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Art et Culture Publié le samedi 10 octobre 2009 | Le Temps

Serge Bilé : “Ce que le pape Pie XII a dit des noirs”

Et si Dieu n'aimait pas les noirs. C'est l’avant-dernier ouvrage de Serges Bilé qui continue de défrayer la chronique. Le Temps l'a rencontré. Interview !

Comment vous définissez-vous ?
Je suis journaliste, écrivain et documentariste et par dessus tout, un homme assoiffé de vérité.

On vous dit aussi écrivain à polémique.
Qu'ils sont ridicules ! Qu'un seul d'entre eux vienne me prouver que ce que je dis ou écris est faux ! Et, même mieux, qu'il porte plainte contre moi ! On vit dans un monde où on a peur de la vérité et quand quelqu'un cherche à la connaître et à la dévoiler, on fait tout pour le disqualifier en avançant qu'il fait de la polémique.

Qu'est-ce qui vous pousse justement vers les sujets que vous avez jusque-là traités ?
Moi, c'est le hasard, rien que le hasard qui m'a fait découvrir tous les sujets dont j'ai parlés. Des rencontres, des échanges, des mails que je reçois. Bref, des gens qui m'interpellent sur leur situation ou des situations inacceptables dont ils ont connaissance. A partir de là, j'enquête et si j'estime que c'est crédible, je fouille plus avant et je publie.

A quel moment vous est-il venu l'idée d'écrire un livre sur le racisme au Vatican ?
C'était en 2005, je présentais mon livre Noirs dans les camps nazis à Turin. J'ai rencontré une vieille dame italienne qui m'a remis la photocopie d'un télégramme rédigé en janvier 1944 par l'ambassadeur de Grande Bretagne près le Saint-Siège. Ce télégramme a été adressé, à la demande expresse du pape Pie XII, au commandement des forces alliées qui préparait la libération de Rome, occupée alors par les nazis. Il exigeait en clair qu'aucun soldat noir, africain, antillais, ou américain, ne soit déployé aux portes du Vatican. Ça a été le point de départ de l'enquête. J'ai cherché à savoir, avec Ignace Audifac, le journaliste camerounais qui a travaillé avec moi sur ce livre, ce qu'il en était du racisme non seulement à cette époque mais également aujourd'hui, au Vatican.

Comment l'église catholique a-t-elle réagi face à Et si Dieu n'aimait pas les Noirs ?
Paradoxalement, à Rome où le livre est sorti et a beaucoup fait parler notamment dans les cercles africains, les autorités vaticanes n'ont rien dit. Bien au contraire, un mois après la sortie du livre dans lequel les prêtres africains qui enseignent à l'université du Vatican se plaignaient de leur sort, eh bien un geste important a été fait. Un prêtre nigérian a été nommé vice-recteur de cette université. C'est la première fois qu'un Noir accède à ce poste. ça me conforte dans ma démarche. C'est quand on revendique et proteste qu'on est entendu. Or, nous, nous préférons généralement subir et ne rien dire. Pis, on s'en prend aux gens qui comme moi, dénoncent alors que c'est pour le bien collectif. L'archevêque de la Martinique par exemple a cru bon de m'insulter et a fait lire un texte dans toutes les églises de l'île demandant aux fidèles de ne pas lire ce livre. Manque de chance pour lui, c'est tout le contraire qui s'est produit. Les gens se sont rués sur l'ouvrage parce qu'ils ont soif eux aussi de vérité et ne veulent plus se laisser dicter leur conduite par des prélats qui ne donnent pas forcément l'exemple notamment sur le plan des moeurs.

Vous dites être chrétien catholique. Comment le vivez-vous ?
Je suis catholique mais je ne pratique plus depuis bien longtemps. Quand j'étais à Poitiers où j'ai grandi, un de mes grands amis était Evêque. C'était Monseigneur Rozier à qui je donnais des cours de guitare et qui souhaitait que je devienne prêtre. J'ai également enseigné le catéchisme, d'abord à Poitiers, puis à mon retour à Abidjan en 1986, à Saint-Jean de Cocody aux côtés de mon ami l'abbé Lucien Kima qui nous a quitté depuis, paix à son âme. Tout ce parcours religieux, je l'ai raconté en long et en large dans mon livre Sur le dos des hippopotames. Donc, quand je vous parle de ces choses-là, ce n'est pas avec le verbe du mécréant qui crache sur la religion, mais avec le regard de celui qui connaît et veut tenir sa lampe allumée pour qu'elle continue de l'éclairer et d'éclairer les autres. Tout ça pour dire que, ce n'est pas parce que je suis catholique, que je ne m'autorise pas à voir ce qui ne va pas dans cette Eglise. D'une manière générale, je mets un point d'honneur, en raison de mon métier, à prendre de la distance avec tout ce qui m'entoure, ma famille religieuse, politique, sociale et autres. Je fais également une distinction entre la Foi qui est une démarche personnelle et l'Eglise qui est une construction humaine, donc faillible.

Au-delà de l'enquête que vous avez réalisée sur le racisme Vatican, quel est le regard que vous portez sur l'Eglise catholique ?
C'est une vieille maison qui a besoin d'être rénovée. Quand on a dit ça, on a tout dit. Il y a tellement de problèmes dans l'Eglise qu'on n'ose pas aborder en face, qu'une interview ne suffirait pas à tout dire. L'Eglise est encore prisonnière de certains dogmes hérités du passé alors que le monde a changé et qu'elle peut faire bouger les lignes sans pour autant se renier. Sur la question du célibat des prêtres et du voeu de chasteté par exemple, il y aurait beaucoup à dire. Je note néanmoins qu'il y a de timides avancées notamment sur les enfants de prêtres avec une reconnaissance possible à court terme par le Vatican.

En une décennie, vous êtes devenu un auteur à succès. Notamment en France. Comment l'expliquez-vous ?
Je n'ai pas d'explication et je n'ai pas recherché ce succès. Je travaille sur les mêmes questions depuis 1994. Tout le monde se souvient de mon engagement avec les Boni de Guyane que j'avais fait venir ici cette année là. J'ai continué de la même manière à travailler avec bonheur dans l'ombre jusqu'à ce que le succès m'attrape en 2005 alors que je n'avais rien demandé.

Avec le grand succès que vous connaissez, pourquoi les grandes maisons d'éditions ne s'intéressent-elles pas à vous ?
J'espère que vous plaisantez ! Mon premier livre Noirs dans les camps nazis a été publié au Rocher qui est une grande maison d'édition française. Après le succès de ce premier livre, une autre grande maison d'édition, Calmann Lévy, m'a fait un pont d'or. J'ai publié là-bas mon livre Sur le dos des hippopotames. Finalement, mon premier éditeur avec qui je m'entendais bien a fondé sa propre maison d'édition et m'a demandé de le rejoindre. J'aime la façon dont nous travaillons ensemble. On est proche malgré que je me trouve, moi, en Martinique, et lui, à Saint-Malo. On s'appelle toutes les semaines alors que dans les grandes boites, c'est difficile de parler au Pdg. En plus, comme je suis celui qui vend le plus de livres chez lui, il m'offre toutes les facilités financières pour mener à bien mes enquêtes. Que demander de plus ?

Vous venez de publier un autre livre Au secours, le prof est noir. De quoi s'agit-il encore?
J'ai été alerté par des enseignants antillais et africains qui se plaignaient de discriminations au sein de l'Education nationale en France. J'ai donc enquêté avec un journaliste martiniquais, Mathieu Méranville, et ça a donné ce livre. Une soixantaine de professeurs antillais et africains ont accepté pour la première fois de témoigner courageusement. Certains n'ont d'ailleurs pas hésité à nous fournir des documents qui montrent qu'on a trafiqué des rapports d'inspection pour recaler des enseignants noirs qui n'ont par conséquent pas été intégrés sur la base de faux. C'est horrible et ça se passe en France. On a vraiment été effaré par tout ce qu'on a découvert dans ce milieu. J'espère que ce livre les aidera à se faire davantage respecter tant il est vrai que plus on se tait plus on nous écrase.

Quelle est l'attitude la plus raciste dont vous avez été victime en France ?
J'ai cette chance d'être passé entre les gouttes du racisme... J'ai quitté la Côte d'Ivoire en 1973. J'avais 13 ans. J'ai été dans une ville de province à Poitiers dans une famille française, où j'étais bien. Du coup, ça m'a toujours donné de la force pour ne jamais me laisser marcher sur les pieds à l'école. Le seul acte de racisme qui m'ait vraiment marqué, c'est, quand j'étais au collège, un garçon qui a refusé de me serrer la main. Vous voyez, ce n'est pas bien méchant, comparé à ce que d'autres ont vécu.

Le racisme est-il si profond dans la société française ?
Ce serait mentir que de dire que la France est enfoncée dans un racisme de la pire espèce. Non, mais le racisme existe au quotidien sous des formes feutrées. Tout le contraire des Etats-Unis où les choses sont dites clairement. Du coup, comme le racisme est caché en France, on ne le combat pas vraiment. Les discriminations perdurent par conséquent et le plafond de verre qui empêche les Noirs et les Arabes d'accéder aux plus hauts postes est toujours là. Alors, face à ça, moi j'ai choisi d'agir avec mes livres. Je pense que pour comprendre le racisme et les discriminations aujourd'hui, il faut expliquer les mécanismes qui les ont engendrés, et donc remonter dans le passé avec l'esclavage et la colonisation qui ont produit tous les clichés négatifs qui nous affectent encore. Parallèlement à ça, je dis aussi une chose. Il faut que nous nous ressaisissions et que nous nous prenions en charge. Rien ne nous empêche aujourd'hui de mettre en place des solidarités et de mutualiser nos moyens pour créer des entreprises en France plutôt que d'attendre d'être embauchés par les autres. C'est en prenant pied dans la sphère économique qu'on se fera respecter et qu'on fera aussi reculer le racisme. On vit dans un monde qui fonctionne comme ça, sur un rapport de force économique. Nous devons l'admettre et en finir avec nos bons sentiments.

Pensez-vous que c'est pour demain un président noir en France ?
Non. Trois fois non.

Quel est votre regard sur la crise ivoirienne ?
J'ai été peiné, comme tous ceux qui vivent hors de Côte d'Ivoire, par ce drame. J'ai, comme vous le savez, à ma modeste place, réuni des chanteurs antillais pour l'opération Nou la épi zot afin d'aider les déplacés. Mais au-delà, ce qu'il faut bien retenir, c'est que tout cela était prévisible. Aujourd'hui, on a beau jeu d'accuser les autres d'être responsables de nos malheurs. C'est irresponsable ! Nous devons, nous les Ivoiriens, assumer ce que nous avons engendré, même s'il est évident que des forces extérieures ont également contribué à la déstabilisation de notre pays. Or, si nous n'assumons pas cette responsabilité et si nous n'extirpons pas ce qui gangrène ce pays, eh bien ce qui s'est passé se reproduira. Le plus important aujourd'hui, c'est de faire les élections et d'offrir une nouvelle rampe de lancement à la Côte d'Ivoire. J'avoue qu'à titre personnel, je ne suis pas rassuré par la façon dont les choses s'annoncent. Aujourd'hui, ce qu'il faudrait à ce pays, c'est une relève. Mais voilà, les prétendants sérieux ont peur de sortir du bois de crainte de se faire... ratiboiser.

La Rti a refusé de diffuser votre film documentaire Une journée dans la vie de Marie-Madeleine. Comment vous avez ressenti cela ?
Ça m'a surtout fait de la peine pour les téléspectateurs ivoiriens qui sont, une fois de plus, à cause de la bêtise de quelques-uns, privés du droit de participer à un débat et de s'ouvrir l'esprit. Pour autant, je n'ai pas à mener le combat à leur place. Ce sont eux qui paient la redevance. C'est donc à eux de réclamer et de faire respecter leurs droits s'ils estiment que la télévision qu'on leur donne chaque jour n'est pas à la hauteur de leurs attentes. Moi, j'ai fait ma part. J'ai fait mon travail. Et, je continuerai à le faire en toute liberté.

Réalisée par Guéhi Brence

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