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Afrique Publié le mercredi 30 décembre 2009 | Le Nouveau Réveil

Crise en Guinée Conakry / SEM Jean Vincent Zinsou : “Bernard Kouchner en fait trop”

Jean Vincent Zinsou est un ancien ambassadeur de la Côte d'Ivoire en Allemagne et en Espagne. Dans sa résidence de Cocody-Deux Plateaux, ce lundi 28 décembre 2009, il reçoit nièces et neveux, tout en passant et en recevant des coups de fil pour régler des " problèmes de famille ". La bibliothèque de son bureau est pleine de livres de sciences politiques, de philosophie, de relations internationales et de diplomatie. Sur la vaste table plantée au milieu de la terrasse entourée de fleurs, des journaux de la presse ivoirienne comme internationale, traînent à côté de magazines français et panafricains. Il parle avec aisance de nombreux pays du globe, en évoquant des anecdotes inconnues et des dates précises qu'il faut aller chercher dans l'histoire. " Bernard Kouchner en fait trop " relativement à la crise guinéenne, lâche-t-il. Sans gant diplomatique.


Plus d'un demi-siècle après l'indépendance de la Guinée Conakry, qu'est-ce qui explique que ce pays ait du mal à émerger ?
J'ai mal à la Guinée parce que c'est un pays que la nature a doté de richesses incroyables. Premier pays producteur de bauxite en Afrique, un peuple travailleur et une diaspora brillante. C'est dommage que le pays connaisse cette malédiction. Rappelez-vous le 28 septembre 1958, Sékou Touré refuse la main tendue de De Gaulle. Quelques jours après, c'est l'indépendance de la Guinée. Il règne pendant plus d'un quart de siècle, il meurt en 1984. Ensuite, c'est un coup d'Etat qui porte à la tête de la Guinée, Lansana Conté, qui reste au pouvoir pendant vingt-quatre ans. En décembre 2008, il y a un coup d'Etat qui porte à la tête du pays, le capitaine Moussa Dadis Camara. Celui-ci donne espoir au peuple y compris aux leaders des partis politiques. Malheureusement, il transforme cet espoir en déception.

Qu'est-ce qui a provoqué le déclic chez Moussa Dadis Camara présenté par l’ex-président de l’Assemblée nationale et dauphin constitutionnel de Lansana Conté comme “le nouveau Moïse”?
C'est le triptyque appât du gain facile, ivresse du pouvoir et tribalisme.

En quoi le tribalisme a-t-il compté dans le changement d'attitude de Moussa Dadis Camara ?
Le problème du tribalisme en Afrique, on ne le dit pas assez, est très présent dans le débat politique. La Guinée compte 40% de Peuhl, 30% de Malinké, communauté dont était membre Sékou Touré, 20% de Soussou, ethnie de Lansana Conté et 9% de Forestiers dont Dadis Camara est membre. Sékou Touré a vu que les Peuhl étaient plus nombreux et qu'ils étaient une population très laborieuse. Il a donc commencé à les marginaliser et à procéder à des assassinats au sein de ce groupe ethnique. L'emblème en la matière est l'assassinat de Diallo Téli, le premier secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Il avait gardé un seul Forestier à ses côtés : Louis Lansana Béavogui (premier ministre de Sékou Touré du 26 avril 1972 au 27 mars 1984, NDLR). Ensuite arrive un Malinké, puis un Forestier qui veut aussi sa part. Le problème tribal n'est pas loin autour de tous ces problèmes en Guinée. Malheureusement, on a à côté de cela une armée qui n'est pas monolithique. Le ratio conventionnel dans une armée, c'est un officier pour dix soldats. Dans l'armée guinéenne, c'est un officier pour trois soldats. Et quand vous avez cette sorte d'armée et un chef de la junte, en l'occurrence Dadis Camara, qui affirme qu'il ne contrôle pas l'armée, le cocktail court vers l'implosion. Si la communauté internationale ne réagit pas avec célérité, on risque de basculer dans une guerre civile.

Qu'est-ce qui vous amène à soutenir cette hypothèse extrême ?
La raison est simple : je pensais que l'arc de crise qu'avait connu l'Afrique de l'ouest avec la Sierra Leone, le Liberia, la Guinée-Bissau, la Côte d'Ivoire s'était déplacé au niveau de l'Afrique orientale. Je me rends compte que l'arc de crise ne s'est pas encore éloigné avec la situation en Guinée. Ce qu'il faut craindre, c'est que tous ces pays que je viens de citer replongent dans des situations difficiles du fait de l'effet domino.

Le capitaine Moussa Dadis Camara est hospitalisé à Rabat au Maroc après l'attentat dont il a été victime le 3 décembre. Bernard Kouchner, le chef de la diplomatie française a déclaré qu'il ne souhaite pas que celui-ci retourne dans son pays. " Une immixtion inacceptable " dans les affaires internes de la Guinée, selon son homologue guinéen, Alexandre Cécé Loua. Comment entrevoyez-vous l'avenir de Moussa Dadis Camara ?
Aujourd'hui, il est difficile de diriger un pays en mettant de côté les standards internationaux. Si vous n'arrivez pas à comprendre la nouvelle grammaire de la politique internationale (droits de l'homme, démocratie, bonne gouvernance, etc.), c'est difficile. Si vous n'arrivez pas à assimiler le logiciel diplomatique moderne, vous courez le risque de disparaître. Je ne vois pas un pays en Afrique qui peut vivre sans l'aide extérieure. Dès l'instant où l'Union européenne coupe son aide, cela devient intenable. La Guinée a un retard considérable, sa population est éreintée par la pauvreté. C'est donc un pays qui a besoin d'aide. Quant à Dadis Camara, il est parti se faire soigner au Maroc après avoir reçu une balle de 9mm dans la nuque, tirée par son aide de camp qui criait à la trahison parce que celui-ci voulait lui faire endosser la responsabilité de toutes les tueries du 28 septembre au stade de Conakry. Je pense que la page de Dadis Camara est tournée. Il est très malade, je ne dis pas qu'il est mort, mais il est dans un état végétatif. Il aura une incapacité de diriger le pays malgré la frénésie qui règne dans son camp. Au demeurant, quand il aura fini sa convalescence et que le rapport qui l'accable pénalement sur les incidents du 28 septembre va être brandi, il sera obligé de répondre devant la Cour pénale internationale.

Idrissa Chérif, le ministre de la Communication et porte-parole de la junte a accusé " des services français " d'avoir trempé dans la tentative d'assassinat de Dadis Camara. Le Quai d'Orsay a fermement démenti l'information. Quel rôle la France joue-t-elle exactement dans la crise guinéenne ?
La France est dans une situation difficile. La Guinée est l'une de ses colonies et elles ont eu des relations ombrageuses. J'ai écouté le ministre guinéen de la Communication s'exprimer sur ce sujet sur certaines radios. Je pense qu'on n'accuse pas une puissance comme la France si on n'a pas de preuves. Cependant, je pense que Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères qui s'invite dans le débat guinéen, en fait trop. Le silence, surtout quand on est ministre des Affaires étrangères d'un Etat, n'est pas d'or ; il est de diamant. De toutes les façons, aujourd'hui au niveau de l'Union européenne, tout est mutualisé. L'Union européenne s'est donné une voix avec une Haute représentante des Affaires étrangères de l'UE, Lady Ashton, un visage avec le président de l'UE, Herman Van Rompuy. En fait, la France sert aujourd'hui de caisse de résonnance dans le conflit guinéen. Bernard Kouchner va un peu trop loin et trop vite, surtout que la France a déjà saisi le Conseil de sécurité à l'éffet que la CPI se penche sur le cas de Dadis Camara.

Quels sont les scénarii de sortie de crise possibles en Guinée ?
Le premier scénario est la carte Sékouba Konaté. Ce dernier est un métis qui a quelque origine libanaise. Pour l'heure, ce général, chef d'Etat par intérim a donné beaucoup de gages à la communauté internationale. On attend maintenant qu'il agisse. Cependant, il aura fort à faire parce que l'armée guinéenne est traversée par beaucoup de clans. Les clans n'épargnent pas l'opposition et la société civile regroupées au sein des Forces vives. Ces dernières ont d'ailleurs applaudi le putsch de Dadis Camara, lui prêtant de bonnes intentions. Deuxième scénario : un civil vient au pouvoir. La question qui se poserait est de savoir si ce civil pourra gérer toutes ces contradictions. Le troisième et dernier scénario est que la communauté internationale ou ce qui en reste, se réveille très vite et impose des solutions à la Guinée.

La communauté internationale a réagi à travers la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (Cedeao) qui a désigné un médiateur en la personne du président burkinabé Blaise Compaoré. Comment jugez-vous cette médiation ?
J'ai l'impression que cette médiation est très compliquée pour la Guinée. Est-ce que les responsables de la junte au pouvoir ne vont pas chercher à jouer leur va-tout en se disant qu'il y a la menace de la Cour pénale internationale ? La seule certitude aujourd'hui en Guinée, c'est l'incertitude. C'est un pays qui est au bord du gouffre. Par la faute de ses responsables, non seulement du CNDD (Conseil national pour la démocratie et le développement, NDLR) mais des Forces vives qui n'ont pas su s'entendre très rapidement.

Idéalement, qu'est-ce qu'il faut pour que la Guinée se mette sur le chemin de la démocratie ?
Il faut aujourd'hui à la Guinée une thérapie de choc. Il faut que les militaires mettent un peu d'eau dans leur vin et se disent qu'ils ont perdu la bataille et qu'ils passent le pouvoir à un gouvernement civil, issu d'élections démocratiques.
Interview réalisée par André Silver Konan

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