L'abattoir de Port-Bouët est depuis longtemps l’objet de beaucoup de spéculations. Notamment sur les ‘’égorgeurs‘’ d’animaux. Tout un mystère tourne autour de ces derniers. L’Expression les a rencontrés pour vous.
T-shirt et pantalons ensanglantés du fait du contact quotidien avec les animaux abattus, des bottes aux pieds… Les bouchers de l’abattoir de Port-Bouët enfilent chaque jour les mêmes combinaisons pour renouveler le duel avec les animaux dont ils déverseront la viande sur le marché. Ce jeudi 1er avril, il est minuit lorsque nous arrivons dans l’enceinte de l’abattoir de Port-Bouët. C’est l’heure à laquelle démarre l’abattage des animaux. L’odeur ocre du sang et de la chair en décomposition ne gêne aucunement les habitués du coin. Le temps presse, bientôt il fera jour. Les causeries s’estompent. Le bruit des énormes couteaux et autres haches aiguisés par les bouchers déchirent le silence de la nuit. Comme dans une belle orchestration, certains se dirigent vers le grand enclos où sont parquées les bêtes quand d’autres foncent tout droit vers la grande salle d’abattage. Quelques instants après, on aperçoit des jeunes aux biceps saillants tirant les bêtes pour les faire entrer par la grande porte dans la salle. Tout se passe, selon un ordre établi au préalable. Chaque boucher appose sa marque sur ses bêtes et mandate quelqu’un pour y veiller. A l’intérieur de la grande pièce, des centaines de crochets attendent de recevoir les animaux dépecés. Des personnes âgées sont chargées d’égorger les bêtes qui sont convoyées par les plus jeunes. Ils les immobilisent en les clouant au sol pour permettre au vieux ‘’égorgeurs’’ d’exécuter leur tâche sans risquer de recevoir un coup de corne. Les jeunes, un peu trop fougueux après avoir ingurgité un « noir bien serré », une tasse de café, sont rappelés à l’ordre. « Attrapes bien les cornes » ou encore « Toi, passes ici, attrapes comme ça. Non ! Comme ça, je dis. Ok, c’est bon », ordonnent les anciens. Les manches retroussées, les ‘’égorgeurs’’, le couteau entre les dents, récitent des prières avant de faire gicler le sang de l’animal. « C’est bon, enlevez-le. Envoyer le suivant», crie un sexagénaire qui sait que le travail ne fait que commencer. Le même rituel est exécuté dans la salle d’abattage par d’autres tueurs d’animaux. Le sol est rouge de sang. Un autre groupe de jeunes s’emparent aussitôt des bœufs encore agonissant qu’ils traînent dans un coin de la pièce. Ils sont chargés d’enlever la peau des bêtes tuées. Des gestes dont eux seuls ont le secret. Très habiles, ils enlèvent la peau à l’aide de leurs couteaux tranchants. Ils font d’abord une entaille aux niveaux des pattes de l’animal. Puis, une autre est faite sur la peau de l’abdomen. Minutieusement, ils continuent leur tâche jusqu’à enlever toute la peau de l’animal, prenant soin de ne laisser aucun poil sur la viande. Pendant ce temps, le groupe de vieux, sourds au meuglement des animaux, continuent l’abattage.
Les Bissimila, ces personnes choisies pour immoler
Un agent du district d’Abidjan, Sanassi Ahmed, explique le travail des hommes chargés d’abattre les bœufs. « Ils arrivent à l’abattoir entre minuit et 2h du matin. Ils travaillent jusqu’à 5 h du matin. Personne, à part ce groupe de vieux, n’a le droit d’égorger un bœuf ici », mentionne l’agent du district. De nationalité mauritanienne, ces vieux sont cooptés par les bouchers et propriétaires des animaux. « On les appelle les ‘’Bissimila’’ », ajoute Sanassi. Stylo et feuille en main, il fait le tour des ‘‘égorgeurs’’ qui, en retour, ont droit à une partie de l’animal, qu’ils appellent le « Bissimila », d’où ils tirent leur surnom de ‘‘Bissimila’’. Ils sont libres de revendre leur part de viande sur le marché. Par jour, c’est environ 300 à 500 têtes de bœufs qu’ils immolent. « Ce sont de véritables ‘‘assassins’’ », ironise Adama Barro, un jeune boucher. Vers 4h du matin, le monde commence à affluer sur le site d’abattage. Dans la grande cour, les voix s’élèvent. Les tapes amicales et autres discussions traduisent l’ambiance bon enfant qui règne dans l’enceinte de l’abattoir où le sang des animaux forme un tapis ocre. Des jeunes chargés du transport et du dépeçage des bœufs prennent le relais. Ils arborent des ceinturons qui laissent pendre des couteaux dont les étuis rivalisent de beauté. Ils découpent, à grands coups de couteaux, les morceaux qu’ils suspendent par la suite à des crochets. Les agents de surveillance et les vétérinaires travaillant pour le compte du district d’Abidjan veillent au grain. Les premiers, en blouse orange, contrôlent les entrées et sorties de l’abattoir. « Aucune bête n’entre ici sans qu’on ne sache à qui elle appartient », confie un surveillant à qui un boucher tend un billet de 2000 Fcfa. « Prends tes 700 Fcfa, je te cherchais partout », lui lance-t-il. « Cet argent représente la taxe que paie un boucher par tête de mouton pour avoir accès à l’abattoir. Elle est de 3.000 Fcfa par tête de bœuf», ajoute-t-il. Les vétérinaires, qu’on reconnaît à leur blouse blanche, sillonnent également le parc avec sous le bras, leur matériel : un pinceau et un bidon contenant un produit. Une fois la viande sortie de la salle d’immolation, ils sont chargés de vérifier qu’elle ne représente pas de danger pour la consommation. Quand elle est certifiée « consommable », un tampon est apposé sur la viande pour l’autoriser à sortir de l’abattoir. « Quand la viande comporte une maladie, nous la confisquons et délivrons un papier au boucher pour attester que sa viande a été saisie. Il pourra le présenter à son fournisseur pour qu’ils trouvent un terrain d’entente », explique un vétérinaire. A 5 h, les premiers camions de convoyage font leur entrée dans l’abattoir, font le plein et repartent pour la grande distribution. C’est aux environs de 6 heures que d’autres égorgeurs prennent le relais. Ces égorgeurs occasionnels convoient des moutons et cabris pour les immoler. Ils le font souvent au compte de particuliers pour des baptêmes ou des sacrifices, mais aussi pour des bouchers qui les revendent sur le marché. « Tout le monde peut le faire sans être reconnu », explique un boucher.
K. Anderson
Légende : Après l’immolation, la viande est nettoyée et suspendue à des crochets à l’intérieur de l’abattoir avant d’être convoyée sur les marchés.
T-shirt et pantalons ensanglantés du fait du contact quotidien avec les animaux abattus, des bottes aux pieds… Les bouchers de l’abattoir de Port-Bouët enfilent chaque jour les mêmes combinaisons pour renouveler le duel avec les animaux dont ils déverseront la viande sur le marché. Ce jeudi 1er avril, il est minuit lorsque nous arrivons dans l’enceinte de l’abattoir de Port-Bouët. C’est l’heure à laquelle démarre l’abattage des animaux. L’odeur ocre du sang et de la chair en décomposition ne gêne aucunement les habitués du coin. Le temps presse, bientôt il fera jour. Les causeries s’estompent. Le bruit des énormes couteaux et autres haches aiguisés par les bouchers déchirent le silence de la nuit. Comme dans une belle orchestration, certains se dirigent vers le grand enclos où sont parquées les bêtes quand d’autres foncent tout droit vers la grande salle d’abattage. Quelques instants après, on aperçoit des jeunes aux biceps saillants tirant les bêtes pour les faire entrer par la grande porte dans la salle. Tout se passe, selon un ordre établi au préalable. Chaque boucher appose sa marque sur ses bêtes et mandate quelqu’un pour y veiller. A l’intérieur de la grande pièce, des centaines de crochets attendent de recevoir les animaux dépecés. Des personnes âgées sont chargées d’égorger les bêtes qui sont convoyées par les plus jeunes. Ils les immobilisent en les clouant au sol pour permettre au vieux ‘’égorgeurs’’ d’exécuter leur tâche sans risquer de recevoir un coup de corne. Les jeunes, un peu trop fougueux après avoir ingurgité un « noir bien serré », une tasse de café, sont rappelés à l’ordre. « Attrapes bien les cornes » ou encore « Toi, passes ici, attrapes comme ça. Non ! Comme ça, je dis. Ok, c’est bon », ordonnent les anciens. Les manches retroussées, les ‘’égorgeurs’’, le couteau entre les dents, récitent des prières avant de faire gicler le sang de l’animal. « C’est bon, enlevez-le. Envoyer le suivant», crie un sexagénaire qui sait que le travail ne fait que commencer. Le même rituel est exécuté dans la salle d’abattage par d’autres tueurs d’animaux. Le sol est rouge de sang. Un autre groupe de jeunes s’emparent aussitôt des bœufs encore agonissant qu’ils traînent dans un coin de la pièce. Ils sont chargés d’enlever la peau des bêtes tuées. Des gestes dont eux seuls ont le secret. Très habiles, ils enlèvent la peau à l’aide de leurs couteaux tranchants. Ils font d’abord une entaille aux niveaux des pattes de l’animal. Puis, une autre est faite sur la peau de l’abdomen. Minutieusement, ils continuent leur tâche jusqu’à enlever toute la peau de l’animal, prenant soin de ne laisser aucun poil sur la viande. Pendant ce temps, le groupe de vieux, sourds au meuglement des animaux, continuent l’abattage.
Les Bissimila, ces personnes choisies pour immoler
Un agent du district d’Abidjan, Sanassi Ahmed, explique le travail des hommes chargés d’abattre les bœufs. « Ils arrivent à l’abattoir entre minuit et 2h du matin. Ils travaillent jusqu’à 5 h du matin. Personne, à part ce groupe de vieux, n’a le droit d’égorger un bœuf ici », mentionne l’agent du district. De nationalité mauritanienne, ces vieux sont cooptés par les bouchers et propriétaires des animaux. « On les appelle les ‘’Bissimila’’ », ajoute Sanassi. Stylo et feuille en main, il fait le tour des ‘‘égorgeurs’’ qui, en retour, ont droit à une partie de l’animal, qu’ils appellent le « Bissimila », d’où ils tirent leur surnom de ‘‘Bissimila’’. Ils sont libres de revendre leur part de viande sur le marché. Par jour, c’est environ 300 à 500 têtes de bœufs qu’ils immolent. « Ce sont de véritables ‘‘assassins’’ », ironise Adama Barro, un jeune boucher. Vers 4h du matin, le monde commence à affluer sur le site d’abattage. Dans la grande cour, les voix s’élèvent. Les tapes amicales et autres discussions traduisent l’ambiance bon enfant qui règne dans l’enceinte de l’abattoir où le sang des animaux forme un tapis ocre. Des jeunes chargés du transport et du dépeçage des bœufs prennent le relais. Ils arborent des ceinturons qui laissent pendre des couteaux dont les étuis rivalisent de beauté. Ils découpent, à grands coups de couteaux, les morceaux qu’ils suspendent par la suite à des crochets. Les agents de surveillance et les vétérinaires travaillant pour le compte du district d’Abidjan veillent au grain. Les premiers, en blouse orange, contrôlent les entrées et sorties de l’abattoir. « Aucune bête n’entre ici sans qu’on ne sache à qui elle appartient », confie un surveillant à qui un boucher tend un billet de 2000 Fcfa. « Prends tes 700 Fcfa, je te cherchais partout », lui lance-t-il. « Cet argent représente la taxe que paie un boucher par tête de mouton pour avoir accès à l’abattoir. Elle est de 3.000 Fcfa par tête de bœuf», ajoute-t-il. Les vétérinaires, qu’on reconnaît à leur blouse blanche, sillonnent également le parc avec sous le bras, leur matériel : un pinceau et un bidon contenant un produit. Une fois la viande sortie de la salle d’immolation, ils sont chargés de vérifier qu’elle ne représente pas de danger pour la consommation. Quand elle est certifiée « consommable », un tampon est apposé sur la viande pour l’autoriser à sortir de l’abattoir. « Quand la viande comporte une maladie, nous la confisquons et délivrons un papier au boucher pour attester que sa viande a été saisie. Il pourra le présenter à son fournisseur pour qu’ils trouvent un terrain d’entente », explique un vétérinaire. A 5 h, les premiers camions de convoyage font leur entrée dans l’abattoir, font le plein et repartent pour la grande distribution. C’est aux environs de 6 heures que d’autres égorgeurs prennent le relais. Ces égorgeurs occasionnels convoient des moutons et cabris pour les immoler. Ils le font souvent au compte de particuliers pour des baptêmes ou des sacrifices, mais aussi pour des bouchers qui les revendent sur le marché. « Tout le monde peut le faire sans être reconnu », explique un boucher.
K. Anderson
Légende : Après l’immolation, la viande est nettoyée et suspendue à des crochets à l’intérieur de l’abattoir avant d’être convoyée sur les marchés.