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Société Publié le jeudi 27 août 2009 | Nord-Sud

Suicides chez les adolescents : Attention, les enfants se tuent !

La mort rode encore dans le milieu des adolescents. Ce n’est pas la menace des kidnappeurs ou d’une pandémie infantile. Cette fois, ce sont les enfants eux-mêmes qui se tuent. La proportion des cas connus est déjà effrayante. Enquête.

Un décès peu ordinaire s’est produit dans la nuit du samedi 11 juillet au quartier «Remblais» de Koumassi, non loin du carrefour du groupe scolaire «La Colombe». Salami Moussi, né le 23 juin 1993 à Treichville, en classe 2nde A, a mis fin à ses jours. Il s’est pendu. Ce soir, après avoir joué avec ses camarades, le garçon entre dans la salle de bain. Mais, à la différence des autres bains, celui-ci ne finit pas. Sa mère qui ne voit pas son fils cherche à savoir ce qui se passe. Elle ouvre la porte et découvre l’horreur. Le cri strident qu’elle pousse alerte le voisin immédiat, le nommé Zabré S. Ce dernier s’empresse de sectionner la corde qui retient le lycéen. Il amène l’enfant au salon pour le réanimer. Mais il est trop tard. Salami est mort. La police se rend sur les lieux pour le constat d’usage. Le drame fait la manchette du confrère Soir Info le 14 juillet. Le cas de Sanogo Moussa survenu à Grand-Bassam est quant à lui resté anonyme jusqu’à ce jour.


Suicides par pendaison

Le corps frêle du lycéen de 16 ans a été retrouvé le 1er février dans la chambre de ses parents. Ne voulant plus revivre ce triste épisode dont il ne s’est pas encore totalement remis, son père n’a pas souhaité nous accorder d’entretien. Dans le procès-verbal du commissariat de police de l’ancienne capitale il relate : « Mon fils s’est effectivement suicidé par pendaison dans ma chambre à coucher. Je me trouvais au travail. J’ai été informé par un monsieur. Immédiatement, je suis rentré à la maison pour constater les faits. C’est sa sœur cadette qui a découvert le corps à 10 heures. Après le constat, je me suis rendu à la police pour signaler le décès ». C’était à 12 heures. Les policiers se sont déportés sur les lieux en compagnie d’un médecin pour constater le drame.

Selon des chiffres qui nous ont été communiqués par Zikéto Sandrine qui prépare une thèse de DEA en criminologie sur le suicide, dans la période 1998-2008, les seuls commissariats de Port-Bouët ont été appelés pour une vingtaine de tentatives de suicide et trois cas de décès chez des jeunes de 13 à 18 ans. A ceux-là, s’ajoutent les rescapés reçus par dizaines au Centre de guidance pour enfants handicapés mentaux de l’Institut national de la santé publique d’Adjamé.
Déjà surprenante chez les adultes, le phénomène intrigue chez les enfants. Pourquoi à l’âge d’adolescence, où l’on commence généralement à découvrir les délices de la vie, autant de jeunes décident-ils d’abréger leur passage sur terre ? D’où tirent-ils l’idée et le courage d’affronter une mort provoquée par eux-mêmes ? A la différence des adultes, les enfants qui se donnent la mort laissent rarement des messages sur les motivations de leur acte. Salami et Sanogo ne l’ont pas fait, encore moins Kouakou Rodrigue Michaël, élève en classe de 4ème qui s’est pendu le 23 août 2005 à Yopougon-Gesco, à l’âge de 15 ans. Selon les témoins, rien ne prévoyait ce jour-là, la terrible fin que s’est donnée l’enfant. Le jour des faits il accompagne sa mère au marché. Et c’est tout seul qu’il rentre à la maison peu après 8 heures. Quelques instants après, on le voit s’engouffrer dans sa chambre. Il est suivi par son jeune frère âgé de 3 ans. C’est d’ailleurs ce môme, les minutes suivantes, qui ressort de la chambre en courant. Leur mère étant absente, il fonce chez la voisine et l’informe de ce qu’il a vu son aîné Rodrigue en train « de se serrer le cou ». La voisine n’imagine pas tout de suite ce qu’il veut dire. Elle va « quand même » vérifier ce qu’il en est. Il est trop tard. Rodrigue est mort étranglé par la corde qu’il avait serrée autour de son cou.

Dans certains cas, l’entourage a tenté d’établir un lien entre les décès et les évènements qui les ont précédés. Beaucoup de personnes à Koumassi Remblais continuent de croire par exemple que Salami Moussi s’est donné la mort à cause des reproches de sa mère qui venait de lui tirer les oreilles pour ses mauvais résultats scolaires. Des remontrances qu’elle a reconnues devant la police. Celles-ci ne visaient, selon la dame, que la réussite d’un enfant qui aimait trop jouer. Un élève peut-il se suicider pour cette raison ? La question a été posée au Dr K. Dénis Dagou, un psychologue qui a déjà réalisé des travaux sur le sujet au Bureau international catholique pour l’enfance (Bice). C’est lui qui nous explique pourquoi un parent dont le fils s’est suicidé ne désire pas que cela soit connu du public. « C’est un déshonneur pour lui », précise le scientifique. Sans affirmer que Salami s’est suicidé à cause des reproches de sa mère, il reste catégorique sur la possibilité chez un enfant de se donner la mort ou de vouloir le faire quand il constate un déphasage entre lui et ses parents. « Plutôt que de brimer l’enfant, il faut chercher à comprendre pourquoi il n’a pas de bonnes notes. Si pendant que l’élève, pour des raisons endogènes ou exogènes, n’est pas brillant et que le parent, sans avoir identifié ces obstacles continue de lui exiger une meilleure performance parce qu’il estime avoir mis tous les moyens à sa disposition, l’enfant est dans ce cas transformé en un adulte qui doit se débrouiller. Dans ce blocage qui le fait souffrir, il peut décider d’arrêter sa souffrance en mettant fin à sa vie », explique le scientifique. Il lie le phénomène du suicide à un manque de repères pour la jeunesse ivoirienne. « L’adolescent, c’est celui qui est en train de grandir. A cet âge, l’enfant se pose des questions sur tous les problèmes de la société : les échecs scolaires, le manque de débouchés, l’absence de transparence dans les concours…S’il n’a pas d’adulte capable de lui donner des réponses convaincantes, il peut juger inutile d’intégrer ce monde trop complexe. Il préfère partir », indique Dr Dagou. L’adolescent raisonne toujours en termes de pertes. S’il n’a pas d’adulte pour lui repondre, il y a une perte. Si personne ne veut tenir compte de son avis, il y a une perte. En ce moment-là, il vit un vide. Où aller? Autour de lui, il ne voit que des difficultés. Les adultes ne sont plus fiables. Ils disent une chose aujourd’hui et demain son contraire. Où aller ? Que faire ? », interroge notre consultant. «Les relations familiales sont devenues difficiles. Personne ne l’écoute. L’enfant regarde autour de la ville ou du pays, il ne voit que des difficultés. Les adultes n’ont jamais le temps d’écouter sa préoccupation sous le prétexte que c’est encore un enfant alors que c’est un adulte qui est en train de grandir », ajoute-il. Selon le spécialiste, l’adolescent a besoin de s’appuyer sur des modèles pour avancer. Quand il n’en a plus, il se dit que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Pour le capitaine-major Doumbia Mamadou, chef de la brigade des enfants à la Police criminelle, le suicide d’un gamin est une triste réalité qui doit interpeller toute la société. Son service se bat pour la centralisation de tous les cas enregistrés par les différents commissariats. Ce qui permettra au pays de disposer de statistiques complètes.

Déçus des adultes ?

A la différence du psychologue, il pense lui que les origines du fléau sont ailleurs. « C’est une pratique copiée au cinéma. Il n’y a plus de censure. L’enfant a accès à toutes sortes de films. Et quand il vit une situation qu’un jeune de son âge a connue dans un film, le jeune ivoirien a tendance à répéter l’attitude adoptée par celui-ci », affirme-t-il. Il cite l’exemple du « bôrô d’enjaillement » ou du « parcours du combattant » (Traverser un boulevard à une heure de pointe le visage bandé) qui sont, à l’en croire des pratiques copiées par les élèves à partir de documentaires montrant les mêmes choses en Amérique Latine. Traoré Korotoum, mère de famille est du même avis que lui. Elle en veut pour preuve la propension de ses enfants à vouloir imiter les catcheurs qu’ils voient sur certaines chaînes étrangères. Pour sa part, le Pr. Koné Drissa, médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Bingerville, explique que le suicide chez un enfant peut être causé par une dépression. (Lire son interview).

Une question demeure. D’où les enfants tirent-ils le courage d’affronter la mort? Pour notre spychologue, l’enfant qui décide de se donner la mort est au-dessus de la peur de mourir. Bien au contraire, il cherche à affirmer sa bravoure. Une autre expression de la recherche d’un nouveau modèle est à ses yeux le phénomène du « bôrô d’enjaillement » qui devait, selon lui, alerter les adultes. Il termine par ce conseil : « Une chose est de donner à l’enfant les moyens de réussir à l’école ou dans la vie, une autre est de chercher à le comprendre, l’aider à comprendre la société. Aussi, est-il urgent que les adultes donnent aux enfants l’espoir de vivre plus longtemps ».


Cissé Sindou
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