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Politique Publié le jeudi 25 mars 2010 |

Côte d`Ivoire - Dans le nid du "Serpent"

JDD - Il est multimillionnaire, noceur et sanguinaire. Avec neuf autres commandants de zones (ex-chefs rebelles), Wattao a mis en coupe réglée la moitié nord d'un pays coupé en deux.

Il a tué, dit-il, "finalement pour rien". Vécu sept ans dans la rébellion ivoirienne "pour être pris au piège et ne plus pouvoir en sortir". Pourtant, quand Issa* a pris les armes, fin 2002, il croyait dur comme fer au changement: la Côte d’Ivoire allait enfin reconnaître ses frères du nord du pays, si longtemps méprisés par le président Gbagbo et les siens, comme des citoyens à part entière. Les chefs le leur avaient dit et répété: justice allait être rendue. "Tu parles, la justice, nos commandants n’en ont plus rien à foutre. Leur seul souci, aujourd’hui, c’est de faire de l’argent. Ils sont devenus millionnaires. Ils se sont tous fait construire des maisons de luxe au Burkina, ont acheté des appartements en Europe", s’indigne le jeune homme en s’assurant que ses paroles n’atteignent pas des oreilles indiscrètes dans cette rue de Bouaké, fief des anciens rebelles rebaptisés Forces nouvelles. "S’ils savent que j’ai parlé, je vais avoir de gros problèmes. C’est quand même un peu la dictature, ici", lâche-t-il, en épongeant son front en sueur.

Ainsi vit le nord de la Côte d’Ivoire: sous la coupe réglée de "quelques types qui n’étaient rien il y a dix ans", selon un cadre de l’ONU, et qui sont devenus des rois. Des seigneurs de la guerre qui, depuis la tentative de coup d’Etat contre Laurent Gbagbo en septembre 2002, contrôlent les 190.000 km² qui s’étirent depuis une ligne partant de Bouaké, à 350 km au nord d’Abidjan, jusqu’aux frontières du Burkina Faso et du Mali. Ici, on les appelle les "com-zones" – commandants de zones. Ils sont au nombre de dix et ne rendent de comptes à personne, sauf peut-être à Guillaume Soro, leur leader, devenu Premier ministre depuis les accords de Ouagadougou, en 2007.

Le Gros Serpent règne comme un seigneur féodal

Chacun règne sur son territoire comme un seigneur sur son domaine, avec son armée, ses milices, ses administrations parallèles. Chacun y ponctionne les richesses naturelles, contrôle le commerce des matières premières, taxe en toute liberté les marchandises qui transitent par la région. A chaque sortie de ville, leurs soldats débraillés rackettent voitures, bus et poids lourds. De l’argent récolté, Abidjan ne voit pas la couleur. Les populations locales non plus, d’ailleurs. En octobre dernier, l’ONU a publié un rapport accablant sur la situation dans la région. Un régime "de type féodal", résume le document.

Parmi ces nouveaux seigneurs, il y en a un dont le nom revient avec insistance: Issiaka Ouattara, plus connu sous son pseudonyme de chef de guerre, Wattao. Cet ancien caporal de l’armée régulière traîne une réputation sulfureuse de noceur invétéré, multimillionnaire et amateur de belles voitures. "On dit aussi de lui que c’est un sanguinaire, témoigne Edouard Gonto, l’un des rares journalistes ivoiriens à avoir enquêté sur le système des com-zones. Lorsque je l’ai rencontré il y a quelques années, il m’avait lâché que les droits de l’homme, il n’en avait rien à faire."

Aujourd’hui, Wattao, qui porte le titre ronflant de "chef d’état-major adjoint des Forces nouvelles", cherche à montrer un visage plus respectable. Pour le rencontrer, il faut se rendre dans le quartier Air France III, à Bouaké. C’est là qu’il réside quand il n’est pas dans sa zone, située plus à l’ouest, ou à l’extérieur du pays. Pour pénétrer dans son domaine, il faut montrer patte blanche aux soldats en faction. Dans la cour, près de la maison un peu décatie, sont garés une douzaine de véhicules: des 4 x 4, mais aussi deux Audi TT flambant neuves. Sur le perron de "la villa", à côté de deux machines de musculation poussiéreuses, un berger allemand et deux huskies, groggy sous la chaleur féroce de ce début mars, montent péniblement la garde. Il est 10 heures du matin et le maître des lieux vient de se réveiller. Il a assuré toute la nuit la sécurité du Premier ministre, Guillaume Soro, qui séjournait à Bouaké. Au bout de quelques minutes d’attente, l’homme finit par apparaître, montagne de muscles ceintrée dans un polo Ralph Lauren orange. Sur son biceps gauche, large comme une cuisse, un impressionnant tatouage: un anaconda, l’emblème de l’unité de Wattao. Lui a hérité d’un surnom au diapason : "Saha Bléblé", le Gros Serpent.

Les ex-rebelles contrôlent café, cacao et pierres précieuses

Pourtant, Wattao, ancien champion de judo, se montre plutôt avenant, bien que peu disert. Il se décrit comme une personne "disponible", "faisant du social", "essayant de donner à manger à tout le monde". Il explique aussi avoir pris les armes parce que, dans l’armée, son avenir était bouché, notamment à cause de son nom à consonance nordiste. La fortune qu’on lui prête aujourd’hui? "L’argent que nous récoltons sert à nourrir et à habiller nos 33.000 hommes", rétorque-t-il.

Il suffit pourtant de faire un tour dans la zone qu’il contrôle pour se rendre compte que le com-zone travestit quelque peu la réalité. Son fief, c’est Séguéla, une ville glauque, située à plusieurs heures de piste à l’ouest de Bouaké. Pour contrôler ce territoire, le serpent Wattao a dû mordre et cracher son venin. En mai 2008, il a déposé Koné Zakaria, un autre chef de guerre à la réputation de boucher. Le coup de force de Wattao a fait de nombreux morts. Mais, désormais, c’est lui le chef.

Bien sûr, sur le papier, l’Etat ivoirien a fait son retour dans la ville, première étape en vue d’une prochaine réunification du pays préparée depuis les accords de Ouagadougou. Mais dans les locaux quasi déserts de la préfecture, on ne feint même pas d’avoir un quelconque pouvoir. "Nous n’avons pas vraiment autorité sur les Forces nouvelles, explique, désabusé, le secrétaire général Blaise Kouassi. Ce sont eux qui contrôlent la sécurité dans le secteur. Ce sont eux aussi qui ont la main sur le transport de marchandises. Et avec ça, ils se font beaucoup d’argent."

Car la petite ville désolée est située à un carrefour stratégique. C’est par là que transitent bon nombre de convois qui partent vers le Burkina, le Mali, mais aussi vers les ports du Ghana ou du Togo. Une formidable manne pour Wattao et ses hommes. Leur principale ressource? Le commerce du cacao, produit en grande quantité dans la région. Selon l’ONU, il rapporterait à Wattao 640 millions de Francs CFA (975.000 euros) chaque année.

Et les profits ne s’arrêtent pas là. Café, bois, coton passent aussi entre les mains des ex-rebelles. La région de Séguéla possède l’autre avantage de regorger de diamants. Depuis 2005, pourtant, un embargo de l’ONU interdit tout commerce de pierres précieuses avec la Côte d’Ivoire. Mais comme ce sont les com-zones qui contrôlent les frontières nord du pays…

Dès lors, comment Wattao et les autres com-zones pourraient-ils accepter une réunification? Abandonner à l’Etat ivoirien leur territoire et les richesses qu’ils en tirent? "Ils ne sont pas près de lâcher le morceau", analyse un diplomate. Pourtant, Wattao jure qu’il ne souhaite qu’une chose: que l’élection présidentielle, repoussée depuis de longues années, ait enfin lieu. Quitter enfin les armes. Que fera-t-il après? "J’ai des projets. Je veux représenter mon pays à l’étranger." Aux Etats-Unis, où vivent déjà ses enfants? "Non plutôt la France." Et la guerre? "C’est fini. Il faut savoir dire stop."

*Le prénom a été modifié.
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