Pendant 24 ans, le Pr. Amani N'Goran est dans l'univers des "fous", des malades mentaux. Il est professeur titulaire de psychiatrie à l'université de Cocody et médecin-chef adjoint de l'hôpital psychiatrique de Bingerville.
En 24 ans, beaucoup de malades ont circulé dans vos mains, n'est-ce pas ?
Par an, nous hospitalisons 950 à 1000 malades mentaux. Les 2/3 sont composés d'hommes et les 1/3 de femmes.
Quelles catégories de malades recevez-vous ?
Il y a deux types. Nous avons les névrosés. C'est-à-dire ceux qui sont conscients de leur maladie et ils viennent demander des soins…
Ceux ne sont donc pas des malades mentaux ?
Ils sont malades. C'est comme quand vous dites que celui qui a mal au ventre dit qu'il a mal au ventre et vous dites qu'il n'est pas malade. Il y a d'autres qui sont conscients de leur trouble. Ce sont des personnes qui ont des phobies. Ils ont peur par exemple des salamandres, des cafards…Cela est une forme de maladie mentale. Il y a des déprimés qui sont à différencier des autres groupes. Il y a des formes où les malades ont conscience de leur trouble et ils viennent nous demander de l'aide. Il y a un autre groupe qui se promène avec les attributs dehors. Ils n'ont pas conscience qu'ils sont malades. C'est eux que la famille ligote, que les sapeurs pompiers, les forces de l'ordre contraignent à venir à l'hôpital. Lorsqu'on comptabilise ceux-ci, leur membre est de 1.000 par an que nous hospitalisons.
Un malade qui arrive nu et brutal, que faites-vous dans un premier temps ?
Il y a trois étapes dans le traitement :
Premièrement, il faut faire disparaître tout ce qu'il y a comme agitation, délire avec des médicaments. Une fois qu'ils sont calmes, nous les habillons. Ils retrouvent leur esprit et lorsqu'ils n'ont pas perdu la conscience de leur état de malade, nous passons maintenant à la deuxième étape du traitement qui est la réhabilitation psycho-sociale. Il y a des personnes qui ont été longtemps dans la rue telles que les menuisiers, les intellectuels qui ont perdu leurs activités professionnelles. Il faut ramener le maçon par exemple à faire le mur droit. Pour les intellectuels, il faut leur apprendre à lire, à faire des calculs, des dictées. La troisième étape est la réinsertion socioprofessionnelle. Pour ceux qui n'ont pas de boulot, ils apprennent quelques petits métiers. Il y a le tricotage pour les jeunes filles et la menuiserie pour les hommes. Au bout de 22 jours, ils sont stabilisés. Je voudrais ajouter qu'il y a ceux qui ont une guérison totale. Même pour les palus, les plus graves trois perfusions suffisent pour la guérison et vous sortez de là guéris. Même pour une question de fièvre typhoïde. Vous guérissez. Donc sur 1000, nous avons disons 600 cas de guérison totale. Le deuxième groupe, ce sont les guérisons conditionnées. Quand vous allez avec une hypertension dans un hôpital classique, même si les choses se normalisent, toute la vie, il faut prendre des médicaments. C'est le cas des psycho-chroniques. Ils bien mais il faut qu'ils fassent des injections qui durent 28 jours chaque mois. Voilà le cas que j'appelle les guérisons conditionnées. Pour ce cas, il faut compter 30%. Pour le troisième groupe, quel que soit ce que vous allez faire, c'est le décès qui va suivre. C'est l'exemple de ceux atteints de Cancer, de Sida… Chez nous, nous n'avons pas de mort physique, nous avons de mort sociale. Il y a des personnages que nous guérisons, mais qui meurent socialement. Ce sont les personnes qui ne pourront pas se marier, qui ne pourront pas travailler, qui ne pourront pas voter. Pour ce groupe, il faut compter 10%. Ils sont obligés de vivre aux crochets de la famille. Ils sont justes bon pour laver la voiture, tondre le gazon.
Recevez-vous aussi des drogués à l'hôpital psychiatrique de Bingerville ?
A l'hôpital psychiatrique de Bingerville, l'activité principale est le soin hospitalier des malades mentaux. Ensuite, il y a les cures de sevrage des toxicomanes. Enfin, nous avons les activités de recherches de formation et de prévention des maladies mentales. C'est un hôpital public qui a ouvert ses portes le 28 février 1962.
Avez-vous les moyens de votre politique. Parce que ce n'est pas aisé de traiter 1000 personnes anormales par an ?
1000 malades, c'est par an et nous avons cinq services d'hospitalisation. La capacité d'accueil était 50 au départ, après nous avons trouvé que c'était pléthorique. Et nous avons ramené à 30. Donc nous avons un total de 150 malades réguliers dans l'année. 150 malades à raison de 50 malades par pavillon.
Ceux qui ont visité votre établissement disent que les locaux sont vétustes, qu'en dites-vous ?
Les locaux, oui ! C'est le gros problème. L'on traduit la folie dans les langues africaines pour dire "ta tête est gâtée". C'est un avenir sombre pour ceux qui ont une maladie mentale qui se soigne et se guérit. Les gens n'ont pas encore compris. Ce qu'est la maladie mentale or, même les décideurs ont des préjugés sur les malades mentaux. ça fait que nous ne sommes pas aidés. De 1985 à maintenant, les locaux sont dégradés. Le cadre de vie devrait être un cadre reposant. Nous n'avons même plus de machine pour tondre le gazon. Il n'y a pas de lit, les malades dorment à même le sol. C'est malheureux qu'un service comme celui-là qui est très prisé aux Etats-Unis soit ainsi négligé. Tout est tombé en ruines. Il faut aimer le métier, son travail pour être là. Les médicaments sont chers. Nous avons mis tout en œuvre pour que ces médicaments soient subventionnés comme ceux de la lèpre et de la tuberculose. Je leur dis que c'est le seul médicament où vous pouvez investir et récupérer à 100% car les médicaments des malades mentaux ne conviennent pas aux personnes normales. Avec la cherté de la vie, il y a un médicament qui coûte 10.000F la boîte de 20 comprimés. Le patient prend 3 comprimés par jour. Donc au bout de 6 jours, il doit débourser encore 10.000F. Et le malade doit prendre le médicament pendant trois ou six mois. Voyez-vous, ce n'est pas toutes les familles qui ont les moyens financiers.
A vous entendre, on a l'impression que l'Etat n'a pas compris la mission de votre établissement ?
L'Etat encore, c'est bon. Mais, c'est tout le monde, même certains malades. Il y a tellement de préjugés. La population doit se revoir. La société met tout au compte de la sorcellerie. Ce que les gens ne connaissent pas, ils ne cherchent pas à savoir.
Peut-on faire une journée porte ouverte dans votre établissement ?
Nous en faisons tous les jours. Dernièrement, lors de la journée mondiale de la santé mentale, nous avons fait des communiqués dans les journaux. Les journées portes ouvertes nous en faisons. Vous savez, les mentalités ont la peau dure.
Combien de malades mentaux peut-on enregistrer à ce jour ?
Ceux qui sont dans la rue, c'est la mairie qui peut vous donner les chiffres. Ceux qui sont chez nous, nous recevons environ 1000 par an. C'est le ministère de la Santé qui centralise toutes les données.
Entretien réalisé par
Foumséké Coulibaly
En 24 ans, beaucoup de malades ont circulé dans vos mains, n'est-ce pas ?
Par an, nous hospitalisons 950 à 1000 malades mentaux. Les 2/3 sont composés d'hommes et les 1/3 de femmes.
Quelles catégories de malades recevez-vous ?
Il y a deux types. Nous avons les névrosés. C'est-à-dire ceux qui sont conscients de leur maladie et ils viennent demander des soins…
Ceux ne sont donc pas des malades mentaux ?
Ils sont malades. C'est comme quand vous dites que celui qui a mal au ventre dit qu'il a mal au ventre et vous dites qu'il n'est pas malade. Il y a d'autres qui sont conscients de leur trouble. Ce sont des personnes qui ont des phobies. Ils ont peur par exemple des salamandres, des cafards…Cela est une forme de maladie mentale. Il y a des déprimés qui sont à différencier des autres groupes. Il y a des formes où les malades ont conscience de leur trouble et ils viennent nous demander de l'aide. Il y a un autre groupe qui se promène avec les attributs dehors. Ils n'ont pas conscience qu'ils sont malades. C'est eux que la famille ligote, que les sapeurs pompiers, les forces de l'ordre contraignent à venir à l'hôpital. Lorsqu'on comptabilise ceux-ci, leur membre est de 1.000 par an que nous hospitalisons.
Un malade qui arrive nu et brutal, que faites-vous dans un premier temps ?
Il y a trois étapes dans le traitement :
Premièrement, il faut faire disparaître tout ce qu'il y a comme agitation, délire avec des médicaments. Une fois qu'ils sont calmes, nous les habillons. Ils retrouvent leur esprit et lorsqu'ils n'ont pas perdu la conscience de leur état de malade, nous passons maintenant à la deuxième étape du traitement qui est la réhabilitation psycho-sociale. Il y a des personnes qui ont été longtemps dans la rue telles que les menuisiers, les intellectuels qui ont perdu leurs activités professionnelles. Il faut ramener le maçon par exemple à faire le mur droit. Pour les intellectuels, il faut leur apprendre à lire, à faire des calculs, des dictées. La troisième étape est la réinsertion socioprofessionnelle. Pour ceux qui n'ont pas de boulot, ils apprennent quelques petits métiers. Il y a le tricotage pour les jeunes filles et la menuiserie pour les hommes. Au bout de 22 jours, ils sont stabilisés. Je voudrais ajouter qu'il y a ceux qui ont une guérison totale. Même pour les palus, les plus graves trois perfusions suffisent pour la guérison et vous sortez de là guéris. Même pour une question de fièvre typhoïde. Vous guérissez. Donc sur 1000, nous avons disons 600 cas de guérison totale. Le deuxième groupe, ce sont les guérisons conditionnées. Quand vous allez avec une hypertension dans un hôpital classique, même si les choses se normalisent, toute la vie, il faut prendre des médicaments. C'est le cas des psycho-chroniques. Ils bien mais il faut qu'ils fassent des injections qui durent 28 jours chaque mois. Voilà le cas que j'appelle les guérisons conditionnées. Pour ce cas, il faut compter 30%. Pour le troisième groupe, quel que soit ce que vous allez faire, c'est le décès qui va suivre. C'est l'exemple de ceux atteints de Cancer, de Sida… Chez nous, nous n'avons pas de mort physique, nous avons de mort sociale. Il y a des personnages que nous guérisons, mais qui meurent socialement. Ce sont les personnes qui ne pourront pas se marier, qui ne pourront pas travailler, qui ne pourront pas voter. Pour ce groupe, il faut compter 10%. Ils sont obligés de vivre aux crochets de la famille. Ils sont justes bon pour laver la voiture, tondre le gazon.
Recevez-vous aussi des drogués à l'hôpital psychiatrique de Bingerville ?
A l'hôpital psychiatrique de Bingerville, l'activité principale est le soin hospitalier des malades mentaux. Ensuite, il y a les cures de sevrage des toxicomanes. Enfin, nous avons les activités de recherches de formation et de prévention des maladies mentales. C'est un hôpital public qui a ouvert ses portes le 28 février 1962.
Avez-vous les moyens de votre politique. Parce que ce n'est pas aisé de traiter 1000 personnes anormales par an ?
1000 malades, c'est par an et nous avons cinq services d'hospitalisation. La capacité d'accueil était 50 au départ, après nous avons trouvé que c'était pléthorique. Et nous avons ramené à 30. Donc nous avons un total de 150 malades réguliers dans l'année. 150 malades à raison de 50 malades par pavillon.
Ceux qui ont visité votre établissement disent que les locaux sont vétustes, qu'en dites-vous ?
Les locaux, oui ! C'est le gros problème. L'on traduit la folie dans les langues africaines pour dire "ta tête est gâtée". C'est un avenir sombre pour ceux qui ont une maladie mentale qui se soigne et se guérit. Les gens n'ont pas encore compris. Ce qu'est la maladie mentale or, même les décideurs ont des préjugés sur les malades mentaux. ça fait que nous ne sommes pas aidés. De 1985 à maintenant, les locaux sont dégradés. Le cadre de vie devrait être un cadre reposant. Nous n'avons même plus de machine pour tondre le gazon. Il n'y a pas de lit, les malades dorment à même le sol. C'est malheureux qu'un service comme celui-là qui est très prisé aux Etats-Unis soit ainsi négligé. Tout est tombé en ruines. Il faut aimer le métier, son travail pour être là. Les médicaments sont chers. Nous avons mis tout en œuvre pour que ces médicaments soient subventionnés comme ceux de la lèpre et de la tuberculose. Je leur dis que c'est le seul médicament où vous pouvez investir et récupérer à 100% car les médicaments des malades mentaux ne conviennent pas aux personnes normales. Avec la cherté de la vie, il y a un médicament qui coûte 10.000F la boîte de 20 comprimés. Le patient prend 3 comprimés par jour. Donc au bout de 6 jours, il doit débourser encore 10.000F. Et le malade doit prendre le médicament pendant trois ou six mois. Voyez-vous, ce n'est pas toutes les familles qui ont les moyens financiers.
A vous entendre, on a l'impression que l'Etat n'a pas compris la mission de votre établissement ?
L'Etat encore, c'est bon. Mais, c'est tout le monde, même certains malades. Il y a tellement de préjugés. La population doit se revoir. La société met tout au compte de la sorcellerie. Ce que les gens ne connaissent pas, ils ne cherchent pas à savoir.
Peut-on faire une journée porte ouverte dans votre établissement ?
Nous en faisons tous les jours. Dernièrement, lors de la journée mondiale de la santé mentale, nous avons fait des communiqués dans les journaux. Les journées portes ouvertes nous en faisons. Vous savez, les mentalités ont la peau dure.
Combien de malades mentaux peut-on enregistrer à ce jour ?
Ceux qui sont dans la rue, c'est la mairie qui peut vous donner les chiffres. Ceux qui sont chez nous, nous recevons environ 1000 par an. C'est le ministère de la Santé qui centralise toutes les données.
Entretien réalisé par
Foumséké Coulibaly