Zemogo Fofana, président de l’Alliance pour la nouvelle Côte d’Ivoire s’est confié au Patriote. Passant en revue l’actualité sociopolitique de l’heure, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur a réaffirmé son soutien à la candidature d’ADO. Il a tenu le chef de l’Etat pour principal responsable du blocage du processus électoral et s’est insurgé contre la résurgence des dérives identitaires.
Le Patriote : La Côte d’Ivoire est à nouveau au bord d’un conflit. Quelle est votre opinion sur cette situation ?
Zemogo Fofana : La Côte d’Ivoire est de plain-pied, dans le conflit. Le pays n’est jamais sorti du conflit en réalité. Il y a eu des périodes d’accalmie relative. Mais nous sommes toujours dans la crise. Il y a certaines avancées, même très significatives qui ont été faites. Mais, chaque étape, a connu des difficultés. Ce qui fait que tant qu’on n’est pas encore arrivé à l’étape finale qui est l’élection présidentielle, avec les résultats et l’investiture du nouveau Président élu, je considère qu’on est toujours dans la crise.
LP : Des voix autorisées craignent pour l’avenir de l’APO et la reprise du conflit armé. Faites-vous la même analyse ?
ZM : Il ne faut pas se voiler la face. On est dans la crise. A la vérité, il y a des étapes dans la crise. Et à chaque étape, quand on a solutionné une situation ponctuelle, on pense en être sorti. Vous avez raison. Cette fois-ci, les deux ex-belligérants, sont face à face. Ils ont pourtant signé l’APO, un accord que tout le monde a salué en son temps. L’APO a été l’ouverture d’une nouvelle ère par rapport à l’ensemble de la crise. J’espère que c’est la voie de sortie définitive de la crise. Surtout qu’aujourd’hui, les deux ex-belligérants se retrouvent avec des positions tranchées et diamétralement opposées sur la question du désarment, sur la question de la liste électorale, sur le mode opératoire du contentieux. Des choses qui avaient été analysées. Je crois que l’APO a des dispositions, qui règlent clairement ces questions. Qu’est-ce qui va se passer ? C’est normal qu’il y ait beaucoup d’inquiétudes.
LP : Quelle est votre opinion sur les récentes revendications du camp présidentiel ?
ZF : Mon opinion est claire. On ne peut pas demander une chose et son contraire. Si les signataires de l’APO qu’ils sont, respectent leur signature, il n’y a aucune raison de poursuivre la question du désarmement comme étant un préalable. S’il n’avait pas signé l’APO tel qu’il est présenté, on aurait compris et on s’interrogerait sur les prises de positions actuelles. Je pense donc que respectant les dispositions de l’APO, la question du désarment ne se pose pas. La question de la validation de la liste provisoire elle aussi ne se pose pas. Il y un mode opératoire, il y a des règles pour gérer ces questions-là. Je trouve que le camp présidentiel est aujourd’hui très mal placé pour poser ces questions, comme étant des préalables.
L.P. : Le camp présidentiel dit qu’il ne demande que « les conditions d’une élection transparente » ?
Z.F. : c’est vrai, tout le monde réclame la transparence et tout le monde est d’accord pour la transparence. Il n’y a pas de raison qu’on soit contre la transparence. Mais, je dis qu’une fois qu’on a arrêté de façon consensuelle un mode opératoire, qu’on a défini dans un accord, comment on règle telle ou telle question, ce n’est pas au cours du processus qu’on arrête tout pour comprendre et essayer de changer les règles. Justement, la crise dure en Côte d’Ivoire parce que, de mon point de vue, on fixe des règles pour trouver des solutions puis, au fil du temps, on les change. Tantôt on applique la constitution, tantôt on applique les accords. Tantôt dans les accords, on prend des dispositions particulières qui nous arrangent et quand à un moment donné, ces dispositions dérangent, on s’y oppose. En clair, la grande difficulté de ce processus, c’est que les acteurs ont tendance à changer les règles du jeu au cours du jeu. Le match a démarré et brusquement on vous demande de changer l’arbitre du match. On change d’arbitre. C’est ce qui s’est passé pour la Commission électorale indépendante. C’est ce qui arrive dès qu’on avance dans le processus. Cela crée de nouvelles difficultés. Vous voyez que le nouveau bureau de la CEI qui a été installé depuis bientôt deux mois, ne présente aucune visibilité. Il n’y a pas de calendrier. On est dans le flou total.
L.P. : Que pensez-vous de cette situation ?
Z.F. : Je pense qu’à force de changer les règles, on ne sortira pas de cette crise. Quand on s’est fixé des règles, il faut s’en tenir à ces règles. Si on change les règles tous les jours, on n’y arrivera jamais.
L.P. : Voyez-vous là une volonté délibérée d’un camp présidentiel ou un autre de bloquer le processus ?
Z.F. : Aujourd’hui, tous les Ivoiriens s’accusent selon là où on se trouve. Tantôt c’est le camp présidentiel qui accuse l’opposition, tantôt c’est l’opposition qui accuse le camp présidentiel de faire des blocages. Malgré tout ce qu’on a pu dire, c’est quand même le camp présidentiel qui pilote l’opération. Qu’on le veuille ou pas, le Président Laurent Gbagbo, est le patron de toutes les juridictions du pays. Les principales accusations de blocage le visent au premier chef. C’est tout naturel. Il doit prendre ses responsabilités pour éviter les blocages. Sinon, il n y a pas de raison qu’il soit le chef de l’Etat. Je n’aimerais pas être chef d’un Etat où il règne une crise pendant dix ans. On fait des promesses et tout ce qui doit concourir à sortir de la crise, rencontre, à un moment ou à un autre, des blocages. Il en est le responsable, s’il est le chef de l’Etat. Regardez par exemple la crise de la CEI et du gouvernement. C’est de son fait. C’est lui qui a pris la décision de dissoudre les deux institutions. Il a le pouvoir de faire avancer le processus. Si ce n’est pas le cas, il est le premier blâmable.
L.P. : Quel jugement avez-vous sur l’attitude des autres membres du CPC ? Est-ce que les leaders de l’opposition, selon vous, se donnent les moyens pour sortir le pays de cette situation ?
Z.F. : L’opposition est un peu handicapée par son implication directe dans les institutions officielles dont le gouvernement qu’ils ont décidé de composer de façon consensuelle. Le gouvernement est le principal organe d’exécution des accords. L’opposition participe au gouvernement, elle participe à la CEI. Cela fait qu’on ne peut pas dire qu’elle n’a pas de responsabilité dans la gestion des affaires. Et dans les blocages aussi. Mais ce que je dis, dans les responsabilités, il y a quand même un chef d’orchestre qui, de par sa charge de chef de l’Etat conduit le processus à son terme. Et s’il y a des blocages, il est le premier responsable. Mais, cela ne dégage pas totalement la responsabilité de l’opposition. Disons que l’opposition a moins de moyens et moins de possibilités que le chef de l’Etat pour sortir le pays de la situation de crise. Maintenant, est-ce qu’elle se donne d’autres moyens ? Etant dans le cadre constitutionnel, ses moyens sont très limités. Le seul moyen pour une opposition en régime démocratique, c’est d’aller à l’élection et de s’organiser pour battre le candidat au pouvoir et de prendre le pouvoir. Mais, s’il n’y a pas d’élection, que fait l’opposition ? Quels moyens a-t-elle ?
L.P. : La rue n’est-elle pas un moyen d’expression démocratique ?
Z.F. : La rue a été expérimentée, mais il faut avouer qu’elle a des avantages mais aussi de gros inconvénients. Parce qu’avec la rue, on sait où cela commence mais généralement, on ne sait pas où et comment cela finit. La prise de la rue se gère avec le pouvoir en place. L’opposition, en se jetant dans la rue, n’est pas la seule à la gérer. Il y a les forces de l’ordre. Le dérapage peut justement venir des forces de l’ordre. Et généralement, c’est de là qu’il vient. Dans ces conditions, l’opposition a très peu de moyens. J’entends, je lis et j’écoute des gens accuser les opposants d’être des « opposants de salon ». Elle ajoute que si c’était Gbagbo qui était dans l’opposition, déjà la situation aurait été réglée. Cela veut dire qu’à un moment donné, la rue se trouve à la limite de la légalité. Et c’est cette marge qui fait la différence. Est-ce qu’on va plus loin pour franchir le pas et en quelques sorte agir pour l’intérêt du peuple sachant qu’on est à la limite de la légalité et que le pouvoir en place comprend cela ainsi, le gère comme tel. Et pour finir on a une réaction parfois disproportionnée qui crée du gâchis. Un tel dérapage peut aboutir à un soulèvement populaire, à un coup d’Etat. Il faut appeler les choses par leur nom. Est-ce que c’est légal ? Si cela peut aider à régler des problèmes, on peut le rapprocher de la limite de la légalité. C’est toute la difficulté et en même temps, la limite de l’opposition dans cette affaire. Je pense que tel que le processus a été engagé, il est difficile d’aller jusqu’au bout tant que les acteurs eux-mêmes et principalement le chef de l’Etat et les principaux acteurs de l’opposition, n’ont pas pleine conscience qu’il faut mettre les priorités secondaires de côté pour mettre en avant la principale. Ce faisant, il y a des choses qu’on est obligé de traiter avec beaucoup plus d’engagement.
L.P. : Le processus est donc condamné à marcher au rythme du chef de l’Etat, alors que beaucoup disent qu’il n’est pas encore prêt à aller aux élections.
Z.F. : Malheureusement, c’est ce qui se passe. Je ne souhaite pas que la Côte d’Ivoire reste dans un tel état et q’elle s’y pérennise. Non, je constate simplement que depuis l’avènement de la crise jusqu’à la date d’aujourd’hui, cette attitude demeure. Il faut en tirer les leçons. Et le chef de l’Etat lui-même ne doit pas en être fier. Parce ce que je ne vois pas comment on peut être heureux d’être un chef d’Etat dans ces conditions, sans élections et en être le chef ad vitam aeternam. Au plan économique et social, tout le monde sait que ça bout et c’est chaud. Le camp présidentiel doit savoir raison garder. C’est comme un match de football. On peut le gagner ou le perdre. Même si le match est organisé sur vos propres installations, vous pouvez le perdre. On peut perdre un match à domicile. Il faut que le camp présidentiel accepte et intègre qu’en allant à l’élection, il peut perdre. Une fois, qu’ils auront bien intégré cela, je suis sûr que la situation va se décanter. S’ils veulent être sûrs de gagner avant d’aller à l’élection, il y aura problème parce qu’ils ne le seront pas à 100%. Comme, ils ne sont pas sûrs, ils trouveront des moyens pour poser des problèmes comme le renouvellement des CEI locales, l’audit de la liste électorale. Même si ces problèmes sont réglés, ils vont en créer, tant qu’ils ne sont pas sûrs de gagner l’élection. Si on veut la paix, je pense qu’il faut y aller. Pour la clarté, tout le monde est d’accord. Même l’opposition n’acceptera pas d’aller à une élection dans des conditions de fraude. Il faut que tout le monde puisse accepter de gagner ou de perdre l’élection. Si toutes ces questions qui font barrage aujourd’hui à l’avancée du processus sont levées, je pense qu’il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas y aller rapidement. Dans le cas contraire, la date électorale ne viendra jamais. Regardez toute la valse au moment de la mise en place de la nouvelle CEI. Il y a eu la méfiance. Vous n’irez pas chercher des extraterrestres pour organiser l’élection. Quel que soit l’Ivoirien que vous choisirez, il appartient à une opinion, à un parti politique. Il faut s’en accommoder. La seule exigence, c’est que lorsque quelqu’un est promu ou accède à une responsabilité par rapport à l’Etat de Côte d’Ivoire, qu’il mette en évidence sa compétence à gérer les dossiers pour lesquels il a été nommé. Son appartenance politique doit être passée au second plan. Il faut faire confiance à ceux à qui on confie des responsabilités. Vous savez, dans les pays comme les Etats-Unis, le vaincu appelle le vainqueur pour le féliciter. Ils le font parce ce qu’ils ont intégré la démocratie, ce qui n’est pas le cas chez nous. C’est pourquoi on utilise des qualitatifs comme démocratie à l’Ivoirienne, démocratie à l’africaine pour marquer notre conception de la démocratie. La démocratie doit être intégrée. Tout près de nous au Ghana, c’est à cela qu’on assiste. Cela peut aussi se faire ici. Les Ivoiriens ne sont pas moins bons que les autres.
L.P. : A coté des acteurs il y a la communauté des arbitres : primature, CEI, le Facilitateur et la communauté internationale. Quelle doit être leur partition ?
Z.F. : Vous avez raison de parler du Facilitateur et de la communauté internationale. Mais quand on parle du facilitateur et de la communauté internationale, c’est dire que l’Ivoirien lui-même est incapable. Il est donc obligé d’aller chercher ailleurs. Je ne suis pas de cet avis. Je suis plutôt de ceux qui pensent que les Ivoiriens ont la capacité de régler eux-mêmes leur problème. C’est bien d’être soutenu par la communauté internationale qui peut faciliter les rapprochements, pour aller à l’essentiel. On a toujours besoin de cela. C’est tant mieux. Les Ivoiriens se sont donné une institution et une Commission qui, pour moi, peut régler tous ces problèmes. Qu’attend donc la CEI pour lancer le contentieux et préparer la liste définitive ? Même si on ne peut pas tout faire en même temps, il faut au moins que le contentieux démarre, surtout qu’un mode opératoire avait été préétabli. On leur a même donné une période, trois semaines. Il ne leur reste plus qu’à dire « ça commence tel ou tel jour ». Qu’est-ce qu’ils attendent ? Ce n’est pas le Président de la République ou l’opposition qui va leur demander de commencer à telle date. Dans ce cas, la Commission n’existe pas. Pour sa propre crédibilité, je pense que cette semaine, si la commission n’a pas donné d’indication sur le démarrage du contentieux, sa crédibilité va commencer à prendre un coup. Ce serait dommage parce qu’elle est composée de personnalités très respectables. On avait salué leur avènement. Je pense que pour un détail extrêmement important, elle risque de perdre sa crédibilité. Ce qui risque de saper le capital de confiance que les uns et les autres avaient placé en eux. J’espère encore qu’ils vont nous donner une explication, sinon je me demande ce qui se passe. Un mois après l’investiture, pour moi, ça commence à être long.
L.P. : Les élections pour le premier semestre 2010. Y croyez-vous réellement ?
Z.F. : Est-ce que c’est une question de croire où de ne pas croire ? Lorsqu’on est sorti de Marcoussis, j’étais de ceux qui croyaient que les élections devraient se tenir en octobre 2005. Elle devrait se tenir à cette date. Et puis, je ne sais plus concrètement pourquoi les gens ont commencé à faire les arrangements politiques. Les arrangements politiques, c’est bien, mais il faut les ramener à la Constitution pour qu’on reste dans le cadre réglementaire. C’est cette façon de voir les choses qui n’a pas été acceptée et on est resté dans les accords. Ce faisant, il faut donc continuer dans les accords et aller jusqu’au bout. On est donc dans la voie des accords et aujourd’hui, c’est l’APO, avec ses ramifications. On s’en accommode et puis on avance. Moi, je dis aujourd’hui, il est possible, techniquement, d’organiser des élections à la fin du premier semestre 2010. Il faut avoir de la volonté politique. Là, je note qu’elle est inexistante. Pour moi, principalement, c’est le chef de l’Etat qui en est le premier responsable. Cela ne disculpe pas les présidents des différents partis de l’opposition, notamment les partis politiques significatifs. En toute chose, une affaire où il n’y a pas de responsabilité, elle est vouée à l’échec. Chez nous, les vieux disent que de grands projets sans chef, n’iront pas loin. Un projet, quelle que soit la taille ne peut aboutir que s’il y a un chef à sa tête. Jusqu’à présent, à tort ou à raison, tout le monde a conclu que c’est le chef de l’Etat qui est le premier responsable de ces blocages. En tant que chef, il faut qu’il règle les problèmes. Si le pays continue de naviguer comme cela, sans élection, on ne sait pas qui fait quoi. On met en place un gouvernement qui se cherche ; Finalement, où va-t-on ? Pour moi, en tout cas, l’élection est possible. Il faut que le chef de l’Etat assume ses responsabilités pour faire organiser cette élection. Dans le cas contraire, tout le monde va continuer de pleurer, de s’apitoyer sur le sort de la population. Et le sort des populations ne fera que s’aggraver avec le délestage, avec de nouveaux étudiants qui vont finir leurs études et qui auront des difficultés pour avoir un emploi. Il faut donc aller à l’élection. Il faut savoir que les responsables de la finance mondiale ont indiqué qu’il faut l’élection avant d’appuyer efficacement le pays. Le développement économique et les progrès au niveau social qu’on attend, ne verront pas le jour sans ces appuis-là. Il faut donner la priorité à l’organisation de cette élection. Je pense que d’ici à la fin du premier semestre, c’est possible. Il suffit qu’on nous dise par exemple aujourd’hui le contentieux électoral démarre tel jour.
L.P. : Comment alors mettre le monde d’accord sur les règles du jeu ?
Z.F. : Il faut expliquer aux uns et aux autres qu’on ne peut pas prendre tout le monde en compte sur la liste électorale. C’est ainsi dans tous les pays du monde. Le vote n’est pas obligatoire en Côte d’Ivoire. Ceux qui n’ont pas pu régler leur problème peuvent le faire après. L’administration continuera après le scrutin. Le problème de la liste, c’est qu’on a couplé l’identification avec l’élaboration de la liste électorale. Ce qui fait que les gens pensent que si quelqu’un n’est pas sur la liste électorale, il n’est pas Ivoirien. En vérité, on peut perdre une élection et se rattraper à l’élection suivante. Dans tous les pays du monde, c’est comme cela que ça se passe. Il suffit que la date du contentieux soit fixée par la CEI, le reste des évènements va se réaliser progressivement. Il y va de la crédibilité du chef de l’Etat, de la Côte d’Ivoire. Il y va de la paix. Il y va de l’arrêt de la faim des populations. Il y a déjà eu plusieurs dates, ce n’est pas sérieux de jouer avec le peuple.
L.P. : Récemment, vous avez annoncé votre soutien à la candidature d’Alassane Ouattara. Jusqu’où êtes-vous prêt à la soutenir?
Z.F. : J’ai annoncé ma décision de soutenir la candidature de Monsieur Alassane Ouattara. J’ai invité les militants et les instances de mon parti à soutenir cette candidature. Monsieur Ouattara en a été informé. Nous sommes en train de regarder aujourd’hui comment aborder la question, à la suite de la campagne électorale sur le terrain. Nous venons apporter notre concours à l’organisation de la campagne mise en place par le RDR pour son candidat. C’est avec plaisir que nous avons décidé de soutenir sa direction de campagne. Nous voulons compléter, améliorer là ou il y a des failles dans ce dispositif. Nous allons engager sous peu, ces pourparlers. Peut-être qu’on aurait accéléré les choses, si les premières dates des élections avaient été respectées. Nous avons décidé ces jours-ci de signer un accord, d’en définir les modalités d’ici à une semaine ou une quinzaine de jours. Des annonces seront faites, vous aurez des invitations par rapport à cet évènement. Ce soutien, cet engagement est maintenu jusqu’à preuve du contraire. J’espère qu’on ne va pas encore traîner et que l’élection aura lieu cette année. Notre accord tient bon.
L.P. : Est-ce le signe d’un prochain retour dans votre ancien parti, le RDR ?
Z.F. : C’est maintenant que nous discutons avec le RDR. Nous n’avons même pas encore engagé les débats. Pour l’heure, il est question, à notre niveau, de nous organiser pour soutenir la candidature de Monsieur Ouattara à l’élection présidentielle. Tout le reste fera l’objet, au fur et à mesure, d’accords. Tout ceci sera contenu dans le cadre d’un accord global. Tout est ouvert. Dire que Zemogo revient au RDR, n’est pour le moment pas à l’ordre du jour. Toutefois, je précise que nous sommes dans ces locaux où les premiers textes du RDR ont été rédigés. Ceux qui disent que c’est un retour au bercail, expriment peut-être pour l’heure un souhait. Je suis fier que beaucoup de personnes souhaitent cela. Je n’ai pas de problèmes à ce niveau. Mais, pour le moment, ce n’est pas de cela qu’il est question. Je ne dis pas que c’est impossible. Nos bases essaient pour l’heure de travailler ensemble. C’est tant mieux.
L.P. : Cette annonce a créé des remous au sein de votre parti. Est-ce que aujourd’hui, vous vous considérez toujours comme le président de l’ANCI ?
Z.F. : Je n’ai pas à me « considérer comme ». Je le suis. C’est vrai que tout le monde n’a pas été d’accord avec notre choix. Mais ceux qui n’ont pas été d’accord, sont partis. Je leur concède de ne pas être d’accord. Mais, de là à vouloir me destituer ou détruire le parti, ce n’est pas normal. Je veux bien aller à un congrès de l’ANCI où à la limite, on peut remettre en cause cette décision. Ce qui n’a pas été le cas. Vous notez surtout que ceux qui ont tenté de me destituer, ont annoncé cette tentative de destitution avant même l’annonce de mon soutien à la candidature de Monsieur Ouattara. N’est-ce n’est pas curieux tout ça ? Personne n’a noté cela jusqu’à présent. On dit qu’on a tenté de m’enlever parce que j’ai déclaré un soutien à Monsieur Ouattara. Alors que je ne l’avais pas encore fait. Le lundi 11 janvier, Jean Jacques Béchio annonce au journal de 20h ma destitution. C’est par réaction à cette tentative de destitution que j’ai annoncé, par anticipation, que je soutenais Monsieur Ouattara.
L.P. : Jean Jacques Béchio a dit que l’ANCI ne devrait pas soutenir de candidat ?
Z.F. : Ecoutez, il faut traiter la question. Parce que le règlement de problèmes par presse interposée, n’est pas la bonne solution. Si Jean Jacques Béchio me reproche quelque chose, qu’il me le fasse savoir par autre voie que la presse. Cela me gène de parler de lui alors qu’il n’est pas là. Ce que je note, cependant, est qu’il a décidé de me destituer parce que j’avais décidé de soutenir la candidature de Monsieur Ouattara, ce que je n’avais pas encore annoncé officiellement. Ceci étant, chacun de nous à ses choix. Moi, j’assume le choix que j’ai fait. Je vous assure que pour moi-même et pour l’ANCI, c’est le bon choix. L’argumentaire est connu.
L.P. : Envisagez-vous une réconciliation avec Jean Jacques Béchio ?
Z.F. : J’ai une conviction. Je la défends jusqu’au bout. Vivement que l’élection vienne. Je n’ai pas de problème personnel avec lui. J’estime qu’une élection est une activité politique. Et pour un parti politique, il n’y a pas que la campagne électorale, il y a d’autres activités. Il ne faut pas restreindre le champ d’action d’un parti politique. C’est sûr que les élections sont importantes pour un parti politique. Mais, ce n’est pas son activité exclusive. La crise fait qu’on crée des amalgames en Côte d’Ivoire. On se donne une mission pour un parti politique. En tout cas, nous à l’ANCI, nous avons des actions plus larges que celle d’aller simplement à une élection. Si c’était le cas, entre deux élections, que ferait-on ? C’est la recherche absolue de la quête du pouvoir qui fait qu’on ne se penche pas suffisamment sur les problèmes des populations.
L.P. : Quel est le débat qui vous préoccupe actuellement ?
Z.F. : La question de la citoyenneté en Côte d’Ivoire, par exemple. Elle caporalise les Ivoiriens depuis même avant la crise. Elle est, nous dit-on, l’une des causes de la guerre. Elle semble ne pas encore résolue. La question de la citoyenneté débouche sur la question identitaire. Quel est le parti politique qui s’en préoccupe ? Nous, nous l’avons inscrite à l’agenda de l’ANCI et cela n’a rien de politique. C’est une question fondamentale qu’il faut prendre à bras-le-corps avec l’organisation des séminaires, avec tous les Ivoirines issus de toutes les régions du sud, de l’ouest, du centre, du nord. Qu’ils soient des paysans, ils comprennent que tous les Ivoiriens ne peuvent pas être de la même région. Et que le lien qui fait qu’ils sont ivoiriens est au-dessus de tout le reste. Et donc, attachés au pays, il y a des droits et il y a des devoirs qui sont les mêmes pour tous. Quand on a bien compris cela, tout le reste découle. On n’a pas réglé ce problème et on continue de rayer des personnes de la liste. On raye même des chefs de village de la liste. Ils font quoi ? C’est dire que cette question n’a pas encore été bien réglée. On n’a pas bien informé les Ivoiriens sur le code de la nationalité. Quand on vote les lois, il faut les appliquer. Généralement on applique les lois en tenant compte des conditions dans lesquelles elles ont été votées. Même les juristes avant d’appliquer la loi, regardent le contexte. C’est pourquoi on étudie les dossiers. Là, on prend des raccourcis. On nous parle même de croisements populaires. Qu’est-ce que cela signifie ? La question de la citoyenneté tire son sens dans la nationalité. La question identitaire est une véritable bombe. C’est un chanteur qui disait que c’était une bombe à fragmentation. Il faut en tenir compte. Il ne faut pas croire que ceux qui sont Ivoiriens et qui sont rayés de la liste, vont rester les mains croisées. Si on n’y prend garde, les choses peuvent dégénérer. Je souhaite que ce ne soit pas le cas.
L.P. : Les Forces nouvelles disent redouter une situation à la rwandaise. Partagez-vous leurs inquiétudes, il y a quelques années
ZF : Je ne dirai pas cela. On dit comparaison n’est pas raison. Il faut tirer les leçons du Rwanda, il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé ailleurs. Même de l’expérience récente de la France qui a lancé un débat sur l’identité nationale. Il faut qu’on tire les leçons de tout cela pour passer à d’autres choses. On n’est pas serein. Et rien n’avance. Je compte sur le bon sens des uns et des autres.
Réalisée par Charles Sanga
Collaboration Thiery Latt
Le Patriote : La Côte d’Ivoire est à nouveau au bord d’un conflit. Quelle est votre opinion sur cette situation ?
Zemogo Fofana : La Côte d’Ivoire est de plain-pied, dans le conflit. Le pays n’est jamais sorti du conflit en réalité. Il y a eu des périodes d’accalmie relative. Mais nous sommes toujours dans la crise. Il y a certaines avancées, même très significatives qui ont été faites. Mais, chaque étape, a connu des difficultés. Ce qui fait que tant qu’on n’est pas encore arrivé à l’étape finale qui est l’élection présidentielle, avec les résultats et l’investiture du nouveau Président élu, je considère qu’on est toujours dans la crise.
LP : Des voix autorisées craignent pour l’avenir de l’APO et la reprise du conflit armé. Faites-vous la même analyse ?
ZM : Il ne faut pas se voiler la face. On est dans la crise. A la vérité, il y a des étapes dans la crise. Et à chaque étape, quand on a solutionné une situation ponctuelle, on pense en être sorti. Vous avez raison. Cette fois-ci, les deux ex-belligérants, sont face à face. Ils ont pourtant signé l’APO, un accord que tout le monde a salué en son temps. L’APO a été l’ouverture d’une nouvelle ère par rapport à l’ensemble de la crise. J’espère que c’est la voie de sortie définitive de la crise. Surtout qu’aujourd’hui, les deux ex-belligérants se retrouvent avec des positions tranchées et diamétralement opposées sur la question du désarment, sur la question de la liste électorale, sur le mode opératoire du contentieux. Des choses qui avaient été analysées. Je crois que l’APO a des dispositions, qui règlent clairement ces questions. Qu’est-ce qui va se passer ? C’est normal qu’il y ait beaucoup d’inquiétudes.
LP : Quelle est votre opinion sur les récentes revendications du camp présidentiel ?
ZF : Mon opinion est claire. On ne peut pas demander une chose et son contraire. Si les signataires de l’APO qu’ils sont, respectent leur signature, il n’y a aucune raison de poursuivre la question du désarmement comme étant un préalable. S’il n’avait pas signé l’APO tel qu’il est présenté, on aurait compris et on s’interrogerait sur les prises de positions actuelles. Je pense donc que respectant les dispositions de l’APO, la question du désarment ne se pose pas. La question de la validation de la liste provisoire elle aussi ne se pose pas. Il y un mode opératoire, il y a des règles pour gérer ces questions-là. Je trouve que le camp présidentiel est aujourd’hui très mal placé pour poser ces questions, comme étant des préalables.
L.P. : Le camp présidentiel dit qu’il ne demande que « les conditions d’une élection transparente » ?
Z.F. : c’est vrai, tout le monde réclame la transparence et tout le monde est d’accord pour la transparence. Il n’y a pas de raison qu’on soit contre la transparence. Mais, je dis qu’une fois qu’on a arrêté de façon consensuelle un mode opératoire, qu’on a défini dans un accord, comment on règle telle ou telle question, ce n’est pas au cours du processus qu’on arrête tout pour comprendre et essayer de changer les règles. Justement, la crise dure en Côte d’Ivoire parce que, de mon point de vue, on fixe des règles pour trouver des solutions puis, au fil du temps, on les change. Tantôt on applique la constitution, tantôt on applique les accords. Tantôt dans les accords, on prend des dispositions particulières qui nous arrangent et quand à un moment donné, ces dispositions dérangent, on s’y oppose. En clair, la grande difficulté de ce processus, c’est que les acteurs ont tendance à changer les règles du jeu au cours du jeu. Le match a démarré et brusquement on vous demande de changer l’arbitre du match. On change d’arbitre. C’est ce qui s’est passé pour la Commission électorale indépendante. C’est ce qui arrive dès qu’on avance dans le processus. Cela crée de nouvelles difficultés. Vous voyez que le nouveau bureau de la CEI qui a été installé depuis bientôt deux mois, ne présente aucune visibilité. Il n’y a pas de calendrier. On est dans le flou total.
L.P. : Que pensez-vous de cette situation ?
Z.F. : Je pense qu’à force de changer les règles, on ne sortira pas de cette crise. Quand on s’est fixé des règles, il faut s’en tenir à ces règles. Si on change les règles tous les jours, on n’y arrivera jamais.
L.P. : Voyez-vous là une volonté délibérée d’un camp présidentiel ou un autre de bloquer le processus ?
Z.F. : Aujourd’hui, tous les Ivoiriens s’accusent selon là où on se trouve. Tantôt c’est le camp présidentiel qui accuse l’opposition, tantôt c’est l’opposition qui accuse le camp présidentiel de faire des blocages. Malgré tout ce qu’on a pu dire, c’est quand même le camp présidentiel qui pilote l’opération. Qu’on le veuille ou pas, le Président Laurent Gbagbo, est le patron de toutes les juridictions du pays. Les principales accusations de blocage le visent au premier chef. C’est tout naturel. Il doit prendre ses responsabilités pour éviter les blocages. Sinon, il n y a pas de raison qu’il soit le chef de l’Etat. Je n’aimerais pas être chef d’un Etat où il règne une crise pendant dix ans. On fait des promesses et tout ce qui doit concourir à sortir de la crise, rencontre, à un moment ou à un autre, des blocages. Il en est le responsable, s’il est le chef de l’Etat. Regardez par exemple la crise de la CEI et du gouvernement. C’est de son fait. C’est lui qui a pris la décision de dissoudre les deux institutions. Il a le pouvoir de faire avancer le processus. Si ce n’est pas le cas, il est le premier blâmable.
L.P. : Quel jugement avez-vous sur l’attitude des autres membres du CPC ? Est-ce que les leaders de l’opposition, selon vous, se donnent les moyens pour sortir le pays de cette situation ?
Z.F. : L’opposition est un peu handicapée par son implication directe dans les institutions officielles dont le gouvernement qu’ils ont décidé de composer de façon consensuelle. Le gouvernement est le principal organe d’exécution des accords. L’opposition participe au gouvernement, elle participe à la CEI. Cela fait qu’on ne peut pas dire qu’elle n’a pas de responsabilité dans la gestion des affaires. Et dans les blocages aussi. Mais ce que je dis, dans les responsabilités, il y a quand même un chef d’orchestre qui, de par sa charge de chef de l’Etat conduit le processus à son terme. Et s’il y a des blocages, il est le premier responsable. Mais, cela ne dégage pas totalement la responsabilité de l’opposition. Disons que l’opposition a moins de moyens et moins de possibilités que le chef de l’Etat pour sortir le pays de la situation de crise. Maintenant, est-ce qu’elle se donne d’autres moyens ? Etant dans le cadre constitutionnel, ses moyens sont très limités. Le seul moyen pour une opposition en régime démocratique, c’est d’aller à l’élection et de s’organiser pour battre le candidat au pouvoir et de prendre le pouvoir. Mais, s’il n’y a pas d’élection, que fait l’opposition ? Quels moyens a-t-elle ?
L.P. : La rue n’est-elle pas un moyen d’expression démocratique ?
Z.F. : La rue a été expérimentée, mais il faut avouer qu’elle a des avantages mais aussi de gros inconvénients. Parce qu’avec la rue, on sait où cela commence mais généralement, on ne sait pas où et comment cela finit. La prise de la rue se gère avec le pouvoir en place. L’opposition, en se jetant dans la rue, n’est pas la seule à la gérer. Il y a les forces de l’ordre. Le dérapage peut justement venir des forces de l’ordre. Et généralement, c’est de là qu’il vient. Dans ces conditions, l’opposition a très peu de moyens. J’entends, je lis et j’écoute des gens accuser les opposants d’être des « opposants de salon ». Elle ajoute que si c’était Gbagbo qui était dans l’opposition, déjà la situation aurait été réglée. Cela veut dire qu’à un moment donné, la rue se trouve à la limite de la légalité. Et c’est cette marge qui fait la différence. Est-ce qu’on va plus loin pour franchir le pas et en quelques sorte agir pour l’intérêt du peuple sachant qu’on est à la limite de la légalité et que le pouvoir en place comprend cela ainsi, le gère comme tel. Et pour finir on a une réaction parfois disproportionnée qui crée du gâchis. Un tel dérapage peut aboutir à un soulèvement populaire, à un coup d’Etat. Il faut appeler les choses par leur nom. Est-ce que c’est légal ? Si cela peut aider à régler des problèmes, on peut le rapprocher de la limite de la légalité. C’est toute la difficulté et en même temps, la limite de l’opposition dans cette affaire. Je pense que tel que le processus a été engagé, il est difficile d’aller jusqu’au bout tant que les acteurs eux-mêmes et principalement le chef de l’Etat et les principaux acteurs de l’opposition, n’ont pas pleine conscience qu’il faut mettre les priorités secondaires de côté pour mettre en avant la principale. Ce faisant, il y a des choses qu’on est obligé de traiter avec beaucoup plus d’engagement.
L.P. : Le processus est donc condamné à marcher au rythme du chef de l’Etat, alors que beaucoup disent qu’il n’est pas encore prêt à aller aux élections.
Z.F. : Malheureusement, c’est ce qui se passe. Je ne souhaite pas que la Côte d’Ivoire reste dans un tel état et q’elle s’y pérennise. Non, je constate simplement que depuis l’avènement de la crise jusqu’à la date d’aujourd’hui, cette attitude demeure. Il faut en tirer les leçons. Et le chef de l’Etat lui-même ne doit pas en être fier. Parce ce que je ne vois pas comment on peut être heureux d’être un chef d’Etat dans ces conditions, sans élections et en être le chef ad vitam aeternam. Au plan économique et social, tout le monde sait que ça bout et c’est chaud. Le camp présidentiel doit savoir raison garder. C’est comme un match de football. On peut le gagner ou le perdre. Même si le match est organisé sur vos propres installations, vous pouvez le perdre. On peut perdre un match à domicile. Il faut que le camp présidentiel accepte et intègre qu’en allant à l’élection, il peut perdre. Une fois, qu’ils auront bien intégré cela, je suis sûr que la situation va se décanter. S’ils veulent être sûrs de gagner avant d’aller à l’élection, il y aura problème parce qu’ils ne le seront pas à 100%. Comme, ils ne sont pas sûrs, ils trouveront des moyens pour poser des problèmes comme le renouvellement des CEI locales, l’audit de la liste électorale. Même si ces problèmes sont réglés, ils vont en créer, tant qu’ils ne sont pas sûrs de gagner l’élection. Si on veut la paix, je pense qu’il faut y aller. Pour la clarté, tout le monde est d’accord. Même l’opposition n’acceptera pas d’aller à une élection dans des conditions de fraude. Il faut que tout le monde puisse accepter de gagner ou de perdre l’élection. Si toutes ces questions qui font barrage aujourd’hui à l’avancée du processus sont levées, je pense qu’il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas y aller rapidement. Dans le cas contraire, la date électorale ne viendra jamais. Regardez toute la valse au moment de la mise en place de la nouvelle CEI. Il y a eu la méfiance. Vous n’irez pas chercher des extraterrestres pour organiser l’élection. Quel que soit l’Ivoirien que vous choisirez, il appartient à une opinion, à un parti politique. Il faut s’en accommoder. La seule exigence, c’est que lorsque quelqu’un est promu ou accède à une responsabilité par rapport à l’Etat de Côte d’Ivoire, qu’il mette en évidence sa compétence à gérer les dossiers pour lesquels il a été nommé. Son appartenance politique doit être passée au second plan. Il faut faire confiance à ceux à qui on confie des responsabilités. Vous savez, dans les pays comme les Etats-Unis, le vaincu appelle le vainqueur pour le féliciter. Ils le font parce ce qu’ils ont intégré la démocratie, ce qui n’est pas le cas chez nous. C’est pourquoi on utilise des qualitatifs comme démocratie à l’Ivoirienne, démocratie à l’africaine pour marquer notre conception de la démocratie. La démocratie doit être intégrée. Tout près de nous au Ghana, c’est à cela qu’on assiste. Cela peut aussi se faire ici. Les Ivoiriens ne sont pas moins bons que les autres.
L.P. : A coté des acteurs il y a la communauté des arbitres : primature, CEI, le Facilitateur et la communauté internationale. Quelle doit être leur partition ?
Z.F. : Vous avez raison de parler du Facilitateur et de la communauté internationale. Mais quand on parle du facilitateur et de la communauté internationale, c’est dire que l’Ivoirien lui-même est incapable. Il est donc obligé d’aller chercher ailleurs. Je ne suis pas de cet avis. Je suis plutôt de ceux qui pensent que les Ivoiriens ont la capacité de régler eux-mêmes leur problème. C’est bien d’être soutenu par la communauté internationale qui peut faciliter les rapprochements, pour aller à l’essentiel. On a toujours besoin de cela. C’est tant mieux. Les Ivoiriens se sont donné une institution et une Commission qui, pour moi, peut régler tous ces problèmes. Qu’attend donc la CEI pour lancer le contentieux et préparer la liste définitive ? Même si on ne peut pas tout faire en même temps, il faut au moins que le contentieux démarre, surtout qu’un mode opératoire avait été préétabli. On leur a même donné une période, trois semaines. Il ne leur reste plus qu’à dire « ça commence tel ou tel jour ». Qu’est-ce qu’ils attendent ? Ce n’est pas le Président de la République ou l’opposition qui va leur demander de commencer à telle date. Dans ce cas, la Commission n’existe pas. Pour sa propre crédibilité, je pense que cette semaine, si la commission n’a pas donné d’indication sur le démarrage du contentieux, sa crédibilité va commencer à prendre un coup. Ce serait dommage parce qu’elle est composée de personnalités très respectables. On avait salué leur avènement. Je pense que pour un détail extrêmement important, elle risque de perdre sa crédibilité. Ce qui risque de saper le capital de confiance que les uns et les autres avaient placé en eux. J’espère encore qu’ils vont nous donner une explication, sinon je me demande ce qui se passe. Un mois après l’investiture, pour moi, ça commence à être long.
L.P. : Les élections pour le premier semestre 2010. Y croyez-vous réellement ?
Z.F. : Est-ce que c’est une question de croire où de ne pas croire ? Lorsqu’on est sorti de Marcoussis, j’étais de ceux qui croyaient que les élections devraient se tenir en octobre 2005. Elle devrait se tenir à cette date. Et puis, je ne sais plus concrètement pourquoi les gens ont commencé à faire les arrangements politiques. Les arrangements politiques, c’est bien, mais il faut les ramener à la Constitution pour qu’on reste dans le cadre réglementaire. C’est cette façon de voir les choses qui n’a pas été acceptée et on est resté dans les accords. Ce faisant, il faut donc continuer dans les accords et aller jusqu’au bout. On est donc dans la voie des accords et aujourd’hui, c’est l’APO, avec ses ramifications. On s’en accommode et puis on avance. Moi, je dis aujourd’hui, il est possible, techniquement, d’organiser des élections à la fin du premier semestre 2010. Il faut avoir de la volonté politique. Là, je note qu’elle est inexistante. Pour moi, principalement, c’est le chef de l’Etat qui en est le premier responsable. Cela ne disculpe pas les présidents des différents partis de l’opposition, notamment les partis politiques significatifs. En toute chose, une affaire où il n’y a pas de responsabilité, elle est vouée à l’échec. Chez nous, les vieux disent que de grands projets sans chef, n’iront pas loin. Un projet, quelle que soit la taille ne peut aboutir que s’il y a un chef à sa tête. Jusqu’à présent, à tort ou à raison, tout le monde a conclu que c’est le chef de l’Etat qui est le premier responsable de ces blocages. En tant que chef, il faut qu’il règle les problèmes. Si le pays continue de naviguer comme cela, sans élection, on ne sait pas qui fait quoi. On met en place un gouvernement qui se cherche ; Finalement, où va-t-on ? Pour moi, en tout cas, l’élection est possible. Il faut que le chef de l’Etat assume ses responsabilités pour faire organiser cette élection. Dans le cas contraire, tout le monde va continuer de pleurer, de s’apitoyer sur le sort de la population. Et le sort des populations ne fera que s’aggraver avec le délestage, avec de nouveaux étudiants qui vont finir leurs études et qui auront des difficultés pour avoir un emploi. Il faut donc aller à l’élection. Il faut savoir que les responsables de la finance mondiale ont indiqué qu’il faut l’élection avant d’appuyer efficacement le pays. Le développement économique et les progrès au niveau social qu’on attend, ne verront pas le jour sans ces appuis-là. Il faut donner la priorité à l’organisation de cette élection. Je pense que d’ici à la fin du premier semestre, c’est possible. Il suffit qu’on nous dise par exemple aujourd’hui le contentieux électoral démarre tel jour.
L.P. : Comment alors mettre le monde d’accord sur les règles du jeu ?
Z.F. : Il faut expliquer aux uns et aux autres qu’on ne peut pas prendre tout le monde en compte sur la liste électorale. C’est ainsi dans tous les pays du monde. Le vote n’est pas obligatoire en Côte d’Ivoire. Ceux qui n’ont pas pu régler leur problème peuvent le faire après. L’administration continuera après le scrutin. Le problème de la liste, c’est qu’on a couplé l’identification avec l’élaboration de la liste électorale. Ce qui fait que les gens pensent que si quelqu’un n’est pas sur la liste électorale, il n’est pas Ivoirien. En vérité, on peut perdre une élection et se rattraper à l’élection suivante. Dans tous les pays du monde, c’est comme cela que ça se passe. Il suffit que la date du contentieux soit fixée par la CEI, le reste des évènements va se réaliser progressivement. Il y va de la crédibilité du chef de l’Etat, de la Côte d’Ivoire. Il y va de la paix. Il y va de l’arrêt de la faim des populations. Il y a déjà eu plusieurs dates, ce n’est pas sérieux de jouer avec le peuple.
L.P. : Récemment, vous avez annoncé votre soutien à la candidature d’Alassane Ouattara. Jusqu’où êtes-vous prêt à la soutenir?
Z.F. : J’ai annoncé ma décision de soutenir la candidature de Monsieur Alassane Ouattara. J’ai invité les militants et les instances de mon parti à soutenir cette candidature. Monsieur Ouattara en a été informé. Nous sommes en train de regarder aujourd’hui comment aborder la question, à la suite de la campagne électorale sur le terrain. Nous venons apporter notre concours à l’organisation de la campagne mise en place par le RDR pour son candidat. C’est avec plaisir que nous avons décidé de soutenir sa direction de campagne. Nous voulons compléter, améliorer là ou il y a des failles dans ce dispositif. Nous allons engager sous peu, ces pourparlers. Peut-être qu’on aurait accéléré les choses, si les premières dates des élections avaient été respectées. Nous avons décidé ces jours-ci de signer un accord, d’en définir les modalités d’ici à une semaine ou une quinzaine de jours. Des annonces seront faites, vous aurez des invitations par rapport à cet évènement. Ce soutien, cet engagement est maintenu jusqu’à preuve du contraire. J’espère qu’on ne va pas encore traîner et que l’élection aura lieu cette année. Notre accord tient bon.
L.P. : Est-ce le signe d’un prochain retour dans votre ancien parti, le RDR ?
Z.F. : C’est maintenant que nous discutons avec le RDR. Nous n’avons même pas encore engagé les débats. Pour l’heure, il est question, à notre niveau, de nous organiser pour soutenir la candidature de Monsieur Ouattara à l’élection présidentielle. Tout le reste fera l’objet, au fur et à mesure, d’accords. Tout ceci sera contenu dans le cadre d’un accord global. Tout est ouvert. Dire que Zemogo revient au RDR, n’est pour le moment pas à l’ordre du jour. Toutefois, je précise que nous sommes dans ces locaux où les premiers textes du RDR ont été rédigés. Ceux qui disent que c’est un retour au bercail, expriment peut-être pour l’heure un souhait. Je suis fier que beaucoup de personnes souhaitent cela. Je n’ai pas de problèmes à ce niveau. Mais, pour le moment, ce n’est pas de cela qu’il est question. Je ne dis pas que c’est impossible. Nos bases essaient pour l’heure de travailler ensemble. C’est tant mieux.
L.P. : Cette annonce a créé des remous au sein de votre parti. Est-ce que aujourd’hui, vous vous considérez toujours comme le président de l’ANCI ?
Z.F. : Je n’ai pas à me « considérer comme ». Je le suis. C’est vrai que tout le monde n’a pas été d’accord avec notre choix. Mais ceux qui n’ont pas été d’accord, sont partis. Je leur concède de ne pas être d’accord. Mais, de là à vouloir me destituer ou détruire le parti, ce n’est pas normal. Je veux bien aller à un congrès de l’ANCI où à la limite, on peut remettre en cause cette décision. Ce qui n’a pas été le cas. Vous notez surtout que ceux qui ont tenté de me destituer, ont annoncé cette tentative de destitution avant même l’annonce de mon soutien à la candidature de Monsieur Ouattara. N’est-ce n’est pas curieux tout ça ? Personne n’a noté cela jusqu’à présent. On dit qu’on a tenté de m’enlever parce que j’ai déclaré un soutien à Monsieur Ouattara. Alors que je ne l’avais pas encore fait. Le lundi 11 janvier, Jean Jacques Béchio annonce au journal de 20h ma destitution. C’est par réaction à cette tentative de destitution que j’ai annoncé, par anticipation, que je soutenais Monsieur Ouattara.
L.P. : Jean Jacques Béchio a dit que l’ANCI ne devrait pas soutenir de candidat ?
Z.F. : Ecoutez, il faut traiter la question. Parce que le règlement de problèmes par presse interposée, n’est pas la bonne solution. Si Jean Jacques Béchio me reproche quelque chose, qu’il me le fasse savoir par autre voie que la presse. Cela me gène de parler de lui alors qu’il n’est pas là. Ce que je note, cependant, est qu’il a décidé de me destituer parce que j’avais décidé de soutenir la candidature de Monsieur Ouattara, ce que je n’avais pas encore annoncé officiellement. Ceci étant, chacun de nous à ses choix. Moi, j’assume le choix que j’ai fait. Je vous assure que pour moi-même et pour l’ANCI, c’est le bon choix. L’argumentaire est connu.
L.P. : Envisagez-vous une réconciliation avec Jean Jacques Béchio ?
Z.F. : J’ai une conviction. Je la défends jusqu’au bout. Vivement que l’élection vienne. Je n’ai pas de problème personnel avec lui. J’estime qu’une élection est une activité politique. Et pour un parti politique, il n’y a pas que la campagne électorale, il y a d’autres activités. Il ne faut pas restreindre le champ d’action d’un parti politique. C’est sûr que les élections sont importantes pour un parti politique. Mais, ce n’est pas son activité exclusive. La crise fait qu’on crée des amalgames en Côte d’Ivoire. On se donne une mission pour un parti politique. En tout cas, nous à l’ANCI, nous avons des actions plus larges que celle d’aller simplement à une élection. Si c’était le cas, entre deux élections, que ferait-on ? C’est la recherche absolue de la quête du pouvoir qui fait qu’on ne se penche pas suffisamment sur les problèmes des populations.
L.P. : Quel est le débat qui vous préoccupe actuellement ?
Z.F. : La question de la citoyenneté en Côte d’Ivoire, par exemple. Elle caporalise les Ivoiriens depuis même avant la crise. Elle est, nous dit-on, l’une des causes de la guerre. Elle semble ne pas encore résolue. La question de la citoyenneté débouche sur la question identitaire. Quel est le parti politique qui s’en préoccupe ? Nous, nous l’avons inscrite à l’agenda de l’ANCI et cela n’a rien de politique. C’est une question fondamentale qu’il faut prendre à bras-le-corps avec l’organisation des séminaires, avec tous les Ivoirines issus de toutes les régions du sud, de l’ouest, du centre, du nord. Qu’ils soient des paysans, ils comprennent que tous les Ivoiriens ne peuvent pas être de la même région. Et que le lien qui fait qu’ils sont ivoiriens est au-dessus de tout le reste. Et donc, attachés au pays, il y a des droits et il y a des devoirs qui sont les mêmes pour tous. Quand on a bien compris cela, tout le reste découle. On n’a pas réglé ce problème et on continue de rayer des personnes de la liste. On raye même des chefs de village de la liste. Ils font quoi ? C’est dire que cette question n’a pas encore été bien réglée. On n’a pas bien informé les Ivoiriens sur le code de la nationalité. Quand on vote les lois, il faut les appliquer. Généralement on applique les lois en tenant compte des conditions dans lesquelles elles ont été votées. Même les juristes avant d’appliquer la loi, regardent le contexte. C’est pourquoi on étudie les dossiers. Là, on prend des raccourcis. On nous parle même de croisements populaires. Qu’est-ce que cela signifie ? La question de la citoyenneté tire son sens dans la nationalité. La question identitaire est une véritable bombe. C’est un chanteur qui disait que c’était une bombe à fragmentation. Il faut en tenir compte. Il ne faut pas croire que ceux qui sont Ivoiriens et qui sont rayés de la liste, vont rester les mains croisées. Si on n’y prend garde, les choses peuvent dégénérer. Je souhaite que ce ne soit pas le cas.
L.P. : Les Forces nouvelles disent redouter une situation à la rwandaise. Partagez-vous leurs inquiétudes, il y a quelques années
ZF : Je ne dirai pas cela. On dit comparaison n’est pas raison. Il faut tirer les leçons du Rwanda, il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé ailleurs. Même de l’expérience récente de la France qui a lancé un débat sur l’identité nationale. Il faut qu’on tire les leçons de tout cela pour passer à d’autres choses. On n’est pas serein. Et rien n’avance. Je compte sur le bon sens des uns et des autres.
Réalisée par Charles Sanga
Collaboration Thiery Latt