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Société Publié le mercredi 26 août 2009 | Nord-Sud

Pr Adoubi Innocent (Cancérologue) : “Mieux vaut prévenir que mourir à petit feu”

Dans cet entretien, le Pr Adoubi Innocent, cancérologue, directeur-coordinateur du Programme national de lutte contre le cancer s'explique sur le grand nombre de cancers en phase terminale et se prononce sur la question de l'euthanasie.


•Quelle est la proportion des cancers en phase terminale qui arrivent dans les hôpitaux ivoiriens ?

En général, en Afrique noire francophone et anglophone, et notre pays en particulier, nous avons énormément de cas de cancers avancés. Les statistiques sont difficiles à établir. Parce qu'on a plutôt la proportion des cancers en générale. Quand on regarde les services hospitaliers où on hospitalise les cancéreux, on peut, sans risque de se tromper, estimer que 60 à 70% des hospitalisations concerne des cas de cancer avancés. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le cancer, au début, n'a pas besoin d'hospitalisation. C'est une prise en charge qui est ambulatoire. Il suffit simplement de mettre en place les protocoles. Et les patients, même s'ils sont hospitalisés, bénéficient d'hospitalisations de très courte durée pour un traitement qui peut être de la chimiothérapie, une chirurgie ou une radiothérapie. Le délai de consultation entre le moment où la maladie cancéreuse commençait et son apparition est en moyenne de deux ans.


•Comment se manifeste cette apparition ?

D'abord, il faut savoir que le cancer n'a pas de signes spécifiques. Ce qui constitue aussi un problème dans la consultation tardive.


•Pourquoi a-t-on une consultation tardive ?

Il faut savoir d'abord que les signes du cancer ne sont pas sensibles : une tumeur, des saignements qui surviennent éventuellement au niveau d'un des orifices, que ce soit au niveau digestif ou pulmonaires et autres n'inquiètent pas généralement les gens. Surtout quand ce sont des saignements minimes. Alors que le cancer a déjà débuté. C'est pour dire que devant des saignements, devant une boule dans les seins, une toux chronique chez un fumeur, un grain de beauté qui change de couleur sur la peau, devant un amaigrissement avec des fièvres qui se prolongent chez un sujet qui a plus de 30 ans, il faut l'explorer au niveau du cancer.


•Et pour le foie ?

Pour le foie, c'est une tumeur qui peut commencer par des troubles de digestion : constipations après le repas, diarrhées, mais surtout ballonnement après le repas. C'est vous dire que pour toute anomalie de fonctionnement de l'organisme chez un sujet de plus de 30 à 35 ans, il faut faire des bilans parce que le cancer peut être une des éventualités à côté des autres pathologies. C'est la première raison pour laquelle les malades ne viennent pas tôt. Il y a une méconnaissance de la maladie. La deuxième raison, c'est qu'au niveau des agents de santé qui reçoivent les patients, il y a une difficulté à reconnaître les signes du cancer. Cela pose des problèmes.


•Qu'est-ce qui peut expliquer cette difficulté ?

Il y a peut-être un problème de formation ou d'habitude. Le personnel de santé primaire ou le personnel paramédical a des difficultés à reconnaître le cancer. Même au niveau des généralistes, le diagnostique n'est pas très évident. On a la barrière au sein de la population, on a aussi la barrière médicale.


•Vous est-il arrivé de cacher à un patient qu'il n'avait plus de chance d'être sauvé ?

On ne leur cache aucune vérité


•Il semble que certains malades de ce type font des confessions aux médecins avant de mourir. Avez-vous vécu pareille expérience ?

Cela peut arriver et cela fait partie du soutien psychologique. N'oubliez pas qu'à un stade avancé, en plus des médicaments que le malade prend par voie intraveineuse, il reçoit une thérapeutique psychologique. Elle passe par la compréhension et la compassion du médecin. Il lui dit qu'il est à ses côtés et qu'il fait tout ce qu'il peut pour que humainement tout se passe bien. Donc, cette collaboration psychologique entre cancéreux et spécialistes du cancer fait que nous avons rarement des situations de révolte vis-à-vis des praticiens.


•Des mariages sont célébrés dans ce genre de situations…

Exactement. Nous avons été témoin d'un mariage ici (au Chu de Treichville). C'était un patient qui était vraiment désespéré. Et comme il vivait avec une concubine, il fallait officialiser pour que cela serve aux enfants. On a fait venir le prêtre qui a officialisé le mariage et deux semaines après, le patient est mort. La famille nous a remercié parce que pendant 2 ans, nous avons soutenu ce patient.


•Y-a-t-il une préparation spéciale du malade dans ces conditions?

Il y a une préparation. N'oubliez pas que chez les pensionnaires, il y a des interrogations. L'homme est multidimensionnel. Le cancéreux est dans un état où il est à l'intérieur. Il cherche des ressources pour pouvoir surmonter son mal. Mais il bénéficie du soin « spirituel », parce qu'on a des personnes spirituelles qui passent et qui échangent avec les malades pour voir quelle est leur vision de la mort et ce qu'ils en pensent. Mais on leur parle aussi de la vision de la vie, car la mort et la vie se côtoient. On ne dit jamais à un malade qu'il va mourir dans deux semaines. On ne fait jamais cela, parce que le souffle divin n'appartient pas aux médecins. On a parfois des résultats spectaculaires. Il y a des gens qu'on aurait condamnés à un mois qui sont encore là.


•Ces cas sont-ils nombreux ?

On a eu des cas de survie prolongée, où la survie a doublé ou triplé. Mais on faisait comprendre aux patients que nous restons toujours prudents. Il arrive aussi que malgré tout ce que nous faisons le malade meurt.


•N'arrive-t-il pas que pour abréger la souffrance d'un malade vous lui injectiez des substances pour l'aider à mourir.

Vous parlez-là de l'euthanasie. Non, nous ne la pratiquons pas.


•Que pensez-vous de cette pratique qui existe dans certains pays au monde ?

Peut-être une euthanasie passive où on sait qu'il n'y a rien à proposer et qu'il ne faut pas faire d'acharnement thérapeutique chez le patient. Mais, nous ne sommes pas pour l'euthanasie.


•Qu'entendez-vous par acharnement thérapeutique?

Quand on sait que le malade ne récupérera jamais et qu'il est obligé d'être nettoyé et qu'on lui donne à manger, nous n'allons pas faire un traitement anticancéreux. Nous allons soulager la douleur et il continue son chemin. C'est l'abstention thérapeutique. Nous nous abstenons de faire plus. Ce n'est pas l'euthanasie.


•Cela est-il réglementaire ?
Oui.


•Que pensez-vous de l'éventualité de la légalisation de l'euthanasie en Côte d'Ivoire ?

L'euthanasie, c'est un débat complexe. Il est vrai qu'en Afrique, les morts ne sont pas morts. Si la vie est un droit, c'est que la mort est un devoir. Nous savons qu'il faut partir, mais il ne faut pas précipiter le départ. Les parents peuvent se révolter. Même si des parents demandent de faire partir un malade, nous ne le faisons pas. Personne n'a l'autorité d'ôter la vie.


•Des parents vous demandent donc d'achever leurs malades…

Oui, ces choses arrivent souvent. Les parents ne peuvent pas vous demander de pratiquer l'euthanasie. Ils vous demandent : « Docteur Est-ce que, ça vaut la peine de continuer ? Nous leur disons que nous laisserons le souffle partir quand ce sera le moment.

Interview réalisée par Cissé Sindou
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