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Faits Divers Publié le vendredi 28 août 2009 | Nord-Sud

Malan Agnini, alias “Colombo” (détective privé) : “J’ai enquêté sur plus de 100 cas d’adultère”

On a plus de chance de gagner à un jeu de hasard que de rencontrer un détective privé dans la rue. Nous avons rencontré Malan Agnini il y a quelques semaines, à Port-Bouët pendant un reportage. Il n’a pas hésité à dévoiler son titre de détective privé étant donné qu’il connaissait le nôtre. Tout de suite, nous avons voulu l’interviewer. Mais, il a décliné l’offre malgré notre insistance et a proposé d’y réfléchir. Cela faisait bientôt trois semaines que nous attendions son coup de fil. Contre toute attente, le 23 août, le téléphone sonne et au bout du fil, c’est Malan. Il donne son accord pour l’entretien. Le détective avait tenu à voir un responsable de l’armée pour être sûr qu’en tant qu’ancien militaire, il pouvait accorder une interview à la presse. Lundi 24 août, nous prenons rendez-vous à Port-Bouët dans la matinée. A 15h, Malan se présente à nous au niveau du 5ème arrondissement de Port-Bouët. La ponctualité est de mise, à grande enjambée. Il porte un tee-shirt rouge, un pantalon Jeans bleu ciel. C’est un homme costaud au visage sévère. Et pourtant, il s’est ouvert à nous.


Depuis quand êtes-vous détective privé?
J’ai commencé le métier de détective privé en 1994-1995, après avoir quitté l’armée le 31 octobre 1993.


Vous êtes donc un ancien militaire…

Oui. Je suis entré dans l’armée le 10 juin 1989. J’ai été affecté au Gatl (Groupement aérien de transport et de liaison) de 1982 à 1983. Cette unité est devenue aujourd’hui la base aérienne. J’ai ensuite été à la Garde présidentielle de 1983 à 1987. La présidence recrutait d’anciens militaires, parce que certains partaient à la retraite. Nous étions sous le commandement du colonel Kouassi Gustave, notre chef de corps qui est aujourd’hui décédé.


Que s’est-il passé pour que vous-vous retrouviez détective privé ?
Un problème avec mon commandant d’unité à la Garde républicaine.


Pourquoi avez-vous choisi ce métier parmi tant d’autres ?

J’ai d’abord essayé de refaire ma vie. Au départ, j’ai voulu entrer dans la légion française, en vain. On me demandait de payer beaucoup d’argent. Ma deuxième ambition c’était de devenir détective privé.


C’est donc depuis votre jeunesse que vous avez eu cette envie ?

Bien sûr. Puisque je ne pouvais pas entrer dans la Légion française, le peu d’argent que j’avais, je l’ai pris pour suivre des cours de détective privé par correspondance, jusqu’à un certains moment. Je devais aller ensuite en Belgique pour la phase pratique et avoir mon diplôme. Malheureusement, je n’avais pas d’argent, je n’y suis pas allé.


Le fait de n’avoir pas pu aller en Belgique ne vous a-t-il pas découragé ?

Non. Un jour, j’ai vu dans un journal qu’un détective privé était à la recherche d’un compagnon pour l’aider dans son travail. J’ai pris contact avec lui. C’est lui qui m’a forgé.


Que faisiez-vous exactement ?

Essentiellement les filatures et les enquêtes pour des particuliers et des entreprises.


Comment se passe une filature ?

Vous savez, plusieurs hommes ou femmes soupçonnent leur conjoint où leur conjointe de les tromper, de commettre l’adultère. Quelques personnes qui connaissent notre existence viennent nous voir. Elles nous demandent de faire une filature pour être sûres de leurs soupçons ou de savoir avec qui le conjoint ou la conjointe les trompe. C’est monnaie courante.


Comment faites-vous quand monsieur ou madame vient vous voir pour suivre l’autre, soupçonné d’adultère ?

L’intéressé nous montre leur domicile. Ensuite il nous montre la femme où le monsieur à suivre, très souvent la photo suffit. A partir de ça, nous commençons. Nous la suivons avec des appareils sophistiqués, partout où elle rentre et nous prenons des photos.


Entre les hommes et les femmes qui a le plus recours à vos services?
Les hommes.


Des politiciens, des hommes d’affaires…
Non. Des personnes ordinaires qui ont de l’argent.


Avez-vous déjà pris des gens en flagrants délits d’adultère lors de vos enquêtes?
Bien entendu. Assez.


Combien de filatures de ce genre avez-vous menées ?

Une centaine. Il y a autant d’hommes que de femmes. Ils se soupçonnent mutuellement d’adultère.


Combien de temps faut-il pour boucler une filature ?
Au plus une semaine.


Qu’en est-il de l’enquête ?

Elle prend entre un et 6 mois. Le temps est beaucoup plus long parce que si vous enquêtez sur un vol par exemple, il faut prendre le temps pour ne pas se tromper de voleur.


Vous pouvez citer des enquêtes que vous avez déjà eu à mener ?

Africycle, par exemple, une société de pneumatique. Mais, il y a quelques années, je ne sais pas si cette entreprise existe toujours. C’était avant le coup d’Etat de 1999. Les gens volaient des pneus dans la société. Un responsable nous a invité à infiltrer l’entreprise pour attraper le voleur.


Infiltrer une entreprise, on se croirait dans un film ?

Il faut dire que quand on doit mener une enquête dans une entreprise, le premier responsable de la société est informé. Et on vous fait travailler dans la société. Personne ne savait que j’étais dans la société pour ça. Je suis venu me présenter comme quelqu’un qui cherchait du travail. Le boss m’a présenté dans un poste où j’arrangeais les cartons.


Avez-vous arrêté le voleur d’Africycle ?
Il s’est dévoilé bien avant. Il a avoué que c’est lui qui volait les pneus.


Mais, vous avez quand même arrêté des fripons…

Le détective ne fait qu’enquêter sur une personne, une fois que c’est bouclé, il fait le compte rendu à celui qui l’a engagé. S’il faut l’arrêter on fait appel à la police.


Vous avez un pistolet et une carte de détective ?

Le pistolet, non. Il faut une autorisation. Vous savez, tout le monde peut avoir une arme, il suffit d’avoir une autorisation. Moi, je n’ai pas pu en avoir parce qu’il me fallait présenter un diplôme. Mais j’ai une carte de détective.


Un détective a-t-il le droit de tirer sur un voleur ?
Non.


A part l’infiltration des entreprises est-ce que vous faites d’autres types d’enquête ?
Bien sûr. Sur les vols d’argent, les fugues, etc.


Un exemple.

C’était à Treichville. En janvier 1995. Je travaillais encore avec mon patron. Je suis arrivé un matin au travail, un opérateur économique est venu nous voir. Il a expliqué qu’il avait été grugé par quelqu’un sur une grande somme. Plus de 100 millions de Fcfa. Une plainte était déposée à la brigade de recherches. Mais, finalement c’est nous qui avons réussi à mettre la main sur lui en premier. Il habitait en réalité à la rue 39, à l’ancienne résidence d’Alpha Blondy. Il y venait tardivement et c’était difficile de le voir. On avait eu le portrait robot et des informations que le monsieur nous avait données. Nous l’avons pisté. Lorsque nous étions sûrs que c’était lui, nous avons appelé la brigade de recherches. Mon patron a monté la garde en bas et je suis monté avec les flics. L’homme ne s’était douté de rien.


Quel a été votre plus grand coup ?

Je l’ai fais au Mali. En 1997. Un monsieur est venu me voir. Il était à la recherche de son fils qui s’était enfui avec son argent. J’ai fait mon passeport et j’y suis allé. Là-bas, j’ai pris contact avec la gendarmerie pour expliquer les faits. J’avais un guide fourni par le client. Après quarante cinq jours, on a pu mettre la main sur le jeune. La police malienne l’a arrêté à la suite d’une rixe dans une boîte de nuit.


C’était grâce à vous ?

On ne peut pas affirmer cela à cent pour cent. Ce qui est sûr, nous, on le suivait depuis longtemps.


Quand vous menez ce genre d’enquête sur quoi vous-vous basez pour retrouver un homme que vous ne connaissez pas et qui est dans un autre pays ? C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Il faut se dire que lorsqu’un enfant détourne l’argent de ses parents, là où on peut le retrouver c’est dans les bars. On est donc parti sur ce principe au Mali et cela a marché. Mais avant, celui qui nous a engagé a eu le temps de donner assez d’informations sur la cible.


Ce n’est pas dangereux de suivre des personnes qui peuvent vous démasquer et vous faire du mal ?

C’est vrai. Mais, vous savez, en Côte d’Ivoire, ce n’est pas dangereux comme dans certains pays d’Europe ou d’Amérique. Ici, même si vous êtes découvert, vous ne risquez pas grande chose. Et puis, j’aime beaucoup jouer, je joue assez la comédie, et c’est un point fort. En même temps j’en profite pour enquêter.

Combien d’enquêtes avez-vous à votre actif ?
Une trentaine.

Combien coûte une enquête ?
Entre 600.000 et 800.000 Fcfa. L’enquête que j’ai menée au Mali a été mon plus grand coup : 1.200.000 Fcfa.

Et la filature ?
La filature vaut au plus 300.000 Fcfa.

C’est quand même énorme.
Vous savez, il y a les dépenses.


Lesquelles ?

Si vous faites une filature sur une personne par exemple et qu’elle va dans un hôtel, vous devez donner de l’argent au gérant d’hôtel pour qu’il vous livre le numéro de la chambre. Si c’est un bar, vous devez manger ou boire quelque chose. Si c’est un endroit luxueux, les dépenses peuvent être énormes. Il y a aussi le taxi qu’il faut louer pour les filatures. C’est 32.000 Fcfa la recette. Vous pouvez estimer ce que cela fait, au bout d’une semaine. Il arrive parfois que la personne que vous suivez soupçonne le taxi. Vous êtes obligé de prendre un véhicule particulier. Et la location c’est entre 30.000 et 40.000 Fcfa, par jour. Sans compter le carburant. C’est couteux.


Les contrats sont réguliers ?
C’est périodique. Il y a des moments où le détective ne chôme pas. Il y a par contre d’autres périodes où il n’a rien sous la main.


Peut-on dire que le métier nourrit son homme ?
Si, le métier nourrit son homme.


Quelles sont vos difficultés ?
C’est surtout dans la filature. Lorsqu’une personne vous demande de suivre son conjoint ou sa conjointe qu’elle soupçonne d’adultère, vous le faites, que ce soit vrai au faux. S’il s’avère que la personne commet l’adultère, vous prenez les photos dans l’hôtel où dans l’appartement de l’amant ou de l’amante. Et vous mettez ces photos à la disposition de celui ou celle qui vous a engagé avec votre numéro de téléphone, votre cachet. Par mégarde, la personne qui vous a engagé peut laisser les photos à la disposition de monsieur ou de madame. Dans ce cas nous recevons des coups de fils de la personne que nous avons filée.


Avez-vous été victime d’un tel cas ?

Bien entendu. Une fois, j’ai fait une filature pour un homme qui soupçonnait sa femme d’infidélité. Je lui ai donné les photos qu’il a laissées dans le tiroir. Sa femme les a aperçues. Elle m’a joint au téléphone prétextant qu’elle voulait me rencontrer, elle n’a pas dit pourquoi. J’étais loin d’imaginer que c’était l’une des femmes que j’avais filées. Elle a indiqué une buvette au Plateau où nous devrions nous retrouver. Mais, dans le métier on apprend à être vigilant, parce que l’une des personnes sur qui vous avez enquêté peut chercher à vous nuire. Donc, je suis arrivé sur les lieux quelques minutes avant l’heure du rendez-vous. Je me suis positionné à l’entrée. Elle est entrée dans la buvette peu après. Quand je l’ai vue, j’ai tout de suite tiqué. J’ai attendu 5 mn pour voir si elle ne s’était pas fait accompagner par des loubards. Elle était assise seule à une table et a commandé une sucrerie. Je me suis ensuite approché de sa table pour me présenter. Elle a versé les photos devant moi et j’ai compris.


Elle était furieuse…

Non. Je n’avais fais que mon boulot et elle le savait. Nous avons discuté et elle est repartie. Elle voulait juste me rencontrer.


Vous faites des filatures pour démasquer certains infidèles, êtes-vous marié ?

Je suis marié et père de deux enfants. Je sais que dans d’autre pays ma famille peut être en danger, mais comme je l’ai dit la Côte d’Ivoire n’est pas un pays dangereux.


Quelle est votre collaboration avec la police ?

De très bonnes relations. Il faut dire que je n’ai jamais eu de problème avec la police.


Lors de vos missions, vous les consultez d’abord où vous agissez toujours seul ?

Je ne les consulte pas. Les filatures, la police n’y a rien à avoir. C’est souvent dans les enquêtes. Les policiers aiment les détectives, parce qu’ils trouvent que nous leur allégeons la tâche.

Interview réalisée par Raphaël Tanoh
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