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Politique Publié le lundi 30 mars 2009 | Le Nouveau Réveil

Venance Konan (Journaliste indépendant) : “Tout va bien au pays !”

Tout va donc bien au pays de notre président bien-aimé. Il peut dormir sur ses deux oreilles. Le brillant et élégant chef d'état-major de notre très compétente armée veille au grain. Anaky Kobena, se croyant on ne sait où, et sous prétexte qu'il est un élu de la nation et jouissant d'une immunité parlementaire a osé tenir des propos patriotiquement incorrects sur les antennes de notre patriotique télévision. Mangou, n'a pas fait dans le détail. Au trou ! Pourquoi respecter des procédures d'un Etat de droit, saisir une justice ? C'est quoi une immunité parlementaire au pays de notre président bien-aimé ? Au trou j'ai dit ! C'est quoi la liberté de penser et de s'exprimer dans notre belle république refondée ? Les seuls pensées et propos acceptables dans notre république démocratique, socialiste et refondée sont les pensées et propos patriotiquement corrects, comprenez-le bien une bonne fois pour toutes, et ne venez plus énerver notre charmant et patriote chef d'état-major. On se souvient qu'il y a quelques années, un individu s'était présenté à la télévision en disant qu'il portait une bombe. Il exigeait de parler au chef d'état-major. Celui-ci s'est présenté dare-dare à la télévision. Il s'est avéré que l'individu n'avait aucune arme en sa possession. Il prétendait vouloir protester contre les rebelles. Il a eu pour cela l'honneur de se faire raccompagner par le chef d'état-major dans sa voiture. Un si charmant patriote ! Puis, lorsqu'après la formation du gouvernement de Charles Konan Banny, des jeunes patriotes se sont mis à renverser des poubelles à Yopougon parce que Bohoun Bouabré n'était plus le ministre de l'économie et des finances, c'est encore le chef d'état-major qui est passé à la télévision pour les supplier de ne pas faire de débordement. Et plus tard, lorsque le GTI avait dit que le mandat de l'Assemblée nationale n'avait pas à être prorogé, des patriotes sont encore une fois allés à la télévision pour faire une déclaration. Et encore une fois, c'est le chef d'état-major qui est venu jouer les négociateurs entre les patriotes manifestants et la télévision.
Tout va très bien dans notre si formidable pays. Notre président bien-aimé peut dormir à poings fermés. Mangou est là et il veille sur tout. Ce n'est pas l'armée qu'il dirige qui fera à notre prince bien-aimé un coup à la mauritanienne, à la malgache ou à la bissau-guinéenne. Les Anaky, Gnamantêh et autres mauvais patriotes qui disent des choses déplaisantes à l'auguste oreille de notre chef bien-aimé, et qui sont susceptibles de donner des mauvaises idées à ce peuple abruti savent désormais à quoi s'en tenir. Notre armée est là, debout, et patriote. Il faut bien qu'elle s'occupe, cette si brave armée. Et dans ce beau pays nôtre, nous avons cultivé au plus haut degré l'art de ne pas faire ce que l'on doit faire en faisant ce qui ne nous regarde pas. Il est effectivement plus facile à notre armée de faire arrêter un Anaky pour des propos qu'il a tenus à la télévision, plutôt que de mettre au pas les va-nu-pieds analphabètes qui ont pris la partie septentrionale de notre pays en otage depuis plus de six ans. Où était-elle donc, cette si grande et patriotique armée, lorsque ce petit groupe de déserteurs accompagnés de chasseurs dozo, seulement armés de vieux tromblons ont occupé la moitié de la Côte d'Ivoire ? Bien sûr, de grands " démocrates " de ce pays ont justifié l'interpellation d'Anaky et ce qu'ils ont appelé " la mise en garde des pyromanes. " Qu'ils sachent tout de même que lorsque l'on laisse l'armée faire n'importe quoi dans un pays, surtout ce qui ne la regarde pas, il arrive un jour où elle se dit qu'elle pourrait très bien gouverner elle-même ce pays.
En France où je me trouvais récemment, la grosse blague était de demander quand aura lieu la prochaine élection. Et la réponse était un grand éclat de rire. La date la plus probable que j'ai pu donner à mes interlocuteurs était la Saint glin-glin. Et les raisons sont simples, et connues de tous. Personne ne veut de ces élections, et la situation actuelle arrange tout le monde. Le chef de l'Etat bien sûr, qui a réussi à s'offrir un bonus de trois ans, bientôt quatre, sur son mandat, sans passer par les urnes et sans être embêté par qui que se soit, et son premier ministre pour qui plus cela dure et mieux cela vaut pour ses poches et ses rêves présidentiels. Il y a aussi les rebelles, petits et grands qui vivent grassement sur le dos des populations en pillant toutes leurs ressources, mais aussi les députés, les conseillers municipaux, les conseillers généraux, toutes tendances politiques confondues qui se sont aussi offert le même nombre d'années de bonus que le chef de l'Etat sur leurs mandats, et bien entendu, tous les ministres du gouvernement. On ne quitte pas une table où le repas est si bien viandé. Le refrain est bien sûr connu : on attend patiemment que Gbagbo veuille bien organiser des élections, qu'il perdra forcément. Et pourtant, Gbagbo le dit publiquement : son pouvoir, il l'a arraché morceau par morceau. Et personne n'ignore comment il l'a arraché à Guéï. Cela signifie, pour qui n'est pas un rêveur, que ce pouvoir qu'il a obtenu dans les conditions que l'on sait, il faudra le lui arracher de la même façon. Mais avec ce qu'il a en face de lui, tout va très bien pour notre chef bien-aimé. Mangou est là pour éviter que des gens qui n'ont aucune envie de lui enlever son pouvoir ne le fassent.
Il y a quelques semaines, au début du mois de mars, j'avais participé à un débat public de l'Observatoire des élections. A cette occasion, Monsieur Edjampan Tiémélé m'avait répliqué, lorsque j'avais dit que le peuple ivoirien était l'otage de toute la classe politique, que l'opposition qui avait voulu manifester en mars 2004 avait vu entre 300 et 400 de ses militants assassinés par le pouvoir de Laurent Gbagbo. Je lui avais alors demandé ce que faisait cette opposition dans le gouvernement d'un tel homme. Je pose encore la question : comment des partis d'opposition peuvent-ils continuer de siéger dans le gouvernement d'un homme qui tue 300 à 400 de leurs militants ? Ce jour-là, j'avais pris la salle à témoin sur le fait que les 25 et 26 mars, aucun de ces partis d'opposition n'appellerait à une petite messe, une petite prière dans une mosquée, à allumer une petite bougie pour commémorer ces jours de massacre et rappeler aux Ivoiriens et au reste du monde la mémoire de ces victimes. Les 25 et 26 mars sont passés, et effectivement aucun leader politique de l'opposition n'a parlé de ces événements. Cela fait cinq ans que ces personnes ont été massacrées et ceux qui les ont appelées à descendre dans la rue les ont déjà oubliées. En 2007, lorsqu'un journaliste avait parlé à Affi N'guessan de l'assassinat de Robert Guéï, il lui avait répondu qu'il fallait éviter les questions qui fâchent. Je suppose que si les leaders de l'opposition avaient appelé à se souvenir de leurs martyrs, M. Laurent Gbagbo se serait fâché. Ce que notre opposition ne veut absolument pas prendre le risque de faire. Gbagbo pourrait dire par exemple qu'il remanie son gouvernement, pour priver cette opposition du repas bien viandé. Et cela est insupportable pour elle. Eh bien, avec une telle opposition qui n'est même pas capable d'honorer la mémoire de ceux qui sont tombés pour elle, qui n'est même pas capable de se fâcher et de taper du poing sur la table lorsqu'on la mène par le bout du nez, M. Gbagbo organisera bel et bien les prochaines élections à la Saint glin-glin. Et mon ami Gnamantêh croupira en prison le temps que voudra le procureur, comme avant lui mon jeune frère Assalé avait croupi douze mois bien comptés en prison pour avoir dénoncé cette corruption qui pourrit tout le pays. Parce qu'à part les condamnations de principe, il n'y aura rien d'autre
Tout va très bien au pays de notre président bien-aimé. Il s'est battu comme un beau diable pour que son pays soit considéré comme un pays très pauvre et très endetté. Nous avons fini par avoir ce statut, d'après ce que j'ai cru comprendre à travers les journaux. Grande joie au palais. De toutes les façons, on ne pouvait pas rater cela, vu la très grande conscience que nous avons mise à appauvrir ce pays. Il y a d'abord tous les détournements massifs d'argent. Mais ne le dites pas trop fort. Le procureur ne dort que d'un œil. Il y a eu aussi les investissements totalement improductifs tels que les palais à Yamoussoukro, le gaspillage effréné, la corruption qui a gangréné tous les strates de la société, même la présidence (chuuut ! Vous tenez vraiment à réveiller le procureur ?), l'incompétence notoire des dirigeants, la mauvaise gouvernance, etc. Je ne vous apprends sans doute rien en vous disant que notre production de cacao est en train de baisser, et que bientôt nous perdrons notre place de premier producteur mondial au profit du Ghana, qui lui, s'en sort bien avec son cacao. La raison en est que nos paysans, fatigués de travailler comme des forçats pour enrichir des aigrefins, ne veulent plus renouveler leurs plantations et beaucoup d'entre eux préfèrent se tourner vers la culture de l'hévéa, quand ils ne choisissent pas simplement de se tourner les pouces. Il se trouve que les cours du caoutchouc ont chuté de manière drastique avec la crise financière mondiale et l'hévéa ne rapporte plus grand'chose. Nous avons fait ce qu'on appelle tuer la poule aux œufs d'or. Houphouët-Boigny avait rêvé de faire de la Côte d'Ivoire un pays développé. Honte sur lui. Notre président actuel et bien-aimé en a fait un pays très pauvre et très endetté. Qu'il soit loué. Et que le général Mangou veille encore longtemps sur lui.
Venance Konan, écrivain
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