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Société Publié le vendredi 29 mai 2009 | Le Repère

Jacob Adjobi (Photographe d’Houphouët-Boigny) : “J`ai été menacé de mort”

Autodidacte, passionné de photographie, Jacob Adjobi a passé toute sa vie a chassé des images. Un métier qu'il a appris pour la simple raison qu'il voulait s'approcher de celui qu'il a servi loyalement pendant 28 ans ; Houphouët-Boigny. Le quotidien pro-gouvernemental “Fraternité Matin” où Adjobi a travaillé pendant 34 ans a reconnu le mérite du photographe en donnant son nom à une salle de cette rédaction le 1er février 2007. Dans cette interview, il fait des révélations sur l'époque où il a servi les Présidents Houphouët et Bédié ?


Pouvez-vous, vous présentez aux lecteurs ?

Je suis Jacob Adjobi, l'un des premiers photographes de “Fraternité Matin”. J'ai débuté ma carrière dans ce quotidien en 1964. J'y ai passé 34 ans c'est-à-dire de 1964 à 1998. Et c'est à cette date que j'ai pris ma retraite. Je suis père de 18 enfants.


Avez-vous fait des études de photographie ?

Je suis devenu photographe parce que je voulais m'approcher d'Houphouët-Boigny. Et cela remonte en 58. Je suis né dans les années 40. Chez nous, à Bonoua précisément, quand vous êtes le premier fils de votre père vous n'avez aucune chance d'aller à l'école. En 1951, lorsque mon grand-père est décédé, je suis resté auprès de sa femme qui s'appelle Elisabeth Kokogny. En 58, j'ai appris que le général De Gaulle venait en Côte d'Ivoire. J'ai tout fait pour être parmi la délégation des danseurs qui devaient accueillir De Gaulle. Arrivé à l'aéroport, j'ai été écarté parce que je n'avais pas d'uniforme. Mais, je suis monté sur un mur pour voir De Gaulle descendre de l'avion. Lorsqu'il est descendu, j'ai vu un photographe s'approcher d'Houphouët-Boigny. Il s'appelait Kouassi Kouassi Robert. Je me suis dit si je devenais photographe, j'approcherais Houphouët un jour. Revenu à Bonoua, j'ai préparé mon voyage sur Abidjan pour apprendre la photographie pendant trois ans (de 58 à 61). J'ai pu économiser 35.000F. Je me suis donc rendu à Abidjan, chez mon oncle. Il y résidait depuis 1958. Je lui ait expliqué mon projet de devenir photographe pour rencontrer Houphouët. J'ai commencé mon apprentissage à "Abidjan Matin" par l'intermédiaire de Paul Kodjo. "Abidjan Matin" était à l'époque le seul quotidien en Côte d'Ivoire. Il appartenait à des français. C'est ainsi que j'ai appris à faire des reportages. Comme j'aimais bien le football, j'allais au stade pour prendre des photos que je revendais. J'ai pu m'acheter mon premier appareil photo à 80.000F. En 64, Diomandé Etouba m'a informé qu'il y avait un journal qui allait sortir. Ce sera un journal du PDCI qui va remplacer "Abidjan Matin". Il m'a conseillé d'aller me renseigner.

On m'a dit qu'effectivement il y aurait un nouveau journal sur le marché, mais que les techniciens ont été envoyés en France pour suivre une formation. On m'a demandé de revenir.
En novembre, je suis revenu. On m'a alors demandé mes diplômes. Comme je n'avais même pas le CEPE, mon test a échoué. Mais Fologo, qui était le rédacteur en chef du journal, m'a tendu une perche que j'ai su saisir.


A l'époque, quel était votre salaire en tant que photographe ?

Quand j'ai été confirmé par Laurent Dona Fologo, j'avais un salaire de 25.000F. A l'époque, c'était beaucoup. En mai 1965, Fologo qui suivait bien mon travail m'a nommé chef de service.


Combien étiez-vous au service photo ?

Nous étions trois : Akassou Basile, Etienne Nagbo et moi.


Vous n'êtes pas allé à l'école, mais vous avez été nommé chef de service. Les autres étaient-ils allés à l'école ?

Concernant les deux autres, Fologo ne s'est pas basé sur leur diplôme pour les recruter, mais plutôt sur leur conscience professionnelle. Akassou Basile avait le CEPE et Etienne Nagbo, le BEPC. Son choix s'est porté sur moi pour mon sérieux et ma disponibilité. Par souci d'honnêteté, je me suis rendu dans le Bureau de Fologo pour lui dire ceci : "Chef, vous m'avez nommé en tant que chef de service alors que je ne sais pas écrire. Comment vais-je rédiger les rapports ? ". Il m'a rassuré en me disant que si je voulais faire un rapport de venir à son bureau pour le faire oralement ou de voir sa secrétaire qui se chargerait de le rédiger. A moi de le signer avant de lui remettre le rapport.


Ça a toujours marché comme ça ?

Oui, pendant 10 ans. Tous ceux qui sont venus après lui ont suivi son exemple.


Après avoir été nommé chef de service, pourquoi n'avez-vous pas essayé de vous inscrire en cours du soir pour avoir un certain niveau ?

Je me suis dit que c'était un peu tard. J'ai donc mis l'accent sur la pratique et la connaissance. Bien que je ne sache pas lire, Fologo m'envoyait partout dans le monde et je m'en sortais.


Vous voyagez généralement avec Houphouët-Boigny ?

De 1965 à 1993, j'étais dans le sillage du président Houphouët lors de ses voyages. Que ce soit à New York, à Paris…

En 1965, Fologo m'a nommé photographe des voyages présidentiels. Et là encore je lui ai fait part de mes appréhensions. Il m'a répondu qu'il ne m'envoyait pas au palais présidentiel pour faire des discours, mais pour prendre des photos.


Quel est votre meilleur souvenir dans le métier et avec le Président Houphouët-Boigny, ainsi que votre mauvais souvenir ?

Mon meilleur souvenir dans le métier, c'est mon reportage sur le Pape Jean Paul II parce qu'on m'avait toujours dit que pour voir le Pape, il fallait aller à Rome. En juillet 1969, Houphouët était à Paris. Il devait se rendre à Rome. Pendant ce temps, j'étais à Bonoua. Fologo a envoyé des gens pour me faire partir à Rome. Mais au Vatican, nulle part il était mentionné que Houphouët était accompagné d'un photographe. Le protocole du Vatican étant très strict, on m'a fait revenir à Abidjan sans que je ne voie le Pape.

11 ans plus tard, le 10 mai 80, le Pape est venu à Abidjan. J'ai prié Dieu pour ne pas être malade. Auguste Miremont m'a désigné pour être parmi les photographes qui devaient approcher le pape. Ce jour là, à 16h j'ai pu photographier le Pape avec Houphouët-Boigny. Amadou Thiam nous a demandé la plus belle photo du Pape avec Houphouët-Boigny et l'une de mes photos a été choisie.


Et vos mauvais souvenirs ?

Je n'en ai pas eu beaucoup.


Pouvez-vous citer quelques uns ?

En 1973, lors de la fête nationale à Abidjan, j'ai cru bon de monter sur la tribune après le défilé pour fixer l'image du général qui a dirigé le défilé en train de saluer le président, mais un garde du corps du ministre M'bahia Blé m'a pris par la ceinture pour me jeter hors du lieu de la cérémonie.
En 1967, la côte d'Ivoire était en conflit avec la Guinée. Sékou Touré avait arrêté des jeunes "Kamano". Lorsqu'une délégation guinéenne a fait escale à l'aéroport d'Abidjan, les autorités ivoiriennes informées, ont décidé de l'arrêter. Lassina Biagovi, ministre des Affaires étrangères, et Oscar Maroff, ambassadeur de l'ONU, ont été arrêtés. On m'a chargé d'aller les photographier. Après avoir pris leur photo, Oscar Maroff a fait sortir son révolver et m'a dit : " Donne moi le film ou je te tue" devant les gendarmes qui étaient là. J'ai eu le réflexe de lui donner un film vierge. Le lendemain, lorsqu'il a vu sa photo dans le journal, il a envoyé quelqu'un pour me féliciter.


Aujourd'hui, quels sont vos rapports avec les dirigeants de "Fraternité Matin" ?

Nos rapports sont très bons et je tiens à remercier Jean Baptiste Akrou. Il m'a appelé comme consultant 10 ans après ma retraite. Honorat De Yédagne, sur proposition de J. B AKrou voulait informatiser le service photo de Frat-Mat. Il m'a demandé d'aider les gens à identifier et à scanner les photos que j'ai faites depuis 1964.

En 1987, lorsque j’étais malade, Jean Baptiste Akrou s'est occupé personnellement de moi. Je voudrais profiter de l'occasion pour remercier une autre personne qui m'a beaucoup aidé : Laurent Dona Fologo.


Etes-vous militant du Pdci-Rda ?

J'ai passé toute ma carrière auprès d'Houphouët-Boigny. Et qui dit Houphouët-Boigny dit le Pdci. Donc, j'ai de bons rapports avec les membres du Pdci.


L'on voudrait savoir si vous êtes militant ou sympathisant du Pdci ?

Je suis sympathisant. Je signale que quand j'étais dans le coma le professeur Alphonse Djédjé Mady a dit à ma sœur qu'il reviendra me voir après le coma. Trois jours plus tard, j'ai repris connaissance. Il m'a ensuite aidé financièrement en tant que professeur Djédjé Mady et comme un membre du PDCI.


Peut-on savoir pourquoi l'on vous appelle Monument, historien, agenda ?

Tout simplement parce que j'ai encore en mémoire toutes les activités que j'ai couvertes pendant 40 ans. Et je sais exactement à quelle date l'élément est passé.


Qu'est-ce que vous reprochez aux jeunes photographes aujourd'hui ?

Je ne peux pas leur reprocher quelque chose parce que je ne suis plus dans le milieu. Donc je ne sais pas ce qu'ils font.


Vous voyez des photos dans les journaux. Vous pouvez faire des critiques…

Ce n'est pas la même chose. Aujourd'hui, ils utilisent des photos numériques. C'est l'ordinateur qui fait tout. Ce qui fait que la qualité de leurs photos est différente des nôtres..


Et votre santé, ça va ?

Je viens de sortir de l'hôpital encore. Ça va un peu. Sinon, c'est difficile. Les gens critiquent les médecins, je trouve que ce n'est pas juste parce qu'ils tiennent notre vie entre leurs mains lorsque vous êtes au bloc opératoire. Les médecins qui m'ont suivi pendant 3 ans au CHU de Cocody ont été sympas. Surtout le professeur urologue Maza Konan avec son équipe, Dr. Kouamé Benjamin du 8ème étage du chu de Cocody.


Vous avez déjà subi une opération ?

Oui, deux fois. Au niveau de la prostate et une opération, d'hernie.


Ça va mieux ?
Oui.

Vous respirez donc la grande forme ?
Oui, mais je n'ai plus mes 20 ans.


Que devient ce grand Jacob Adjobi, aujourd'hui ?
Je suis planteur de cacao derrière Alépé.


Qu'est-ce que votre métier de photographe vous a apporté ?

Je suis l'un des anciens travailleurs de Frat-Mat et le plus heureux. J'ai travaillé régulièrement pendant 34 ans. J'ai pu construire une villa à Bonoua et acheter une maison à abidjan. En plus, Jean Baptiste Akrou m'a immortalisé. Alors qu'en Côte d'Ivoire, c'est quand tu meures qu'on pense à toi. Mon souhait est que le Tout-puissant me donne quelques mois encore pour pouvoir participer au 45ème anniversaire de Frat-Mat prévu pour décembre prochain.


Vous percevez régulièrement votre pension ?
Oui. Mais ce n'est rien.

Etes-vous prêt, aujourd'hui, à reprendre le métier de photographe?
Non. Mais je suis en train de rassembler toutes les photos que j'ai faites durant ma carrière. Dans ma carrière, j'ai pu photographier 5 présidents français.


N'envisagez-vous pas de publier un ouvrage ?
Après 20 ans au service d'Houphouët-Boigny, j'ai décidé de faire un ouvrage en 1985. J'ai réuni toutes les photos que j'ai faites à Houphouët. Il y en avait 300. De jeunes frères ont écrit les textes.

De quel parti politique êtes-vous aujourd'hui ?
Est-ce que je peux changer de papa ? Non. J'ai travaillé auprès d'Houphouët-Boigny pendant 30 ans, où vous voulez que je milite à mon âge ?

Quel est le regard de celui qui a travaillé avec le père de la nation ivoirienne, sur le Pdci. Les forces et les faiblesses du parti ?
Je regarde comme tout le monde.

Quel est ce regard ?
Je regarde tout ce qui se passe.

Et qu'est-ce que vous voyez ?
Je n'assiste pas aux réunions, c'est donc difficile pour moi de me prononcer sur ce qui se passe. Mais, je reste Pdci. Et personne ne peut m’enlever ça.

Des partis politiques n'ont-ils pas tenté de vous débaucher ?
Non. On connaît ma mentalité, on ne peut pas m'approcher. J'ai une idée arrêtée donc on ne peut pas me convaincre. Je suis toujours resté fidèle à mes principes et à mes idéaux. L'équipe que je supporte, c'est l'Africa sports national. Tous mes parents supportent l'Asec, mais je n'ai jamais changé de club.

Ce n'est pas pour vous insulter, mais ne dit-on pas que seuls les imbéciles ne changent pas ?
Ce n'est pas parce qu'il y a un nouveau parti que je vais renier le Pdci.

Même si le Pdci connaît des faiblesses, vous allez rester toujours Pdci ?
Je suis né Pdci, c'est tout.

Que pensez-vous de la politique nationale, de la gestion du pays… ?
Je regarde ça de loin comme tout le monde.

C'est quand même étrange qu'une personne de la trempe d'Adjobi ne se prononce pas sur la vie de pays ?
Je peux parler d'Houphouët-Boigny pendant toute la journée. Le reste ne m'intéresse pas

Quels ont été vos rapports avec le Président Bédié ?
Au décès d'Houphouët-Boigny, j'ai servi Bédié pendant 2 ans. C'est tout.

Quels ont été vos rapports pendant ces 2 ans ?
C'était bien. Mais depuis que je suis à la retraite, je ne l'ai plus vu. Donc on n'a pas de contact.

Houphouët vous a-t-il reçu ?
Oui. Quand on va à l'étranger, il nous appelle pour discuter comme tout le monde. Grâce à son seul nom, j'ai bénéficié de beaucoup de choses.

Vous n'avez pas cherché à voir Bédié ?
Je ne cherche pas à voir les gens. Quand je suis malade, la seule personne qui m'aide c'est Fologo. Je lui dois tout. Je remercie Jacques Anouma qui m'a fait l'honneur en octobre 2006 en mettant dans le comité national des 50 ans de la Caf où j'étais chargé d'exposer les photos des anciens joueurs.

Vous aviez eu une très longue et riche carrière professionnelle, n'avez-vous pas estimé que vous devriez être décoré ?

J'ai été décoré deux fois par le président Houphouët- Boigny . La première fois c'était en 1974 lors du 10eme anniversaire de Fraternité Matin. En 1984 lors des 20 ans du même journal. Je était fait successivement chevalier de l'ordre national et officier. Sous la transition militaire, j'ai été décoré par Guéi Robert. Et sous le régime de Gbagbo, j'ai été proposé. Mais un léger malentendu avec le Grand chancelier de l'ordre national, M. Koné Issouf a retardé cette décoration. Et j'avoue que j'avais tenu des propos très discourtois à l'egart du Grand Chancelier, le général Koné Issouf. Des propos que j'ai prononcés sans arrière pensé. Je profite donc de cette interview pour lui présenter toutes mes sincères excuses. Depuis Mai 2008, j'ai demandé en vain une audience afin de présenter mes excuses en face du général Koné. Je lui dit aussi que j'attend ma décoration et qu'il ne tienne pas compte de ce que je lui ait dit.

M. Adjobi, vous avez servi le Président Houphouët-Boigny puis le Président Bédié. Mais, il y a eu cette photo qui a été publiée dans les journaux bleus par le passé qui a créé assez de polémique. Qu'est-ce qui s'est passé ? Aujourd'hui, vous êtes un témoin vivant, donnez-nous votre version des faits.

Pendant toute ma carrière, je n'ai suivi que des chefs d'Etat. En 94, j'ai accompagné Bédié en France lors de la fête nationale française. A cette époque, Chirac était le maire de Paris et président du Rpr. C'est à ce titre qu'il est venu rendre visite au Président Bédié. J'ai pris la photo et elle est passée dans le journal en juillet 94. Il n'y avait rien. En 1995, le président est retourné encore à Paris. On n'avait pas envoyé de photographe. C'est ainsi qu'on a utilisé les photos que j'avais faites en 94. La photo est passée et c'est là que des gens ont cru voir des choses. Il n'en était rien parce que c'était l'ombre des plies de son pantalon. C'est tout. C'est à cause des commentaires que cela a suscités que je me suis retiré de la présidence.


Est-ce que le Président Bédié et vous aviez eu l'occasion d'en parler ?

J'ai eu à en discuter avec son attaché de presse, Jésus Kouassi Yobouet. On a agrandi la photo pour la publier dans le journal afin de faire taire les mauvaises langues.

Interview réalisée par Foumséké Coulibaly
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