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Société Publié le mercredi 26 août 2009 | Nord-Sud

Drame des cancéreux en phase terminale : Quand la mort devient une guérison !

De nombreux malades arrivent dans les hôpitaux ivoiriens dans un état de santé irréversible. Les médecins ne peuvent plus les sauver. Comment attendent-ils le dernier souffle ? Faut-il abréger leur souffrance ? Enquête.

Imaginez-vous un instant couché sur un lit d`hôpital. Votre médecin appelle vos parents pour leur dire avec la plus grande conviction que vous ne guérirez plus. En d`autres termes, que vos jours sont comptés parce que votre maladie est irréversible. C`est ce triste sort qui a frappé le fils adoptif du Pr Touré Vakaba ex-directeur de l`Ecole normale supérieur (Ens). Alité par un mal pernicieux, il est conduit un samedi du mois de mars 2001 au service des urgences. Les urgentistes l`examinent et le maintiennent en attendant la fin du week-end. Ils ont décelé un problème au niveau de son foie et attendent l`arrivée d`un spécial le lundi pour un diagnostic plus précis. Le jour-j, celui-ci arrive, fait ses examens et invite les proches du malade dans une salle. Les nouvelles ne sont pas bonnes. « Touré Amadou souffre d`un cancer métastasique (en phase terminale). Il ne peut plus guérir. La seule solution, c`est de lui trouver un autre foie, ce qui n`est pas évident », lâche le gastrologue. Il indique avoir opté pour cette franchise pour ne pas laisser la famille dans de faux espoirs. « Nous le disons pour que vous en teniez compte dans la décision que vous aller prendre. Si vous pensez pouvoir faire face aux frais d`hospitalisation, nous allons le garder en médecine jusqu`à son dernier jour », ajoute le médecin. Rares sont les familles ivoiriennes qui n`ont jamais connu une telle situation. Mieux, selon le Pr Adoubi Innocent, cancérologue et directeur coordinateur du Programme national de lutte contre le cancer, « 60 à 70% (soit 7 malades sur 10) des hospitalisations pour raison de cancer concernent des malades en phase irréversible. Et puisque la transplantation d`organe reste utopique dans nos pays, ces patients finissent par mourir. Tous, à petit feu, sous les regards impuissants de leurs parents et du personnel soignant. C`est ce qui est arrivé au pauvre Amadou dans la journée du 13 juin 2001. Il a rendu l`âme à son domicile, environ deux mois après le diagnostic du Chu. Partagés entre espoir et résignation, ses parents décident, dans un premier temps, de ne rien lui dire de précis. Demander à l`intellectuel qu`il était (professeur de mathématiques au collège moderne de Yopougon-Andokoi) de rentrer à la maison sans être guéri n`était pas envisageable sans lui répéter les phrases de son médecin. La famille décide de le faire admettre dans une des salles d`hospitalisation du grand hôpital. Elle paye la chambre et des médicaments qui ne sont en réalité que des calmants. « En pareille situation, nous n`avons plus de prétention thérapeutique, mais des prétentions de soulagement », avoue le professeur (Lire l`intégralité de son interview) De façon plus précise, le mal cancéreux n`est plus traité. Seules les douleurs qui apparaissent ça et là dans l`organisme sont soulagées. Les jours et les nuits passent, l`état de M. Touré ne s`améliore pas. Bien au contraire, sa souffrance s`accentue. Ses proches doivent chaque fois courir à la pharmacie pour acheter un nouveau médicament.

La triste attente du dernier souffle

Un mois après, la famille retire son malade du Chu pour le faire traiter dans une officine de médecine naturelle. Sans résultat. Finalement, il est ramené chez lui à Yopougon (Groupement Foncier) pour poursuivre ce traitement. D`autres solutions sont recherchées, mais en vain. Le décès est inévitable et dans la soirée du dimanche, la mort dans l`âme, le Pr Touré Vakaba, son épouse et d`autres membres de la famille viennent avec un corbillard pour conduire la dépouille à la morgue à Treichville. La cérémonie mortuaire est marquée par la présence de ses élèves qui font un rang devant le cercueil pour tenter d`arracher les derniers conseils à leur prof. Selon plusieurs medecins, les malades condamnés à mourir se rencontrent quelques fois au service de PPH (Pneumo-phtysiologie). Certains patients continuent d`arriver au service des maladies infectieuses de Treichville avec une infection à Vih en phase terminale. Tous les praticiens que nous avons rencontrés restent cependant unanimes que 90% des situations irréversibles se rencontrent dans les services de cancérogie. Dr Abouo N`Guessan Franklin, médecin au service des maladies infectieuses nous a relaté le cas d`une jeune dame de 30 ans. Déclarée séropositive, elle a dû quitter ses parents pour vivre chez sa meilleure amie à Yopougon. « L`infection à Vih était encore considérée comme la maladie de la honte », explique le spécialiste. Devant l`aggravation de son état, son amie va la ramener dans sa famille qui n`était pas informée de sa sérologie. Elle est conduite dans son village où son état continue de se dégrader, malgré les soins traditionnels. La malade présente alors un tableau de diarrhée et d`amaigrissement. C`est dans cet état qu`elle est conduite au Chu de Treichville. « J`ai demandé à la mère : Viens-tu pour hospitaliser ta fille ou viens-tu pour la laisser mourir. Elle n`avait pas réponse à me donner. Je me suis rendu compte que c`est un débarras », conclut Dr Abouo qui ne cache pas le regret qui l`a animé devant cette patiente qui aurait pu être sauvée si elle avait été conduite très tôt à l`hôpital. Il conseille aux familles de privilégier les centres hospitaliers universitaires en cas de maladie. « Il ne faut pas aller dans une clinique parce que dans la clinique il n`y a qu`un médecin pour chaque spécialité. Or, dans les Chu plusieurs médecins se succèdent au chevet du malade. Ce qui permet beaucoup plus de précision dans les diagnostics et réduit les risques d`une erreur médicale », estime-t-il. Après la disparition des parents, les agents du service des maladies infectieuses ont dû se cotiser pour aider l`infortunée. Pour finir, ils ont fait appel à l`assistance sociale. Malgré cette solidarité, les ophtalmologues sont venus diagnostiquer un cancer au niveau d`un de ses yeux. La pathologie cancéreuse est sans appel et le pronostic fatal. Selon le spécialiste, l`infection à Vih favorise certains cancers tels que celui du col de l`utérus chez la femme. Chez les hommes, c`est le cancer du foie. La leçon est évidente : il faut faire dépister le plus tôt possible les tueurs silencieux, surtout les cancers. En attendant que la majorité des Ivoiriens le comprenne, les patients agonisent en silence dans les hôpitaux. Quand les parents ne sont pas tentés de vouloir abréger leur supplice, ils finissent par être épuisés par la prise en charge au point de souhaiter la mort de leur proche. Cette autre histoire vécue par le Dr Abouo est éloquente.

Mourir pour être libre

Elle porte sur les derniers instants d`une patiente qu`il a suivie jusqu`à son dernier souffle, contre la volonté de ses parents qui n`attendaient que la mort de leur fille. C`était en 2001, au service de gastrologie du Chu de Cocody. La jeune dame souffrait d`un cancer du foie en phase terminale. Le médecin s`efforçait de la maintenir en vie en lui injectant régulièrement de l`oxygène. Elle, retirait la seringue chaque fois que le praticien la quittait. Ce petit jeu s`est terminé par ce qui devait arriver. « Pour la première fois, je me retrouvais en face d`un malade qui voulait mourir. Elle me disait : Pardon docteur, laisse-moi partir. Je lui ai demandé : Et tes parents, tu veux les abandonner ? Elle me dit : ceux-là, il faut les laisser », rapporte le toubib. Un matin, le dernier matin, pendant qu`il tente de réanimer la malade en perte d`adrénaline, un de ses frères arrive et lui demande si sa sœur est morte. « Je lui ai répondu : On dirait qu`elle est en train de mourir. Il m`a dit : enfin, ça va nous libérer un peu. J`étais scandalisé. Il a appelé au village et demandé de préparer les bâches et la boisson en disant qu`il pense que ça va se faire aujourd`hui. J`étais en colère parce qu`on se foutait de nous. Leur souci était que la malade parte. C`était de l`hypocrisie. J`ai quitté la salle. A mon retour, ils avaient déjà tout rangé. J`ai demandé une seringue pour lui faire remonter l`adrénaline. Elle avait commencé à subir un ralentissement du cœur. Je voulais remettre son cœur en marche. Quand j`ai dit cela, ils m`ont dit de façon désinvolte : ça se trouve dans le sac là-bas. Ils ne voulaient pas me donner la seringue. Je suis allé en chercher pour venir faire l`injection. Elle m`a lancé : Dr merci, tu as fait ce que tu pouvais. Toi-même tu vois la situation. Laisse-moi partir. Je lui ai demandé de tenir bon. Pour elle, elle était devenue une charge pour les parents. Elle n`avait plus d`espoir ». Sa dernière parole à cette jeune dame dont il s`est gardé de donner le nom est celle qui suit : « Je vais vous remettre votre oxygène. Je pense que cela va vous soulager. Le reste se trouve entre vos mains. Si vous avez décidé de partir, je vous laisse partir », à peine le médecin a tourné le dos, la patiente a retiré la seringue et elle a poussé son dernier souffle. A l`annonce de la nouvelle, les parents se roulent de pleurs par terre. En vérité, c`était de larmes de joie. Ils étaient heureux d`être enfin libérés d`un proche qu`ils assistaient depuis des mois sans que son état ne s`améliore. S`ils le pouvaient, ils auraient carrément demandé au soignant d`ôter la vie à leur parente, ou proposé à celui qui la suivait de ne plus utiliser les substances qui prolongeaient ses jours. Toutes les familles ne vont pas jusqu`à laisser transparaître leur impatience de voir mourir un malade qui ne guérira pas, mais il est rare que ce sentiment n`apparaisse pas un jour chez certains proches. De ces situations courantes dans les hôpitaux découle la de la possibilité ou non de permettre à une famille d`éviter de gaspiller de l`argent pour un malade qui va droit à la mort. Faut-il alors permettre aux familles ou aux médecins d`abréger la souffrance d`un malade condamné? Autant de questions qui posent la problématique de l`euthanasie à l`ivoirienne.

Des parlementaires se prononcent

Le parlementaire Déhé Gnahou a une position claire. « Nous voyons une personne qui souffre. La souffrance est tellement aiguë que tous les signaux montrent que le malade doit mourir. Faut-il le laisser souffrir atrocement alors qu`on sait qu`il va mourir parce qu`on n`a pas le droit de lui ôter la vie ? Mon avis personnel est qu`il faut lui permettre de s`en aller pour être libéré de la douleur », répond le bouillant député de Duékué. Il est favorable à la prise d`une loi pour autoriser l`euthanasie. « C`est douloureux, mais il faut le faire. A la place des personnes qui sont dans cette situation, je me donnerais la mort. Depuis mon enfance, j`ai vu des gens mourir à petit feu. Mon père a souffert pendant quatre ans avant de mourir, j`en ai souffert aussi », révèle Déhé Gnahou. D`autres parlementaires interrogés n`ont pas voulu se prononcer. « Le jour où il y aura un projet de loi dans ce sens, je me prononcerai », a répondu Ballo Drissa député de Kolia.

Cissé Sindou
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