A Man, où il séjournait depuis dimanche dans le cadre de la visite du Chef de l’état, l’ancien ministre Denis Bra Kanon, est décédé, hier, à 73 ans. Sa dépouille a été transférée à Ivosep en fin d’après-midi.
Elle est arrivée, la mort. Silencieuse, et sans crier gare. Comme trop souvent. Sur la pointe des pieds, elle s’est emparée de lui. Pourtant, on ne le savait pas malade. On l’avait même vu, sur la première chaîne, lundi dernier. Un peu amaigri, certes. C’est vrai qu’il n’avait pas parlé longtemps. Juste quelques minutes. Mais de là à penser qu’il allait s’en aller juste deux jours après…
C’est donc vrai. Denis Bra Kanon n’est plus. L’homme, dans la discrétion qui se marie avec la vie qu’il menait depuis quelques années, s’est éteint dans la nuit de mardi à mercredi. A Man. Dans la capitale des 18 Montagnes. Personne ne s’attendait à un départ aussi brusque. C’est vrai que la mort ne prévient ni celui qui part, ni ceux qui restent.
Sorti de la scène politique depuis quelques années déjà, l’homme était apparu en public, cette dernière fois, à Man. Et pour cause. Il était l’un des maîtres d’œuvre des missions d’apaisement des relations entre le Chef de l’Etat et la famille de feu le général Guéï Robert. Il était, avec Séry Gnoléba (chef de délégation), de ceux qui avait conduit des missions dans le village natal de l’ex-chef de l’Etat, Kabakouma pour préparer l’arrivée du Président de la République. C’est pour avoir joué ce rôle de conciliateur qu’il était de la tournée du Président Laurent Gbagbo.
Denis Bra Kanon n’est donc plus du monde des vivants. Mais nombreux sont les Ivoiriens qui se souviendront encore longtemps de lui. C’est qu’il aura marqué la scène politique ivoirienne. Son imposante carrure et sa longévité ministérielle firent de lui l’un des hommes qui ont laissé des empreintes - indélébiles- dans notre pays.
Après sa formation d’ingénieur agronome, il débute comme directeur général de la Société d’assistance technique pour la modernisation de la Côte d’Ivoire (Satmaci) de 1963 à 1977, vice-président de la Société tropicale d’assurances mutuelles vie (Stamvie) et administrateur de la Mutuelle agricole. De 1971 à 1977, il est également vice-président du Conseil économique et social.
En 1977, il entre au gouvernement comme ministre de l’Agriculture. Commence alors pour lui une longue carrière ministérielle; puisqu’il restera à la tête de ce département jusqu’en 1989. Un département qui, pour un temps – de 1983 à 1986 – s’occupe aussi des Eaux et Forêts.
En 1990, soit un an après sa sortie du gouvernement, il devient le président de la Société d’études et de réalisation agricoles (Sera) et est reconnu comme l’un des plus gros chargeurs de cacao et de café, à travers sa société Sicpro.
Membre du bureau politique du Pdci-Rda depuis 1975, il est élu maire de Daloa de 1980 à 1985. Puis de 1985 à 1990, avant d’être député de cette commune en 1995.
Depuis la fin de ce mandat, l’homme, de plus en plus discret, s’était effacé de la scène politique et gérait ses affaires.
Le 15 avril dernier, il convolait en justes noces avec Aka Véronique, une député qui occupe la présidence de la section ivoirienne du Réseau des femmes ministres et parlementaires (Refampci). La dernière apparition publique de cet homme, qui servit remarquablement la nation pendant de nombreuses années, ce fut à l’occasion de la première tournée du Président Laurent Gbagbo. Sa mort, brutale, nous laisse encore pantois et sous le choc.
Le Président de la République a rendu hommage à ce grand serviteur de l’Etat et salué sa mémoire. Denis Bra Kanon naquit le 4 février 1936. Son corps a été transféré à Ivosep depuis hier. Quant au programme de ses obsèques, il sera connu dans les jours à venir.
Agnès Kraidy
• Mort au service de la paix
Denis Bra Kanon, homme de paix. Véritable homme de paix. Il a lutté pour la paix, a effectué des missions de paix et en pleine célébration de cette paix retrouvée, il décède. Comme pour s’exclamer, tel le savant : «Eureka !» (j’ai trouvé) ou encore «mission accomplie, je peux me retirer».
Oui, l’ancien ministre sous Félix Houphouet-Boigny, qui s’était quelque peu éloigné de la scène politique qu’il a retrouvée ces derniers temps à la faveur de cette médiation pour la paix dans la région des 18 Montagnes, a trouvé la mort à Man. Où il séjournait depuis dimanche dans le cadre de la visite d’Etat qu’effectue le Chef de l’Etat dans cette région.
Quelle lecture faire de cette autre mort qui troublera encore longtemps les uns et les autres ? Chacun ira de ses commentaires et ceux qui n’ont aucun scrupule à tirer à boulets rouges sur un corbillard, ne manqueront pas de lier cette disparition tragique au contentieux qui opposait le défunt de son vivant à son ancienne épouse. Qui l’a récemment ester en justice pour «bigamie», étant entendu que le divorce avec cette dernière n’aurait pas été prononcé avant qu’il ne convole en justes noces avec Mme Aka Véronique en France, le 19 avril dernier.
D’autres personnes exploreront plutôt la piste politique pour affirmer que la mort de Bra Kanon serait le prix, hélas, à payer pour ramener la paix entre le camp présidentiel et les 18 Montagnes en général et particulièrement les parents du défunt général Guéi Robert.
On sait, en effet, que l’assassinat de l’ancien Chef d’Etat (1999-2000) aux premières heures de la crise qui a éclaté dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, avait jusque-là constitué une pomme de discorde entre une frange des populations de l’ouest, qui voyaient en lui leur leader, et la République.
Cela était à la base des reports successifs de la visite présidentielle qui, grâce à la médiation menée par une délégation conduite par l’ancien président du Conseil économique et social, le doyen Maurice Séri Gnoléba, et comprenant entre autres, les anciens ministres Denis Bra Kanon et Bertin Kadet, a finalement eu lieu à Man. Et voilà qu’au moment où il prend part à cette visite avec une fierté légitime, M. Bra Kanon qui est apparu sur le petit écran le lundi dernier, est brutalement fauché par la mort, plongeant la République dans l’émoi et sa nouvelle épouse dans l’affliction totale.
Hier matin, lorsque nous cherchions à la joindre pour en savoir davantage sur le décès de son époux, Mme Aka Véronique, selon son assistante que nous avons eue, était très affectée par le décès du Président Bongo avec qui elle avait, dit-on, des relations privilégiées. Elle s’apprêtait à se rendre à la chancellerie du Gabon pour exprimer sa compassion dans le livre de condoléances ouvert à cet effet.
Nous nous sommes dit qu’elle ne devait pas être au fait du décès de son époux. Ou alors qu’il s’agissait d’une simple rumeur comme il y en à profusion à Abidjan. Hélas, nos sources seront confirmées plus tard par nos envoyés spéciaux à Man à qui nous avions demandé de vérifier les faits.
Hier en fin de matinée, lorsque nous rappelions chez Mme Aka Véronique, nous avons eu à nouveau son assistante qui, d’une voix enrouée, nous dira : «Mme Aka est littéralement abattue. Je comprends pourquoi vous nous aviez appelées le matin. C’est parce que vous aviez appris le décès de son époux. En tout cas, elle est injoignable actuellement».
En rendant l’âme au moment même de la célébration de la paix et de la réconciliation pour lesquelles il s’est battu ces dernières semaines, Bra Kanon donne de lui l’image d’une victime expiatoire, d’un homme mort au service de la paix. Si telle devait être la lecture à faire de la mort de M. Bra Kanon, que les Ivoiriens aient dès lors une haute idée de ce sacrifice suprême et comprennent l’urgence et la nécessité d’une paix durable.
Abel Doulay
• Daloa sous le choc
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la disparition brutale de l’ancien ministre Denis Bras Kanon a provoqué un choc dans sa ville natale, Daloa. «Je suis très abattu d’apprendre le décès de mon frère Denis», déclare Nahounou Sémian, le chef de terre de la cité des antilopes, chef de village de Gbeuliville, que nous avons rencontré hier en début de soirée à son domicile. Il indique que c’est tôt le matin (hier) que quelqu’un lui a annoncé la triste nouvelle. «Je n’y croyais pas, murmure-t-il. D’autant que la veille à la télévision, nous l’avons perçu avec beaucoup de fierté aux côtés du Président Laurent Gbagbo en visite d’Etat à l’ouest». Mais, le chef de terre de Daloa a été contraint de se rendre à l’évidence. Quand, vers 11 h, selon lui, un parent lui a confirmé la disparition de l’ancien ministre.
Bouazo Antoine, en service à l’état civil de la mairie de la ville, s’est également dit «très touché» par cette mort. A travers la disparition de Denis Bra Kanon, a-t-il dit, au bord des larmes, il perd «un ancien patron et un oncle». Comme Bouazo Antoine, l’ensemble des agents de la mairie technique et de la mairie centrale de Daloa sont sous le choc. De même, à Gbeuliville et au quartier Kirman où le défunt avait bâti sa résidence, les populations sont toutes en émoi. A Daloa, hier, seule la nouvelle de la mort de ce haut cadre dont de nombreux habitants disent beaucoup de bien, était sur toutes les lèvres.
Emmanuel Kouadio
Correspondant régional