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Économie Publié le jeudi 12 novembre 2009 | Afrique Competences

Economie / Assurances: Le retour gagnant de Kipré Digbeu?

Ancien Directeur Général de la société de la société de réassurance panafricaine CICA-RE basée à Lomé au Togo, M. Kipré Digbeu, après plus d’une décennie passée à la tête de cette structure, a passé le témoin. Travailler, toujours travailler et bien travailler, voici résumé la vie du DG de Serenity S.A, la société d’assurance qu’il a mise sur pied. Il lève dans cet entretien un pan du voile sur ses années à la tête de la CICA RE. Retour sur une expérience.

Vous avez dirigé la CICA RE, une structure panafricaine de Réassurance mais dont on n’entend pas beaucoup parler.
Alors, c’est quoi la CICA-RE ?
Merci de l’opportunité que vous m’offrez de parler de la CICA-RE quoique pour moi ce n’est plus d’actualité. Le nom ne l’indique pas mais la CICA RE, c’est la Compagnie commune de réassurance des Etats membres de la CICA qui sont devenus aujourd’hui CIMA (Conférence Interafricaine des marchés d’assurances). Dans les années 80, les Etats africains membres de l’UEMOA et de la CEMAC qui sont généralement demandeurs de capitaux se sont rendu compte que par le biais de la réassurance, ils étaient en train d’exporter une bonne partie de l’épargne collective sous forme de capitaux. Ils ont donc décidé de mettre en place une structure de réassurance, notamment la CICA-RE qui a pour objectif de réduire le flux de capitaux qui doivent s’évaporer vers les grandes places financières telles que Londres, Paris etc, sous forme de primes d’assurance. Ce faisant, ces Etats imitaient ce qui s’était passé au niveau de l’OUA et de la BAD qui quelques années auparavant avaient créé AFRICA-RE. Donc, la CICA-RE est une société de réassurance, c’est-à-dire est une société de réassurance, c’est-à-dire qu’elle donne des couvertures d’assurances à des compagnies d’assurances. En d’autres termes, la CICA-RE est l’assurance des compagnies d’assurances, notamment dans la zone UEMOA et dans la zone CEMAC. Mais comme la réassurance est une activité globalisée avant la lettre, la CICA-RE intervient sur tous les marchés où elle peut apporter ses couvertures de réassurance. Mais face à certaines difficultés liées à la monnaie, elle s’était interdit de pratiquer des opérations d’assurance en Amérique du Nord et en Europe en raison de déconvenues qu’elle a eu la première année.

- Quelles sont ces déconvenues ?
A la création de la CICA-RE, une certaine euphorie s’était emparée des dirigeants qui ont commencé à souscrire à des affaires en Europe, notamment en incendie, en catastrophes naturelles et il ya eu effectivement des catastrophes naturelles importantes en Europe ces temps-là. Vous savez que les catastrophes naturelles en Europe sont cycliques et elles entrainent d’énormes dégâts matériels et souvent même des pertes en vies humaines. Celles survenues à cette époque ont été chiffrées en Deutschemark, en Livre Sterling ou en franc français de l’époque. Du coup, la CICA-RE qui a son capital en franc CFA, une monnaie faible, s’est retrouvée en difficulté.

- Combien d’années avez-vous passé exactement à la tête de la CICA-RE ?
Au moment de la constitution de cette société , les Etats en sont arrivés à un motu vivendi pour dire que le siège doit être à Lomé, le Directeur Général, un Ivoirien et le Président originaire de l’Afrique centrale. A l’époque, la Côte d’Ivoire avait (et a toujours) le marché le plus important. Avant que je n’arrive, c’était un Ivoirien qui était là : Hamadou Kourouma (l’écrivain) qui avait fait neuf (9) ans à la tête de l’entreprise. J’ai pris sa relève en janvier 1993 et je suis resté pendant quinze (15) ans.

- La CICA-RE, c’est plusieurs nationalités, plusieurs cultures, plusieurs sensibilités, donc des regards pas toujours croisés que vous gériez. Comment y êtes-vous parvenu au point d’avoir cette longévité ?
Pour diriger une telle société, il faut une force d’écoute, de persuasion, d’anticipation, des connaissances techniques, en somme des qualités managériales pour en imposer à ses collaborateurs. Ce sont des qualités que tout manager doit avoir.

- Décrivez-nous un peu l’atmosphère dans laquelle baignait l’entreprise quand vous avez pris les commandes ?
Je suis arrivé à un moment vraiment difficile. C’était la période des conférences nationales. Le Togo était déjà en grève depuis trois ans et toutes les structures commerciales ou presque, les entreprises avaient fermé. Nous étions dans une crise sociopolitique grave au Togo. La conséquence, vous la devinez aisément, l’environnement était complètement dégradé et donc non propice aux activités. La CICA-RE n’avait plus une surface financière apte à lui faire jouer le rôle qu’on attendait d’elle. La trésorerie était exsangue, beaucoup de nos partenaires et relations d’affaires avaient des réticences à commercer avec nous parce que chacun se posait la question de savoir ce que serait notre lendemain. Voilà l’ambiance dans laquelle j’ai pris la structure et je l’ai dirigée pendant 15 ans pour l’amener à une relative prospérité au moment où je quittais

- Quelle stratégie avez-vous adoptée dans un tel contexte ?
Eh bien, la première stratégie que nous avons arrêtée était de discuter avec les autorités togolaises afin d’ouvrir un cabinet annexe à Cotonou. L’ouverture de ce bureau avait pour objectif d’indiquer à nos partenaires que même si la situation est fortement dégradée à Lomé, nous avions une porte de sortie à Cotonou à partir de laquelle nous pouvions commercer avec eux en toute quiétude. Nous avons alors ouvert un compte bancaire au Bénin, au bureau régional, installer des moyens de communication dans ce bureau et cela a remis en confiance certains de nos partenaires quant à la pérennité de nos actions. Je vous disais tantôt que la CICA-RE s’était hasardée dans des actions sur le marché européen où il y avait des monnaies fortes et elle a connu des déconvenues. Il fallait donc aller rencontrer les différents partenaires en Europe après la dévaluation pour essayer de négocier une sortie des programmes de réassurance qui étaient fortement sinistrés. Nous avons pu, avec la force des arguments et la compréhension des partenaires dont la Munich-re, la Gerling, convaincre ces derniers d’abandonner une bonne partie de leur créance au bénéfice de la CICA-RE. Ce qui a eu pour effet de donner à la société un peu d’aisance financière car certaines de ses dettes ont été négociées et payées à des hauteurs non contractuelles. Nous sommes allé aussi en Corée rencontrer la société coréenne de réassurance, Korea foreign pour discuter avec elle d’une sortie honorable de ses engagements. Toutes ces actions ont permis à la CICA-RE d’avoir une bouffée d’oxygène qui lui a permis de faire face à d’autres engagements.

- Vous avez aussi doté la CICA-RE de résidences pour la direction générale ; comment y êtes-vous parvenus alors que…
Une société, elle nait et vit. Kourouma était le premier directeur général, il a fait neuf ans. Sa mission était d’asseoir la structure. A mon arrivée, elle était certes, assise mais avait des difficultés d’ordre financière qu’il a fallu régler d’abord. Mais je dois avouer que j’ai une âme de bâtisseur. Je me suis donc attelé à mettre en place des moyens financiers et pour mettre ces moyens en place, je parlais des actions qui ont été menées en direction des Coréens, de certaines structures européennes mais aussi des pays membre de l’Uemoa et de la Cernac qui ont permis de sécuriser une part de nos marchés

- En quoi ont consisté ces actions ?
Nous nous sommes aperçu que nous étions en concurrence permanente avec de grands groupes étrangers de réassurance. Nous avons donc décidé de prendre une quote part dans le capital de certaines sociétés d’assurance qui se constituaient au plan national. En prenant des parts sur le capital des sociétés sur le marché sénégalais, camerounais, burkinabé, togolais, ivoirien, etc.., nous rentrons dans leurs conseils et nous sécurisons notre part de chiffre d’affaires et nous veillons par la même occasion à ce que la part de la CICA-RE soit payée à bonne date. Cette stratégie conjuguée à bien d’autres ont permis d’asseoir une assise financière confortable et d’ouvrir un autre bureau à Douala, avec en fond, l’intention de nous rapprocher de certains de nos partenaires. C’est cette assise financière qui a permis avec l’accord du conseil d’administration de bâtir des résidences pour la direction générale à Lomé, à Cotonou et à Douala et de doter la société d’un siège de près de 5 milliards au moment où je quittais Lomé.

- Votre plus grande joie ?
C’est d’avoir laisser à mon successeur une structure compétitive. Vous savez, après 15 années passées à la tête d’une entreprise, on peut considérer que vous avez épuisé tout le trésor d’imagination qu’on pouvait attendre de vous. Et c’est toujours bon de passer la main à quelqu’un dans une situation pas trop difficile et à partir de laquelle lui aussi peut déployer son imagination, ses compétences pour faire fleurir la société.

- Pour une société de l’envergure de la CICA-RE, si vous avez un conseil à donner en terme d’erreur à ne jamais commettre, ce serait lequel ?
Ceux qui sont arrivés après moi savent à quoi s’en tenir. Je ne vais pas me hasarder à leur donner un conseil, ce serait une injure.

- Votre ascension à la tête de la CICA-RE devait, à ne point douter, avoir été sous le parrainage des politiques ?
Non, pas du tout ! Ce sont mes compétences, ma valeur intrinsèque qui m’ont valu d’être retenu au plan international. En effet, j’étais administrateur pour le compte de l’Etat de Côte d’Ivoire quand M. Kourouma était directeur général. A la retraite de ce dernier, c’est un autre ivoirien qui devait prendre les rênes de la structure conformément au moti vivendi dont je vous parlais tantôt, mais la Côte d’Ivoire avait opté pour une autre personne dont la candidature n’a pas prospéré parce qu’au plan international la seule personnalité ivoirienne à même de diriger la CICA-RE dans une période aussi difficile, c’était ma modeste personne. Et c’est justement les autres pays qui ont refusé la candidature de l’autre. C’est seulement à ce moment que la Côte d’Ivoire a revu sa copie pour finalement poser ma candidature.

- Comment êtes-vous arrivé là-bas en tant qu’administrateur ?
Ça été un concours de circonstance. J’étais le sous-directeur des assurances chargé du contrôle et j’avais pour mission d’aller aux assemblées de la CICA-RE. C’était en 83-84 sous le ministre Abdoulaye Koné. C’est comme ça que tout naturellement on m’a dit de prendre la relève d’un fonctionnaire ivoirien, Pascal Amon, qui partait à la retraite. C’est comme ça que je suis devenu administrateur de la CICA-RE à 30 ans.

- Quelles valeurs morales vous ont caractérisé ou vous caractérisent dans votre profession et qui vous ont permis d’avoir ce statut social si enviable ?
La quête de l’excellence. Ne jamais dormir sur ses lauriers. Chaque jour, il faut pouvoir se surpasser car la vie nous impose d’être en concurrence perpétuelle avec les autres mais surtout avec nous- mêmes.

Extrait de Afrique Compétence Octobre-Novembre 2009
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