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Économie Publié le samedi 25 juillet 2009 | Fraternité Matin

Débat d’idées : Pour une nouvelle manière de gérer la filière café-cacao

La filière café/cacao a toujours subi un certain prélèvement qui a souvent fait l`objet de vives critiques sans aucun discernement. Ce prélèvement, à notre sens, est un véritable impôt sur le revenu des planteurs qui se justifie bien, même si l`Etat ne le dit pas clairement, parce qu`il est obligatoire, sans contrepartie directe évidente et destiné à la couverture des charges publiques. Il importe tout simplement d`en revoir les modalités de perception et d`utilisation. Tel est l`objectif principal des présentes réflexions.



En effet, admettre que le prélèvement opéré sur la filière café/cacao est un impôt, c`est reconnaître qu`il doit être géré comme tel. En clair, les ressources qui en résultent doivent être collectées par le Trésor public dont elles ne sortiront que sous forme de dépenses publiques, dans le strict respect du droit budgétaire. Ces ressources ne doivent donc plus jamais être laissées à la disposition des structures spécialisées comme par le passé. Il se pose alors le problème de l`autonomie financière de la filière, nous dira-t-on. Ce problème ne devrait pas se poser dans la mesure où, ayant transféré les ressources financières au Trésor public, chacune des structures spécialisées devra regagner son Ministère de tutelle selon son objet. C`est un retour à l`administration centrale, un retour à l`Etat, ou à un nouvel organisme quasi central, suffisamment " balisé " pour en garantir l`efficacité, tant au niveau de la collecte qu`à celui de l`utilisation des ressources. Dans un souci de clarté, reprenons ces différents éléments en deux points indiquant successivement comment collecter les ressources de la filière et comment continuer les actions dont étaient chargées les structures spécialisées.



1/ Propositions pour la collecte des ressources de la filière.



La collecte des prélèvements opérés sur la filière café/cacao, désormais considérés comme des impôts sur le revenu dans nos recommandations, devrait se faire comme celle des impôts, c`est-à-dire, par les services fiscaux mais avec une légère modification de l`organisation du travail tenant compte de la spécificité de la matière imposable. La matière imposable, ici la quantité produite du cacao ou du café, se rencontre actuellement toute l`année avec les nouvelles variétés de plantes, bien qu`il existe officiellement deux campagnes de commercialisation: le cacao, pour ne considérer que ce seul produit, dont notre pays est le premier producteur mondial avec une production annuelle de plus de 1 250 000 tonnes, soit plus de 40% de la production mondiale, se rencontre pratiquement tous les mois en Côte d`Ivoire. Seul inconvénient: les quantités varient selon les saisons, l`intensité du travail des collecteurs varierait d`un moment à l`autre; cela poserait le problème des effectifs d`agents à utiliser selon les périodes.Pour la collecte des prélèvements, une organisation permanente devrait donc se mettre en place, soit dans les zones de production, soit dans les usines de transformation, soit au niveau des compagnies d`exportation. Des agents spéciaux du Trésor public ou du Fisc seraient alors chargés, à chaque niveau, de collecter les prélèvements et de les reverser directement dans les caisses du Trésor dans un compte d`affectation spéciale ouvert à cet effet ou un " Fonds spécial créé par décret pour la gestion de la filière. Puisque les structures spécialisées jouaient d`importants rôles dans la vie de la filière, comment pérenniser alors leurs actions si l`on les prive ainsi de leurs ressources financières? C`est à cette question qu`est consacré le paragraphe suivant, notre dernier paragraphe.



2/ Propositions pour la pérennisation des actions d`encadrement



Les fonctions pour lesquelles les structures spécialisées ont été créées, on le sait, sont d`une importance capitale. Il n`est donc pas question ici de les supprimer sans aucune réflexion. Pour les assumer, peut-être dans les meilleures conditions, nous proposons que chacune des structures spécialisées retourne dans son Ministère de tutelle selon son objet. Cette affectation des structures dans les Ministères techniques devra se faire par une commission technique ad hoc suffisamment représentative dont les membres seront nommés par décret. La commission ad hoc sera également chargée de la réaffectation du personnel qui, on le sait, comprend deux catégories d`agents: des fonctionnaires d`Etat détachés auprès des structures spécialisées et des agents recrutés par les structures elles-mêmes.



Ainsi, les structures techniques axées sur la promotion de la caféiculture ou sur la cacao culture retourneront au Ministère de l`Agriculture et les structures à caractère financier iront au Ministère de l`Economie et des Finances mais ces affectations, comme nous l`avons dit plus haut, seront opérées par la commission ad hoc, après en avoir cerné tous les contours. En procédant ainsi, l`Etat pourra mieux contrôler la filière et en tirer meilleur profit, ne serait-ce qu`en ce qui concerne les ressources financières logées dans le fonds de régulation dont nous avons préconisé la création plus haut. Ce Fonds, qui peut bien être une structure rénovée de l`ancien " FRC ", devra être un véritable " Fonds de Régulation et de Soutien de toute l`Economie ivoirienne. Il devra être doté de moyens conséquents dont l`utilisation relèvera de la seule compétence des plus hautes Autorités du Pays. Avec une telle maîtrise de la filière, l`Etat pourra alors être en mesure d`accorder une juste rémunération des produits aux planteurs par la fixation d`un " prix bord champ " qui tienne compte de leurs efforts sur le terrain. C`est la dernière série de propositions que nous faisons dans la section suivante pour terminer.



3/ Propositions pour des prix de vente (prix bord champ) tenant compte des coûts de production et de commercialisation.



Le cacao est un produit à cycle long ; il n`entre réellement en production, en moyenne, qu`après une période d`au moins quatre ans, pour les plantations de type villageois (plus de 80% du verger ivoirien actuel). Pour les plantations de type européen ou les parcelles de démonstration des structures d`encadrement, on peut obtenir les premières cabosses dès la fin de la deuxième année . C`est dire que pendant quatre ans l`exploitant agricole investit dans sa plantation sans en attendre le moindre revenu. Lorsque la plantation entre en production, il engage chaque année d`autres frais pour son entretien. A la récolte et à la commercialisation, d`importants frais de conditionnement sont également engagés, car le cacao est un produit très délicat qui ne tarde pas à moisir (dès la troisième semaine après le dé cabossage).



Nous reprendrons ces trois points en trois sections successives pour faire sentir ces différents coûts supportés jusqu`à la livraison du cacao sur le marché.



3.1/ L`investissement initial pour une plantation de cacao.



La création d`une plantation de cacaoyers nécessite un important investissement tant au niveau de l`acquisition de la parcelle de terrain qu`à sa mise en valeur. Certes, pour la plupart, les parcelles de terrains utilisées dans la zone de notre enquête sont des parcelles familiales cédées par les chefs de famille. Il convient cependant de tenir compte de leur valeur vénale par comparaison avec des parcelles similaires vendues à des allochtones ou à des étrangers, pratique qui est monnaie courante dans cette zone productrice de cacao, qui, on le sait, attire de nombreux exploitants agricoles des autres régions du pays (Baoulés, Sénoufos, etc.) et des ressortissants des pays voisins (Burkinabès, Maliens, etc.).



Pour donner une idée plus précise de l`engagement financier que cela nécessite, nous utiliserons les informations obtenues auprès de la direction régionale de l`ANADER (Agence Nationale pour le Développement Rural) basée à Gagnoa, où, comme nous l`avons indiqué plus haut, nous avons bénéficié des travaux d`une session de formation qui a été organisée au profit des coopératives locales de producteurs de cacao, en Septembre 2004. Dans un esprit de synthèse, les informations à donner, qui peuvent aisément être vérifiées auprès des structures techniques d`encadrement, le seront sur la base d`une superficie d`un hectare (100 mètres sur 100 mètres, soit 10 000 mètres carrés).



Pour une telle parcelle de terrain, récapitulons les différents coûts dans le tableau ci-après pour en donner une vue synoptique approximative.



Tableau synoptique des engagements financiers de départ

•prix d`acquisition ................................200 000 F

-la moitié du salaire annuel

d`un ouvrier agricole..............................180 000 F

•achat d`un équipement trimestriel

(de 4 machettes à 3000F, 4 limes à 3000 F)

et d`une paire de bottes à......4000 F… …28 000 F

-achat de 1330 pieds de jeunes plants à 100F ................ ..... ...... 133 000 F

•engrais et produits phytosanitaires … 30 000 F

•divers (transports, etc.) ........................ 20 000 F.

TOTAL…………… 591 000 F.

Selon les Ingénieurs des techniques agricoles, une plantation de cacaoyers met au moins trois années avant de produire les premières cabosses, sur une bonne terre, sinon 4 à 5 ans sur les terrains de moyenne qualité.

L`investissement initial, outre le prix d`acquisition du terrain doit donc se répéter pendant au moins trois ans; les frais d`achat des plants ne concerneraient que le remplacement des plants défaillants. En supposant un renouvellement du verger défaillant d`environ 10%, on ne prendrait en compte qu`une somme de...................... 13 300 F

au lieu de .............................................133 000 F.

L`investissement annuel pour les deuxième et troisième années serait donc:

- la moitié du salaire annuel d`un ouvrier agricole…..........................180000 F

-achat d`un équipement trimestriel (de 4 machettes à 3000F, 4 limes à 3000 F ) et d`une paire de bottes

pour l`année à.4000 ..............................28 000 F

-achat de 133 pieds de jeunes plants

à 100F...................................................... 13300F

-engrais et produits phytosanitaires........30 000 F

-divers (transports, etc.)……..................20 000 F.

TOTAL………..……271 300 F

L`investissement (avant d`entrer en production) s`élèvera donc à : 591 000 + (271 300) X 2 = 1 133 600 F pour un hectare de cacaoyers. Lorsque la plantation entre en production, les coûts supportés concernent l`entretien périodique de la parcelle (désherbage au moins deux fois par an les premières années), la cueillette des cabosses et le conditionnement des fèves avant commercialisation. Ces coûts ne sont pas toujours explicitement pris en compte. Signalons toutefois que les services techniques utilisent d`autres méthodes de calcul des coûts de revient au moment de la commercialisation mais ils ne semblent pas en tenir compte pour la fixation du prix bord champ en ce qui concerne notamment les efforts du travailleur.

Les coûts d`entretien de la plantation et de conditionnement du produit

Dans les coûts d`entretien de la plantation, on prendra également en compte :

- le salaire de l`ouvrier agricole pour un hectare

..............................................................180 000 F

- l`équipement trimestriel en machettes et limes

...............................................................24000F l`achat d`une paire de bottes…................. 4 000 F

- l`engrais et les produits phytosanitaires

(moitié) ...................................................15 000 F

- et les divers (moitié)….........................10 000 F.

TOTAL 233 000 F.

Certaines rubriques sont réduites, parce que l`entretien d`une cacaoyère en production revient nettement moins cher, dans la mesure où les herbes y sont désormais clairsemées. C`est pourquoi les techniciens disent qu`à ce stade, un ouvrier devrait pouvoir valablement s`occuper d`une parcelle de trois hectares. C`est dire qu`on pourrait même revoir en baisse le salaire de l`ouvrier agricole. A ces coûts d`entretien de la plantation, il convient d`ajouter les frais de conditionnement et de commercialisation du produit. Ces frais sont non seulement diversifiés, mais ils sont difficiles à maîtriser.

Ce qui complique la prise en compte de ces coûts, c`est que le producteur/vendeur les supporte de manière informelle à divers niveaux du circuit du produit : frais de dé cabossage du cacao, frais de fermentation, frais de séchage, frais de chargement," frais de route " vers les usines ou les exportateurs, frais de transport, décote (réfraction) pour mauvaise qualité ou pour l`humidité, etc. Tous ces frais varient par région et par période, voire selon les personnes en présence. En moyenne, ils représentent environ 0,20% du prix d`achat au producteur. Sachant qu`un hectare de cacaoyers bien entretenu produit, en moyenne, une tonne de fèves, on pourrait assimiler le coût de revient d`un hectare au coût de revient d`une tonne de cacao car, en fait c`est cela qui nous intéresse. Dans cet esprit, reprenons ces différents éléments dans un tableau de synthèse pour obtenir le coût de revient d`un kilogramme de cacao



Tableau synthétique du coût de revient d`un kilogramme de cacao

- amortissement constant annuel sur 10 ans)
de l`investissement initial :.................... 113 360F

• entretien annuel…….. .......................233 000 F

• frais de conditionnement et de commercialisation…............ ............77 000 F

• frais de route " et de transport…

sur 50 km……. ......................................8 077 F

TOTAL 431 437F

Une tonne de fèves de cacao revient donc à l`usine ou chez l`exportateur situé à 50 km, à 431 437 francs cfa, soit 431, 437 Fcfa pour un kilogramme. Or dans la fixation du prix d`achat au producteur, on ne tient nullement compte de ce coût de revient. Nous proposons que cette anomalie soit réparée et qu`on en tienne désormais compte pour fixer " les prix bord champ ". Toutefois, nous précisons que ceci devra être actualisé chaque campagne de commercialisation pour tenir compte des réalités du moment. En admettant, à titre purement indicatif, une marge bénéficiaire d`environ 20% du coût de revient pour le planteur, le prix " bord champ " devrait être au moins égal à:

-coût de revient d`un kilogramme de cacao …. ............................................431, 437

-marge bénéficiaire…… ......................... 86, 287

TOTAL………… 517, 724 Fcfa

A ce prix bord champ minimum, le planteur serait assez bien rémunéré si on tient par ailleurs compte de l`évolution favorable des cours mondiaux pour une revalorisation.

CONCLUSION

En guise de conclusion, nous dirons tout simplement que le prélèvement opéré sur la filière café/cacao, qui est désormais considéré comme un véritable impôt, doit être géré selon les règles de la comptabilité publique, en particulier:

"il doit être créé et réaménagé en cas de besoin dans le cadre de la Loi de Finances;

"il doit être versé au Trésor public dans un Compte spécial ouvert à cet effet;

"les agents des filières doivent être reversés, selon leurs compétences respectives, dans leurs Ministères d`origine; les réaffectations doivent être faites par une commission technique ad hoc;

• un Fonds de régulation et de soutien de l`Economie nationale doit être créé et alimenté à partir des ressources du Compte spécial; il sera comme un “levier de commande de l`Economie nationale" au service des plus hautes Autorités du pays pour le financement des actions publiques de développement et de régulation conjoncturelle.

A défaut, il suffirait de renforcer les rôles des Fonds de Régulation et de Réserve déjà existants au niveau de la filière.

L`avantage de ce système est que l`Etat, qui, à notre sens, travaille désormais au vu et au su de tous, en toute légalité, fera désormais l`objet de moins de critiques. Cela lui permettra, en fonction de la conjoncture nationale et internationale, de fixer un prix " bord champ " assez rémunérateur pour le planteur.

1 Ces informations ont été obtenues dans les zones de production (Divo et Gagnoa notamment) auprès des planteurs et des services de l`ANADER (Agence Nationale pour le Développement Rural)

2. Etant donné que la norme est qu`un ouvrier agricole s`occupe en moyenne de deux hectares d`une nouvelle plantation, le raisonnement sur la base d`un hectare nous ramène à la moitié du salaire annuel de 360 000F.

3. Les cacaoyers sont plantés à 3 mètres les uns des autres dans le sens de la longueur et à 2,5 mètres dans le sens de la largeur; 4 plants de cacaoyers couvrent donc une superficie de 7,5 mètres carrés. Sur un hectare (10 000 mètres carrés), les techniciens de l`ANADER conseillent 1330 pieds (10 000/7,5 = 1333,3333), ce qui permet de laisser un certain espace dans les bordures.

4. Etant donné que la norme est qu`un ouvrier agricole s`occupe en moyenne de deux hectares d`une nouvelle plantation, le raisonnement sur la base d`un hectare nous ramène à la moitié du salaire annuel de 360 000F.

5. L`investissement initial étant de 1 133 600 l`amortissement sur 10 ans s`élève à 113 360 Fcfa.

6. Sur 50 km séparant notre coopérative en observation, le conducteur d`un camion de 10 tonnes paie environ une somme de 10 000 F jusqu`à l`usine.

Par Gaspard kouadio gbaka (*)
(*) Enseignant chercheur à l`Université de Cocody 08 Bp 799 Abidjan 08
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