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Économie Publié le jeudi 12 novembre 2009 | Nord-Sud

Secteur privé : Pourquoi les investissements tardent

Priorisation du paiement de la dette intérieure, recherche de financement pour la relance, l'Etat ivoirien multiplie les actions. Malheureusement, les investissements privés escomptés se font toujours attendre.

Offensive tous azimuts de l'Etat ivoirien, assistance des institutions financières, assurances des banques commerciales etc. Les sources d'espérance ne manquent pas mais les investissements privés demeurent encore marginaux, érodant davantage le fragile tissu économique avec son corollaire de pertes d'emplois.

Le secteur privé est anémié. Même si la crise financière internationale est venue exacerber les effets de cette conjoncture, les autorités mettent en avant les difficultés nées des crispations sociopolitiques. Quoiqu'il en soit, la relance des secteurs productifs reste encore flottante. «Les efforts du gouvernement permettent de donner un souffle nouveau au secteur. Mais ils doivent être renforcés davantage en matière de recherche de financements», a suggéré Daniel Bréchat, président de la Fédération ivoirienne des petites et moyennes entreprises (Fipme) au cours d'une cérémonie d'octroi d'un fonds d'assistance de 4 milliards de Fcfa à son secteur d'activité. Mais, pour certains spécialistes, la question ivoirienne est plus complexe que cela. Selon Marcel Allangba, maître de conférences à l'université, le contexte ivoirien actuel ne se prête pas à l'émergence d'un secteur privé compétitif. En effet, l'environnement des affaires fait face à des facteurs de blocage structurels. «Qui va jeter son argent dans un inconnu absolu ?», s'interroge-t-il, faisant allusion à l'inorganisation des élections générales censées apaiser le climat social qui permettra aux opérateurs économiques d'avoir une certaine visibilité. Mais, à côté de ce facteur certes majeur, cohabitent d'autres éléments de blocages d'ordre économique, administratif et même judiciaire. Selon l'universitaire, la faiblesse et le cloisonnement du marché intérieur, caractérisé par une faible capacité d'absorption, n'est pas de nature à favoriser la montée en puissances des entreprises. C'est que la demande solvable des ménages ivoiriens reste très faible. Le Salaire minimum de croissance (Smic) en vigueur (qui n'est pas souvent respecté dans l'économie souterraine) représente certes un faible coût de production, mais induit aussi une demande potentielle nationale quasi-inexistante pour les produits nationaux, alors qu'une grande partie de la demande solvable s'adresse à l'extérieur. La crise politique de ces dernières années n'a fait qu'accentuer ces difficultés. Cette double caractéristique du marché intérieur, soutient l'économiste, réduit le potentiel de rentabilité des projets d'investissement et surtout ceux dits « industriels ».

Trop de pesanteurs

Cela impose des exportations parfois dans des conditions de compétitivité douteuse, sur des produits et des marchés caractérisés par une intense concurrence internationale. Parallèlement, les flux d'importations de denrées alimentaires comme le riz (240 milliards Fcfa par an), de produits d'équipement et de consommation sont de plus en plus lourds et incompressibles. Cependant, les déséquilibres de la balance des paiements et commerciale sont fondamentaux. Le capital disponible pour les investissements productifs et à risque demeure léger. Les investissements spéculatifs et non créateurs de valeur sont plus fréquents. Pour lui, le tissu industriel peine à retrouver une densité efficiente avec une percée fulgurante du secteur informel. «Il appartient à l'Etat d'inciter à l'esprit d'entreprise par l'assainissement de l'environnement», implore Jean-Louis Billon, président de la Chambre de commerce et d'industrie. Pour Marcel Allangba, dans toute économie de marché, l'un des moteurs fondamentaux du développement réside dans la disponibilité d'un vivier d'entrepreneurs dynamiques. Mais, en Côte d'Ivoire, ce vivier est restreint. La mentalité entrepreneuriale, observe-t-il, reste embryonnaire. Le risque industriel y est mal accepté par les détenteurs de capitaux, notamment les commerçants et les gros propriétaires fonciers et immobiliers. Par ailleurs, ceux qui disposent d'une formation technique et économique préfèrent le statut de salarié à celui d'entrepreneur. «Une politique d'incitation à l'égard de ces investisseurs potentiels devrait constituer un axe prioritaire de l'action publique», propose-t-il. Sur la question, d'autres pesanteurs existent. Malgré les qualités des infrastructures généralement reconnues, le manque de formation constitue un handicap que l'investisseur doit supporter au départ. En effet, la formation professionnelle a été le parent le plus pauvre du système éducatif, sans parler de la faiblesse et des problèmes structurels auxquels se heurte l'enseignement ivoirien en général. «La formation professionnelle est un axe d'action d'une importance capitale qui doit être intégré dans toute la politique de réforme économique », ajoute-il, regrettant que l'enseignement général soit aux antipodes des préoccupations professionnelles. En fait, l'enseignement reste trop général dans le secondaire comme dans le supérieur. Ce qui entraîne un certain déphasage entre la formation dispensée et le monde économique réel. Le manque d'information économique est, par ailleurs, un frein indéniable à l'action et au dynamisme des agents économiques. Sa production et sa diffusion sont impératives. «La création des instituts à vocation professionnelle et technologique et le développement des centres de formation professionnelle peuvent donner un espoir, dans le cadre d'une politique plus générale», se convainc l'expert.

Reformer tout le système

Mais tous ces efforts doivent être soutenus par des comportements administratifs et judiciaires motivants. «La valeur économique de toute action de développement s'estompe trop souvent encore, dans le brouillard étouffant d'une administration d'exécution parfois harassante et d'une justice à l'efficacité discutable », lance M. Allangba. Pour lui, l'efficacité de l'administration dépend certes de la qualité de ses moyens humains et de leur motivation, mais surtout de la qualité de son organisation et des moyens matériels dont elle dispose. Sur ces différents plans, l'administration ivoirienne semble être pauvre. Il n'est pas rare de s'entendre affirmer la complexité des procédures, la lourdeur et la lenteur d'exécution lors des différentes étapes que traverse l'investisseur dans ses contacts avec l'administration. «Malgré les affirmations des gouvernants voulant encourager et assister les investisseurs, il semble qu'au niveau exécutif et au niveau des échelons bas de l'administration, beaucoup d'efforts restent à réaliser pour traduire le discours au niveau des actes ». En fait, les rigidités et les procédures tant harassantes que répétitives, peuvent ruiner les volontés d'investissements si elles devraient persister. En Côte d'Ivoire, l'efficacité relative de la justice est contestable sur tous les plans : civil, commercial et pénal. Il n'est pas rare de voir une procédure judiciaire n'aboutir qu'au terme d'une période longue de 5 ans et parfois dix ans. «Les procédures judiciaires interminables ou longues constituent un blocage. Nos magistrats doivent améliorer cela», reconnaît, Tchétché N'Guessan, économiste. «Mais, le plus pesant encore demeure l'incertitude qui pèse sur la nature du jugement compte tenu de la quasi absence de la jurisprudence écrite et parfois de la probité relative de certains rouages de la juridiction », enfonce M. Allangba. La spécialisation des juges semble insuffisante, notamment en matière économique, fiscale et financière. Le domaine de la protection industrielle et des droits d'auteur est une question importante pour tout investisseur, en particulier étranger, qui ne comprendrait plus la non-condamnation des situations d'imitation et de concurrence déloyale par la juridiction. En outre, une des caractéristiques du système est de voir certains jugements prononcés ne pas recevoir d'exécution ou une exécution tardive ou même partielle. Les raisons sont multiples et relèvent tant de l'insuffisance des moyens de la justice que des interférences relationnelles dans les décisions. Le dernier aspect, et non des moindres, est l'indépendance des juges et des juridictions à l'égard du pouvoir exécutif. Il y va de la crédibilité du système et de l'Etat de Droit que tout investisseur souhaite voir se renforcer. «Cette situation délicate dans laquelle se bat l'économie ivoirienne demande d'œuvrer pour éliminer les facteurs de blocages existants dans les milieux économiques », suggère-t-il, estimant que la Côte d'Ivoire possède d'énormes potentialités d'investissement et de développement.

Lanciné Bakayoko
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