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Économie Publié le vendredi 29 janvier 2010 | Nord-Sud

N’Gouan Patrick (Coordonnateur de la Convention de la société civile de Côte d’Ivoire) à propos de la bonne gouvernance :“La crise ne justifie pas la montée de la corruption”

L’administration ivoirienne est fortement gangrénée par les pratiques illicites qui risquent de compromettre la relance économique. Après le séminaire de validation du Plan national de la bonne gouvernance et de lutte contre la corruption qui a eu lieu du 20 au 21 à Yamoussoukro, le coordonnateur de la société civile de Côte d’Ivoire émet des réserves.

La corruption prend de plus en plus des proportions inquiétantes dans l’administration ivoirienne et ne semble épargner aucun secteur. Quel est le diagnostic de la société civile?
Le diagnostic que nous faisons, n’est pas différent de celui qui a été fait par les pouvoirs publics eux-mêmes, à travers le Secrétariat national à la gouvernance et au renforcement des capacités. Je pense que tous les secteurs de la vie socioéconomique, y compris l’administration ivoirienne, sont vraiment touchés par le phénomène grave de la corruption qui a connu une recrudescence au cours de cette décennie. Mais, il faut reconnaître que ce diagnostic est vraiment inquiétant. Car, il concerne le mode de recrutement des fonctionnaires en passant par leur mode de nomination et de promotion dans la fonction publique, jusqu’à leur manière de travailler. La situation est suffisamment grave pour qu’on puisse prendre conscience et proposer les remèdes.

Vous parlez de la gravité de ce phénomène. Cela suppose qu’il expose le pays à certains dérapages…
Bien évidemment, il faut dire qu’il y a une espèce de cercle vicieux entre la mauvaise gouvernance et les inégalités sociales. Parce que la mauvaise gouvernance entraîne des inégalités sociales. Or, les inégalités sociales créent les comportements parallèles qui fragilisent les institutions. Les institutions étant fragilisées, elles ne peuvent plus maîtriser tous les rouages de la gestion d’un Etat. Donc forcément, la corruption prend de l’ampleur. Cela a un impact sur la gouvernance. Il faut poser le diagnostic et le maillon qui est à la base de tout ceci, c’est la qualité de la gouvernance.

Vous aviez souligné tantôt que ce problème n’est pas nouveau, qu’il s’est amplifié dans la durée. Mais, la situation de crise n’a-t-elle pas favorisé cette situation ? Ou bien s’agit-il d’une démission des autorités ?
La corruption existait du temps du le parti unique. Parce qu’à cette époque, il y a eu des comportements rentiers. C’est-à-dire que l’élite nationale aimait la facilité et ne prenait pas de risque. Le parti unique est un contexte idéal pour s’enrichir facilement sans prendre de risque. Le parti unique a beaucoup apporté à la Côte d’Ivoire en termes de développement économique et social, de cohésion et unité nationales. Mais, ce système avait également des inconvénients. C’est-à-dire les positions de rente, de faveur et de domination en utilisant l’appareil du parti ou la position dans le parti. Ce comportement du parti unique n’a malheureusement pas disparu depuis 1990 avec l’avènement du multipartisme. On a recopié textuellement dans les tous régimes qui se sont succédé de 1990 jusqu’aujourd’hui, les avatars du parti unique. Le problème fondamental de la Côte d’Ivoire, c’est qu’on a abandonné les avantages du parti unique. C’est-à-dire la cohésion nationale et l’unité nationale ont été mises en mal et on a repris les mauvais côtés du parti unique. La crise n’a fait qu’amplifier une tendance qui existait déjà. La guerre ne justifie pas tout. La mauvaise performance de l’administration ivoirienne, les mauvaises conditions de recrutement dans la fonction publique et les concours administratifs ne sont pas le fait de la guerre. Il faut bien faire un discernement entre ce qui est imputable à la guerre et ce qui ne l’est pas. Dire qu’à cause de la crise, on n’a pas pu construire d’écoles dans les zones centre, nord et ouest, je peux comprendre. Mais, le fait qu’une bonne partie des ressources de l’université soit détournée par la Fesci, n’a rien à voir avec la guerre. La mauvaise gestion des filières agricoles n’est pas liée au conflit armé. Toutes les dépenses inutiles dans le budget de l’Etat ne concernent pas la guerre. Aujourd’hui, quand vous prenez tous les indicateurs de gouvernance, la Côte d’Ivoire n’a pas 50%.

Quels sont ces indicateurs ?
On peut citer entre autres l’efficacité gouvernementale, l’indice de satisfaction des usagers de l’administration, la capacité de contrôle de la corruption, le niveau de participation des populations locales aux décisions et aux projets politiques. Par rapport à toutes ces considérations, la Côte d’Ivoire est à la traîne avec moins de 50%. Dans les pays comme le Ghana, il y a un effort qui est fait pour améliorer ces performances. Le pays de John Atta Mills est en-dessous de 50% (la moyenne) dans tous ces indicateurs que je viens d’indiquer ainsi que le Botswana et l’Ile Maurice. Ce sont des pays africains qui s’approchent même des 70% par rapport aux différents indicateurs. Cela veut dire que notre pays a du chemin à faire. Pour être compétitif, cela ne veut pas dire qu’il faut une démocratie à l’ivoirienne, cela n’a aucun sens. Parce que les règles des institutions et de l’économie internationales ne sont pas des règles à l’ivoirienne mais des standards internationaux. Si vous ne pouvez pas les respecter, vous êtes marginalisé. Nous sommes mal gouvernés. Si vous prenez le sport, on a les meilleurs joueurs de la Can, mais le résultat est un échec. La gouvernance sportive n’a pas été optimale. C’est pour cela qu’aux journées du consensus national, nous avons demandé qu’on puisse faire en sorte que dans les cinq années à venir, la Côte d’Ivoire puisse atteindre au moins les 50%. Et 70% dans les 10 prochaines années. Aujourd’hui, le niveau actuel de la Côte d’Ivoire fait qu’il y a certaines personnes qui vous diront que même dans les pays corrompus les affaires marchent. Mais, j’insiste à dire que ce sont les mauvaises affaires qui marchent. Un pays qui est corrompu, ne peut attirer que des mafieux et des investisseurs frauduleux. Les investisseurs sérieux ne vont jamais dans un pays où la corruption gangrène la vie sociale. Ils vont dans les pays où il y a le droit, la rigueur, la transparence pour créer des emplois.

Vous faites souvent allusion au Secrétariat à la gouvernance. Pensez-vous que cet organe puisse jouer son rôle dans le contexte actuel?
Le Secrétariat à la gouvernance dépend de la Primature. C’est un service du cabinet du Premier ministre. Mais, la question de la gouvernance est tellement importante qu’à mon avis, elle doit être traitée au-dessus de la Primature. Et même au-dessus du Président de la République. Cela doit être traité dans la Constitution, de manière consensuelle comme on l’a fait aux journées du consensus national, en prenant des mesures strictes. Par exemple, nous avons demandé au cours de ces journées, que tous les présidents d’institution soient proposés et nommés à l’issue d’un quitus donné par l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, la Primature ne peut pas traiter totalement la question de la corruption. Ce sont des questions nationales et non gouvernementales. La corruption, ce n’est pas seulement dans l’administration, même le secteur privé est fortement gangréné. Comment comprendre que certains dirigeants refusent de payer l’impôt ou manipulent leur bilan à leur guise?

Justement vous venez de participer au séminaire de validation du Plan national de bonne gouvernance et de lutte contre la pauvreté qui a eu lieu du 20 au 21 janvier à Yamoussoukro. Quelles critiques portez-vous aujourd’hui sur ce document ?
Le document qui a été validé, est un document gouvernemental. Nous notons que, contrairement à ce qui s’est passé au début, les pouvoirs publics sont de plus en plus sensibles et perméables aux propositions de la société civile. Nous avons fait des propositions dont certaines ont été prises en comptes. Nous avons demandé qu’on plafonne le nombre de ministère à 25. Mais, le Secrétariat à la gouvernance a souhaité qu’on puisse plafonner sans préciser le nombre. C’est déjà important de savoir que le gouvernement lui-même décide de limiter le nombre de ministres. Il y a beaucoup de points où il y a une convergence entre le Secrétariat à la bonne gouvernance et la Convention de la société civile. Mais, en revanche, il y a d’autres points sur lesquels on n’est pas d’accord.

Lesquels ?
On demande la création d’un Sénat. Nous sommes contre cette décision. Parce que nous avons des institutions en Côte d’Ivoire qui fonctionnent difficilement pour des raisons budgétaires. Par exemple, la médiature, les conseils généraux, les communes qui n’ont même pas de ressources pour fonctionner véritablement. La convention a critiqué et demande l’annulation du décret créant les Hautes autorités régionales de développement. Cela ne sert strictement à rien, si ce n’est pas à des buts de propagande politique. De la même manière, nous nous opposons à la création d’une deuxième chambre de parlement. Aujourd’hui, nous avons une assemblée nationale qui n’a même pas de ressources pour travailler. A un moment donné, les députés voulaient se mettre en grève. Nous souhaitons que tout ce qui est de nature à gonfler inutilement le budget de l’Etat, soit purement supprimé. Et puis retenir l’essentiel qui est la lutte contre la misère, et promouvoir le développement. Nous avons demandé aux journées du consensus que les budgets de souveraineté soient à moins de 1% du budget de l’Etat. Nous avons demandé une nouvelle constitution qui ne se focalise pas forcément sur l’article 35, mais, qui revoit totalement la question de la gouvernance dont l’origine réside dans le fait qu’il y a une extrême concentration du pouvoir dans les mains de l’exécutif au détriment du législatif et du système judiciaire. Il faut rééquilibrer les choses pour qu’il y ait un contre-pouvoir pour rendre le contrôle efficace au niveau de la haute hiérarchie de l’Etat. Cette nouvelle constitution doit également donner une place de choix à la société civile. Parce qu’aujourd’hui il y a une prééminence de la classe politique. Elle domine les institutions de l’Etat qui est en dessous des politiciens. Ce qui n’est pas normal. L’Etat est noyé par la sphère politique. Il faut que l’Etat et la chose publique soient décolonisés. Le secteur privé doit être également libéré par cette classe politique. Un Etat qui est pris en otage par la classe politique est un Etat fragile.

Interview réalisée par Cissé Cheick Ely
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