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Santé Publié le mardi 21 juillet 2009 |

Interview / Michel Sidibé, Directeur Exécutif Onusida: "L`Afrique doit produire ses propres médicaments"

Monsieur le Directeur Exécutif, depuis près de 30ans, le SIDA continue à sévir dans le monde et à décimer particulièrement des millions d’africains. A votre avis quelle est la raison de cet état de fait ?

Avant tout il faut reconnaître que des progrès ont été accomplis. Il ya 30 ans il existait une véritable « conspiration du silence » pour ignorer le SIDA. Durant ces années les malades étaient seuls à organiser leur propre lutte. Le SIDA est une maladie qui a créé un mouvement social. Elle a changé l’approche de la maladie. Elle a permis aux « sans voix » d’être entendus. Elle a catalysé l’émergence d’une nouvelle forme de solidarité. Du coup des ressources importantes ont été mobilisées autour de cette nouvelle solidarité entre chercheurs du Nord, membres de l’industrie pharmaceutique, Etats-Membres des Nations Unies, secteur privé. Cette évolution positive se traduit aujourd’hui par des chiffres. En 2001 seulement 50.000 africains étaient sous traitement, aujourd’hui ils sont plus de 3 millions.

Je reviens à votre question initiale. Pourquoi 22 millions d’africains infectés, 1.500.000 décès et plus de 300.000 enfants infectés par le SIDA ? Ce constat nous interpelle. Après analyse, je crois que les raisons de cette situation sont liées à trois facteurs :

1- En Afrique nous sommes confrontés à des initiatives positives mais isolées, donc à une dynamique faible car elle n’est pas articulée par un programme global. Ce qui fait défaut c’est une vision continentale autour de choix stratégiques. Les Etats doivent plus s’impliquer mais surtout prendre des décisions communes. Par exemple le Président Sud-africain, Jacob Zuma a décidé de faire du SIDA une de ses priorités et il s’est engagé à réduire de 50% le nombre des malades touchés par la maladie (1.500 nouveaux cas/jour). Quels résultats n’obtiendrait-on pas d’une telle détermination, si elle pouvait s’appliquer à tous les pays du Sud et de l’Est de l’Afrique agissant de concert.

2- Le problème de la co-infection avec la tuberculose n’est presque pas abordé. En effet, la tuberculose est en passe de devenir l’une des causes majeures de décès chez les sujets séropositifs pour le VIH, mais une part bien trop large population de malades échappe aux stratégies de dépistage et de traitement de la tuberculose. Le 13è rapport annuel sur la lutte contre la tuberculose dans le monde publié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) établit qu’un décès par tuberculose sur quatre est lié au VIH. L’accès à la prévention, au traitement, aux soins et à l`aide concernant le VIH doit englober la prévention, le diagnostic et le traitement de la tuberculose. Le fait d`associer les services contre le VIH et la tuberculose permet de sauver des vies.

3- Le troisième point est la prévention de la transmission du virus de la mère à l’enfant qui fait que 300.000 bébés naissent chaque année porteur du VIH en Afrique. C’est la conséquence dramatique d’un manque d’accès à la prévention pour les femmes.

Chaque année près de 14 milliards de dollars étaient mobilisés pour la lutte contre le SIDA dans le monde. Vingt-deux millions d’africains vivent avec le VIH/SIDA avec des conséquences de plus en plus visibles sur le développement du continent. Comment se fait-il que les progrès de lutte en Afrique soient faibles ?

Les progrès ne sont pas si faibles et certains pays ont réussi à inverses la tendance et maîtriser la progression de l’ »épidémie. Cependant, il faut savoir que 70% des malades traités en Afrique dépendent de l`aide des pays riches pour se soigner car le continent n’a pas suffisamment de ressources prévisibles et pérennes ce qui limite les investissements à long terme et ne permet pas aux projets d’atteindre un niveau national. Mais surtout, fondamentalement, on n’est pas arrivé à démocratiser la solution des problèmes. On utilise encore le vieux schéma de développement « vertical » caractérisé par la relation bilatérale entre le gouvernement du pays donateur et celui du pays récipiendaire. L’aide internationale doit maintenant se redéfinir au travers de schémas plus horizontaux avec une capacité plus importante donnée aux acteurs et aux peuples africains.

Deux tiers des 4 millions de personnes sous traitement dans le monde vivent en Afrique hors, non seulement ils ont difficilement accès aux médicaments mais souvent ces derniers sont contrefaits.
Le médicament constitue l’un des éléments les plus importants dans la lutte contre le SIDA. Chaque jour où deux personnes démarrent un traitement antirétroviral, cinq autres sont infectées par le virus. Cela signifie que le nombre de personnes nécessitant un traitement ne cessera jamais d’augmenter. Non seulement les médicaments sont chers, mais leur efficacité n’est pas garantie à long terme.
Quatre-vingt dix-sept pour cent des malades africains suivent un traitement composé de médicaments de première génération, auquel nombre d’entre eux deviennent résistants. Le coût actuel des médicaments de première ligne est de 92 dollars par patient et par an. Mais un traitement de deuxième intention coûte plus de 1.000 dollars par patient, par an pour les seuls médicaments, auxquels vient s’ajouter le coût des examens de laboratoire. Les Africains doivent être conscients qu’ils auront besoin pendant longtemps de ces médicaments. Comme la plupart de ces médicaments ne sont pas produits en Afrique, c’est l’occasion pour le continent d’évoluer et de développer son industrie pharmaceutique en saisissant l’occasion de ce nouveau marché pour se moderniser et retenir ses cadres.

C’est dans cet esprit que vous conseillez la création d’une Agence africaine des médicaments pour réglementer le secteur.

Effectivement l’Afrique a besoin d’une Agence africaine des médicaments, à l’image de l’Agence européenne des médicaments, qui réglemente la coopération pharmaceutique en Europe. Cette création permettrait un transfert de compétences et de technologie. Elle élèverait le niveau de qualité des produits fabriqués en Afrique et rendrait plus strict l’enregistrement de produits importés. Elle renforcerait aussi le contact entre les Etats-membres qui pourraient créer un observatoire de suivi des prix des médicaments. C’est un passage obligé !

Le stade suivant est sera donc la production de médicaments en Afrique ?

L’Afrique doit produire ses médicaments ! C’est un marché émergeant de plusieurs milliards qui peut être abordé avec une approche continentale. Dans un premier temps on pourrait produire des médicaments qui sont dans le domaine public et qui contribueront à la lutte contre la malaria et la tuberculose et le SIDA.

Vu les intérêts financiers en jeu, ne pensez-vous pas que l’industrie pharmaceutique des pays développés freinera la démarche ?

La mondialisation ne peut-être exclusive. Si le débat avec les firmes internationales ne se fait pas, on verra une réaction des pays émergeants vis-à-vis de l’Afrique. Des pays comme le Brésil, la Chine, l’Inde transmettront leur savoir. Actuellement le Brésil est en train de construire une unité industrielle au Mozambique où il va commencer une production à grande échelle de médicaments anti-rétroviraux utilisés pour prolonger la vie des personnes affectées par le VIH/SIDA. L’Inde construit une usine en Ouganda pour la production de génériques.

Mais le grand danger serait la multiplication d’initiatives individuelles, alors qu’il faut attaquer le problème de manière globale. Il faut envisager et s’assurer que la qualité de l’ensemble des produits fait un saut qualitatif, protégeant ainsi la population africaine contre les médicaments contrefaits et de qualité inacceptable. Dans ces conditions, une industrie de niveau mondial peut émerger et donner aux cadres africains l’occasion d’exercer leur talent en Afrique.

Comment envisagez-vous le financement d’un tel projet ?

Nous travaillons déjà de façon étroite avec le NEPAD afin de d’élaborer un business plan.

Le 6 juillet vous avez lancé une campagne de diffusion de messages de prévention du VIH en utilisant le réseau postal universel, le syndicat mondial UNI et l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Est-ce parce que vous considérez que les campagnes nationales des ministères de la santé ne sont pas assez efficaces ?

Pas du tout, mais il s’agit d’un mouvement de prévention complémentaire aux actions déjà menées par les ministères. La capacité du réseau postal à toucher un grand public est immense. Ses 660.000 établissements postaux dans le monde ont envoyé 433 milliards de lettres en 2007. Cette campagne est une nouvelle forme de diplomatie qui doit trouver un écho dans toutes les familles du monde.

Quel est votre ambition pour votre mandat ?

Durant mon mandat je souhaiterais amorcer un mouvement sérieux qui permettrait à une nouvelle génération de vivre sans SIDA. . Je souhaiterais aussi que l’élimination virtuelle de la transmission du VIH de la mère à l’enfant que les pays occidentaux ont déjà réussi à obtenir devienne une réalité pour tous et que le monde n’ait plus à faire face à la terrible réalité des 300.000 bébés africains infectés chaque année par le virus.

Catherine FIANKAN-BOKONGA. Interview réalisée à Genève (Suisse).



QUI EST MICHEL SIDIBE ?

Ressortissant malien, Michel Sidibé est le Directeur exécutif d’ONUSIDA depuis le 1er décembre 2008. Il est entré dans l’organisation en 2001 en tant que Directeur du Département d’appui aux pays et aux régions. Il y a supervisé une vaste réforme, reconnue pour avoir transformé ONUSIDA en un programme commun mieux ciblé et plus efficace capable de donner des résultats au niveau des pays. Il a également le rang de Secrétaire général adjoint des Nations Unies.
Michel Sidibé a débuté sa carrière dans la santé, il y a près de 30 ans au Mali, en s’impliquant dans des projets destinés aux populations nomades touaregs de la région de Tombouctou, et en travaillant pour la fédération internationale de développement « Terre des hommes ».
Il a été recruté par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) en 1987 pour travailler en République démocratique du Congo (RDC). Il a ensuite été muté au siège de l’UNICEF, à New York, avant d’exercer les fonctions de Représentant de l’UNICEF au Swaziland, au Burundi et en Ouganda.
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