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Société Publié le jeudi 1 avril 2010 | Nord-Sud

Divorces en cascade (suite) / Me Jean-Jacques Allouko (Avocat) : “Ce que les nombreux divorces coûtent à un pays”

Maître Jean-Jacques Allouko accepte de partager son expérience d’avocat sur les dossiers de divorce suite à notre enquête sur les divorces en cascade. Dans cet entretien vous trouverez des anecdotes intéressantes.


Combien de cas de divorce avez-vous traités jusqu’à présent ?
Nous traitons de nombreux dossiers de divorce. Nous n’avons pas les statistiques exactes, mais la majorité des cas concerne des couples de jeunes dont l’âge varie entre 30 et 40 ans. Parmi ces couples, certains ont moins d’une année de mariage. De façon générale, les demandes en divorce concernent toutes les tranches d’âges et d’années de mariage. Ces époux ont souvent des enfants en commun. Et très souvent, les difficultés apparaissent au niveau de la garde de ces enfants et la contribution aux frais de santé et de leur prise en charge.

Comment expliquez-vous que les couples de jeunes soient le plus concernés ?
Ce sont très souvent des problèmes liés à des incompréhensions. Il n’y a plus de tolérance au sein des foyers, tous les sujets sont matière à discussion, parce que les époux n’ont pas mis assez de temps pour mieux se connaître et s’apprécier. Beaucoup de jeunes entrent dans le mariage avec leurs habitudes comme s’ils étaient toujours célibataires. L’époux estime que c’est normal qu’il continue à prendre des pots avec ses copains, peu importe l’heure, le lieu, et même le jour. Pour lui, c’est un droit naturel. Et pourtant dans cette vie à deux, il faut tenir compte de l’autre, s’assurer que son comportement à soi n’est pas préjudiciable à l’autre. Nous avons eu des cas de conjoints qui ont vécu plusieurs années ensemble avant le mariage et, deux ans après s’être dit « oui » devant le maire, ils décident de divorcer. A la réalité, c’est seulement à partir du mariage qu’ils commencent à se découvrir. Ils réalisent alors qu’ils ne se connaissent pas assez. Cette situation est la conséquence de ce que des années durant avant le mariage, soit chacun des époux vivait chez lui et de façon occasionnelle, le week-end par exemple, les deux se retrouvaient. Soit, bien avant le mariage, ils n’avaient pas pris la pleine mesure du mariage qu’ils envisageaient.

Qui de l’époux ou de l’épouse demande le plus le divorce ?
Parmi les dossiers que nous traitons, les demandes en divorce émanent le plus souvent des femmes. Il arrive que se soient les hommes, mais à un degré moindre. Des entretiens que nous avons avec ces femmes, il ressort que les problèmes naissent à partir de faits de jalousie, de palabres inutiles qui dégénèrent parfois en violence conjugale, de sévices moraux ou corporels, etc. Toutes les catégories sociales sont concernées par les demandes en divorce. Mais très souvent, nous avons affaire aux personnes dites intellectuelles, c’est-à-dire les personnes qui travaillent et qui ont une bonne situation sociale.

N’est-ce pas parce que les riches maîtrisent leurs droits, qu’ils n’hésitent pas à se séparer ?
Je ne crois pas que cela soit exact. Quand nous recevons les clients et que nous les écoutons, nous nous rendons compte qu’ils ne connaissent pas les dispositions de la loi relative au divorce. La matière des divorces en Côte d’Ivoire est prévue par la loi du 7 octobre 1964 qui dispose quatre cas d’ouverture. Ces cas sont les suivants : 1-l’adultère, 2- les excès, les sévices ou injures graves, 3- la condamnation de l’un des époux pour des faits portant atteinte à l’honneur et à la considération et enfin, 4- l’abandon de domicile conjugal ou l’abandon de famille. On parle d’excès, de sévices et d’injures graves, quand, par exemple, il y a des bagarres, des insultes aux beaux-parents de part et d’autre, le mépris, l’arrogance, etc. La jurisprudence a retenu certains actes comme étant des cas d’injures et de sévices, notamment, le fait pour le mari d’être en compagnie de sa maîtresse, de voir son épouse et de ne pas la considérer. Il faut signaler que l’existence d’un seul de ces cas d’ouverture peut suffire à prononcer le divorce. Cependant, il faudrait que ce cas entraîne une impossibilité de continuer à vivre ensemble.

Dans le cas de l’abandon de domicile conjugal ou de famille, deux jours d’absence du mari peuvent-ils entraîner le divorce ?
Attention, deux jours d’absence ne constituent pas forcément un abandon. Il faut un temps plus long, cependant, laissé à l’appréciation du juge. Dans le cas d’un adultère, il ne suffit pas de présenter des photos, des numéros de téléphone ou des messages pour conclure à son existence. Le demandeur en divorce doit faire la preuve du cas qu’il invoque. L’adultère doit être constaté par un huissier de justice. Pour ce faire, le requérant doit présenter une requête auprès du tribunal territorialement compétent afin d’être autorisé à faire un constat d’adultère. C’est seulement, muni de l’ordonnance d’autorisation, qu’il peut y procéder.

Est-il aisé de produire des preuves irréfutables ?
La difficulté avec les cas d’ouverture, c’est la production des preuves. Si la partie mise en cause réfute les faits allégués, vous comprenez que la tâche ne sera pas aisée. En revanche, lorsque les preuves sont nettes, claires, précises et irréfutables, le problème ne se pose plus. Dans le cas de l’adultère par exemple, lorsque le fait a été dûment autorisé et constaté par un acte d’huissier de justice, nous sommes en face d’une preuve irréfutable. Dans le cas de l’injure comme motif de divorce, il est arrivé à la jurisprudence de dire qu’une seule injure peut entraîner le divorce. De même, le fait pour une femme d’insulter son époux devant un tiers alors qu’il occupe un haut poste administratif a été admis par la jurisprudence comme cause de divorce. C’est aussi valable pour l’hom­me qui en fait de même. La femme qui reçoit toujours le même ami dans son foyer, est suspecte même si ce dernier est véritablement un ami. Cela peut être considéré comme une offense à l’époux qui peut s’en servir pour demander le divorce. La même jurisprudence a tout aussi admis que la reprise de relations d’un homme avec son ex, dument constatée, peut entraîner le divorce.

A quel moment de la procédure le divorce est prononcé ?
Avant de prononcer le divorce, le juge procède à une tentative de conciliation. Il arrive parfois que les candidats au divorce se ravisent en cours de procédure parce qu’ils se rendent compte qu’ils n’ont pas bien apprécié leur divergence et ce, grâce aux conseils du juge et même des avocats. L’audience de conciliation concourt à la protection du mariage. Le mariage est une institution sérieuse à préserver aussi bien pour les enfants, les conjoints eux-mêmes que pour une nation. En effet, une nation, au sein de laquelle toutes les personnes mariées se séparent, n’augure rien de bon, de positif. Quand les parents sont divorcés, cela a nécessairement une incidence négative sur l’éducation des enfants, alors que ces mêmes enfants sont appelés à être des cadres, des dirigeants demain. Il est donc souhaitable que les personnes qui se marient, ne divorcent pas. Cependant, lorsque l’audience de conciliation échoue, les parties n’ont d’autres choix que de se retrouver pour le jugement, après que le juge s’est prononcé sur les mesures provisoires. Au terme de ce jugement, le juge prononce le divorce aux torts exclusifs d’un des époux ou aux torts partagés des deux, selon que la faute est imputable à l’un ou aux deux.


Quelle est la procédure de divorce qui vous a le plus marquée ?
Toutes les procédures, car chaque dossier a sa particularité. Mais il faut avouer que les dossiers les plus longs et difficiles sont les divorces pour faute comme les cas que nous venons d’expliquer. Nous sommes obligés de rentrer dans la vie du foyer à travers les preuves que nous produisent nos clients. Parce que la finalité est de reprocher à l’autre une faute avérée et fondée. Heureusement, depuis 1998, il existe le divorce par consentement mutuel des conjoints. Les demandeurs n’ont plus besoin d’exposer les motifs de leur divorce. Ils doivent avoir au moins 2 années de mariage et régler, eux-mêmes, par convention séparée, le sort de leurs enfants et le partage de leurs biens. Le rôle du juge dans cette procédure sera de s’assurer que les intérêts des enfants sont protégés, enfants mineurs s’entend.

Vous est-il arrivé de faire raviser vos clients ?
Nous échangeons longuement sur les raisons qui les poussent au divorce. Et comme nous avons le plus souvent affaire à l’épouse comme demanderesse, après le lot de reproches faits au mari, nous lui demandons si elle-même n’a rien à se reprocher dans la détérioration des relations au sein du foyer. Pendant les échanges, quand elle se reproche quelque chose, elle se ravise. Certaines épouses ne reviennent plus et nous appellent plus tard pour s’excuser. Elles reconnaissent qu’après nos conseils, elles ont revu leur position. Et c’est tant mieux ! Mais si le couple persiste pour la séparation parce qu’il n’y a plus d’affection, dans ce cas, nous l’accompagnons. Je précise que l’ac­com­pa­gnement n’est pas que juridique. Assez souvent, nous faisons office de psychologue. Nous sommes appelés à des heures tardives et même des jours fériés pour régler des problèmes du couple. La cliente ou le client nous appelle pour des cas de bagarre, d’affaires jetées à la rue, d’injures reçues, etc.

Est-ce que le couple a la possibilité de revenir sur sa position devant le juge ?
La conciliation dure une, deux ou trois audiences parfois. Quand on arrive devant le juge, celui qui a pris l’initiative du divorce expose les raisons de sa demande. Très souvent la deu­xième partie ne veut pas divorcer. Le juge amène chaque partie à tempérer sa position afin d’arrêter la procédure. Il y arrive parfois et le dossier est radié. Des fois, le couple ne divorce pas mais formule une demande de séparation de corps et quelque temps après, se remet en ménage. Il y a eu des cas au tribunal, où le divorce a été prononcé, des couples se sont séparés totalement puis se sont remariés plus tard. A la réalité, ils se sont rendu compte qu’ils s’aimaient encore. D’autres encore se sont remis en ménage sans forcement se remarier.

Interview réalisée par Nesmon De Laure (stagiaire)
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