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Économie Publié le dimanche 25 octobre 2009 |

Retour sur la Côte-d`Ivoire, la Mecque du cacao : Cacao, quand tu nous tiens...

edito-matieres-premieres.fr - Dernièrement, Isabelle Mouilleseaux vous a raconté comment le cours du cacao n'en finissait pas de grimper. +70% depuis novembre. Et un record historique atteint il y a quelques jours à 2 184 livres la tonne à Londres.

Ce même jour – le 25 septembre – à Paris, Sylvie Bellanger-Guillaume, négociante en cacao de spécialités et fondatrice de sa propre maison, Silco SA, intervenait lors d'un petit déjeuner organisé par Thomson-Reuters. Son point de vue converge avec celui d'Isabelle sur nombre de points. Retour sur l'un d'entre eux : la Côte-d'Ivoire, la Mecque du cacao.

L'injuste prix du cacao en Côte-d'Ivoire
"L'Afrique de l'Ouest et notamment la Côte-d'Ivoire [40% de l'offre mondiale à elle seule] 'fait' le marché, du moins en ce qui concerne les fondamentaux", rappelle Sylvie Bellanger-Guillaume, qui le qualifie de "pays de référence du cacao".

Et justement, ce géant est devenu un sujet de préoccupation pour toute la filière, en raison du déclin, quantitatif et qualitatif, de sa production. La crise politique et militaire, qui a déchiré le pays entre 2002 et 2007, n'explique pas tout. D'ailleurs, déclare Sylvie Bellanger-Guillaume à propos de la Côte-d'Ivoire, "le cacao a beaucoup monté ces derniers mois sur les marchés internationaux, mais le planteur n'en bénéficie pas".

Le rendement ivoirien quatre fois plus faible que l'indonésien
D'une manière générale, le prix du cacao ne parvient qu'imparfaitement au planteur ivoirien. Selon les derniers chiffres (2002) de l'International Cocoa Organization (ICCO), c'est en Côte-d'Ivoire et au Ghana, les deux premiers producteurs de cacao au monde, que la proportion du prix de marché qui arrive jusqu'à la poche du planteur est la plus faible. Respectivement 57% et 52%, contre 85% pour le numéro trois mondial, l'Indonésie, et 99% au Brésil.

Notons au passage que le rendement est de l'ordre de 300 kilos/hectare en Côte-d'Ivoire, soit quatre fois moins qu'en Indonésie.

Les dieux sont tombés sur la tête !
De par ses origines pré-colombiennes, la dénomination botanique du cacao est theobroma (en grec, "la boisson des dieux"). Si dieu du cacao il y a, ses voies sont impénétrables. "En Côte-d'Ivoire, la fiscalité sur le cacao est à ce point lourde que les droits de douane et les reversements aux organismes para-étatiques coûtent parfois plus chers que la fève elle-même !", précise la négociante. De quoi décourager les exportateurs locaux et par voie de conséquence les planteurs, même si les autorités s'efforcent de corriger le tir.

Après les taxes, le planteur est maintenant confronté à d'énormes industriels, les "presseurs" qui transforment la fève dans leurs usines – parfois implantées sur place – et fournissent les chocolatiers comme Nestlé, Mars ou Hershey. Les plus gros de ces "gros" : le groupe suisse Barry-Callebaut, et les négociants-transformateurs américains Cargill et Archer Daniels Midland (ADM).

70% de l'offre vient de tout petits planteurs qui manquent cruellement de motivation
En effet, qui produit les fèves ? L'ICCO estime que 70% de l'offre est assurée par 2,5 à trois millions de petites exploitations de moins de 5-10 hectares. La production du cacao est donc avant tout une affaire de "petits". Voire de tout petits.

Le temps, c'est de l'argent, et tous deux font défauts aux planteurs. Ce qui les pousse à se précipiter, dès le début de la campagne, pour vendre leur production afin de scolariser leurs enfants qu'ils espèrent ne plus voir travailler dans les plantations. Le soin apporté à l'écabossage, la fermentation, le séchage et le tri qui participent de la qualité des fèves en pâtissent.

Les plantations en souffrent terriblement
Aujourd'hui, témoigne la négociante qui les rencontre très régulièrement, "les planteurs ivoiriens vivotent plus qu'ils ne vivent de leurs fèves". "Les travailleurs du cacao n'ont souvent jamais vu une tablette de chocolat", indique-t-elle.

Les vergers vieillissent et souffrent de défaut d'entretien, les pesticides coûtant chers, tout comme le renouvellement des arbres arrivés en fin de vie – il faut de trois à cinq ans pour qu'une pousse devienne un cacaoyer dont la vie productive est de l'ordre de 25 ans. Parfois en Côte-d'Ivoire, l'hévéa et le palmier à huile s'avèrent plus rentables que le cacaoyer qu'il leur arrive de remplacer. Un arbre chasse l'autre.

Du temps de la Caistab...
Il n'en a pas toujours été ainsi. La Côte-d'Ivoire d'Houphouët-Boigny avait décidé, juste après son indépendance dans les années 60, d'organiser sa filière agricole en la dotant d'une caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles, la Caistab.

La caisse réglementait la filière agricole et achetait aux planteurs, à un prix garanti fixé au début de chaque campagne, leur production de cacao, de café, etc. La caisse "pouvait ainsi vendre les productions à long terme sur une, voire deux campagnes d'avance", indique la dirigeante de Silco. Parallèlement, la Caistab permettait aux exportateurs de travailler autour d'un prix garanti à l'export. Organe régulateur, la Caistab jouait donc un rôle dans la formation des prix.

Implosion et chaos
Puis sous la pression des bailleurs de fonds internationaux dont la Banque mondiale, la Caistab a été démantelée à la fin des années 90, en raison notamment de son opacité et de la corruption. Les ventes à terme sont depuis lors impossibles, la privatisation de la filière ne permettant plus à ses opérateurs économiques de prendre le risque de vendre les récoltes par anticipation.

On n'a jamais eu tant besoin de régulation que quand elle n'est plus là...
Il est vrai que la Caistab était très "imparfaite", précise la négociante. Mais sa disparition "sans aucune mesure d'accompagnement"n'était pas non plus l'idée du siècle. La filière ivoirienne s'est trouvée totalement désorganisée.

Sylvie Bellanger-Guillaume en veut pour preuve qu'en 1995, "seules 5% des fèves de cacao exportées de Côte-d'Ivoire ne respectaient pas les normes FCC de qualité édictées par la filière cacao, et étaient alors dirigées vers les cosmétiques (savons...), la pharmacopée, etc. Aujourd'hui, ce taux est de 17%, voire 20%".

"Les autorités ivoiriennes essaient de remédier à cet état de fait",commente la négociante, qui précise que la réorganisation de la filière est en cours. A terme, le volume et la qualité du cacao devraient y gagner. Un défi qui ne demande qu'à être relevé !

par Emmanuel Gentilhomme
Mercredi 21 octobre 2009


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