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Art et Culture Publié le samedi 9 janvier 2010 | L’intelligent d’Abidjan

Les Samedis de Biton : Le déchirement

Le déchirement est le beau titre de l’unique roman de Bernard Kolelas. Un homme que j’ai beaucoup admiré. Comme la plupart des hommes politiques du Congo-Brazzaville. Je ne sais pas d’où me vient ma passion pour la politique congolaise, d’avant même les indépendances. Un ami n’arrive toujours pas à supporter de dire deux Congo. Il milite, chaque jour, que l’autre redevienne Zaïre. Suivre la politique congolaise avec autant de passion vient, sans doute, de Radio-Brazzaville que toute l’Afrique noire écoutait tous les jours. Notamment le concert des auditeurs. Tous ceux de ma génération ont connu ce fameux concert des auditeurs de Radio-Brazzaville. Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa, nous paraissait lointaine à cause de la guerre. Le Congo-Brazzaville sera pour nous autres, mordus du socialisme et du communisme, un vrai laboratoire de l’expérience économique à la chinoise, à l’albanaise et même à la russe. La guerre idéologique entre les différentes tendances suscitait nos commentaires quotidiens. Tous leurs hommes politiques faisaient nos « revues » de presse. Si Ange Diawara, inspirait déjà de nombreux étudiants, il avait été nommé ministre venant directement de l’Université, moi, j’avais une folle passion pour Ernest Dalla. Il avait un verbe digne d’un révolutionnaire. Il a « massacré » de nombreux ministres des affaires étrangères des pays africains qu’on appelait, à l’époque, les pays réactionnaires. En fait, il s’agissait de tous les pays africains qui suivaient une politique capitaliste. Jusqu’à demain, je demande des nouvelles de Ernest Dalla » Graille » à tous ceux qui vont ou reviennent de Brazzaville. Et quelle ne fut ma surprise de recevoir dans mon bureau, un après-midi, il y a quelques années, un jeune homme se disant le fils de Bernard Kolelas. Mon esprit était déjà excité d’entendre le nom d’un dirigeant congolais. Le jeune homme me proposait tout simplement de lire et de voir si on pouvait publier le roman de son père. Un roman, pas un livre politique. Je savais Bernard Kolelas, le plus turbulent des hommes congolais de toutes les générations. Je me voyais déjà à quelques mètres de lui. Depuis quelques semaines, je ne rêvais que de lui poser une seule question. Et voilà que la providence me mettait sur son chemin. Je savais qu’il avait fuit Brazzaville en tant que Premier ministre pour aller en exil. Je venais de savoir que l’enfant terrible de la politique congolaise venait d’arriver à Abidjan et habitait à Angré, mon quartier. Après avoir informé mon directeur général, je partis à la rencontre, le lendemain, de l’home du pool, celui qui a « fatigué » tous les dirigeants politiques de son pays. Officiellement, c’était pour lui présenter le contrat d’édition. Si l’édition est une entreprise culturelle, elle est aussi commerciale. Avoir un manuscrit d’un Bernard Kolelas c’est le mettre immédiatement en fabrication. En plus, le sujet était d’une haute portée culturelle. Le déchirement s’inscrit dans l’écartement, encore réelle entre l’Africain et sa culture sous la poussée de l’Occident. Entre sa pratique traditionnelle et la nouvelle vie moderne qui s’offre à lui. Tout part d’un jeune homme, Massengo, jeune fonctionnaire, qui refuse la femme que lui propose son père. Que de déchirement ! Mais quelle belle leçon de philosophie, de sagesse et de réalisme pour tous les Africains d’aujourd’hui. Je regrette que Bernard Kolelas n’ait pas privilégié une carrière littéraire au détriment de la politique. Il aurait marqué des siècles de lecteurs. La politique est trop partisane pour plaire à un grand nombre et surtout marquer la postérité. Si Bernard Kolelas, mort récemment en France, pouvait revenir sur cette terre, je suis persuadé qu’il aurait choisi une carrière littéraire à la vaine carrière politique. Revenons chez Bernard Kolelas à Angré. Tous deux dans son bureau, je me permets de lui poser ma question qui attendait depuis son départ de Brazzaville. « Monsieur le Premier ministre, pourquoi acceptiez-vous de diriger le gouvernement congolais au moment où tout semblait visiblement perdu pour le pouvoir ? » Du tac au tac. « Ce sont les Occidentaux qui me l’ont poussé à accepter pensant que ma position neutre va ramener la paix. » Je ne m’attendais pas à cette réponse. Je n’imaginais pas, à l’époque, que les Occidentaux pouvaient nous imposer des choses. La discussion qui va suivre entre nous va me permettre de comprendre que suivre l’actualité par la radio ou la presse ne fait pas de nous des connaisseurs de nos politiques africaines. La politique africaine est un bois sacré. Les dirigeants africains semblent se trouver dans tous leurs éléments avec une politique de secret et de camouflage. Un moment, au cours de la discussion, je me prenais, aussi, pour un homme politique discutant des voies et moyens pour rendre nos régimes plus démocratiques. On va se revoir souvent dans le cadre de la publication de ce livre et je quitterai les NEI, pour cause de retraite, avant la sortie du roman. Bernard Kolelas a eu une vie troublée et agitée. Après avoir relu son roman, je reste persuadé que sa vie était faite pour le plus beau métier du monde : Ecrivain.


Par Isaïe Biton Koulibaly
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