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Art et Culture Publié le samedi 19 décembre 2009 | Nord-Sud

Disparition des institutions culturelles : Ce que devient le Ballet national

Après 35 ans d’existence, le Ballet national de Côte d’Ivoire peine à recouvrer ses notes de noblesse. Tantôt très présentes au plan national et international, les productions de la structure ont, au fur et à mesure, disparu des scènes du pays et de l’internationales.


Le Café-théâtre du Centre national des arts et de la culture (Cnac), lors de notre passage jeudi, avait un décor bien sombre. Soutenu par un ciel qui, comme par clairvoyance s’est vêtue d’un voile noir, quelques gouttes de pluie arrosent le sol. Est-ce une libation ? Une interrogation qui conserve tout son sens quand on sait que c’est en ce lieu qu’est désormais logée la Compagnie nationale de danse et de théâtre (Cndt). Dans la cour, un bâtiment d’un étage barre une scène. C’est un restaurant. Des tables et des chaises y sont disposées. Un homme s’active à ranger quelques ustensiles là-haut. Sur la scène située en arrière plan, plusieurs jeunes sont à la tâche. Ils essaient de recouvrir la surface avec une bâche. D’autres règlent la lumière. La peinture de couleur noire éclatante, vient d’être refaite. D’une hauteur d’un mètre, le podium, qui s’étend sur la largeur du mur (9 mètre sur 4), donne un côté artistique à l’endroit. Ce sont les installations du Cnac. L’estrade est destinée à la compagnie de danse. Deux petites chambres sont construites aux angles. Nous approchons les travailleurs. Ils semblent nous ignorer. A cause de notre insistance, un technicien avec négligence, nous éclaircit : «C’est pour un spectacle ce soir». «Du Ballet national ?», interrogeons-nous. « Non. C’est pour le concours Ywalé.


La nostalgie du « Ballet national »

C’est un concours de danse organisé par Guédéba Martin», réplique-t-il. «Où répète donc le ‘’Ballet national’’ ? », insistons nous. «C’est à côté», indi­que-t-il. La réponse à cette question nous ramène à une pièce contiguë. Nous sommes accompagnés d’un autre jeune hom­me que nous avons con­vaincu de nous guider. Elle n’est pas trop vaste, mais est assez spacieuse pour des répétitions. Les danseurs de la compagnie n’y sont pas. «Pourquoi ?», «Ils ne répètent pas tous les jours», nous répond-il. Malgré notre insistance, il exprime son incapacité à nous répondre. Pour mieux comprendre la situation, un autre lieu nous est indiqué. Plateau tour D, siège de l’administration du Cnac. Le décor est plus reluisant et on a le sentiment d’être sur un lieu de travail. Il y règne un calme, perturbé par des voix qui proviennent de bureaux ouverts. Une panne au niveau de la climatisation oblige les occupants à laisser les portes ouvertes. Nous rentrons en contact avec le directeur artistique du Cndt M. Toilehi Guéi Eugène. «Les répétitions se font tous les deux jours», nous affirme-t-il. «C’est surtout lié au problème du transport. Nous avons certes un véhicule, mais nous ne disposons que d’un bon d’une valeur de 100 mille Fcfa pour tout le mois. Le véhicule que nous possédons fait au moins 10 mille Fcfa de carburant. Vous imaginez qu’on ne peut pas s’entraîner tous les jours vu que ce bon concerne aussi bien la compagnie de danse que celle du théâtre », nous explique-t-il. Une situation qui entraîne des problèmes plus graves. La compagnie ne crée plus. Les dernières grandes productions, «Azoumadré» et «Masa’ya» n’ont pratiquement pas été vues en Côte d’Ivoire. Outre cela, se pose le problème des primes des danseurs qui varient entre 300 et 750 mille par an et par danseur. Enfin, les sorties de la troupe se limitent à l’Espagne, alors qu’elle sillonnait le monde. Les Ivoiriens ont encore en mémoire les beaux jours du Ballet national. C’était l’époque de Louis Akin. Diégou Bailly, alors journaliste à Ivoire Dimanche, avait écrit, après une prestation du groupe : «Trente minutes de concert d’instruments traditionnels. Une heure de danse. Louis Akin croit que c’est la Côte d’Ivoire. C‘est le paradis. Un paradis de rythmes, de sons, de mélodies, de couleurs. Mille visages d’une culture qui danse et qui chante. Elle tend la main à tout le monde...». Le journaliste avait été séduit. Un ballet sublime, une troupe de danse qui a fait rêver et qui a permis au pays d’illuminer au plan culturel dans le monde. France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Yougoslavie,Finlande Mexi­que, Maroc, Martinique, États-Unis et Espagne. La troupe à Louis Akin était présente à tous les grands rendez-vous mondiaux. Une fierté pour le pays. Mais à la veille du cinquantenaire du pays, ce qui reste de l’institution broie du noir. Que s’est-il passé pour qu’un groupe aussi prestigieux se retrouve dans cet état ?

Depuis près de 15 ans, le Ballet national de Côte d’Ivoire s’est tu. Aucun son de tam-tam, aucune symphonie de balafon, aucune voix de chanteur. Toute cette combinaison harmonieuse de talents s’est vautrée dans le néant. Une situation qui a été favorisé par plusieurs facteurs.
A partir de 1986, l’Etat de Côte d’Ivoire qui était le principal soutien de la troupe, décide de réduire sa participation financière. La raison est que, les bailleurs de fonds internationaux, face aux difficultés budgétaires du pays ont choisi de le décongestionner, «le dégraisser» des charges inutiles. Il s’est agi de réduire le poids financier de l’Etat en supprimant les dépenses dites de «prestige». Jean Jacques Béchio, alors ministre de la Fonction Publique, avait estimé qu’il n’était pas à son poste, «pour payer des batteurs de tam-tam», se souvient Toiheli Guié Eugène.


De l’Etat providence à l’ajustement structurel

De ce fait, plus rien ne justifiait le maintien de ces personnes. Les agents ont donc été déflatés. En 1989, l’ancien Ballet national, n’avait plus de raison d’être, car n’ayant plus de fondement institutionnel. Une situation qui va durer jusqu’en 1994. A cet­te date, une nouvelle forme de l’institution est proposée. Au lieu d’une structure nationale de grande envergure qui absorberait de gros budgets, il a été demandé de mettre en place des structures «légères financièrement». C’est-à-dire des compagnies avec un personnel réduit et recruté de façon contractuelle. «Il ne fallait pas que les productions soient des gouffres financiers. C’est-à-dire, que le ballet devait créer par nécessité. D’où, les recrutements se faisaient par nécessité. De 40 artistes, l’effectif de la troupe est passé à 24, avec un directeur artistique, un administrateur, un régisseur et une secrétaire», relate M. Toiheli. Le système de journalier qui était appliqué aux danseurs prend fin. En nombre réduit, l’équipe dirigée par Zié Coulibaly, prend la dénomination de Compagnie nationale de danse avec de nouvelles dispositions. «L’Etat octroie une subvention, et il est de notre ressort de la compléter avec ce que nous gagnons durant les tournées », se justifie le directeur artistique. Compte tenue de ces mesures, le ballet s’est fait de plus en plus rare sur les scènes nationales.

Parler encore aujourd’hui, même de façon abusive d’un ballet national, est hypothétique. La compagnie mise en place ne répond pas aux attentes. Pour les anciens de la maison, l’inquiétude se situe au niveau de l’absence de la troupe sur les scènes nationales. Selon Bienvenue Néba, acteur et ancien membre du ballet, il existe un Ballet national formel dont les activités ne sont pas connues. «Je n’entends pas souvent parler de la compagnie. On me fait part qu’elle se déplace parfois à l’extérieur. Cela n’empêche pas que nous ayons un écho à l’intérieur. Depuis près de dix ans, je ne vois rien. Alors que si on veut en faire une institution nationale, il faut qu’elle ait des productions régulières». Cette absence est aussi notée par Zié Coulibaly. «La nuance entre ballet et compagnie, se situe au niveau de sa régularité». En effet, de la création du ballet jusqu’à sa suppression, c’était une entité régulière. Présente. Pour lui, cette présence se percevait à travers les répétitions (qui se faisaient tous les jours) et les voyages sur toute la durée de l’année à travers le monde. A ceux qui avancent que la compagnie continue de voyager, il répond : « Le Ballet avait une réputation. Ce qui a fait que de nombreux ivoiriens bien que n’ayant pas vu les danseurs, ont entendu parler d’eux ». Issa Sié Coulibaly, chargé de la promotion du Cnac et administrateur du Cndt jusqu’en 2007, ramène tous les problèmes des compagnies a un problème financier. « Le budget qui nous est alloué est dérisoire. A peine 10 millions. Le minimum pour qu’un ballet fonctionne est 100 millions. Nous vivotons », s’est-il défendu.

Depuis quelques temps, un brin d’espoir plane sur la Compagnie nationale de danse. En effet, rentré d’un voyage qu’il avait effectué en Guinée, le président de la République, Laurent Gba­gbo, a exprimé son envie de faire renaître le Ballet national. Ainsi les responsables de la structure ont été approchés pour réfléchir sur une nouvelle vision de l’institution. Des ré­fle­xions sont en cours. Mais, avant que le projet ne voie le jour, la Compagnie nationale de danse ne fait pas le poids. Et, les Ivoiriens, dans leur majorité, l’oublient de plus en plus.


Sanou Amadou (Stagiaire)
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