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Art et Culture Publié le samedi 27 mars 2010 | Nord-Sud

Phénomène de mode à Yopougon : Mineurs et danseurs de maquis

De nombreux enfants qui maîtrisent l’art de la danse, se promènent de maquis en maquis pour faire des prestations. Généralement déscolarisés, ils rêvent de devenir des chanteurs ou chorégraphes professionnels.

Il est zéro heure cinq minutes, ce samedi. La Rue princesse à Yopougon grouille de monde. Les maquis de la place sont bondés. Et, les sons musicaux qui s’élèvent dans les airs, peuvent s’entendre à des centaines de mètres. De nombreux noctambules, assis autour des tables contemplent des bouteilles d’alcool et de sucrerie vides ou pleines. Ils semblent y tirés du plaisir. Plusieurs personnes, debout près de ces tables, exécutent des pas de danse. Des curieux sillonnent l’artère principale de cette rue passante, s’arrêtent parfois, pour apprécier l’ambiance à l’intérieur des bars-dancings à ciel ouvert. D’autres jeunes gens s’attellent à indiquer aux arrivants où garer les véhicules. Appelés « djosseurs de nama », ils s’adonnent à ce job, moyennant des pièces d’argent. Dans cette ambiance, normalement destinée aux adultes, la présence de quelques bouts-de-choux attire notre attention. Non loin du maquis Vip Abidjan, une horde de gamins dort sur un étal. Ceux qui ne se sont pas encore blottis dans les bras de Morphée, jouent à qui mieux, mieux. Vêtus de shorts et t-shirts, ils sont nu-pieds et paraissent ne pas s’être lavés depuis plusieurs jours. « Ceux-là, ce sont les ‘’ bacrômans ‘’ (des enfants qui dorment dehors) », indique un habitué des lieux. Encore stupéfait par l’insouciance et la joie de vivre de ces petits, voici que le passage d’un autre enfant captive notre attention. Lui est mieux habillé (un pantalon jean et une chemise fleurie, avec des chaussures all-star). Il est accompagné d’autres adolescents. Eux aussi portent des habits propres et pour certains des casquettes. Les petits ‘’bacrômans’’ semblent l’envier. « Prince », appellent-ils pour qu’il les remarque. Le gamin très estimé, s’appelle Tiévidé Prince. Il a 10 ans et est danseur de maquis. Il parcourt la rue princesse la nuit, avec ses aînés, en exhibant des pas de danse au sein des buvettes. Ces enfants à la fois souple et de très bons danseurs, viennent monnayer leur talent. Des tenanciers de bars leur font appel pour égayer leur clientèle. Très souvent, c’est sur des estrades à l’intérieur des maquis qu’ils se mettent en scène. Mais, ce soir, au maquis Jackpot, c’est à côté des barres de sécurité qu’ils étalent leur savoir-faire. Parce qu’ils n’ont pas l’accord des responsables du lieu. A trois, les jeunes garçons effectuent de belles chorégraphies. A peine la prestation com­­mencée, que le lieu attire du monde. Un groupe de jeunes gens vient s’amasser devant l’estaminet.

Des danseurs-nés

Les clients sont captivés par la maîtrise qu’ont ces enfants des différentes danses en vogue sur les bords de la lagune Ebrié. Ces jeunots, des as de jeux de reins, du coupé-décalé et autres variantes de ce rythme musical, croient en leur art. Leur dextérité et la qualité de leur déhanchement ne laissent personne indifférent. Les spectateurs expriment leur satisfaction par des applaudissements et des éclats de rire. La bande à Scorpion, ce 20 mars, est constituée de huit personnes. Outre lui, il y a entre autres Makoulé, Rougeau, Spaghetti, Bébé sans os. Ils sont pratiquement habillés de la même manière. Pantalon jean descendu sur les fesses, laissant entrevoir leurs dessous. Comme haut, ils portent des t-shirts. Leurs âges varient entre 13 et 15 ans. Au maquis le Ramé-ramé, ils se sont divisés en deux groupes et se relaient sur la piste. Galvanisés par le Dj qui fait leur ‘’atalakou’’ (éloge) sur une musique de Serge Beynaud, les adolescents revisitent tous les concepts musicaux récemment créés en Eburnie. Les ballets présentés sont tellement bien interprétés que personne ne souhaite que le spectacle improvisé prenne fin. Pendant que le groupe fait son show, un autre gamin détourne notre regard dans le maquis d’à côté. Il s’est fait chasser trois fois de l’espace. Mais, il n’entend pas abandonner. Il interpelle des clients. Ceux-ci lui demandent de venir. Devant eux, il danse en faisant beaucoup de grimaces. Ce qui arrache le sourire à ses spectateurs. « Je ne sais pas bien danser. C’est pourquoi je joue la comédie. Les gens aiment bien ça et me donnent de l’argent », se confesse Bemazin, connu sous le pseudonyme de petit Bobby. Ce rigolo s’est créé un style et les animateurs de maquis semblent tous l’apprécier. « Bobby, fais-moi plaisir », encourage le Dj. Et à lui de bouffonner avec un sourire qui arrache des rires ou des sourires. Pacôme, 14 ans, cigarette entre deux doigts de la main, n’ose pas se produire en public à l’image de ses camarades. Vêtu d’un t-shirt col ouvert, il est le plus débrayé des danseurs rencontrés. Aussi, n’a-t-il pas le courage de ces derniers, du moins, leur talent. Les quelques pas de danse qu’il esquisse loin des regards, démontrent que c’est un novice. « Je ne m’entraîne pas. Mais, je danse aussi dans les maquis », essaie-t-il de convaincre. Malheureusement, il y a un manque de charme dans les gestes qu’il exécute.

Tous des déscolarisés

Prince, le plus jeune des danseurs habite le quartier Banco à Yopougon. Les chorégraphies qu’il présente sont le fruit d’un entraînement assidu. Ce qui ne lui laisse pas le temps d’aller à l’école. « Je suis au Ce1 », essaie-t-il de nous tourner en bourrique. « A dix ans, tu es au Ce1 ?», interrogeons-nous. Honteux, il explique qu’il ne va pas à l’école. D’ailleurs, il n’y a jamais mis les pieds. Son rêve, devenir un jour un artiste chanteur. Et, il pense être sur la bonne voie. A la question de savoir si ses parents savent ce qu’il fait, l’enfant répond par l’affirmative. « Ils savent que je danse dans les maquis et ils ne disent rien. Je reste ici jusqu’au matin. Je viens les vendredi, samedi et dimanche », se contente-t-il. « Nous avons tous arrêté d’aller à l’école. Nous dansons avec un artiste. Il se nomme Arenzo Dj. C’est avec lui que nous nous entraînons. Nous dormons tous chez lui à Yopougon Selmer », explique Scorpion. Ce sont donc les randonnées nocturnes qu’ils effectuent dans les lieux de distraction qui leur permettent d’avoir de quoi s’acheter à manger. Petit Bobby, lui, habite Port-Bouët II et il vient tous les soirs à la rue princesse pour se faire un peu de sou. Ses parents ne l’ont pas envoyé à l’école et c’est grâce à ce qu’il recueille qu’il parvient à se suffire.

Un véritable business

Des habitués de maquis aiment bien les prestations de ces enfants. De ce fait, ils leur tendent des billets de banque ou des pièces d’argent pour démontrer leur joie. D’autres leur offrent à boire. Ce soir, avec l’argent qu’il a gagné, Petit Bobby s’est acheté un morceau de pain et un sachet de jus de fruit qu’il mange avec appétit. D’autres enfants s’approchent de lui pour qu’il partage son repas avec eux. Mais, il fait semblant de ne pas les voir. Le plus difficile pour les enfants, c’est d’avoir accès à l’intérieur du maquis. En fait, ils sont souvent chassés par les personnes en charge de la sécurité. Avec ces adultes, un contrat existe par contre. Ils laissent les enfants se produire devant les clients moyennant une part du butin. « Quand on finit de danser, ‘’on fait le gué’’ (donner la part) du gros bras (chargé de sécurité) et nous gardons le reste de l’argent », se confie Prince. « Souvent nous gagnons 10.000 Fcfa, voire 20.000 les week-ends », révèle-t-il. Approchés, les hommes chargés de la sécurité des lieux de show refusent de se prononcer sur le sujet. Mais, leur attitude traduit une implication dans le business. Après observation de certains d’entre eux, il se trouve que les enfants admis dans les maquis sont minutieusement triés. « N’importe quel enfant ne peut pas venir et se mettre à danser dans une buvette », rétorque un client. Les huit membres du groupe de Scorpion rendent compte au Dj chez qui ils dorment. C’est pourquoi, tout ce qu’ils gagnent est mis ensemble pour être versé au chef. Généralement, les enfants acceptent les marchés qu’on leur propose car la compétition est rude. En effet, plusieurs enfants, individuellement ou en groupe, proposent leurs services aux clients. Ils sont tous de bons danseurs et des adultes même s’y mettent.

Quel avenir ?

C’est parmi eux que certains chanteurs confirmés recrutent leurs accompagnateurs pour aller sur scène. Pacôme, bien que ne sachant pas danser compte faire carrière dans cette profession. Une idée qu’il justifie par le succès que connaissent certains anciens danseurs devenus des artistes-chanteurs aujourd’hui. Il cite, entre autres, Debordeau Dj, Gadougou la star, Dj Mensa. Le fait que certains parmi ses idoles vivent en Europe, lui suffit pour rêver d’un avenir meilleur dans ce domaine.

Sanou Amadou (stagiaire)
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