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International Publié le mercredi 3 juin 2009 | Fraternité Matin

Guinée/ Lansana Kouyaté(Ancien Premier ministre de la Guinée) : “Le coup d’état, c’était le passage obligé”

Lansana Kouyaté a dirigé un gouvernement d’union nationale dans son pays en 2007. Aujourd’hui, il vise la magistrature suprême.

Vous n’avez pas été remplacé à la tête de l’OIF en Côte d’Ivoire depuis votre départ pour la primature en Guinée. Est-ce à dire que l’Organisation de la francophonie considère que la situation en Côte d’Ivoire est suffisamment stable ?

Il appartient au président Diouf et au Conseil des ministres de la Francophonie de décider. C’est vrai, je n’ai pas été remplacé depuis que j’ai quitté le poste. Je crois qu’on a compris qu’il y a eu du progrès réalisé, parce que la situation aujourd’hui n’est en rien comparable à ce qu’elle était il y a trois ans. Quand une organisation constate cela, elle se dit simplement qu’on peut aider à distance et que ce n’est plus la peine d’avoir un bureau. La sécurité des pays revient en première instance au Conseil de sécurité des Nations unies. L’Onu ne peut pas se désengager comme se désengageraient les autres organisations. Ce n’est pas une compétition, mais lorsqu’on voit que la situation avance, toutes les autres organisations sont libres de juger le moment de leur retrait. Cela ne veut pas dire que la Francophonie s’est totalement retirée de Côte d’Ivoire. Les missions continuent, les contacts également entre le président Diouf et les autorités ivoiriennes. Vous savez qu’il a été l’une des personnalités à venir rendre visite à la Côte d’Ivoire, au pire moment de la crise. Il continuera cela. C’est un homme de grande sagesse, qui a la confiance des parties ivoiriennes. Ce n’est pas mon départ qui va arrêter cela.

M. Lansana Kouyaté, à 59 ans, vous décidez de briguer la magistrature suprême en Guinée. A quoi cela répond-il ?

Je voudrais d’abord dire que j’ai décidé de créer un parti et le parti désignera son candidat. Je serai candidat à la candidature. Si je suis choisi par mon parti, c’est que je briguerai la magistrature suprême. Le fait nouveau, ce n’est pas la candidature, c’est la création du parti. Et donc, je ramène votre question à celle-là : à quoi est due la création du Parti de l’espoir pour le développement national (Pedn) ?

Allez-y donc !

J’ai été Premier ministre. J’ai commencé un travail qui a produit des résultats tangibles, appréciés par les populations. La pression dans la vie d’un homme, c’est une réalité. J’ai subi des pressions, et c’était aussi ma profonde conviction que nous pouvions apporter notre contribution à l’édification de ce pays.

Qu’apportez-vous?

Ce que j’apporte, c’est d’abord l’espoir. J’ai trouvé en 2007, un peuple en proie à la panique, à la haine, à l’angoisse. Un peuple qui avait été meurtri par des journées de grèves et d’affrontements. Le peuple avait une sorte de gueule de bois, au sortir de toutes ces épreuves. C’est le même état léthargique qui a continué après mon départ. Le parti veut donc susciter l’espoir chez ce peuple-là, qui a un potentiel énorme dans tous les domaines. Le parti veut le faire, en fonction de ses convictions, de son idéologie, de son orientation et surtout du programme d’actions qu’il aura dans les jours à venir.

On peut vous reprocher de n’avoir pas pris cette initiative un peu plus tôt. Pourquoi avoir attendu jusqu’à maintenant ?

Un peu plus tôt, c’est-à-dire quand?

Il y a longtemps qu’existent les problèmes dont vous parlez en Guinée…

Les problèmes de la Guinée existent depuis cinquante ans, si vous voulez qu’on aille en arrière. Il y a l’eau, l’électricité, tout comme le chômage des jeunes, la justice sociale, les questions de la santé et des routes. Tout est à faire… Mais l’homme a sa carrière. J’étais à l’extérieur, j’étais ambassadeur de Guinée. Toute choses qui étaient incompatibles avec la création d’un parti politique. Ensuite, j’étais aux Nations unies, représentant spécial du Secrétaire général dans des zones de conflit, ce qui était également incompatible avec la création d’un parti. J’étais aussi sous-secrétaire général des Nations unies, secrétaire exécutif de la Cedeao, représentant de la Cedeao… Tout cela est incompatible avec la création d’un parti. C’est quand j’ai été libéré, avec la mort du président (Lansana Conté, Ndlr), et sur la base des pressions d’une bonne partie de la population, et cela en conformité avec mes profondes convictions, que je me suis lancé dans cette initiative. Quand j’étais Premier ministre, j’ai organisé un séminaire à Bel Air, une cité balnéaire à 2h30 de Conakry, pour nous permettre de réfléchir profondément sur l’état de la Guinée.

A part la population, quels sont vos soutiens ?

Mon soutien, c’est la population.

Rien que la population ?

Oui, c’est la population. C’est la base de toute légitimité.

M. Kouyaté, vous n’avez pas condamné ce qu’on a appelé le coup d’Etat, après la mort du président Conté. Avez-vous quelque chose à reprocher au défunt Chef de l’Etat, par exemple de vous avoir démis ?

Non, pas du tout ! La preuve est que je n’ai pas parlé, sept mois durant, après mon départ. Ecoutez, c’est parce qu’on veut rendre tout cela dramatique, qu’on croit que ça l’est. Un Premier ministre qui vient doit partir un jour. Combien sont venus avant moi, et combien après ? Dans la 5e République française, le jour même où le Président vous nommait, il vous signait votre lettre de démission. L’exception s’est vérifiée une seule fois…Donc c’est la chose la plus normale qu’un Premier ministre qui est nommé soit démis, parce que ceux qui ont lutté, les syndicalistes, n’ont pas retiré au président son pouvoir de présider. Les institutions sont restées intactes.

Pourquoi alors avez-vous soutenu la junte ?

Les institutions avaient leur mandat expiré depuis deux ans, et le président de l’Assemblée nationale, avec sa majorité, bloquait toute perspective de renouvellement des instances. Nous savions pourquoi : un Président âgé, resté longtemps au pouvoir, de surcroît malade, cela mettait le président de l’Assemblée nationale dans l’expectative, d’accéder au pouvoir par la transition. En pareille circonstance, le président décède, et l’institution n’a plus de légitimité légale. Excusez-moi d’employer le terme de «légitimité légale» parce qu’il s’agit de la concordance entre le vote du peuple et la loi votée par l’Assemblée. Il n’y avait plus ni légitimité, ni légalité. Dans une telle situation, un coup d’Etat intervient, vous voulez qu’on leur dise qu’ils ont eu tort de le faire ? Alors que l’institution censée incarner la République violait allègrement les textes de cette république. Voilà pourquoi j’ai dit que c’était le passage obligé. Et tous les Guinéens ont su que c’était le passage obligé.

On peut donc dire que vos rapports avec la junte militaire au pouvoir sont très bons ?

Vous devez demander cela à la junte. Moi, j’ai exprimé mes convictions. Ce n’était pas pour conforter la junte dans une certaine position. Mais, j’ai exprimé ce que je pense réellement parce que c’était ça la radioscopie de la situation guinéenne sur le terrain.

Il est vrai que vous n’avez pas encore dit que vous êtes candidat à la présidentielle, mais tout autour de vous laisse croire que vous serez dans la course. Craignez-vous, M. Lansana Kouyaté, une candidature du Capitaine Moussa Dadis Camara?

Je ne la crains pas du tout, d’abord parce que je ne suis pas encore candidat, ensuite parce que le capitaine Dadis Camara a dit récemment au cours d’une conférence de presse qu’il ne sera pas candidat. Pourquoi vais-je craindre alors que lui-même affirme qu’il ne sera pas candidat ?

Et si malgré tout, il annonçait sa candidature, à la dernière minute, que feriez-vous ?

Quittons ce conditionnel. Avec « si », on peut mettre Abidjan dans une bouteille, comme on le dit. Ne nous mettons donc pas dans le « si ». Il a dit clairement qu’il ne sera pas candidat, et il a largement expliqué pourquoi. Nous respectons cela. Il a dit qu’il est un homme d’honneur. Effectivement, quand on est sous le drapeau, on est un homme d’honneur. Il a donné sa parole, et l’a répété plus d’une dizaine de fois, au cours de la même conférence. Quelle raison j’ai à douter ?

Vous avez dit vous-même, début avril, au cours d’une conférence de presse tenue à Conakry, que les élections sont «techniquement impossibles» en 2009. Si ce n’est pas une allégeance aux militaires qu’est-ce qui bloque ?

Ce n’est pas du tout une allégeance aux militaires. Moi, je dis toujours ce que je pense. Selon tous les rapports que j’ai lus, nous ne sommes pas encore à 27% d’enrôlés. Le fichier électoral ancien est un fichier qui a besoin d’être élagué. Certaines petites villes ont plus d’enrôlés que des grandes villes. C’est une machine électorale qui était en place. Cela ne m’épouvante pas, mais pour une fois qu’on veut faire des élections transparentes et justes, il faut savoir élaguer ce fichier et enrôler tous ceux qui peuvent voter. Je ne vois pas comment d’ici à novembre, on peut finir. L’autre raison, c’est le travail d’aseptisation de notre vie. La lutte contre la drogue. Tout le monde voyait comment la drogue circulait en Guinée, comment les narco-traficants affichaient de la superbe. Personne n’osait s’attaquer à ce problème. Les militaires sont arrivés et ils s’y sont attaqués. C’est un problème qui n’est pas facile. Nous ne pensons pas qu’ils ont déjà éradiqué le trafic, mais ils sont sur le chemin. Il y a également la restauration de l’armée. En tant que premier ministre, j’avais constaté que l’armée avait besoin d’être restructurée. Les états généraux se sont tenus et ont abouti à des conclusions dont l’application n’est pas facile. C’est en tenant compte de tout cela que j’ai dit que le temps était trop court. La démocratie ne respirera que lorsque la transition sera oxygénée.

Combien de temps vous donnez-vous pour avoir une date ?

J’appartiens désormais à un parti. Si ça ne tenait qu’à moi seul, j’allais pouvoir vous répondre. J’ai promis que le parti allait en débattre. Pour l’heure, nous sommes tombés d’accord que c’est impossible en 2009. Si le forum a lieu, nous exprimerons la position de la structure. 2010 est une date convenable, à condition que le rythme qui est pris aujourd’hui ne soit pas ralenti.

Vous avez mobilisé récemment des milliers de Guinéens résidant en Côte d’Ivoire. Que représente Abidjan pour vous ?

Ça a été un test. Mais j’ai vécu à Abidjan, deux fois au moins dans ma carrière. En tant que premier conseiller à l’ambassade de Guinée et en tant que représentant de la Francophonie dans la résolution de la crise ivoirienne. Avec Abidjan, j’ai multiplié les contacts lorsque j’étais sous-secrétaire général des Nations unies chargé des questions africaines. Tout ce que j’ai pu faire ici, au nom des Nations unies, de la Cedeao, de la Francophonie et de la Guinée, fait que j’ai quelque part le sentiment d’être dans une ville qui est la mienne. Que mes concitoyens, les Guinéens, se mobilisent de façon massive comme vous l’avez vu, cela me réconforte. Pour moi, Abidjan est une étape importante.

Quels types de rapports souhaitez-vous avoir avec les autorités ivoiriennes ?

J’ai toujours de très bons rapports avec les autorités ivoiriennes, toutes tendances confondues. Il faut dire que quand on est médiateur, si l’on s’entend avec tout le monde, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas efficace. Vous pouvez vous entendre avec tout le monde, sur le langage de la vérité. Il y a eu des choses que j’ai dites à chacune de ces parties qui les ont déconcertées, mais basées sur mes convictions.

Quoi par exemple ?

Quand la situation sera plus normale, on écrira l’histoire un jour. Mais je vous le dis : ma modeste maison (à Abidjan, Ndlr) a servi de cadre à beaucoup de réunions. Ce n’est pas de l’autosatisfaction, mais cela a beaucoup servi pour aboutir à ce que nous connaissons aujourd’hui. J’ai été à Marcoussis, à Accra, et j’ai eu la chance de connaître les acteurs avant même la crise. Cela a facilité les choses.



Interview Réalisée par Barthélemy Kouamé
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