Les Editions Vallesse viennent de publier un recueil de poèmes que se partagent deux auteurs : Les journalistes Azo Vauguy et Henri N'Koumo. Les compositions s'intitulent respectivement “Zakwato” sous titré “Pour que ma terre ne dorme plus jamais” et “Morsures d'Eburnie” sous titré “Pays mort et vif”. Nous nous intéressons aujourd'hui à l'œuvre d'Azo Vauguy.
Le livre «Zakwato, pour que ma terre ne dorme plus jamais» d'Azo Vauguy est un recueil de poèmes. Mais il renferme un seul poème qui s’étend de la première page à la dernière, soit 56 pages au total. Tiré d'un mythe Bété, sa rédaction a pris près d’un quart de siècle de recherche à son auteur. C’est pourquoi, Zakwato a tout d’un texte à part, qui se veut singulier dans sa contexture aussi bien au niveau des mots, des idées que de la syntaxe. A la lecture de ce drame, on se croit sur une scène où se mêlent chant, danse, récit, conte et mythe. Zakwato, mythe-fondateur puisqu’il parle de la création d’un autre monde, un nouveau monde dans lequel il n’y aurait plus la mort car elle aura été tuée entre temps, c’est l’histoire d’un homme qui, pendant la guerre, s’est porté candidat pour se poster dans une embuscade et surprendre l’ennemi. Malheureusement, il s’est endormi profondément et, à son réveil, l’ennemi avait déjà fini de décimer son peuple. Depuis, il a décidé de se venger de lui-même en se coupant les paupières pour ne plus jamais avoir à dormir, et veiller sur sa cité. Sur le chemin qui le mène chez le modeleur de fer (le forgeron), il a dû rencontrer toutes sortes d’écueils. Il a pu cependant atteindre son objectif en se servant de la dimension spirituelle.
Ce qui passionne chez Azo Vauguy, c’est l’aisance avec laquelle il manipule la langue française. Comme une pâte à modeler, il lui donne la forme qu’il veut et qui lui plaît. Il a un vocabulaire propre à lui pour dire telle ou telle chose. Par exemple : les pirogues du ciel pour les avions ; des gerbes de soleil pour des années ; le ciel ayant humé tous les péchés de la terre pleurait jusqu’à crever l’œil du ver de terre pour dire tout simplement qu’il pleuvait dru etc. Se servant avec ruse et fidélité de sa langue maternelle, il imbrique les mots les uns dans les autres avec une agilité telle que l’on a le sentiment d’être à la fois sur une scène du village et de la ville. La puissance qu’il donne aux mots et aux images qu’il utilise subjugue le lecteur et lui donne des ordres du genre: «Lève-toi, réveille-toi ! Il est temps d’aller au charbon, il est temps d’aller au front. Lève-toi et va affronter la mort pour que jamais plus, elle ne nous accompagne. Lève-toi et brise le mur de silence qui se dresse devant toi et qui fait de toi un damné de la terre !». Lisons : «Durant des gerbes et des milliers de gerbes de soleils / Zakwato porté en embuscade dormait // un sommeil cauchemardesque, un sommeil traître l'avait complètement extrait du cours normal de la vie // Kanégnon Didigbé dormait du sommeil des damnés // Zakwato dormait des gerbes et des gerbes de siècles // Les fusils des hommes aux oreilles longues et rouges éternuaient : di-di-di-di-dizian ! Et Zakwato dormait // Leurs canons faisaient dou-doud-dou-goudrou ! Zakwato dormait // Leurs pirogues du ciel hurlaient voum-voum-voum-vougba ! mais Zakwato dormait toujours». Ce sommeil qui a duré des siècles a été heureusement rompu un jour. Ce fut le jour de la révolte. Zakwato entame un voyage d'initiation qui le conduisit à la forge de Gbloublègnon-Zato. Une forge qui se situe à la lisière du pays des morts. Le chemin qui y mène est semé d'embûches. Mais qui veut sauver sa patrie n'a peur de rien. Lisons encore : “Vie sans vie / guerre des épithètes / guerre des canons qui tonnent / tonnent/ tonnent torrentielle sans trêve // Feu follet des nuits agitées / nuits démentielles / nuits ténébreuses exécutant le chant du cygne // Champs couverts de nuages couleur corbeau //... Des élégies accompagnent des corps sur leur terre d'asile // Tout est morne // Silence // Silence des grands jours de deuil // jours de désespoir / d'espoir criblé de balles // Triste page du jour qui dure une éternité !
... Il marchait Zakwato // L'homme-aux-noms multiples marchait comme marchaient les guerriers de la Grèce antique triomphant après de rudes journées de combats titanesques // L'esprit des ancêtres l'habitait et la force de la conviction guidaient ses pas // Oracle éternité / amour / tout rayonnait pour celui qui va à la conquête de la liberté//”
On le voit, “Zakwato, pour que ma terre ne dorme plus jamais” d'Azo Vauguy est un chant. Un chant qui sonne le réveil de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique tout entière qui, pour l’auteur, sont emportées par un sommeil qui dure des siècles. Mais c'est un chant qui détermine la valeur d'un homme à partir de la dimension spirituelle. Pour franchir les différents obstacles qui se dressent sur son chemin, Zakwato se transforme en Gofa-Gniniwa, le génie échassier aux jambes kilométiriques, en serpent ou en oiseau, selon le genre ou la nature de la difficulté à neutraliser.
Au total, la démarche d'Azo Vauguy est à la fois magnifique et didactique. Elle nous apprend la nécessité de connaître les profondeurs du folklore d'un peuple donné. Ici, le peuple Bété dont nous apprécions une page ou un pan des récits populaires tirés de sa mythologie.
L'auteur du recueil, à cet effet, fait remarquer : “J'interroge le passé pour dire le présent et lire le futur”.
Abdoulaye Villard Sanogo
“Zakwato” Azo Vauguy et “Morsures d'Eburnie” Henri N'Koumo. Recueil de poèmes. Vallesse Editions, 103 pages
Le livre «Zakwato, pour que ma terre ne dorme plus jamais» d'Azo Vauguy est un recueil de poèmes. Mais il renferme un seul poème qui s’étend de la première page à la dernière, soit 56 pages au total. Tiré d'un mythe Bété, sa rédaction a pris près d’un quart de siècle de recherche à son auteur. C’est pourquoi, Zakwato a tout d’un texte à part, qui se veut singulier dans sa contexture aussi bien au niveau des mots, des idées que de la syntaxe. A la lecture de ce drame, on se croit sur une scène où se mêlent chant, danse, récit, conte et mythe. Zakwato, mythe-fondateur puisqu’il parle de la création d’un autre monde, un nouveau monde dans lequel il n’y aurait plus la mort car elle aura été tuée entre temps, c’est l’histoire d’un homme qui, pendant la guerre, s’est porté candidat pour se poster dans une embuscade et surprendre l’ennemi. Malheureusement, il s’est endormi profondément et, à son réveil, l’ennemi avait déjà fini de décimer son peuple. Depuis, il a décidé de se venger de lui-même en se coupant les paupières pour ne plus jamais avoir à dormir, et veiller sur sa cité. Sur le chemin qui le mène chez le modeleur de fer (le forgeron), il a dû rencontrer toutes sortes d’écueils. Il a pu cependant atteindre son objectif en se servant de la dimension spirituelle.
Ce qui passionne chez Azo Vauguy, c’est l’aisance avec laquelle il manipule la langue française. Comme une pâte à modeler, il lui donne la forme qu’il veut et qui lui plaît. Il a un vocabulaire propre à lui pour dire telle ou telle chose. Par exemple : les pirogues du ciel pour les avions ; des gerbes de soleil pour des années ; le ciel ayant humé tous les péchés de la terre pleurait jusqu’à crever l’œil du ver de terre pour dire tout simplement qu’il pleuvait dru etc. Se servant avec ruse et fidélité de sa langue maternelle, il imbrique les mots les uns dans les autres avec une agilité telle que l’on a le sentiment d’être à la fois sur une scène du village et de la ville. La puissance qu’il donne aux mots et aux images qu’il utilise subjugue le lecteur et lui donne des ordres du genre: «Lève-toi, réveille-toi ! Il est temps d’aller au charbon, il est temps d’aller au front. Lève-toi et va affronter la mort pour que jamais plus, elle ne nous accompagne. Lève-toi et brise le mur de silence qui se dresse devant toi et qui fait de toi un damné de la terre !». Lisons : «Durant des gerbes et des milliers de gerbes de soleils / Zakwato porté en embuscade dormait // un sommeil cauchemardesque, un sommeil traître l'avait complètement extrait du cours normal de la vie // Kanégnon Didigbé dormait du sommeil des damnés // Zakwato dormait des gerbes et des gerbes de siècles // Les fusils des hommes aux oreilles longues et rouges éternuaient : di-di-di-di-dizian ! Et Zakwato dormait // Leurs canons faisaient dou-doud-dou-goudrou ! Zakwato dormait // Leurs pirogues du ciel hurlaient voum-voum-voum-vougba ! mais Zakwato dormait toujours». Ce sommeil qui a duré des siècles a été heureusement rompu un jour. Ce fut le jour de la révolte. Zakwato entame un voyage d'initiation qui le conduisit à la forge de Gbloublègnon-Zato. Une forge qui se situe à la lisière du pays des morts. Le chemin qui y mène est semé d'embûches. Mais qui veut sauver sa patrie n'a peur de rien. Lisons encore : “Vie sans vie / guerre des épithètes / guerre des canons qui tonnent / tonnent/ tonnent torrentielle sans trêve // Feu follet des nuits agitées / nuits démentielles / nuits ténébreuses exécutant le chant du cygne // Champs couverts de nuages couleur corbeau //... Des élégies accompagnent des corps sur leur terre d'asile // Tout est morne // Silence // Silence des grands jours de deuil // jours de désespoir / d'espoir criblé de balles // Triste page du jour qui dure une éternité !
... Il marchait Zakwato // L'homme-aux-noms multiples marchait comme marchaient les guerriers de la Grèce antique triomphant après de rudes journées de combats titanesques // L'esprit des ancêtres l'habitait et la force de la conviction guidaient ses pas // Oracle éternité / amour / tout rayonnait pour celui qui va à la conquête de la liberté//”
On le voit, “Zakwato, pour que ma terre ne dorme plus jamais” d'Azo Vauguy est un chant. Un chant qui sonne le réveil de la Côte d'Ivoire et de l'Afrique tout entière qui, pour l’auteur, sont emportées par un sommeil qui dure des siècles. Mais c'est un chant qui détermine la valeur d'un homme à partir de la dimension spirituelle. Pour franchir les différents obstacles qui se dressent sur son chemin, Zakwato se transforme en Gofa-Gniniwa, le génie échassier aux jambes kilométiriques, en serpent ou en oiseau, selon le genre ou la nature de la difficulté à neutraliser.
Au total, la démarche d'Azo Vauguy est à la fois magnifique et didactique. Elle nous apprend la nécessité de connaître les profondeurs du folklore d'un peuple donné. Ici, le peuple Bété dont nous apprécions une page ou un pan des récits populaires tirés de sa mythologie.
L'auteur du recueil, à cet effet, fait remarquer : “J'interroge le passé pour dire le présent et lire le futur”.
Abdoulaye Villard Sanogo
“Zakwato” Azo Vauguy et “Morsures d'Eburnie” Henri N'Koumo. Recueil de poèmes. Vallesse Editions, 103 pages