x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Économie Publié le mardi 8 septembre 2009 | Nord-Sud

Moustapha Savané (Ingénieur des Travaux publics en France) : “Comment sauver le réseau routier ivoirien”

La dégradation du réseau routier ivoirien suscite des inquiétudes au-delà de nos frontières. Moustapha Savané, ingénieur des Travaux Publics et responsable de l'Unité d'Exploitation de la Route d'Orsay (France), livre, dans cet entretien, son point de vue. Objectif : interpeller les autorités à une meilleure prise en charge de l'entretien de nos routes. Pour la sécurité des usagers.


•Le réseau routier ivoirien est dans un état de dégradation avancée. En tant que technicien quel regard portez-vous sur ce qui était considéré comme un fleuron pour le pays ?

Le réseau routier en Côte d'Ivoire connaît aujourd'hui une dégradation criante mettant ainsi en évidence l'absence d'une politique cohérente d'entretien et de réhabilitation des routes et autoroutes nationales. Je rappelle que la Côte d'Ivoire disposait en 1998 de 81.000 km de routes dont 6.000 km de routes bitumées.

L'état du réseau routier, bien entretenu dans les années 1990, permettait à notre pays de se hisser dans le peloton de tête des pays de l'Afrique sub-saharienne qui disposaient d'infrastructures routières viables et fiables. Aujourd'hui, l'état du réseau routier représente à mes yeux un vrai recul en matière d'infrastructures routières et traduit un manque de volonté réelle des autorités en ce qui concerne les apports en investissements financiers dans le domaine des routes.


•Quelles solutions préconisez-vous?

Tout d'abord, il faudrait mettre en place une politique cohérente d'entretien et de réhabilitation des routes c'est-à-dire qu'il faudrait définir les niveaux de service que l'État ivoirien souhaite avoir sur l'ensemble des routes. Ces niveaux de service devront faciliter la sécurité des usagers, le temps de parcours sur les différentes voies, le temps d'intervention des pompiers et forces de l'ordre en cas d'accident ou d'incident sur la chaussée et enfin le confort de ceux qui emprunteront ces routes en longueur de journée. Ensuite, en fonction des ressources financières disponibles, certaines routes devront être totalement réhabilitées, c'est-à-dire renforcer la structure de ces chaussées et d'autres en revanche, les moins dégradées dans leur totalité, feront l'objet de purges ponctuelles. Elles seront réparées aux endroits les plus abîmés.

De plus, est-il besoin de rappeler que le premier ennemi des routes bitumées est l'eau ? C'est la raison pour laquelle il faudrait aussi mettre un accent particulier sur les systèmes d'assainissement de notre voirie. Enfin, pour permettre à l'usager de la route de circuler en toute sécurité, il paraît urgent de prendre en compte les réalisations de dispositifs de retenue aux endroits « accidentogènes», de remplacer des panneaux de police (panneaux ronds) et directionnels présentant une visibilité médiocre et d'entretenir les accotements de nos routes.


• Le visiteur qui arrive pour la première fois à Abidjan est frappé par l'absence de marquage horizontal sur les autoroutes et autres voies à grande circulation. Est-ce une omission grave de nos ingénieurs ou un élément facultatif dans la construction de routes ?

Il est important de prévoir ce marquage horizontal. Cette signalisation horizontale est un élément sécuritaire. Cela permet à chacun de choisir soit la voie lente, soit la voie médiane ou encore la voie rapide. L'absence de signalisation horizontale sur une route est une faute grave et pourrait mettre en danger la vie des usagers. Quand on construit une route, ce marquage horizontal, la signalétique, les dispositifs de retenu, l'assainissement sont prévus dans le budget de construction. L'entretien prévoit de refaire le marquage environ tous les trois ans et de surveiller le réseau tous les jours.


• La côtière qui n'a pas moins de 20 ans est complètement démodée.
Le matériel utilisé pour sa construction est-il mis en cause? Ou bien est-ce un défaut d'entretien ?
La côtière, comme le nom l'indique est un réseau routier qui a été créé non loin de l'océan atlantique. Or aujourd'hui, on observe que la mer et ses vagues ont un effet dévastateur sur les bandes de terre et de plus, il semblerait que l'océan atlantique progresse par endroits lentement à l'intérieur des terres provoquant un phénomène d'érosion.

Il me paraît difficile voire impossible d'affirmer que les matériaux utilisés n'étaient pas adaptés à la construction de cette route dans la zone côtière. Seuls des sondages (pour mesurer la composition de la chaussée) et des carottages (pour permettre de voir les déformations au niveau des couches) effectués sur ces voies, conjugués aux études liées à l'influence de l'humidité et des variations de température de ces zones pourraient peut-être donner un début d'explication.


• Les actions néfastes de l'homme ne sont-elles pas un autre handicap pour la survie de la voirie en Côte d'Ivoire?

Effectivement. Une action néfaste de l'homme est d'utiliser les abords des chaussées (accotements) comme des décharges sauvages entraînant ainsi la rupture du système d'assainissement de nos routes conduisant ainsi à la stagnation des eaux sur les chaussées. Il y a aussi le fait que des personnes déversent de l'eau ou font leur vidange sur la chaussée. C'est pourquoi, il s'avère nécessaire et indispensable de mettre l'accent sur l'éducation et l'information des populations car le réseau routier fait partie du domaine public et par conséquent, il est la propriété de chaque citoyen puisque son entretien se fait en partie grâce aux taxes payées par les Ivoiriens. Ici quand il y a un accident, très vite les agents d'entretien répandent une poudre appelée Faïencite pour absorber les hydrocarbures déversés sur la chaussée suite à cet accident.


• Comment la situation se présente-t-elle en France ?

En France, une politique cohérente d'entretien et d'exploitation des routes et autoroutes existe depuis plusieurs années. Je rappelle qu'en France les lois de décentralisation de 1982 et 2004 ont dicté la répartition de gestion des routes et autoroutes entre l'Etat et les collectivités territoriales. En effet, les routes communales sont gérées par les communes, certaines routes départementales et nationales par le département et les voies structurantes c'est-à-dire les autoroutes non concédées et d'autres routes nationales par l'État. Dans le cas du réseau routier dont l'Etat a la gestion, des directions interdépartementales des routes ont été créées afin de gérer l'exploitation et la viabilité de ce réseau et ce, par l'intermédiaire des unités d'exploitation des routes ou par des districts.

Ces unités et ces districts élaborent des programmes d'entretien et de réhabilitation de leur réseau routier durant l'année pour l'année n+1 (année suivante). Ces unités sont épaulées par le Laboratoire des ponts et chaussées et par le Service d'études techniques des routes et autoroutes en ce qui concerne les contrôles, les conseils et les avis sur les divers chantiers d'enrobés. Certains agents de l'unité assurent des travaux d'entretien courant du réseau et d'autres sont chargés de la surveillance du réseau. En ce qui concerne les travaux d'entretien spécifiques demandant des matériels adéquats et une grande expertise, ceux-ci sont sous-traités aux entreprises privées. Cette programmation se fait en fonction du guide IQRN (Image, Qualité des Routes Nationales), guide dans lequel sont pris en compte, pour chaque tronçon, les coefficients de frottements et d'adhérence ainsi que les dates des derniers travaux de réhabilitation et d'entretien de ces tronçons. Ainsi, un budget de fonctionnement et un budget d'investissement est alloué à chaque unité ou district durant l'année n+1 pour réaliser les travaux programmés.


• Le coût d'un kilomètre de route revêtue de bitume est compris aujourd'hui entre 200 millions et 1,5 milliard de Fcfa. Quelles solutions palliatives proposez-vous?

Vous remarquerez que la fourchette de variation d'un kilomètre de route bitumée est large allant de 200 millions à 1,5 milliard de Fcfa. Cela s'explique par la nature du bitume utilisée et l'épaisseur de sa mise en œuvre. En effet, plus l'épaisseur est élevée, plus le tonnage en bitume est élevé. A mon avis les solutions que vous appelez « solutions palliatives » permettant de restaurer les routes ivoiriennes seraient de réhabiliter en bitume les voies supportant un trafic élevé, de faire des purges ponctuelles en bitume sur des voies les moins dégradées dans leur ensemble et enfin de mettre l'accent sur le rechargement et le reprofilage de certaines routes en terre. Pour moi, la route en terre ne doit pas être considérée comme la solution pauvre mais au contraire comme la solution convenant le mieux dans bien des cas aux besoins du moment et ce, à condition de prendre en compte son drainage et l'entretien de sa chaussée. C'est plus économique et adaptée aux zones de faible trafic.


• Le géopavé est-il bien adapté à nos pays?

Rappelons que la mise en œuvre d'une chaussée en pavés se fait manuellement. La réalisation d'une telle voie exige alors un temps beaucoup plus long qu'une chaussée réalisée en bitume.
Certains pays africains ont fait le choix de ce matériau pour réaliser des routes, c'est le cas du Bénin par exemple. J'insiste sur le fait que les chaussées en pavés sont peu confortables et ne supporteraient pas un trafic poids lourds important. Par ailleurs, les chaussées en pavés sont très bruyantes et pourraient avoir une influence sur la santé des riverains. Ce qui conviendrait est de mettre plus l'accent sur les chaussées construites à partir du bitume et le rechargement des chaussées en terre.



• Vous êtes ingénieur d'origine ivoirienne résidant et exerçant en France. Avez-vous dans l'immédiat des projets pour les routes ivoiriennes ?

(Rire…) Vous savez, chaque Ivoirien se sent concerné par l'état catastrophique des routes en Côte d'Ivoire. J'ai eu mon Bac au lycée scientifique de Yamoussoukro. J'ai eu ma maîtrise à l'université d'Abidjan. J'ai obtenu une bourse du pays. J'ai cette volonté de contribuer si on me fait appel à condition qu'on me donne les moyens et un échéancier. On verra ainsi en un laps de temps ce que je peux apporter à mon pays que j'ai le devoir d'aider. Sinon je gagne bien ma vie ici.


Propos recueillis par Karim Wally, Correspondant permanent à Paris
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Économie

Toutes les vidéos Économie à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ