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Politique Publié le mercredi 6 janvier 2010 | Le Patriote

Vie politique en côte d’ivoire : Le temps de Gbagbo est passé

S’il avait été une danse, ceux qui exécuteraient ses pas, de nos jours, seraient regardés par les générations présentes comme des « démodés ». S’il avait été un style de vêtement, ceux qui arboreraient cette tenue seraient pris aujourd’hui pour des ringards. Laurent Gbagbo, car c’est de lui qu’il s’agit, est passé de mode. Il ne fait plus rêver. Son discours se situe désormais, à mille lieues des préoccupations des Ivoiriens. Sa méthode de gestion des hommes et des affaires publiques ne sont pas celles d’un dirigeant moderne. Il n’est pas l’homme qui peut faire entrer la Côte d’Ivoire dans cette ère de haute technologie où tout va vite, où la concurrence est rude. Gbagbo est arrivé au pouvoir au moment où on ne l’attendait plus. Parvenu à ses fins, c’est-à-dire au pouvoir, contre toute attente, il n’a pas su rattraper le temps. Il n’a ni recadré son discours, ni emprunté des instruments modernes de gestion.

En effet, en avril 90, quand le pays retourne au multipartisme, Laurent Gbagbo est vu comme le principal artisan de ce changement de système. Il n’avait pas été le seul acteur de ce retour. Avec lui, l’opinion nationale citait Bernard Zadi Zaourou, Bamba Moriféré et Francis Wodié. Tous des professeurs d’université. Mais, la palme était revenue à Laurent Gbagbo, secrétaire général du FPI, parce qu’à l’époque, son discours était perçu comme celui de la rupture et surtout parce qu’il avait choisi, contrairement aux autres leaders, d’affronter à l’élection présidentielle, Félix Houphouët-Boigny. Cela faisait plus de 30 ans que le « Bélier de Yamoussoukro » régnait sans partage sur le pays. Son adversaire à une élection ne pouvait qu’incarner le changement ou constituer une alternative. A l’issue de cette consultation générale, le candidat du FPI a été crédité de 18% de voix, sans réaction de sa part. Le changement n’a donc pas pu se produire. Quand, trois ans après, en décembre 1993, Houphouët décède, ce n’est pas Gbagbo qui lui succède, mais plutôt Henri Konan Bédié, le dauphin constitutionnel. Une fois de plus, sans réaction du candidat malheureux à la dernière élection présidentielle. Premier décalage. Certes, la succession de Bédié maintenait le pays dans le système Houphouët, mais Bédié n’est pas Houphouët. S’il n’y a pas eu de changement de régime, il s’est quand même produit un changement d’homme. Pour la première fois en Côte d’Ivoire, depuis très longtemps, les Ivoiriens ont un président autre que Félix Houphouët-Boigny. En soi, c’était déjà une petite révolution. Mais comme successeur d’Houphouët, il en aura même un deuxième avec l’avènement du Général Guéi.

L’avènement de l’ancien chef d’Etat-major des armées nationales met fin à la succession par ordre établi. L’on peut avoir son avis sur la façon dont cette rupture a été faite, mais, toujours est-il que dans la conscience de beaucoup d’Ivoiriens, ce coup d’Etat changeait la donne politique ivoirienne. Ce n’est pas pour rien que les rues d’Abidjan ont été envahies par des foules en liesse. Aux opposants traditionnels au régime de Bédié, s’ajoutaient ceux qui jugeaient partiel, le changement intervenu en 1993, à la mort du premier président de la République de Côte d’Ivoire. A présent, Gbagbo a beau ironiser sur la guerre des héritiers pour parler de ce coup d’Etat, mais il sait, en son âme et conscience, que le Général Guéi a mis fin à un ordre préétabli. D’ailleurs, c’est lui-même, Laurent Gbagbo qui indiquait qu’il y a « des coups d’Etat qui sont salvateurs ». Le disant, il savait bien de quoi il parlait. Deuxième décalage.

Quand on passe sur les péripéties de la transition militaire et qu’on arrive à cette élection calamiteuse qui a permis au leader du FPI, « coaché » par les socialistes alors aux affaires dans l’Hexagone, de parvenir au sommet de l’Etat, on voit que beaucoup d’eau a coulé sous le pont Félix Houphouët-Boigny. Le changement d’homme à la tête de l’Etat s’est produit par deux fois. L’ordre établi a été brisé. Ce n’est plus l’héritier qui était au pouvoir et qui a été battu ou évincé par l’opposant de 30 ans. De ce point de vue, ceux qui voulaient le changement ont été largement servis. En plus, fait fondamental, le marigot politique national a enregistré la venue d’un autre gros crocodile : Alassane Dramane Ouattara. Gbagbo n’est plus dominateur sur la scène. Le mentor du RDR lui a pris la place. Si avec le long règne d’Houphouët, le slogan du changement faisait mouche, avec la nouvelle donne politique, il devenait anachronique. Après Bédié et Guéi, avec la présence sur la scène politique d’Alassane Ouattara, les Ivoiriens attendent désormais autre chose. C’est ainsi que croyant trouver la parade, le FPI passe précipitamment du changement à la refondation sans une réflexion sur lui-même. Un autre décalage. Ainsi, Gbagbo prend les rênes du pays alors qu’il n’est plus l’homme le plus populaire du pays, celui dont les Ivoiriens, dans leur grande majorité attendent la venue. La preuve, malgré sa prise de pouvoir, Laurent Gbagbo va perdre les trois élections qui vont suivre. Pour les législatives, il est dominé par le PDCI. Pour les municipales et les départementales, malgré les chars, il se classe troisième derrière le RDR d’Alassane Ouattara et le PDCI d’Henri Konan Bédié. L’UDPCI de Robert Guéi, lui mène la vie dure dans l’ouest du pays. Gbagbo n’aura pas été porté par la dynamique de la victoire. Il est un minoritaire au pouvoir. Le comble c’est qu’il arrive avec des idées rétrogrades et un discours loin, très loin des préoccupations des Ivoiriens. Il met en place un mode de gestion très archaïque. De la politique, il n’a retenu que le jeu des intrigues. Ce que l’on appelle la politique politicienne. Avec lui, tout n’est que politique. Et donc à cause des intérêts politiques, il nommera Pierre ici plutôt que Paul. Sur la gestion des affaires de l’Etat, il aura une vigilance très relâchée. Quand on prendra en flagrant délit des individus mettant en péril le crédit du pays en s’adonnant au trafic de faux billets, comme ce sont des proches, il estimera que les quantités de billets découvertes ne sont pas suffisantes pour les punir. Quand on lui dira que des pontes de son régime ont claqué près de 100 milliards dans une opération d’achat d’usine aux USA, il estimera que ses prédécesseurs ont fait la même chose. Quand on lui dira que les concours d’entrée à la Fonction publique sont vendus, il répondra que s’il y a des corrompus, c’est qu’il y a des corrupteurs. Or, la nouvelle classe de dirigeants que se donnent les pays, actuellement, ne sont pas de cette veine-là. L’on n’imagine pas un seul instant un Nicolas Sarkozy ou un Barack Obama donnant des réponses de ce genre à leurs compatriotes. Le tout politique ne convient pas au monde moderne. Il est donc reconnu de tous que Laurent Gbagbo n’est pas un grand gestionnaire. Il avance au pif. On l’a vu ici distribuant des sous-préfectures et des préfectures à gauche et à droite pour faire plaisir à des proches ou pour appâter une population électorale. Tout cela sans étude préalable pour savoir si l’Etat peut faire face à ces nouvelles charges.

Pour avoir combattu un monde ancien, Laurent Gbagbo en a gardé les réflexes. Il gère à l’ancienne. Pour construire Yamoussoukro, d’après lui, comme un écureuil, il a mis de côté, « un peu, un peu » les recettes tirées de l’exploitation du pétrole ivoirien. Résultat : en dix ans, il n’a construit qu’un seul bâtiment, celui de l’hôtel des députés. Non, la méthode de gestion de Laurent Gbagbo ne peut convenir à un Etat moderne, à un pays qui veut se faire une place dans le concert des nations modernes. Pendant les dix ans de règne, l’ancien président du FPI n’a pas laissé entrevoir qu’il avait des capacités pour préparer le pays à relever les défis nouveaux d’un monde en mutation. Surtout, ne nous parlez pas de son livre-programme ! Un ouvrage réalisé précipitamment, pour servir d’alibi politique. Encore de la politique et toujours de la politique.

Raphaël Lakpé
Journaliste-sociologue, consultant
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