La Côte d’Ivoire a amorcé, à coup sûr, la dernière étape de sa sortie de crise, avec le dépôt des candidatures de tous les prétendants au fauteuil présidentiel. Elle a, également, entamé, avec courage, la délicate question de la confection de la liste électorale. Au moment où la Nation ivoirienne s’apprête à clore un sombre chapitre de son existence et à boucler 50 ans de son histoire, il nous apparaît important de faire son bilan. Précisément celui de ses rapports avec la France, la puissance colonisatrice, depuis la prise du pouvoir du socialiste Laurent Gbagbo. Quelles relations le pouvoir de Gbagbo a entretenues ces 7 dernières années (2002-2009) avec les régimes successifs des présidents français Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ? La réponse à cette question, en sourdine, sera au cœur des débats lors des joutes électorales. Et, par ricochet, elle permettra d’identifier celui des candidats ivoiriens qui a fait plus preuve de patriotisme. Sur ce chapitre, un fait saute aux yeux. Le président Gbagbo, par son intelligence politique, sa capacité à résister, a su éviter à la Côte d’Ivoire l’humiliation d’être recolonisée. A bas Marcoussis, vive Ouaga ! Le 19 septembre 2002, la Nation ivoirienne fait face à une attaque armée. C’est une tentative de coup d’Etat qui, devant la résistance des forces loyalistes, se mue en rébellion. Le président ivoirien, Laurent Gbagbo, au pouvoir depuis octobre 2000, est face à la plus grave crise de la Côte d’Ivoire moderne. Conformément à l’accord général de défense du 24 avril 1961 en vigueur entre la France et son pays, il sollicite l’aide militaire de Paris. (Articles 1, 2 et 6 de l’accord de défense). En effet, l’article 1 de cet accord stipule que “la République française, la République de Côte d’Ivoire (…) se prêtent aide et assistance pour préparer et assurer leur défense”. Le président Gbagbo se voit, pourtant, privé de ce droit par le président français Jacques Chirac, qui lui oppose une fin de non recevoir. Par personne interposée. A partir de cet instant, le chef de l’Etat ivoirien fait preuve d’une grande intelligence politique. Il expérimente toutes les postures tendant à faire croire à la suprématie du pays de Chirac. Il se plie à la volonté de ce chef de l’Etat français. En lieu et place d’une aide pour faire battre en retraite les rebelles, le président Chirac choisit d’envoyer sur place une force française placée sous mandat de l’ONU. Elle est chargée de s’interposer entre les belligérants. Ainsi cette force française, baptisée “la Licorne”, pouvait-elle se permettre d’avoir une zone tampon. Cette force formalise, de fait, la division en deux du territoire ivoirien. Il y a désormais les zones sous contrôle rebelle (nord, ouest et centre) et celles sous influence gouvernementale (sud). Les deux parties séparées par une zone tampon officiellement démilitarisée. Mais, en réalité, contrôlée par la force Licorne. “La Licorne” devient un moyen de pression sur les autorités ivoiriennes. Elle permet donc à Paris d’être partie prenante dans les négociations politiques. La France est devenue de facto partie prenante et un acteur intéressé de la crise. Elle torpille, de ce fait, les accords de Lomé (Togo) et initie ceux de Linas-Marcoussis (France) du 15 au 26 janvier 2003. Elle convoque une réunion entre les principaux acteurs politiques ivoiriens et, sous la dictée du constitutionaliste français Pierre Mazeau, elle tente de réécrire la Constitution de la Côte d’Ivoire. Ces accords recommandent le maintien du président élu au pouvoir, la mise en place d`un gouvernement de réconciliation nationale intégrant des représentants de la rébellion et la mise en œuvre d`un programme abordant les principaux sujets définis comme étant à l`origine de la crise ivoirienne. Laurent Gbagbo fait le mort. Durant toutes ces intrigues, le président fait mine d’être défait. Il se rend au sommet de Kléber (France) le 26 janvier 2003. Il y retrouve les présidents Jacques Chirac, Thabo Mbeki et le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. La pression est grande sur le socialiste pour qu’il lâche du lest sur des aspects touchants à la souveraineté de son pays. Gbagbo plie sur certains aspects. Il désigne un autre Premier ministre, Seydou Diarra, qui n’est pas de son bord politique. Mais il s’arc-boute sur la Constitution en vigueur. Il fait preuve d’une clairvoyance politique en adoptant cette démarche. Il sauvegarde la virginité de la constitution ivoirienne qui fonde son existence et qui fait de lui la clé de voûte du régime présidentiel qui prévaut dans son pays. Il accepte l’ouverture de son gouvernement à l’opposition armée et civile. A la pratique, la France “chiraquienne” se rend à l’évidence que ses poulains (Guillaume Soro, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié…) ne font pas le poids. Elle sponsorise la création du MPCI. Elle crée le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), à Paris, le 18 mai 2005. C’est un regroupement de 4 partis (le PDCI, le RDR, l’UDPCI et le MFA) dirigés par les héritiers d’Houphouet-Boigny, premier président ivoirien. Ils ont en commun la haine du président Gbagbo, coupable, à leurs yeux, de leur avoir ravi le pouvoir qui leur avait été laissé en héritage. Malgré le soutien à peine voilé du tuteur gaulois, ils sont à la peine. Ils ne réussissent aucune action d’envergure pouvant ébranler le régime en place. Paris, pourtant, poursuit sur sa lancée. Cette fois, elle tente d’isoler, sur le plan diplomatique, le président Gbagbo. Le Burkina Faso et le Sénégal sont courtisés, félicités et cités en exemple pour des prétendues avancées de la démocratie. Ouagadougou reçoit un sommet de la Francophonie du 13 au 21 mars 2004. Dakar est, également, aux anges quand le numéro “un” Français y effectue une tournée. L’objectif est d’isoler Abidjan et de le présenter comme infréquentable. Le président Gbagbo, qui sait aller à l’essentiel, apporte la réplique nécessaire. Il imagine une solution africaine de résolution d’une crise. Devant l’échec de toutes les autres inspirées par le président Chirac. Il accorde, d’abord, du crédit à la médiation de l’ex-président sud africain, Thabo Mbeki. Et, ensuite, il imagine une autre formule. Il réussit, en dehors de toute médiation française, à signer un accord avec ses ennemis d’hier. Après “un dialogue direct”, il arrive à faire de Guillaume Soro son Premier ministre le 29 mars 2007. Gbagbo selle ainsi le sort de la France “détentrice” de toutes initiatives sur ses colonies par le passé. Il réduit du coup son influence politique dans ses ex-colonies et interpelle les consciences africaines sur le fait qu’elles doivent compter d’abord sur elles-mêmes pour résoudre leurs crises. L’accord de Ouaga, signé le 4 mars 2007, a prouvé son efficacité là où celui de Marcoussis a échoué. Lamentablement. Artillerie de guerre contre des mains nues L a résistance du président Gbagbo face à la France n’a pas été que politique, elle a été aussi militaire. Il est, il faut le faire remarquer, le chef suprême des armées ivoiriennes. A ce titre, il est le garant de toutes les stratégies adoptées pour faire front contre l’ennemi. Quand survient la crise ivoirienne en 2002, il ne repousse pas la force militaire française, la Licorne, qui s’invite de la manière la plus surprenante dans la crise. Il ne la chasse pas de son territoire quand elle parcourt villes et hameaux de manière suspecte à la recherche d’informations autres que celles qu’elles devraient rechercher. Il ne la congédie pas quand elle laisse faire les rebelles dans les zones tampons ou sous leur occupation. Il voit bien, mais ne dit rien quand elle commet des exactions et des abus de toutes sortes. En effet, l`armée française a été impliquée dans l’affaire du meurtre de Firmin Mahé, un civil ivoirien arrêté le 13 mai 2005 par les soldats de la Licorne. De même, il observe un silence surprenant et fait preuve d’une maîtrise de soi étonnant quand la Licorne, couplée au 23ème BIMA, détruit toute la flotte aérienne de la Côte d’Ivoire le 4 novembre 2004. Alors qu’elle n’est pas partie prenante (du moins officiellement) dans le conflit et qu’elle n’a été l’objet d’aucune provocation. La France prétend le contraire, mais elle n’a jamais apporté la preuve sur un éventuel incident entre ses troupes et les forces loyalistes ivoiriennes. Le fait le plus révélateur du silence intelligent de Gbagbo face à la barbarie française s’est déroulé, du 4 au 9 novembre 2004, devant l’Hôtel Ivoire, au Plateau et dans d’autres quartiers d’Abidjan et villes de l’intérieur de la Côte d’Ivoire. L’armée française a massacré des Ivoiriens aux mains nues ; des innocents qui ne manifestaient que pour réclamer la reconnaissance de la dignité et de la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Le bilan de cette tuerie inutile a fait 90 morts et 2537 blessés, selon des sources. Le silence de Gbagbo avait pour objectif, nous le pensons, de montrer à la face du monde les exactions de la France. Qui, au moyen de la force brutale, entendait soumettre un peuple souverain. Le président ivoirien n’aime pas voir souffrir son peuple à qui il a consacré une grande partie de sa vie. Mais il lui fallait gérer cette période de terreur avec sagesse. Il fallait rester calme, ne pas céder à la provocation pour ne pas donner l’occasion à cette puissance militaire, dont on dit qu’elle est la 4ème au monde, de légitimer sa violence. Tout le monde a donc vu la France, ce Goliath, s’acharner sur le petit David ivoirien qui a d’ailleurs fini par l’avoir à l’usure. Grâce à une communication intelligente et massive, le reste de la planète a découvert les atrocités françaises sur les Ivoiriens. La ministre de la Défense française de l’époque, Michèle Alliot-Marie, a eu du mal à convaincre le monde sur les bonnes intentions de son pays en terre Ivoirienne. 21 résolutions ont échoué… La France a été active également sur le plan diplomatique. Elle a l’initiative des résolutions en ce qui concerne les crises sur la Côte d’Ivoire au Conseil de sécurité de l’ONU. Et elle a profité de ce privilège pour régler ses comptes, faire des coups tordus au régime légal à Abidjan. Durant toute la crise qui a frappé la Nation ivoirienne, elle n’a produit que des résolutions allant dans le sens de la réduction de la souveraineté ivoirienne et d’arracher le pouvoir au président élu Laurent Gbagbo pour le remettre à ses premiers ministres successifs (Seydou Diarra, Charles Konan Banny). Elle a vu toutes ses résolutions fondre à la lumière des exigences nationales. Le peuple, et le président avec, a réaffirmé la primauté de la Constitution sur toutes les autres lois, résolutions et autres recommandations. On dénombre 21 qui n’ont pas eu l’effet escompté (de la 1464 du 4 février 2003 à la 1727 du 16 décembre 2006). Le président français Nicolas Sarkozy a poursuivi l’œuvre de Jacques Chirac, son prédécesseur. Après un bref moment d’entente entre Abidjan et Paris, Sarkozy s’est montré menaçant. Et c’est Libreville (Gabon), lors des obsèques de feu Omar Bongo Ondimba, le 16 juin 2009, qui lui donne l’occasion d’exprimer son aversion pour Gbagbo. En marge de ces funérailles, il tient une conférence au cours de laquelle il discrédite le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire. Il brandit son pessimisme sur la volonté des autorités ivoirienne d’aller aux élections présidentielles. Il affirme ne pas croire “aux promesses fallacieuses” du président ivoirien en faisant allusion à la date de ces joutes électorales fixées au 29 novembre 2009. Une critique violente et irrévérencieuse qui a surpris plus d’un. Parce que, tout le monde le sait, les dates des élections ivoiriennes sont fixées par la Commission électorale ivoirienne (CEI), après avis des opérateurs techniques impliqués dans le processus. Ce n’est qu’au bout que le gouvernement entérine cette décision. Cette logique échappe visiblement à Sarkozy qui récidive, dans sa haine pour Gbagbo, au cours d’un déjeuner de travail, le 17 juillet 2009, avec le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, à New York (Etats-Unis). Il qualifie son homologue ivoirien de n’être pas “digne de confiance”. Il regrette de ne pas pouvoir intervenir militairement en Côte d’Ivoire pour balayer le régime de Gbagbo. Depuis ,les relations entre Abidjan et Paris, si elles existent toujours, sont quelque peu tièdes. Serge Armand Didi sardidi@yahoo.fr
Politique Publié le samedi 14 novembre 2009 | Notre Voie