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Région Publié le jeudi 22 avril 2010 | Notre Voie

Invasion des forêts classées et des réserves, bradage du patrimoine forestier communautaire - La guerre de la terre se profile à l’horizon à Danané

Depuis plusieurs semaines, les populations de Danané, précisément celles des sous-préfectures de Daleu et de Kouan-Houlé, ont décidé de faire sortir, par leurs propres moyens, les allogènes qui ont envahi les forêts classées et autres parcelles communautaires. Le spectre d’un affrontement interethnique est ainsi de plus en plus grand. Mardi 13 avril 2010. Il est 17 h. Dans la salle de la cantine de Daleu (34 km de Danané, dans l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire), la tension monte d’un cran. Les chefs de village, les chefs de terre, les présidents des jeunes et l’ensemble des populations qui ont répondu massivement à l’invitation de Dr. Albert Dro, ancien député de Danané et doyen des cadres de la sous-préfecture, ont reconnu, dans la foule, un certain Kaboré Dramane, de nationalité burkinabé. «C’est le fils de Gangaba. C’est lui qui fait le tour des villages pour corrompre certains jeunes et les inciter à l’accompagner dans les forêts. Son père et lui font partie des chefs des acheteurs», vitupère un jeune, les yeux rouges de colère. La foule s’agglutine autour de lui et exige qu’il soit mis aux arrêts. En fin de compte, de tractations en tractations, la foule accepte qu’il soit conduit dans la salle pour s’expliquer. Le même sort sera réservé à un autre acheteur : Yacou Sangaré, lui de nationalité malienne. Interrogés, les deux infortunés avouent être des acheteurs de forêts. Mais, ce qui irrite la foule, c’est lorsque Sangaré avoue ne pas connaître le nom de son tuteur. Alors qu’il avait déclaré être installé dans le village de Nimpleu II sans l’avis du chef de village, présent dans la salle. Il passe tout prêt d’un lynchage. Mais il a la vie sauve grâce à l’intervention de la table de séance et de quelques éléments des Forces nouvelles présents à la réunion. Ce témoignage venait ainsi de confirmer toutes les déclarations entendues de la part des populations depuis le début de la réunion peu avant midi. A savoir que, depuis le début de la crise, des gens inconnus ont envahi les forêts classées sans l’avis des propriétaires terriens. «Chaque jour, nous voyons ces étrangers arriver. Le plus souvent, ils s’adressent à nos enfants dont certains n’ont même pas vingt ans. Contre 10.000 FCFA ou 15. 000 FCFA, ou une bouteille de «Kinjus» ou de «Kotoukou» (boisson locale) et ils entrent dans la forêt. Ils s’y installent et font ce qu’ils veulent. Ce n’est pas normal et nous ne pouvons l’accepter. Ces forêts nous appartiennent avant que l’Etat ne les classe. Nous ne pouvons plus tolérer que des forêts que nos ancêtres et nous-mêmes avons protégées pendant des siècles soient détruites par des gens que nous ne connaissons pas. Si l’Etat ne peut rien faire pour nous aider, nous nous défendrons nous-mêmes», avait introduit, à l’entame de la réunion, le chef du village de Daleu, M. Gué Lanson, sous les ovations de l’assistance. Tout au long des débats, les déclarations sont allées dans le même sens. Appelant les populations à refuser le suicide collectif auquel la situation actuelle les prédestine. C’est que, pour les populations, l’enjeu est de taille. Pour ce qui concerne les forêts classées, selon le capitaine Etienne Sahi, du centre de gestion de la Société de développement des forêts (SODEFOR) de Man, basé à Daloa pour cause de guerre, ce sont un peu plus de 74.000 ha de forêts classées qui sont concernés. Soit 28.000 ha pour la forêt de Tiapleu, classée le 19 octobre 1932 10.500 ha pour la forêt du mont Momi, classée le 21 juin 1954 ; 24.610 ha pour la forêt de Sangouiné, classée le 3 août 1932 et 11.000 ha pour la forêt de Niéton, classée le 18 juillet 1961. Sans compter la réserve du mont Nimba dont la gestion est du ressort de l’Office ivoirien des parcs et réserves (OIPR). Selon la quasi-totalité des intervenants, la situation est d’autant plus grave que ceux qu’ils appellent «les envahisseurs» bénéficient de la complicité de certains des leurs qui sont devenus des spécialistes de la vente de forêts. Au point même de constituer des syndicats de vendeurs, comme c’est le cas, par exemple, dans le village Gbanleu. «Par la faute de certains de nos frères, toutes nos forêts communautaires ont été bradées à vil prix. Nous ne pouvons plus aller dans nos propres champs. Nos lieux sacrés ont été profanés. De nombreuses familles se sont disloquées à la suite de conflit ayant fait suite à la vente d’une forêt familiale de façon unilatérale par un membre de la famille ou souvent par des individus n’ayant aucun lien avec la famille. Aujourd’hui, ce à quoi nous assistons, c’est que les mêmes parcelles qui ont été vendues, il y a deux ou trois ans, sont vendues à nouveau à d’autres acheteurs sans que les premiers ne soient dédommagés. Ces derniers menacent de se faire justice devant notre impuissance», a témoigné avec émotion Bernadin Tissi, chef du village de Zérégouiné, l’un des villages les plus touchés par le phénomène. Au terme de la réunion, les populations unanimement décident de mettre un holà à l’invasion de leurs forêts. Ils chargent Dr. Dro et tous les cadres qui l’accompagnent de transmettre leur desiderata au corps préfectoral et aux autorités des forces nouvelles. Les populations sont d’autant plus déterminées à prendre leurs responsabilités que les nouvelles qui leur parviennent de la sous-préfecture de Kouan-Houlé voisine, font état de ce que, sous la pression des populations, les occupants illégaux des forêts ont commencé à partir. «Nous allons faire comme nos frères du Kalé. Il faut que ces gens sortent de nos forêts», entendait-on au cours de la rencontre. De fait, si les populations en sont arrivées à décider de se défendre elles-mêmes, c’est parce qu’elles ont le sentiment d’avoir été abandonnées par l’Etat. Et les autorités des Forces nouvelles sur place. «Ce problème, nous le posons depuis bientôt cinq ans. Nous avons écrit à tout le monde. Nous avons parlé avec tout le monde. Même de passage, le chef de l’Etat a demandé qu’une attention particulière soit accordée à ce problème par le corps préfectoral. Mais rien ne bouge. Au contraire, certains de ces étrangers, qui affirment posséder des milliers d’hectares, sont laissés en liberté et nous narguent tous les jours que Dieu fait», a expliqué, notamment, Jean-Brice Kessé, membre du Collectif de défense des forêts classées du mont Nimba et de Tiapleu. A Danané, les autorités jurent le contraire. Le préfet, Konaté Sékou, et ses collaborateurs se disent plutôt limités dans leur capacité d’action. Au cours des nombreuses réunions qu’il a eues avec les représentants des populations des sous-préfectures de Daleu et de Kouan-Houlé, M. Konaté a déclaré qu’il ne pouvait requérir les Forces nouvelles pour faire déguerpir les occupants illégaux des forêts. Arguant que les Forces nouvelles n’étant pas formées au maintien de l’ordre, il se voyait mal de les envoyer en mission. Un argument qui ne convainc pas les populations d’autant plus que le commandant de secteur des Forces nouvelles de Danané, le capitaine Eddy Medi, lui, soutient que s’il a un ordre du préfet, qui est le représentant du chef de l’Etat dans le département, il est prêt à s’exécuter. En attendant de dénouer ce nœud gordien, les autorités préfectorales et militaires de Danané ont décidé de reprendre le dossier en main. Ainsi le sous-préfet de Danané, Yohou Casimir, et le com-secteur ont-ils entrepris, chacun à son niveau, d’effectuer des tournées de terrain pour prendre le pouls de la situation. Le dimanche 11 avril dernier, le commandant Eddy s’est rendu à Kouan-Houlé. Il compte se rendre à Daleu dans les prochains jours. Le vendredi 16 avril dernier, le sous-préfet lui a emboîté le pas avant de se rendre le lendemain à Daleu. Le préfet, lui, a pris la route d’Abidjan où il a été reçu par son ministre de tutelle, le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro. Comme première conséquence visible de cet entretien, en début de semaine, l’ambassadeur du Burkina en Côte d’Ivoire, SEM Emile Ilboudo, s’est rendu à Danané pour intimer l’ordre à ses compatriotes de quitter les forêts. Sera-t-il entendu ? D’autres mesures suivront-elles pour rassurer les populations aujourd’hui désabusées ? Pourra-t-on éviter, dans cette partie de la Côte d’Ivoire, une autre guerre dont tous les ingrédients sont réunis ? A Danané, dans les villages du Goursé et du Kalé, les populations ont déjà leur réponse à toutes ces interrogations. Elles préfèrent la mort à la spoliation. Guillaume T. Gbato Envoyé spécial à Danané
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