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Politique Publié le mercredi 17 mars 2010 | Le Patriote

Dérives tribales et ethniques depuis l’an 2000 - La longue guerre du FPI contre l’unité nationale

«Je côtoie au sein de mon parti des hommes qui ont défendu et qui continuent, hélas, à défendre les idées ivoiritaires ». Mamadou Koulibaly, vice-président du Front Populaire Ivoirien ne croyait pas si bien dire. Lui qui, dans une guerre épistolaire qui a fait les choux gras de la presse ces dernières semaines, dénonçait le tribalisme en Côte d’Ivoire. Les dérives tribales braquent sur elles les phares de l’actualité. Surprise ? En réalité, les Ivoiriens ne sont pas surpris. Car, le parcours politique de Laurent Gbagbo, ces dernières années, est l’expression angoissée d’une dérive ivoiritaire dans laquelle, sectarisme, tribalisme et xénophobie se côtoient allègrement. Laurent Gbagbo dont l’action politique à l’origine se présentait comme pour améliorer la condition humaine, a été, pour beaucoup de ses compatriotes, le bourreau. Celui qui les expose au rejet. Si comme l’ont maintes fois soutenu, Guillaume Soro et ses hommes, « la crise ivoirienne est sous-tendue par une crise identitaire », Gbagbo aura été le père de la guerre.

En 2001, l’ancien socialiste, alors à la quête du pouvoir, a montré son vrai visage à ses compatriotes. A la tête d’un Front dit patriotique, il a convié la presse à l’ex-AITACI à Treichville pour leur présenter des dizaines de cartes d’identité, fruit d’une « fraude à grande échelle » dont se seraient rendues coupables des personnes étrangères pour se faire enrôlées et voter en Côte d’Ivoire. Cet événement marque le début d’une campagne, une véritable cabale contre la cohésion nationale. A l’initiative de Laurent Gbagbo, des Ivoiriens vont se dresser contre leurs frères, les regardant comme des « envahisseurs », des « pions à la solde » d’autres pays dont les ressortissants veulent devenir Ivoiriens. Le poison va prendre peu à peu, s’incrustant dans les quartiers, les villes, les villages et même les maisons.

Ici, au cours des travaux de la Commission consultative, constitutionnelle et électorale (CCCE) instituée par la junte militaire, en 2000, afin de doter le pays d’une Constitution, un groupe de femmes conduites par la première épouse de Laurent Gbagbo, Simone, ont défendu bec et ongle l’idée que « la femme du candidat à la présidence de la République doit être Ivoirienne de teint noir ».

La « jurisprudence Boga »

Plus tard, l’on a vu Me Emile Boga Doudou, alors ministre de l’Intérieur, tirer des noms des personnalités présentés à la face de la Nation comme des gens au double visage, « des oiseaux qui n’ont pas d’arbre sur lequel se poser en cas de danger ». Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une fois au pouvoir, Emile Boga Doudou, alors tête-pensante du régime, propose une loi sur l’identification de triste mémoire. Cette loi n°2002-03 du 03 janvier 2002 relative à l`identification des personnes et au séjour des étrangers en Côte d`Ivoire, consacrait la primauté de la tribu sur la Nation, celle du village sur la République. Cette loi indiquait que tout Ivoirien devait retourner dans son village pour se faire identifier, au détriment du Code électoral qui autorise l’enrôlement partout sur le territoire national, selon le choix du pétitionnaire.

Bonoua, village de Simone Gbagbo a expérimenté cette balkanisation de la Côte d’Ivoire. Des jeunes, prenant prétexte de ce qu’ils sont autochtones, ont rédigé leur texte dans laquelle, ils proclamaient que les « allogènes », terme désormais galvaudé depuis l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, n’avaient pas les mêmes droits que les autochtones. C`est ainsi que les jeunes de Bonoua ont décidé d`écrire leur propre "constitution" et de l`imposer. Depuis janvier 2001, ils se sont édicté de nouvelles lois. En juillet 2009, un document de 38 pages est donc entré en vigueur. Désormais, tous les habitants de la région savent que les filles ne doivent pas s`habiller à leur convenance, qu`il est interdit à une Ehivé de se marier à un "étranger", que les activités commerciales sont "réglementées". Même les enterrements dans les cimetières obéissent désormais à des critères d’origine. Bonoua n’était qu’un laboratoire. Car, un peu partout, des Ivoiriens se sont essayés à la catégorisation et à la différentiation.

Depuis donc, un Ivoirien de Tafiré, installé à Ouragahio n’avait pas les mêmes droits que ses compatriotes originaires de cette commune. La loi Boga Doudou et le livre « Sur la trace des Bété », rédigé par Laurent Gbagbo confirmaient donc cette primauté de la citoyenneté du village. La Côte d’Ivoire est devenue ainsi, un ensemble de Balkans, de tribus les unes à côté des autres et non cette Nation multiculturelle, multiethnique et multiraciale dont a rêvé Houphouët-Boigny. Il n’est donc pas étonnant que cette politique tribaliste de Laurent Gbagbo laisse des traces que nous vivons aujourd’hui. C’est toujours à l’occasion d’échéances importantes concernant soit l’enrôlement soit l’identification des électeurs que le parti au pouvoir agite le chiffon rouge de la désintégration du tissu national. C’est toujours à ces occasions que les refondateurs voient les nuées d’étrangers s’abattant sur le pays.

La Côte d’Ivoire, on le sait, est entourée de cinq pays. De tout temps, les populations se sont déplacées par delà les frontières instaurées depuis l’ère coloniale. Elles se sont intégrées de part et d’autre. Mais cela ne saurait se faire au détriment de la nationalité ivoirienne. Pourquoi se fait-il qu’aujourd’hui, les cadres du FPI ne voient la fraude que chez les personnes originaires de la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire ? Il y a aussi bien des Coulibaly en Côte d’Ivoire qu’au Mali, au Burkina ou en Guinée. Les Koffi, Kouamé et autres Atta se voient en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Togo. Etre Guéi, Doh ou Mangly n’est pas l’apanage des seuls nationaux ivoiriens. De l’autre côté de Danané, au Libéria les mêmes noms sont présents. D’où vient alors qu’au FPI, quand on parle de « fraudeurs », on ne regarde que du côté des gens qui viennent du Nord ? Ce sont des pratiques tribales qui font que les cadres de ce parti prennent le malin plaisir de dénoncer, rien que sur la base de la consonance des noms, des milliers de personnes inscrites sur les listes électorales provisoires. Sur les fiches de contestation, distribuées comme de petits pains aux responsables du parti au pouvoir, l’on peut voir que 99,99% des centaines de noms qui sont contestés à Divo, Daloa, Bouaflé, Attécoubé, Bonoua ou Abengourou, viennent de la même région. Et chose grave, le FPI demande tout simplement que ces personnes soient déchues de la nationalité ivoirienne. Si certains juges, au nom du sermon qu’ils ont prêté, refusent de tomber dans la forfaiture, d’autres s’en complaisent et tranchent à la pelle.
La situation en Côte d’Ivoire est très singulière. Un intellectuel disait récemment que la politique du FPI autour de l’exaltation de l’ethnicisme, du tribalisme et de la xénophobie est plus grave que ne l’ont été la ségrégation aux Etats-Unis, le nazisme en Allemagne et l’apartheid en Afrique du Sud. Ailleurs, il s’agissait, soit de dénier aux Noirs leur droits civiques, soit d’affirmer la primauté d’une race sur une autre. Ici par contre, c’est la nationalité et le droit de vote qu’on dénie à des populations de toute une région.

Avec l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir, il s’est développé en Côte d’Ivoire, une philosophie de gestion tribale qui remet en cause les fondements de la politique d’intégration du père de la nation. Depuis 2000, la Côte d’Ivoire paie les frais de cette politique à courte vue.

Charles Sanga

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