`était exact, l`Etat aurait fait l`effort nécessaire pour aller mobiliser, ne serait-ce que la moitié. Ça aurait été une bouffée d`oxygène. Mais tout ça n`est que pure rumeur. C`est vrai que ces informations ont été données au chef de l`Etat qui a dû en parler.
N.V. : Il nous revient que les Forces Nouvelles n`ont pas le nombre d`éléments nécessaires à mettre à la disposition du centre de commandement intégré (CCI), c`est-à-dire les 3400 éléments. Qu’en est-il exactement ?
A.L. : Mais si nous n`avons pas les 3400 éléments, je réponds que ce n`est nullement pas un problème. Maintenant pour être franc, nous avons commencé à déposer les listes. Nous sommes en train d’identifier nos éléments en tenant compte des perspectives de carrière qui leur sont affectées à la fin du processus.
N.V. : Pourquoi est-ce maintenant que vous les identifier ?
A.L. : Il s`agit d`éplucher véritablement les listes pour avoir en main, la liste des éléments qui pourraient intégrer la police et la gendarmerie nationale à l`issue de concours à la fin du processus. On demande des listes fiables. C`est ce qui est en train d`être fait.
N.V. : Des chiffres ont été avancés concernant l’effectif des Forces nouvelles. On a parlé de 36 000 hommes. De 10 000 hommes. Combien d’élements avez-vous en réalité à ce jour ?
A.L. : Je ne pourrai pas vous donnez de chiffre parce qu`il ne revient pas à un responsable politique de communiquer sur de tels chiffres qui sont importants pour la stabilité de l`Etat.
N.V. : La Côte d’Ivoire est dans un processus de paix. La question de l’effectif des Forces nouvelles ne devrait plus être un tabou ?
A.L. : Non, il n`y a pas de tabou. Mais, je dis que je ne suis pas chargé d`identifier les éléments. Et même si j`avais le chiffre, je ne l`aurais pas donné.
N.V. : Le chef de l`Etat, en visite à Korhogo, avait annoncé le recrutement futur des enseignants volontaires à la Fonction publique. Où en est-on avec le dossier ?
A.L. : Voyez-vous, tout est partagé. Et chacun doit faire son travail. Le chef de l`Etat a fait une promesse à la nation. Le ministre de l`Education nationale a été chargé de recruter les enseignants bénévoles. C`est lui qui gère le dossier.
N.V.. : Mais vous en tant que conseiller du Premier ministre, Guillaume Soro, qu’en savez-vous ?
A.L. : Je n’en sais rien. Il s`agissait pour le ministre de l’Education nationale de recruter les enseignants bénévoles qui remplissent les critères et les mettre au service de la Fonction publique. S`il y a un problème, c’est le ministre de l`Education nationale qui doit s’expliquer.
N.V. : Au regard du rythme du processus de sortie de crise, pensez-vous que les élections pourront se tenir cette année ?
A.L. : En tant que chef de délégation des Forces Nouvelles à Ougadougou, nous croyons jusqu`à la dernière minute que les élections doivent se tenir cette année. Maintenant il appartient à la Commission électorale indépendante (CEI), maître d`œuvre de cette opération, d`arrêter un calendrier électoral et de communiquer la date pour qu`on sache si les élections auront lieu cette année ou pas.
N.V. : Comment les Forces nouvelles jugent-elles l`opération de recensement électoral et d`identification telle que menée par la CEI?
A.L. : Nous avons toujours mal quand le processus traîne. Parce que c`est le Premier ministre, Secrétaire général des Forces Nouvelles, qui est indexé. Mais nous savons que c’est une opération essentielle. Sur le terrain, il y a des difficultés financières. On ne peut pas obligé un Etat qui sort d`une crise comme celle-là à bâcler les élections. Donc si la CEI a des difficultés, étant moi-même membre de la CEI, nous ne pouvons que partager ces difficultés et proposer des solutions pour que, rapidement, on résolve des blocages.
N.V. : Charles Blé Goudé, Eugène Djué, Fofié Kouakou sont sous le coup de sanctions onusiennes. L`ONU vient d`interpeller le quotidien gouvernemental “Fraternité Matin” à arrêter d’éditer et de reverser à Blé Goudé ses droits d`auteur d’écrivain. Quel commentaire ?
A.L. : Il faut faire observer aux responsables de l’ONU qu`une telle intervention contredit l`accord du 4 mars 2007. Parce que l`accord dans son 6ème chapitre consacré aux mesures visant à consolider la réconciliation nationale, la paix, la libre circulation des personnes et des biens, la sécurité avait demandé que le conseil de sécurité puisse analyser la levée des sanctions individuelles qui frappaient trois de nos compatriotes. En adossant cet accord, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait savoir qu`il doit aller jusqu`au bout. Et non chercher à mettre en péril le processus de paix. Parce que cette réaction est une menace à la sortie de crise. Et nous pensons que le Conseil de sécurité et les responsables qui ont porté l`information à “Fraternité Matin” sauront trouver les mots justes pour rectifier le tir.
N.V. : Blé Goudé parle de provocation…
A.L. : Blé Goudé, quoi qu`on dise, est un acteur qui est incontournable dans le processus de sortie de crise. S`il y a une sanction que les Nations unies devraient prendre, c`était de lui décerner un prix pour les actions qu`il pose depuis la signature de l`accord politique de Ouagadougou. Ailleurs, on voit comment des hommes qui menacent la paix sont traités avec bienveillance. On n`a jamais vu les Nations unies demander aux médias occidentaux de cesser de donner la parole à des acteurs qui menacent la sécurité mondiale. Ici, nous avons un de nos compatriotes qui n`a pas manqué, depuis la signature de l`accord de Ouaga, de soutenir sa mise en œuvre. Il n`a pas manqué de sensibiliser les uns et les autres pour que le processus aboutisse. Est-ce une façon de lui dire merci. Moi, je dis qu`il appartient aux Ivoiriens de rassurer Blé Goudé Charles. Les débats avec les responsables de l`ONU ne sont pas l`essentiel. Allons à l`essentiel qui est de sortir notre pays de la crise.
N.V. : Est-ce vrai que les Forces Nouvelles se transformeront dans un futur proche en parti politique.
A.L. : Tôt ou tard, on sera amené à répondre officiellement à la question. A trouver la forme légale qu`il faut pour que les Forces Nouvelles puissent voir leurs responsables poursuivre le débat national. Parce qu`il ne sert à rien aujourd`hui d`assumer de telles responsabilités dans un pays comme la Côte d`Ivoire et disparaître de la scène politique. A un moment donné, on répondra à la question.
N.V. : A un moment donné, Guillaume Soro pourrait également être candidat à l`élection présidentielle ?
A.L. : Je ne suis pas Guillaume Soro. Mais je fais partie de ceux qui estiment qu`il a un avenir politique dans ce pays. Il a encore plusieurs années devant lui. Le moment viendra où on sera dans ou hors de la scène politique. Pour l`heure, le débat n`est pas à ce niveau.`
N.V. : L`on parle des relations qui seraient devenues tumultueuses entre le RDR d’Alassane Dramane Ouattara et les Forces Nouvelles.
A.L. : Moi, je ne dirai pas que les relations sont tumultueuses. Ceux qui, à un moment donné, ont cru faire des révélations,en croyant que le RDR, c`était les Forces Nouvelles et vice versa, doivent savoir que tout ce qui a été dit à l`époque n`était pas exact. Chacun à sa vision. Les Forces Nouvelles ont une part de responsabilité dans la sortie de crise. C`est ce que nous sommes en train de faire. Donc on peut avoir des positions divergentes. Mais ce n`est pas une guerre qui nous oppose au RDR.
N.V. : Peut-être que l’enfant a grandi. Il est devenu plus autonome parce qu`il a maintenant des moyens financiers et une reconnaissance internationale. C`est assurément ce qui permet aux Forces Nouvelles d`afficher leur indépendance vis-à-vis du RDR ?
A.L. : J`invite ceux qui font l`analyse politique en Côte d`Ivoire à éviter d`être amnésiques. Lorsque la crise a éclaté le 19 septembre 2002, vous n`avez pas vu un responsable du RDR se faire le porte-parole des Forces Nouvelles. Il faut arrêter ce type d`observation qui voudrait que les gens aient grandi et qu`ils voudraient prendre leur indépendance vis-à-vis de leurs parrains. Les Forces Nouvelles n`ont pas de parrains. Je suis désolé. Les Forces Nouvelles sont des Ivoiriens qui se sont retrouvés. Qui ont pris des décisions. Qui ont opté pour des choix. Et aujourd`hui se sont mis d`accord avec l`autre partie au conflit pour sortir la Côte d`Ivoire de la crise. Pour nous, il n`y a que ça qui compte. Tout le reste, doit être mis de côté.
Interview réalisée par Didier Depry et Délon`s Zadé
Notre Voie : Deux ans après la signature de l`Accord politique de Ouagadougou (APO), quel bilan dressez-vous de son application sur le terrain ?
Alain Lobognon : En ma qualité de chef de délégation des Forces nouvelles (ex-rébellion armée) aux rencontres du dialogue direct à Ougadougou, s`il y a un bilan à faire, c`est de dire qu`il est positif. Il y a des éléments d`application qui nous permettent de dire que le bilan est positif. Même s’il y a des difficultés et non des moindres à surmonter pour aboutir au but final. A savoir restaurer complètement l`autorité de l`Etat sur l’ensemble du territoire et organiser les élections en Côte d`Ivoire. Donc après deux ans, l`APO est positif malgré le chemin à parcourir. L`accord a permis entre autres, la suppression de la zone de confiance, il a mis fin totalement à la belligérance.
N.V. : Vous dites que l`Accord politique de Ouagadougou est positif. Mais les questions fondamentales qui vont conduire à la paix ne sont pas encore réglées. Notamment le désarmement des ex-combattants, le redéploiement de l`administration, l`unicité des caisses et de la tenue des élections. L`on ne perçoit pas une évolution notable…
A.L. : Moi, j`ai une lecture différente des choses. Pour la question du désarmement, il faut noter qu`en signant l`Accord et les accords complémentaires, les acteurs sont parvenus à une évolution notable, on est sorti du débat classique qui est qu`on utilise la force pour aller désarmer les Forces nouvelles. On est sorti de ce débat pour mettre en place, un cadre qui voudrait que les éléments soient identifiés pour intégrer la nouvelle armée ou servir au sein du Centre de commandement intégré (CCI). Quant aux autres qui n`ont pas été retenus parce qu`ils ne remplissent pas les critères, ils pourront intégrer d`autres corps civils. C`est ce que nous appelons la réinsertion. Mais ce volet connaît des difficultés liées à l`absence de moyens financiers qui devaient permettre à l`Etat et aux structures mises en place de faire face aux projets de réinsertion. Il n`y a pas de moyens. Il faudrait les trouver.
N.V. : Où doit-on les trouver ?
A.L. : Je ne sais pas. C`est ce qui fait qu`on a l`impression que rien avance au niveau du désarmement.
N.V. : Et les soutiens financiers annoncés par les partenaires extérieurs ?
A.L. : Disons que pour les soutiens dont vous parlez, le constat est là. On annonce des soutiens à la Côte d`Ivoire mais les réaliser, est autre chose. La réalité, c`est que les moyens sont insuffisants pour faire face à la réinsertion des ex-combattants des FAFN et des groupes d`auto-défense appelés milices. Les moyens annoncés ne sont pas toujours mobilisés pour permettre au gouvernement de faire face à tous ces enjeux des accords politiques de Ouagadougou.
Par rapport au redéploiement de l`administration, je voudrais préciser que c`est dans ce cadre que l`avion du Premier ministre avait été attaqué, le 29 juillet 2007. Le Premier ministre allait à Bouaké pour l`installation des magistrats qui devraient conduire l`opération des audiences foraines. L`opération de redéploiement a connu différentes phases. Aujourd`hui, nous ne sommes plus à l`étape d`appeler les fonctionnaires à rejoindre leurs postes. Mais nous sommes à la phase où nous demandons les moyens pour permettre aux fonctionnaires de rester en place.
S`agissant du point clé relatif à la passation des charges entre le corps préfectoral et les “commandants” des zones, ce sont les acteurs du dialogue qui ont estimé qu`il fallait organiser une cérémonie, à savoir une passation des charges. La cérémonie devrait voir les responsables militaires des FN qui jusque-là ont assumé des missions d`administration et des responsabilités militaires, donc des préfets de l`Etat. Il fallait permettre à ces com`zones de remettre le pouvoir administratif aux préfets et sous-préfets. C`est cette cérémonie qui devait avoir lieu, le 4 mars et qui a été reportée sine die à la demande du ministre de l`Intérieur.
N.V. : Etiez-vous effectivement vraiment prêts pour la passation des charges ?
A.L. : En signant le 4ème Accord complémentaire, le 22 décembre 2008, nous prouvions ainsi déjà notre engagement pour le redéploiement de l`administration. La répartition des tâches a voulu que ce soit le ministre de l`Intérieur qui organise les passations des charges.
N.V. : Qui en a décidé ainsi ?
A.L. : C`est ce qui a été décidé au niveau de l`exécutif. C`est le ministre de l`Intérieur qui est chargé de mettre en application les dispositions pertinentes de l`APO. C`est lui qui a fixé la date du 4 mars 2009 à la demande du Premier ministre.
N.V. : N`êtes-vous pas responsables de l`échec de la passation des charges ?
A.L. : Nullement les Forces nouvelles ne sont responsables du report de la cérémonie de passation des charges. Aujourd`hui, il s`agit juste de demander une reprogrammation de la cérémonie.
N.V. : Pensez-vous sincèrement que les com`zones et com`secteurs sont prêts à s`effacer au profit des préfets et sous-préfets.
A.L. : Nous ne voyons pas pourquoi les Forces nouvelle qui ont participé à la rédaction du protocole d`accord qui doit leur permettre de céder la totalité des pouvoirs à l`Etat, devraient s`y opposer.
N.V. : Depuis la signature du 4ème accord complémentaire, le 22 décembre 2008, les choses traînent. On a entendu dire qu`au niveau des com`zones, il y a des réticences. N`est-ce pas ce qui explique en réalité le report sine die de la passation des charges ?
A.L. : Les Forces nouvelles attendaient la passation des charges qui n`a jamais eu lieu. On ne peut pas dire que ce sont les Forces nouvelles qui sont à la base de ce retard. Je le répète, les Forces nouvelles ne sont pas à la base de ce retard.
N.V. : Mais vous aviez demandé qu`on vous accorde du temps pour sensibiliser les ex-combattants et les populations qui vivent dans les zones centre-nord-ouest…
A.L. : On a fini la sensibilisation depuis longtemps. Nous avions demandé qu`il y ait maintenant la passation des charges. C`est d`ailleurs le Premier ministre qui a demandé au ministre de l`Intérieur de passer à l`organisation de cette cérémonie. Le Premier ministre l`a dit, c`est à la demande du ministre de l`Intérieur que la cérémonie a été reportée. Nous attendons qu`on nous communique une nouvelle date.
N.V. : Le porte-parole du Premier ministre, M. Méité Sindou, a soutenu lors d`une conférence de presse que l`effacement des com`zones est un processus. Cela signifie que les choses ne sont pas aussi faciles que vous le dites.
A.L. : Croit-on qu`après la passation des charges, les com`zones et com`secteurs devront être mis dans une chambre à gaz et être exterminés. Ce n`est pas de cela qu`il est question. Si d`autres personnes pensent qu`après la passation des charges, il faut mettre les com`zones et com`secteur sous un poteau d`exécution, je dis non. Les Forces nouvelles ne voient pas les choses de cette façon. Les Forces nouvelles savent ce que dit l`accord politique de Ouaga. L`accord dit que les com`zones et com`secteurs doivent rejoindre l`état-major des FAFN. Qui lui, sera chargé d`encadrer les 5 000 éléments encasernés prêts à intégrer la nouvelle armée. Donc je ne vois pas pourquoi on voudrait que ceux qui jusque-là ont été com`zones, soient rayés des effectifs des Force nouvelles.
N.V. : A quand alors la nouvelle date de la passation des charges ?
A.L. : Poser la question au ministre de l`Intérieur. C`est lui qui est habilité à fixer la date.
N.V. : Les Forces nouvelles ont-elles échangé avec le ministre de l`Intérieur pour savoir la date de la nouvelle échéance ?
A.L. : Je dis non, nous n`avons pas, nous Forces nouvelles à discuter avec le ministre de l`Intérieur. Il doit fixer la nouvelle date.
N.V. : Quel est l`état des rapports entre le ministre de l`Intérieur et les Forces nouvelles ?
A.L. : Disons qu’à un moment donné, le ministre Désiré Tagro a été le porte-parole du chef de l`Etat. Et je voudrais faire observer à ceux qui veulent être amnésiques que c`est ce monsieur qui a été le premier à rencontrer les Forces nouvelles pour préparer le cadre du dialogue direct. Donc il ne saurait avoir de conflit, de palabre entre le ministre et les Forces nouvelles. Maintenant, il est ministre de l`Intérieur. Il est chargé de la mise en œuvre de l`Accord politique de Ouagadougou, concernant certaines dispositions pertinentes. Il est donc vrai que dans la mise en œuvre de ces dispositions, il peut avoir des désaccords. S`il existe des désaccords, c`est normal. Mais on les surmonte toujours. Il n`y a pas d`opposition entre les Forces nouvelles et le ministre de l`Intérieur.
N.V. : Mais il y a des points sur lesquels vous n`avez pas la même vision. Peut-on savoir ces points ?
A.L. : C`est vrai, il existe des points sur lesquels nous n`avons pas la même lecture. Maintenant, il ne s`agit pas de les énumérer ici. Souffrez que je n`en parle pas parce qu`il n’est pas question de réveiller les vieux démons.
N.V. : L`unicité des caisses se fera-t-elle effectivement comme l’exige l’accord de Ouaga ?
A.L. : Mais elle est en train de se faire. Sachez que l`unicité des caisses est une trouvaille des Forces Nouvelles. Une trouvaille de leur premier responsable qui a voulu qu’avec l`accord signé, le 4 mars 2007 à Ouagadougou, la gestion qui se faisait dans des différentes localités change. Et qu`on permette à l`administration fiscale et douanière de l`Etat de reprendre sa place. C`est un processus qui a été lancé depuis le mois de janvier 2009 et qui est en cours. Le 4 mars 2009, le Premier ministre et le ministre de l`Economie et des Finances étaient à Bouaké pour ouvrir le premier guichet automobile qui doit permettre de procéder au dédouanement des engins roulants et des véhicules. L`opération est en cours. Elle est pilotée par le ministre de l`Economie et des Finances.
N.V. : Mais la douane ne s’est pas encore installée dans les zones occupées par les Forces nouvelles. C’est pareil pour d’autres régies financières. En quoi l`unicité des caisses est-elle donc en train de se faire ?
A.L. : Moi, j`ai toujours dit qu`il faut avoir une vision de ce processus de sortie de crise. Pendant longtemps, on a cru que le processus n`allait pas connaître un début de mise en œuvre. J`en veux pour preuve ceux qui avaient lancé le débat sur les audiences foraines. A un moment donné, ils ont failli avoir raison puisque le Premier ministre a échappé à un assassinat alors qu’il partait, justement, lancer les audiences foraines. Ces audiences foraines ont eu lieu.
N.V. : Vous connaissez donc les auteurs de l’attendat contre le Premie ministre, Guillaume Soro, à Bouaké?
A.L. : Disons qu`il ne me revient pas de dire “voici les responsables”. L`Etat de Côte d`Ivoire a demandé à l’ONU de mener des enquêtes pour éviter une chasse aux sorcières. Nous attendons les résultats de ces enquêtes.
Pour revenir à l`unicité des caisses, il faut savoir que les acteurs politiques ont voulu que ce processus soit conduit par le ministre de l`Economie et des Finances, tutelle administrative du corps de la douane, des impôts et du trésor. C`est donc tout un chapitre. Il appartient au ministre de mettre en place le dispositif qui doit permettre à l`Etat de reprendre sa place.
N.V. : Cette volonté du Premier ministre d`aller à l`unicité des caisses de l`Etat est-elle soutenue par tous les membres des Forces Nouvelles ?
A.L. : Quand l’on a une organisation, ce que le chef décide, est débattu et la position qui est arrêtée est appliquée. Ici, il y a de grands débats à l`issue desquels il s`agit de mettre en application l`unicité des caisses de l`Etat. Et c’est ce qui est en train d`être fait.
N.V. : Mais il y a toujours des barrages dressés sur toutes les voies en zone CNO. Le racket continue. Les populations se plaignent. Visiblement le Secrétariat général des Forces nouvelles ne semble pas avoir trouvé des solutions à ce problème. Ça rend pessimiste quant à l’effectivité de l’unicité des caisses…
A.L. : Je vous demande d`être optimiste. Parce qu’en passant sur le pont Houphouet-Boigny (Abidjan), on a un barrage de policiers. On aurait pas souhaiter le voir à cet endroit. Pour dire que les barrages pullulent en Côte d`Ivoire, sur l`ensemble du territoire. A un moment donné les autorités ont demandé la levée de certains barrages. Au niveau des barrages, il y a des choses anormales qui se déroulent, le racket. Je suis désolé. Il n`y a pas une caisse où l`argent du racket est mis.
N.V. : Mais “la centrale” des Forces nouvelles exite toujours à Bouaké, c’est dit-on, votre caisse noire qui serait encore gérée par le ministre Dosso Moussa…
A.L. : Il faut être clair. Je n`ai pas de preuve que l`argent du racket est reversé dans “la centrale”. A un moment donné les Forces nouvelles se sont réunies et ont demandé à leur secrétaire général de dissoudre “la centrale”. ça été fait. C`était pour permettre justement au ministre de l`Economie et des Finances de conduire le processus de l`unicité des caisses de l`Etat.
N.V. : Est-ce à dire que le ministère de l`Economie et des Finances devrait récupérer l`argent qui était destinté à “la centrale ?”
A.L. : C’est ce qui doit être fait. Mais je ne dis pas que le ministère de l`Economie et des Finances doit récupérer l`argent du racket. On ne peut pas récupérer l`argent du racket. Demandons donc aux services des douanes, des Impôts et du Trésor de se rédeployer pour faire leur travail. Je dis que la balle est dans le camp du ministre de l`Economie et des Finances.
N.V. : Les ex-combattants des Forces nouvelles se plaignent parce qu`ils se disent abandonnés par leurs supérieurs. Par conséquent, ils se livrent au racket pour survivre. Que comptez-vous faire face à cette situation ?
A.L. : Je me demande si vous êtes d`accord pour que le processus aille jusqu`à son terme. Puisque je suis fort étonné que c`est à vous, journalistes, que les Forces nouvelles s`ouvrent. Maintenant comme c`est une information que vous nous donnez, nous allons la prendre et améliorer les choses sur le terrain. Il est clair que des perspectives de carrière seront ouvertes pour les uns et les autres. Mais comme je l`ai dit au début, ce sont les moyens qui font défaut à l`Etat pour faire face à la réinsertion des ex-combattants. Maintenant, est-ce qu`il faut fixer un salaire mensuel à tous ceux qui ont pris les armes. Je ne penser pas que ce soit l’idéal.
N.V. : L’on parle de 40 milliards qui sont perçus par “la centrale” tous les mois dans la zone CNO. Cet argent ne pourrait-il pas être une bouffée d`oxygène pour l`Etat si le trésor public le récupérait ?
A.L. : C`est une question à laquelle je répondrais volontiers s`il s`agissait effectivement de 40 milliards de FCFA.
N.V. : Quel est le montant ? jusqu`ici les Forces nouvelles n`ont pas démenti ces informations…
A.L. : Ecoutez, au niveau des Forces Nouvelles, nous ne passons pas notre temps à démentir ce qui n`est pas. Donc vraiment, s`il y a 40 milliards de FCFA, ce n`est pas loin de la masse salariale mensuelle des fonctionnaires de la Côte d`Ivoire. Si c`était exact, l`Etat aurait fait l`effort nécessaire pour aller mobiliser, ne serait-ce que la moitié. Ça aurait été une bouffée d`oxygène. Mais tout ça n`est que pure rumeur. C`est vrai que ces informations ont été données au chef de l`Etat qui a dû en parler.
N.V. : Il nous revient que les Forces Nouvelles n`ont pas le nombre d`éléments nécessaires à mettre à la disposition du centre de commandement intégré (CCI), c`est-à-dire les 3400 éléments. Qu’en est-il exactement ?
A.L. : Mais si nous n`avons pas les 3400 éléments, je réponds que ce n`est nullement pas un problème. Maintenant pour être franc, nous avons commencé à déposer les listes. Nous sommes en train d’identifier nos éléments en tenant compte des perspectives de carrière qui leur sont affectées à la fin du processus.
N.V. : Pourquoi est-ce maintenant que vous les identifier ?
A.L. : Il s`agit d`éplucher véritablement les listes pour avoir en main, la liste des éléments qui pourraient intégrer la police et la gendarmerie nationale à l`issue de concours à la fin du processus. On demande des listes fiables. C`est ce qui est en train d`être fait.
N.V. : Des chiffres ont été avancés concernant l’effectif des Forces nouvelles. On a parlé de 36 000 hommes. De 10 000 hommes. Combien d’élements avez-vous en réalité à ce jour ?
A.L. : Je ne pourrai pas vous donnez de chiffre parce qu`il ne revient pas à un responsable politique de communiquer sur de tels chiffres qui sont importants pour la stabilité de l`Etat.
N.V. : La Côte d’Ivoire est dans un processus de paix. La question de l’effectif des Forces nouvelles ne devrait plus être un tabou ?
A.L. : Non, il n`y a pas de tabou. Mais, je dis que je ne suis pas chargé d`identifier les éléments. Et même si j`avais le chiffre, je ne l`aurais pas donné.
N.V. : Le chef de l`Etat, en visite à Korhogo, avait annoncé le recrutement futur des enseignants volontaires à la Fonction publique. Où en est-on avec le dossier ?
A.L. : Voyez-vous, tout est partagé. Et chacun doit faire son travail. Le chef de l`Etat a fait une promesse à la nation. Le ministre de l`Education nationale a été chargé de recruter les enseignants bénévoles. C`est lui qui gère le dossier.
N.V.. : Mais vous en tant que conseiller du Premier ministre, Guillaume Soro, qu’en savez-vous ?
A.L. : Je n’en sais rien. Il s`agissait pour le ministre de l’Education nationale de recruter les enseignants bénévoles qui remplissent les critères et les mettre au service de la Fonction publique. S`il y a un problème, c’est le ministre de l`Education nationale qui doit s’expliquer.
N.V. : Au regard du rythme du processus de sortie de crise, pensez-vous que les élections pourront se tenir cette année ?
A.L. : En tant que chef de délégation des Forces Nouvelles à Ougadougou, nous croyons jusqu`à la dernière minute que les élections doivent se tenir cette année. Maintenant il appartient à la Commission électorale indépendante (CEI), maître d`œuvre de cette opération, d`arrêter un calendrier électoral et de communiquer la date pour qu`on sache si les élections auront lieu cette année ou pas.
N.V. : Comment les Forces nouvelles jugent-elles l`opération de recensement électoral et d`identification telle que menée par la CEI?
A.L. : Nous avons toujours mal quand le processus traîne. Parce que c`est le Premier ministre, Secrétaire général des Forces Nouvelles, qui est indexé. Mais nous savons que c’est une opération essentielle. Sur le terrain, il y a des difficultés financières. On ne peut pas obligé un Etat qui sort d`une crise comme celle-là à bâcler les élections. Donc si la CEI a des difficultés, étant moi-même membre de la CEI, nous ne pouvons que partager ces difficultés et proposer des solutions pour que, rapidement, on résolve des blocages.
N.V. : Charles Blé Goudé, Eugène Djué, Fofié Kouakou sont sous le coup de sanctions onusiennes. L`ONU vient d`interpeller le quotidien gouvernemental “Fraternité Matin” à arrêter d’éditer et de reverser à Blé Goudé ses droits d`auteur d’écrivain. Quel commentaire ?
A.L. : Il faut faire observer aux responsables de l’ONU qu`une telle intervention contredit l`accord du 4 mars 2007. Parce que l`accord dans son 6ème chapitre consacré aux mesures visant à consolider la réconciliation nationale, la paix, la libre circulation des personnes et des biens, la sécurité avait demandé que le conseil de sécurité puisse analyser la levée des sanctions individuelles qui frappaient trois de nos compatriotes. En adossant cet accord, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait savoir qu`il doit aller jusqu`au bout. Et non chercher à mettre en péril le processus de paix. Parce que cette réaction est une menace à la sortie de crise. Et nous pensons que le Conseil de sécurité et les responsables qui ont porté l`information à “Fraternité Matin” sauront trouver les mots justes pour rectifier le tir.
N.V. : Blé Goudé parle de provocation…
A.L. : Blé Goudé, quoi qu`on dise, est un acteur qui est incontournable dans le processus de sortie de crise. S`il y a une sanction que les Nations unies devraient prendre, c`était de lui décerner un prix pour les actions qu`il pose depuis la signature de l`accord politique de Ouagadougou. Ailleurs, on voit comment des hommes qui menacent la paix sont traités avec bienveillance. On n`a jamais vu les Nations unies demander aux médias occidentaux de cesser de donner la parole à des acteurs qui menacent la sécurité mondiale. Ici, nous avons un de nos compatriotes qui n`a pas manqué, depuis la signature de l`accord de Ouaga, de soutenir sa mise en œuvre. Il n`a pas manqué de sensibiliser les uns et les autres pour que le processus aboutisse. Est-ce une façon de lui dire merci. Moi, je dis qu`il appartient aux Ivoiriens de rassurer Blé Goudé Charles. Les débats avec les responsables de l`ONU ne sont pas l`essentiel. Allons à l`essentiel qui est de sortir notre pays de la crise.
N.V. : Est-ce vrai que les Forces Nouvelles se transformeront dans un futur proche en parti politique.
A.L. : Tôt ou tard, on sera amené à répondre officiellement à la question. A trouver la forme légale qu`il faut pour que les Forces Nouvelles puissent voir leurs responsables poursuivre le débat national. Parce qu`il ne sert à rien aujourd`hui d`assumer de telles responsabilités dans un pays comme la Côte d`Ivoire et disparaître de la scène politique. A un moment donné, on répondra à la question.
N.V. : A un moment donné, Guillaume Soro pourrait également être candidat à l`élection présidentielle ?
A.L. : Je ne suis pas Guillaume Soro. Mais je fais partie de ceux qui estiment qu`il a un avenir politique dans ce pays. Il a encore plusieurs années devant lui. Le moment viendra où on sera dans ou hors de la scène politique. Pour l`heure, le débat n`est pas à ce niveau.`
N.V. : L`on parle des relations qui seraient devenues tumultueuses entre le RDR d’Alassane Dramane Ouattara et les Forces Nouvelles.
A.L. : Moi, je ne dirai pas que les relations sont tumultueuses. Ceux qui, à un moment donné, ont cru faire des révélations,en croyant que le RDR, c`était les Forces Nouvelles et vice versa, doivent savoir que tout ce qui a été dit à l`époque n`était pas exact. Chacun à sa vision. Les Forces Nouvelles ont une part de responsabilité dans la sortie de crise. C`est ce que nous sommes en train de faire. Donc on peut avoir des positions divergentes. Mais ce n`est pas une guerre qui nous oppose au RDR.
N.V. : Peut-être que l’enfant a grandi. Il est devenu plus autonome parce qu`il a maintenant des moyens financiers et une reconnaissance internationale. C`est assurément ce qui permet aux Forces Nouvelles d`afficher leur indépendance vis-à-vis du RDR ?
A.L. : J`invite ceux qui font l`analyse politique en Côte d`Ivoire à éviter d`être amnésiques. Lorsque la crise a éclaté le 19 septembre 2002, vous n`avez pas vu un responsable du RDR se faire le porte-parole des Forces Nouvelles. Il faut arrêter ce type d`observation qui voudrait que les gens aient grandi et qu`ils voudraient prendre leur indépendance vis-à-vis de leurs parrains. Les Forces Nouvelles n`ont pas de parrains. Je suis désolé. Les Forces Nouvelles sont des Ivoiriens qui se sont retrouvés. Qui ont pris des décisions. Qui ont opté pour des choix. Et aujourd`hui se sont mis d`accord avec l`autre partie au conflit pour sortir la Côte d`Ivoire de la crise. Pour nous, il n`y a que ça qui compte. Tout le reste, doit être mis de côté.
Interview réalisée par Didier Depry et Délon`s Zadé