Hier, c’était la journée internationale de la liberté de la presse. Aujourd’hui, l’adresse du ministre de la Communication.
La liberté de la presse fait l’objet de commentaires quotidiens dans la quasi-totalité des pays du monde. D’un côté il y a ceux qui essaient de la respecter, de l’autre, ceux qui tentent de justifier leur attitude parfois défavorable à son encontre.
Presse,Démocratie, Liberté. Juxtaposer des concepts véhiculés par ce triptyque peut paraître naturel. L’intérêt parfois excessif porté à la presse est, tout à la fois, un atout et une contrainte majeure pour les acteurs des médias. Le poids de la presse dans la fabrication sinon de l’opinion, du moins dans la perception de la réalité sociopolitique, est désormais surdéterminant. Pourtant, en dépit des plaintes et complaintes, la liberté d’édition est en passe de devenir une réalité irréversible. Aucun homme politique ne remet en cause le principe de cette liberté. Certes, de fortes démangeaisons de censure travaillent épisodiquement ou en permanence certains responsables agacés. Mais ils y résistent, parfois au prix d’efforts surhumains. Mais enfin, ils y résistent.
Pour la plupart d’entre nous, la liberté de presse est une chose octroyée selon leur bon vouloir ou leur intérêt par les pouvoirs publics. Une telle idée n’est pas entièrement fausse. Cependant, s’il est vrai que les Etats ont, par le passé, disposé de moyens presque illimités pour délimiter la liberté de presse, il n’en demeure pas moins que la situation a beaucoup évolué. L’irruption simultanée de Nouvelles technologies, l’aspiration démocratique, l’éveil des consciences à la liberté sont autant d’éléments qui, aujourd’hui rendent difficiles, sinon vaines les tentatives de censure. Si donc des Etats continuent de menacer cette liberté, ils sont de plus en plus confrontés à la vigilance générale. A contrario, d’autres types de menaces insidieuses pèsent sur la liberté de la presse. Menaces de nature et d’intensités variables qui placent différents acteurs face à leur responsabilité. Ces acteurs sont l’Etat et les institutions, les professionnels eux-mêmes ; les forces économiques, lancées dans une compétition exacerbée et n’hésitant pas à réclamer parfois des médias, de l’ostracisme contre leurs concurrents. Voire l’opinion et les lecteurs qui sont les ultimes instances de validation des choix éditoriaux. Or, tout en faisant mine de réprouver les dérives, surtout celles touchant à la vie privée, le lecteur s’en repaît bien souvent, pourvu que cela concerne d’autres personnes. C’est un signal d’adhésion ainsi adressé à l’éditeur impécunieux qui croit trouver la clé de la prospérité. Chacun de ces acteurs a donc une grande responsabilité.
Malgré tout, dès lors qu’un retour en arrière ne s’envisage pas, il leur reste à réaliser la plus ardue des tâches : consolider, défendre, pérenniser la liberté de la presse. Que dire de l’Etat lui-même qui a longtemps alterné, vis-à-vis de la presse, indifférence lasse et volontarisme un peu brouillon ? Au point que des projets majeurs qui auraient permis une bonne structuration du secteur sont restés en rade parfois pendant plus d’une décennie. Il est juste cependant de dire que l’Etat ivoirien a fait une large part de ce qui dépend de lui. La loi du 14 décembre 2004 élaborée et votée dans des conditions si particulières, si elle est loin d’être parfaite, ne recèle pas moins des avancées importantes dans le domaine de la liberté, de la suppression de la peine privative de liberté. Sur ce dernier point, l’on sait parfaitement que, aussi bien parmi l’élite que dans la population, il existe une sorte d’incompréhension et même de rejet. Certains n’hésitant pas à attribuer les dérives de la presse à ce qu’ils considèrent comme une forme d’impunité. Mais, comme cela s’est passé ailleurs avec la peine de mort, il faut aller quand cela est nécessaire contre l’opinion générale. Cela n’est pas toujours commode dans l’instant, mais est très bénéfique sur la longue durée. Ceux qui ont supprimé la peine d’emprisonnement ont donc bien fait. Leur mérite est d’autant plus grand qu’ils l’ont fait dans une période qui pouvait, au contraire, inciter à plus de limitations.
L’autre élément majeur de cette loi, c’est bien évidemment la dimension économique de la presse qui est mieux affirmée, notamment par l’émergence de la notion d’entreprise de presse par un réaménagement du système déclaratif. Mais surtout en ce qu’elle donne une envergure certaine au Fonds de développement de la presse. Là aussi, on entend dire qu’il n’y a aucune raison de soutenir financièrement la presse. Surtout quand elle est si peu professionnelle et indocile. Mais si. Il faut aider la presse pour plusieurs raisons dont celles-ci : les mêmes logiques qui fondent le soutien de l’Etat aux institutions démocratiques peuvent être invoquées ici. En outre, la presse et les arts connexes sont parmi les rares secteurs créateurs d’emplois depuis la fin des années 1980. L’avènement de la téléphonie cellulaire a gonflé, entre temps, une nouvelle bulle de plus grande ampleur.
Il est vrai qu’une certaine approche anglo-saxonne veut que la presse n’accepte rien de l’Etat, sauf à accepter en même temps de perdre une part de son indépendance. Cela se conçoit aisément et la plupart des éditeurs aimeraient bien se passer de ce soutien. Mais, dans nos pays, ce secteur naissant a besoin d’être consolidé, dans une situation où l’Etat seul peut être une garantie contre les mainmises diverses sur l’opinion. Au demeurant, des exemples d’aide à la presse dans des pays de vieilles traditions laissent voir que l’intervention de l’Etat n’est pas forcément un troc contre un assouplissement de la ligne éditoriale. Il n’ y a pas de complexe à avoir. Aucune presse ne s’est développée sans une bienveillance de l’Etat. Et dans ces pays où la presse a plusieurs siècles d’existence, les aides se comptent encore par dizaines de guichets, parfois cumulables. L’Etat a également donné quelques moyens d’actions aux instances de régulation. Mais la régulation dans notre contexte où tant de choses sont dérégulées est une rude tâche ; dans le cas de la presse écrite, il s’agit même d’un défi incessant.
Cependant, la destinée de la presse n’est pas, heureusement, uniquement entre les mains de l’Etat. La liberté de la presse dépend de nombreux autres acteurs. Qui pourrait d’ailleurs mieux revendiquer le rôle de gardiens de la liberté de la presse que les journalistes eux-mêmes ? Mais cela ne se limite pas à énoncer : liberté, liberté, mais consiste aussi à veiller à la qualité éditoriale, au respect de l’éthique et des normes professionnelles connues de tous. Les risques d’un retour en arrière, en matière de Liberté, ne sont pas nuls tant que certaines incongruités éditoriales donneront des raisons d’abord à l’opinion et ensuite à quelque législateur furieux que trop de liberté a été octroyée.
Ce genre de mouvement de balancier n’est pas rare. C’est pour cela que les vrais défenseurs de la liberté de la presse devraient insister sur la part revenant aux professionnels. Il ne sert à rien d’encourager certains excès lorsqu’on sait que cela peut préparer l’opinion à des remises en cause. La presse ne devrait donc rien négliger pour garder l’élégance éthique qui est sa meilleure alliée. La journée du 3 Mai, si joyeusement fêtée, a été créée pratiquement sur mesure pour les pays africains. Cela transparaît clairement dans sa déclaration de naissance à Windhoek en 1991. Mais ce que l’on ne dit pas assez, est que cette déclaration interpellait l’ensemble des acteurs : les Etats bien sûr qui devraient désincarcérer et encourager le développement de la presse ; les professionnels des médias qui devraient améliorer leurs pratiques. Et même les organismes internationaux qui devraient apporter leur soutien au secteur de la presse. 18 ans après (l’âge de la majorité citoyenne) qui a réalisé et qui n’a pas réalisé sa part de promesse ?
Il faudra faire face, collectivement. Car parmi les exigences impossibles à sous-traiter par un pays, il y a le système médiatique. On peut s’intéresser avec délectation à ce qui se passe ailleurs, mais cela ne remplacera jamais l’information nationale. Et, quelle que soit la défiance vis-à-vis des journalistes, il n’est pas possible de les renier et d’en importer. Alors, les questions essentielles demeurent. Organiser et soutenir, former, réguler, sanctionner si nécessaire. Donner une plus grande perspective, lutter contre la précarité des journalistes en augmentant l’estime qu’ils doivent avoir d’eux-mêmes. Pour autant que cela soit convertible en capacité professionnelle. Toutes ces variables -qui dépendent de tant de gens- mises ensemble concourent à défendre, au-delà de la pétition de principe, la liberté de la presse.
Ibrahim Sy Savané
Ministre de la Communication.
La liberté de la presse fait l’objet de commentaires quotidiens dans la quasi-totalité des pays du monde. D’un côté il y a ceux qui essaient de la respecter, de l’autre, ceux qui tentent de justifier leur attitude parfois défavorable à son encontre.
Presse,Démocratie, Liberté. Juxtaposer des concepts véhiculés par ce triptyque peut paraître naturel. L’intérêt parfois excessif porté à la presse est, tout à la fois, un atout et une contrainte majeure pour les acteurs des médias. Le poids de la presse dans la fabrication sinon de l’opinion, du moins dans la perception de la réalité sociopolitique, est désormais surdéterminant. Pourtant, en dépit des plaintes et complaintes, la liberté d’édition est en passe de devenir une réalité irréversible. Aucun homme politique ne remet en cause le principe de cette liberté. Certes, de fortes démangeaisons de censure travaillent épisodiquement ou en permanence certains responsables agacés. Mais ils y résistent, parfois au prix d’efforts surhumains. Mais enfin, ils y résistent.
Pour la plupart d’entre nous, la liberté de presse est une chose octroyée selon leur bon vouloir ou leur intérêt par les pouvoirs publics. Une telle idée n’est pas entièrement fausse. Cependant, s’il est vrai que les Etats ont, par le passé, disposé de moyens presque illimités pour délimiter la liberté de presse, il n’en demeure pas moins que la situation a beaucoup évolué. L’irruption simultanée de Nouvelles technologies, l’aspiration démocratique, l’éveil des consciences à la liberté sont autant d’éléments qui, aujourd’hui rendent difficiles, sinon vaines les tentatives de censure. Si donc des Etats continuent de menacer cette liberté, ils sont de plus en plus confrontés à la vigilance générale. A contrario, d’autres types de menaces insidieuses pèsent sur la liberté de la presse. Menaces de nature et d’intensités variables qui placent différents acteurs face à leur responsabilité. Ces acteurs sont l’Etat et les institutions, les professionnels eux-mêmes ; les forces économiques, lancées dans une compétition exacerbée et n’hésitant pas à réclamer parfois des médias, de l’ostracisme contre leurs concurrents. Voire l’opinion et les lecteurs qui sont les ultimes instances de validation des choix éditoriaux. Or, tout en faisant mine de réprouver les dérives, surtout celles touchant à la vie privée, le lecteur s’en repaît bien souvent, pourvu que cela concerne d’autres personnes. C’est un signal d’adhésion ainsi adressé à l’éditeur impécunieux qui croit trouver la clé de la prospérité. Chacun de ces acteurs a donc une grande responsabilité.
Malgré tout, dès lors qu’un retour en arrière ne s’envisage pas, il leur reste à réaliser la plus ardue des tâches : consolider, défendre, pérenniser la liberté de la presse. Que dire de l’Etat lui-même qui a longtemps alterné, vis-à-vis de la presse, indifférence lasse et volontarisme un peu brouillon ? Au point que des projets majeurs qui auraient permis une bonne structuration du secteur sont restés en rade parfois pendant plus d’une décennie. Il est juste cependant de dire que l’Etat ivoirien a fait une large part de ce qui dépend de lui. La loi du 14 décembre 2004 élaborée et votée dans des conditions si particulières, si elle est loin d’être parfaite, ne recèle pas moins des avancées importantes dans le domaine de la liberté, de la suppression de la peine privative de liberté. Sur ce dernier point, l’on sait parfaitement que, aussi bien parmi l’élite que dans la population, il existe une sorte d’incompréhension et même de rejet. Certains n’hésitant pas à attribuer les dérives de la presse à ce qu’ils considèrent comme une forme d’impunité. Mais, comme cela s’est passé ailleurs avec la peine de mort, il faut aller quand cela est nécessaire contre l’opinion générale. Cela n’est pas toujours commode dans l’instant, mais est très bénéfique sur la longue durée. Ceux qui ont supprimé la peine d’emprisonnement ont donc bien fait. Leur mérite est d’autant plus grand qu’ils l’ont fait dans une période qui pouvait, au contraire, inciter à plus de limitations.
L’autre élément majeur de cette loi, c’est bien évidemment la dimension économique de la presse qui est mieux affirmée, notamment par l’émergence de la notion d’entreprise de presse par un réaménagement du système déclaratif. Mais surtout en ce qu’elle donne une envergure certaine au Fonds de développement de la presse. Là aussi, on entend dire qu’il n’y a aucune raison de soutenir financièrement la presse. Surtout quand elle est si peu professionnelle et indocile. Mais si. Il faut aider la presse pour plusieurs raisons dont celles-ci : les mêmes logiques qui fondent le soutien de l’Etat aux institutions démocratiques peuvent être invoquées ici. En outre, la presse et les arts connexes sont parmi les rares secteurs créateurs d’emplois depuis la fin des années 1980. L’avènement de la téléphonie cellulaire a gonflé, entre temps, une nouvelle bulle de plus grande ampleur.
Il est vrai qu’une certaine approche anglo-saxonne veut que la presse n’accepte rien de l’Etat, sauf à accepter en même temps de perdre une part de son indépendance. Cela se conçoit aisément et la plupart des éditeurs aimeraient bien se passer de ce soutien. Mais, dans nos pays, ce secteur naissant a besoin d’être consolidé, dans une situation où l’Etat seul peut être une garantie contre les mainmises diverses sur l’opinion. Au demeurant, des exemples d’aide à la presse dans des pays de vieilles traditions laissent voir que l’intervention de l’Etat n’est pas forcément un troc contre un assouplissement de la ligne éditoriale. Il n’ y a pas de complexe à avoir. Aucune presse ne s’est développée sans une bienveillance de l’Etat. Et dans ces pays où la presse a plusieurs siècles d’existence, les aides se comptent encore par dizaines de guichets, parfois cumulables. L’Etat a également donné quelques moyens d’actions aux instances de régulation. Mais la régulation dans notre contexte où tant de choses sont dérégulées est une rude tâche ; dans le cas de la presse écrite, il s’agit même d’un défi incessant.
Cependant, la destinée de la presse n’est pas, heureusement, uniquement entre les mains de l’Etat. La liberté de la presse dépend de nombreux autres acteurs. Qui pourrait d’ailleurs mieux revendiquer le rôle de gardiens de la liberté de la presse que les journalistes eux-mêmes ? Mais cela ne se limite pas à énoncer : liberté, liberté, mais consiste aussi à veiller à la qualité éditoriale, au respect de l’éthique et des normes professionnelles connues de tous. Les risques d’un retour en arrière, en matière de Liberté, ne sont pas nuls tant que certaines incongruités éditoriales donneront des raisons d’abord à l’opinion et ensuite à quelque législateur furieux que trop de liberté a été octroyée.
Ce genre de mouvement de balancier n’est pas rare. C’est pour cela que les vrais défenseurs de la liberté de la presse devraient insister sur la part revenant aux professionnels. Il ne sert à rien d’encourager certains excès lorsqu’on sait que cela peut préparer l’opinion à des remises en cause. La presse ne devrait donc rien négliger pour garder l’élégance éthique qui est sa meilleure alliée. La journée du 3 Mai, si joyeusement fêtée, a été créée pratiquement sur mesure pour les pays africains. Cela transparaît clairement dans sa déclaration de naissance à Windhoek en 1991. Mais ce que l’on ne dit pas assez, est que cette déclaration interpellait l’ensemble des acteurs : les Etats bien sûr qui devraient désincarcérer et encourager le développement de la presse ; les professionnels des médias qui devraient améliorer leurs pratiques. Et même les organismes internationaux qui devraient apporter leur soutien au secteur de la presse. 18 ans après (l’âge de la majorité citoyenne) qui a réalisé et qui n’a pas réalisé sa part de promesse ?
Il faudra faire face, collectivement. Car parmi les exigences impossibles à sous-traiter par un pays, il y a le système médiatique. On peut s’intéresser avec délectation à ce qui se passe ailleurs, mais cela ne remplacera jamais l’information nationale. Et, quelle que soit la défiance vis-à-vis des journalistes, il n’est pas possible de les renier et d’en importer. Alors, les questions essentielles demeurent. Organiser et soutenir, former, réguler, sanctionner si nécessaire. Donner une plus grande perspective, lutter contre la précarité des journalistes en augmentant l’estime qu’ils doivent avoir d’eux-mêmes. Pour autant que cela soit convertible en capacité professionnelle. Toutes ces variables -qui dépendent de tant de gens- mises ensemble concourent à défendre, au-delà de la pétition de principe, la liberté de la presse.
Ibrahim Sy Savané
Ministre de la Communication.