Le célèbre comédien Adama Dahico est désormais officiellement candidat la présidence de la République. La validation de sa candidature par le Conseil constitutionnel cache des enjeux politiques énormes.
Le Conseil constitutionnel de Côte d`Ivoire vient d`entrer résolument et fermement dans la saga politique ivoirienne. Et pas de la plus belle manière. En effet, par décision n° CI-2009-EP/028/19-11/CC/SG, la juridiction suprême chargée de valider les candidatures à l`élection présidentielle, a décidé de retenir comme valable la candidature de « M. Dolo Adama, né le 10 mai 1968 à Adjamé, de Dolo Gaou et de Dolo Yanindou Wagoussérou, comédien humoriste écrivain, domicilié à Abobo-Belleville ». Sur le plan personnel, c`est une belle victoire pour M. Dolo Adama dit Adama Dahico et la consécration d`un parcours professionnel exemplaire.
Mais sur le plan juridique, cette décision du Conseil constitutionnel engendre une foule de conséquences, dont la moindre est le manque de respect pour la Loi fondamentale. Le Conseil dirigé par le Pr. Paul Yao N`Dré devait décider si Adama Dahico, un citoyen naturalisé pouvait postuler à la charge suprême. Dans ses attendus, le Conseils déclare :
- « que l`article 44 du Code de la Nationalité ivoirienne précise que “le naturalisé qui a rendu à la Côte d`Ivoire des services exceptionnels ou celui dont la naturalisation présente pour la Côte d`Ivoire un intérêt exceptionnel peut être relevé en tout ou partie des incapacités prévues à l`article 43 par le décret de naturalisation”
Que l`article 2 du décret n° 2004-465 du 07 septembre 2004 portant naturalisation du Sieur Dolo Adama dispose: «A titre exceptionnel, l`intéressé est relevé des incapacités prévues à l`article 43 du Code de la Nationalité Ivoirienne».
En d`autres termes, le Conseil constitutionnel nous informe que le célèbre humoriste est candidat parce que le décret qui l`a naturalisé lui permet d`échapper aux contraintes posées par la loi à son admissibilité. Quelles sont lesdites contraintes ? Elles sont énoncées par l`article 43 de la loi n° 61-415 14 décembre 1961 portant Code de la Nationalité Ivoirienne, modifiée par la loi n° 72-852 du 21 décembre 1972. Selon cet article, « le naturalisé est soumis aux incapacités suivantes; (I) pendant un délai de dix ans, à partir du décret de naturalisation, il ne peut être investi de fonctions ou de mandats électifs pour l`exercice desquels la qualité d`ivoirien est nécessaire; (2) pendant un délai de cinq ans à partir du décret de naturalisation, il ne peut être électeur lorsque la qualité d`ivoirien est nécessaire pour permettre l`inscription sur les listes électorales ». Cela signifie qu`un naturalisé ne peut être électeur avant cinq ans et éligible avant dix ans. Bénéficiant d`une naturalisation à titre exceptionnel, Adama Dahico, échappe de facto aux délais de cinq et dix ans. Il est donc électeur et éligible. Mais est-il éligible à toutes les élections ?
Une candidature pour banaliser celle d`Alassane Ouattara
En la matière, selon tous les juristes qui nous ont approchés, le Conseil constitutionnel s`est fourvoyé dans une démarche politicienne. En effet, la Constitution d`août 2000 précise en son article 35, sujet à polémique, que:
- (…) Le candidat à l`élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus. Il doit être ivoirien d`origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d`origine. Il doit n`avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s`être jamais prévalu d`une autre nationalité. (…) »
La Loi fondamentale pose donc deux conditions de nationalité à tout prétendant au magistère présidentiel : il doit être ivoirien d`origine et ses deux parents, eux aussi, doivent être ivoiriens d`origine. Un naturalisé libéré des incapacités prévues par le code de la nationalité, comme Adama Dahico, peut donc être élu député, maire, président de conseil général… Parce que dans ces cas-là, seule la qualité d`ivoirien est requise. Or pour l`élection présidentielle, où la qualité d`ivoiriens des deux parents est également requise, il ne pouvait en toute logique concourir. Pour que le célèbre comédien puisse être éligible, il aurait fallu prendre une décision présidentielle, pour l`autoriser à titre exceptionnel, à présenter sa candidature. Comme ce fut le cas avec la décision présidentielle «n° 2005-01/PR du 05 mai relative à la désignation, à titre exceptionnel, des candidats à l`élection présidentielle d`octobre 2005 », qui permet à tous les signataires de l`accord de Marcoussis, d`être candidats sans remplir forcément tous les dix critères édictés par l`article 35 de la Constitution.
De toute évidence, le Conseil constitutionnel a été incapable de faire la différence entre une élection où il suffit d`être ivoirien et une autre où la nationalité ivoirienne des parents est également obligatoire.
Connaissant la science juridique certaine des membres de ce cénacle, il faut voir derrière leur décision, d`autres enjeux. Politiques, ceux-là. En effet, cette élection présidentielle, présentée comme la plus attendue d`Afrique de l`ouest, vient consacrer, entre autres choses, la candidature d`Alassane Dramane Ouattara. Pour beaucoup, la prochaine élection présidentielle vient consacrer le couronnement du combat politique menée pendant quatorze ans par Alassane Ouattara pour la reconnaissance de ses droits civils et politiques. En validant la candidature exceptionnelle d`Adama Dahico, comme nous l`explique un magistrat, désabusé, le Conseil constitutionnel veut dire ceci : « la candidature d`Alassane Ouattara ne signifie rien de particulier, puisque même des gens comme Adama Dahico, a priori, inéligibles, sont candidats. » Ainsi la candidature du comédien devient une arme politique pour banaliser celle d`Alassane Ouattara. Pour en briser la symbolique et la charge affective. Une candidature exceptionnelle en valant une autre, il n`y a pas de quoi fouetter un chat. Tel est le message que lance le Conseil constitutionnel. Un message assurément politique.
A Séguéla, le 19 novembre dernier, Laurent Gbagbo lançait : «J`ai dit à Mankono et je le répète ici, un des moyens pour renforcer la paix, c`est vraiment de rendre la justice crédible. Tant que la justice n`est pas crédible, tant que la plupart des hommes d`affaires nationaux et étrangers, se plaignent de notre justice, ils ne vont pas investir. Or quand l`investissement s`éloigne, les emplois s`éloignent. Donc, nous allons aussi réfléchir à la réforme de la justice... ». Cette réforme pourrait commencer par le Conseil constitutionnel, pourquoi pas.
Touré Moussa
Le Conseil constitutionnel de Côte d`Ivoire vient d`entrer résolument et fermement dans la saga politique ivoirienne. Et pas de la plus belle manière. En effet, par décision n° CI-2009-EP/028/19-11/CC/SG, la juridiction suprême chargée de valider les candidatures à l`élection présidentielle, a décidé de retenir comme valable la candidature de « M. Dolo Adama, né le 10 mai 1968 à Adjamé, de Dolo Gaou et de Dolo Yanindou Wagoussérou, comédien humoriste écrivain, domicilié à Abobo-Belleville ». Sur le plan personnel, c`est une belle victoire pour M. Dolo Adama dit Adama Dahico et la consécration d`un parcours professionnel exemplaire.
Mais sur le plan juridique, cette décision du Conseil constitutionnel engendre une foule de conséquences, dont la moindre est le manque de respect pour la Loi fondamentale. Le Conseil dirigé par le Pr. Paul Yao N`Dré devait décider si Adama Dahico, un citoyen naturalisé pouvait postuler à la charge suprême. Dans ses attendus, le Conseils déclare :
- « que l`article 44 du Code de la Nationalité ivoirienne précise que “le naturalisé qui a rendu à la Côte d`Ivoire des services exceptionnels ou celui dont la naturalisation présente pour la Côte d`Ivoire un intérêt exceptionnel peut être relevé en tout ou partie des incapacités prévues à l`article 43 par le décret de naturalisation”
Que l`article 2 du décret n° 2004-465 du 07 septembre 2004 portant naturalisation du Sieur Dolo Adama dispose: «A titre exceptionnel, l`intéressé est relevé des incapacités prévues à l`article 43 du Code de la Nationalité Ivoirienne».
En d`autres termes, le Conseil constitutionnel nous informe que le célèbre humoriste est candidat parce que le décret qui l`a naturalisé lui permet d`échapper aux contraintes posées par la loi à son admissibilité. Quelles sont lesdites contraintes ? Elles sont énoncées par l`article 43 de la loi n° 61-415 14 décembre 1961 portant Code de la Nationalité Ivoirienne, modifiée par la loi n° 72-852 du 21 décembre 1972. Selon cet article, « le naturalisé est soumis aux incapacités suivantes; (I) pendant un délai de dix ans, à partir du décret de naturalisation, il ne peut être investi de fonctions ou de mandats électifs pour l`exercice desquels la qualité d`ivoirien est nécessaire; (2) pendant un délai de cinq ans à partir du décret de naturalisation, il ne peut être électeur lorsque la qualité d`ivoirien est nécessaire pour permettre l`inscription sur les listes électorales ». Cela signifie qu`un naturalisé ne peut être électeur avant cinq ans et éligible avant dix ans. Bénéficiant d`une naturalisation à titre exceptionnel, Adama Dahico, échappe de facto aux délais de cinq et dix ans. Il est donc électeur et éligible. Mais est-il éligible à toutes les élections ?
Une candidature pour banaliser celle d`Alassane Ouattara
En la matière, selon tous les juristes qui nous ont approchés, le Conseil constitutionnel s`est fourvoyé dans une démarche politicienne. En effet, la Constitution d`août 2000 précise en son article 35, sujet à polémique, que:
- (…) Le candidat à l`élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante quinze ans au plus. Il doit être ivoirien d`origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d`origine. Il doit n`avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne doit s`être jamais prévalu d`une autre nationalité. (…) »
La Loi fondamentale pose donc deux conditions de nationalité à tout prétendant au magistère présidentiel : il doit être ivoirien d`origine et ses deux parents, eux aussi, doivent être ivoiriens d`origine. Un naturalisé libéré des incapacités prévues par le code de la nationalité, comme Adama Dahico, peut donc être élu député, maire, président de conseil général… Parce que dans ces cas-là, seule la qualité d`ivoirien est requise. Or pour l`élection présidentielle, où la qualité d`ivoiriens des deux parents est également requise, il ne pouvait en toute logique concourir. Pour que le célèbre comédien puisse être éligible, il aurait fallu prendre une décision présidentielle, pour l`autoriser à titre exceptionnel, à présenter sa candidature. Comme ce fut le cas avec la décision présidentielle «n° 2005-01/PR du 05 mai relative à la désignation, à titre exceptionnel, des candidats à l`élection présidentielle d`octobre 2005 », qui permet à tous les signataires de l`accord de Marcoussis, d`être candidats sans remplir forcément tous les dix critères édictés par l`article 35 de la Constitution.
De toute évidence, le Conseil constitutionnel a été incapable de faire la différence entre une élection où il suffit d`être ivoirien et une autre où la nationalité ivoirienne des parents est également obligatoire.
Connaissant la science juridique certaine des membres de ce cénacle, il faut voir derrière leur décision, d`autres enjeux. Politiques, ceux-là. En effet, cette élection présidentielle, présentée comme la plus attendue d`Afrique de l`ouest, vient consacrer, entre autres choses, la candidature d`Alassane Dramane Ouattara. Pour beaucoup, la prochaine élection présidentielle vient consacrer le couronnement du combat politique menée pendant quatorze ans par Alassane Ouattara pour la reconnaissance de ses droits civils et politiques. En validant la candidature exceptionnelle d`Adama Dahico, comme nous l`explique un magistrat, désabusé, le Conseil constitutionnel veut dire ceci : « la candidature d`Alassane Ouattara ne signifie rien de particulier, puisque même des gens comme Adama Dahico, a priori, inéligibles, sont candidats. » Ainsi la candidature du comédien devient une arme politique pour banaliser celle d`Alassane Ouattara. Pour en briser la symbolique et la charge affective. Une candidature exceptionnelle en valant une autre, il n`y a pas de quoi fouetter un chat. Tel est le message que lance le Conseil constitutionnel. Un message assurément politique.
A Séguéla, le 19 novembre dernier, Laurent Gbagbo lançait : «J`ai dit à Mankono et je le répète ici, un des moyens pour renforcer la paix, c`est vraiment de rendre la justice crédible. Tant que la justice n`est pas crédible, tant que la plupart des hommes d`affaires nationaux et étrangers, se plaignent de notre justice, ils ne vont pas investir. Or quand l`investissement s`éloigne, les emplois s`éloignent. Donc, nous allons aussi réfléchir à la réforme de la justice... ». Cette réforme pourrait commencer par le Conseil constitutionnel, pourquoi pas.
Touré Moussa