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Société Publié le samedi 24 avril 2010 | Le Nouveau Réveil

Reportage / Enfants handicapés moteurs et psychiques : Entre marginalisation, séquelles à vie… et quête du bonheur

Le visage plat et rond, les yeux bridés survolés de sourcils obliques, la démarche lourde, souvent impossible. Les enfants trisomiques, communément appelés mongoliens, à l'instar des enfants handicapés moteurs et psychiques, doivent mener un combat quotidien non seulement contre leurs handicaps, mais aussi contre la marginalisation, dans une société qui ne les accepte pas toujours. Aussi, sont-ils souvent plus à l'aise entre eux, dans un centre. A Abidjan, il existe un centre privé, pour enfants handicapés moteurs et psychiques. Un endroit où ils apprennent à aller à l'école, à être autonomes…à vivre.

"Vous êtes moqueurs, pourtant c'est vous, vous dites que les gens se moquent de vous ". Le langage est clair et compréhensible, hormis des défauts syntaxiques. Ce matin du vendredi 19 février 2010, dans une salle de classe, un groupe d'écoliers en uniforme kaki, propre et repassé, profite de l'absence hors de la classe de leur maître, pour bavarder. Dans la salle, il n'y a ni chef de classe pour prendre le nom des bavards, ni tableau noir gravé d'alphabets à la craie. Les écoliers, une demi-douzaine, se distinguent par leur apparence physique. Celui qui fait la remarque à ses camarades, Abdoul, 18 ans, est un solide gaillard. Un physique trop imposant pour son jeune âge et une tête trop petite pour un adolescent. Abdoul est assis devant l'une des quatre tables colorées et rangées en carré, de la classe. Sa remarque, il l'adresse à l'un de ses compagnons, son cadet de quatre ans, assis à sa droite, devant une table. Ce dernier passe pour être un moqueur. Ce que n'apprécie pas toujours Abdoul. " Le monsieur a entendu ", déclare Abdoul à son compagnon. Le monsieur en question est un visiteur qui vient de tourner les talons et qui a salué le groupe avec un bonjour appuyé d'un sourire. Après avoir répondu au " bonjour ", le compagnon d'Abdoul a ajouté un mot indistinct qui a fait éclater de rire, le reste du groupe. Quand " le monsieur " retourne vers le groupe pour comprendre la raison des quolibets dont il est l'objet, Abdoul répète sans cesse à son compagnon, avec une volonté affichée de le culpabiliser : " Je t'ai pas dit ? Le monsieur a entendu ". A l'instant où " le monsieur ", un jeune homme arborant une calvitie naissante, très grand et mince, tenant dans une main, trois téléphones portables et dans l'autre un agenda défraîchi, demande pourquoi le groupe se moque de lui, Abdoul s'empresse de désigner le "coupable". Ce dernier se défend par des gestes. Il lève les mains en l'air pour clamer son innocence et secoue vigoureusement la tête caractérisée par une nuque plate. " Le monsieur " pointe l'indexe vers le moqueur et lance : " toi, t'es trop bandit ". Il sourit et tourne les talons. Dès qu'il sort de la salle, le compagnon d'Abdoul réitère son propos indistinct et le groupe, à l'exception d'Abdoul, se remet à rire. Le voisin immédiat d'Abdoul, 12 ans, d'un teint très noir, avec une petite mâchoire et une langue épaisse qu'il est obligé de sortir fréquemment de la bouche, se tort de rire. A côté de lui, sa voisine, 13 ans, de race blanche, avec un faciès rond, des yeux bridés, rit timidement. Le groupe a l'air de s'éclater.

Ecole pour handicapés moteurs

Nous sommes à la " Page blanche ", sise à Abidjan, dans la commune de Cocody, dans le quartier des Deux- Plateaux, dans les encablures du siège du Conseil national de la presse (CNP). Une école ? Pas seulement. Un centre de rééducation physique, de soutien psychologique et d'éducation spécialisée surtout, qui s'ouvre aux pensionnaires de 8 heures à 17 heures, quatre jours sur sept... Comme une école. De l'extérieur, le centre, ressemble à un jardin d'enfants, avec ses figurines bigarrées peintes au mur, ses dessins d'enfants et ses couleurs bleue et blanc.

Ce vendredi, Pierre Yavo, psycholinguiste, est seul dans une salle avec l'un de ses élèves, à côté de la classe où se trouvent Abdoul et ses camarades. L'élève de Pierre Yavo, à la différence d'Abdoul et de ses compagnons qui sont trisomiques (mongoliens), est autiste, c'est-à-dire qu'il adopte un comportement de repli sur soi et de perte de contact avec la réalité.

" Les enfants qui affichent une infirmité motrice cérébrale (IMC) essuient souvent des moqueries de la part de leurs camarades de quartiers et même de personnes âgées. Ils sont souvent marginalisés par des gens qui les assimilent à de petits sorciers ou à des enfants victimes de pratiques sacrificielles ", note Pierre Yavo. " Bien sûr qu'ils ont tort ", s'empresse-t-il d'ajouter. Il jette de temps en temps un œil vers son élève. Celui-ci, Théodore, plus de 18 ans, ne présente apparemment aucun handicap physique. C'est la particularité des autistes, ce qui n'est pas le cas des trisomiques. Dans son tee-shirt bleu porté sur un polo de qualité et son pantalon jeans ample, il ressemble à un jeune rappeur en herbe du quartier chic de Cocody Riviera. Il reconstitue un puzzle sans s'occuper de son environnement immédiat. " Continue ", lui lance Pierre Yavo. Il regarde son enseignant sans un trait d'émotion et se replonge dans son jeu.

" Il arrive à reconstituer le puzzle de 150 pièces, fait remarquer le psycholinguiste. Même moi, ce n'est pas toujours que j'y parviens ". En effet, au bout de quelques minutes, Théodore y parvient. Il lève les yeux vers son encadreur et sourit. " Tu peux sortir ", lui lance Pierre Yavo. Théodore se lève et sort de la salle pour se diriger vers l'une des cours remplie de sable, où certains de ses compagnons, jouent sur des balançoires et se laissent glisser dans un toboggan, en poussant des cris de joie. Théodore ne parle pas. Cependant, " il y a des autistes qui ont le langage. Ce n'est certes pas distinct mais cela leur permet de communiquer ", souligne Pierre Yavo. " Trisomiques comme autistes ont un problème : la stigmatisation, voire la mise à l'écart.

Quand on sait les prendre, les comprendre, ils apparaissent dans leur véritable nature, c'est-à-dire très dociles ", indique-t-il.

Lésions irréversibles

Pierre Yavo n'est pas le seul encadreur dans ce centre. On y trouve aussi bien des kinésithérapeutes, des pédopsychiatres que des orthophonistes et des éducateurs spécialisés.

Chaque lundi, Arsène Angaman, un kinésithérapeute bien connu dans le milieu sportif, passe la matinée à la " Page blanche ". Ce lundi matin du 8 mars 2010, comme chaque lundi depuis plusieurs années, il est dans la petite antichambre de massage avec une fillette de 6 ans. Le corps maigre de cette dernière et son visage d'ange ne renseignent pas sur son état de santé. "

Elle est infirme motrice cérébrale, c'est-à-dire qu'elle est polyhandicapée ", déclare Arsène Angaman. Elle se déplace en fauteuil roulant et ne parle pas. Elle est couchée sur une sorte de table d'opération et le kinésithérapeute, aidé de Touré Bema, un éducateur spécialisé sorti émoulu de l'Institut national de formation sociale (INFS) lui administre un massage avec de l'huile thérapeutique. De temps en temps, elle tourne lentement (elle éprouve des difficultés à faire des gestes à cause de la rigidité de ses nerfs) et gratifie son éducateur d'un sourire.

" Les séances de massage, explique Arsène Angaman, sont faites pour relaxer les nerfs et pour lutter contre l'inanition. Il y a aussi des séances de posture. Il y a des enfants qui ne marchaient pas et qui aujourd'hui arrivent à se tenir". Les éclairages du kinésithérapeute sont interrompus par un cri de douleur provenant du salon d'à côté, la salle où il est écrit " Bienvenue chez les poussins ". Il y court pour prêter mains fortes à un éducateur spécialisé qui a du mal à faire dresser les doigts à une adolescente polyhandicapée.

" Quelquefois, les massages sont douloureux quand les nerfs sont très rigides. Très souvent aussi, les enfants pleurent ou crient soit par caprice soit parce qu'ils veulent qu'on les laisse tranquilles soit pour réclamer plus d'attention. Malgré l'âge de chacun d'eux, ils demeurent des enfants ", fait remarquer Arsène Angaman.

L'éducateur spécialisé connaît manifestement son élève. Il entonne une berceuse. L'adolescente soumise au massage se tait. Dès qu'il se tait, elle se remet à pleurer. " Quand je chante, ça ne te fait plus mal, non ? ", interroge l'éducateur spécialisé, puis il se remet à chanter.

Chez " Les poussins ", la salle des polyhandicapés, trois autres enfants jouent avec des objets colorés, assis à même le sol tapissé. Ils n'arrivent pas à se tenir debout. La plus petite (à peine 60 cm) porte une robe carrelée bleue d'écolière qui lui va à merveille. La plus grande, élégamment habillée, a un bavoir accroché à son cou.

Arsène Angaman retourne vers la fillette de six ans, au milieu de verticalisateurs " offerts par une ONG européenne mais inadaptés à la taille de nos enfants ici " et d'autres matériels de kinésithérapie.

Touré Bema, lui, n'a pas bougé. Il a continué la séance de massage. "Ces enfants sont dépendants pour toujours parce qu'ils ont des lésions irréversibles ", soutient-il.

Arsène Angaman précise : " Si on ne fait rien pour eux, les enfants développent d'autres complications en plus des insuffisances qu'ils ont actuellement. C'est un travail de longue haleine. Avec eux, un centimètre de gagné, c'est énorme ".

" Ils n'ont pas fait le deuil… "

Les parents de handicapés moteurs et psychiques qui envoient leurs enfants " étudier " dans ce centre visent l'épanouissement de leur progéniture. C'est ce qu'explique Mme Marthe Sékou, une éducatrice spécialisée qui a neuf ans d'expérience. Dans la classe baptisée " Les champions ", elle est assise avec deux autres encadreuses, à côté de trois enfants. L'une d'elle, 12 ans, est aveugle, muette et autiste. Calme et indifférente, elle sourit seule de temps en temps et touche de la main, l'une de ses encadreuses. " Elle l'aime beaucoup, elle sent toujours sa présence et le fait qu'elle la touche est un besoin de communication. C'est donc faux de croire qu'elle ne communique pas ", fait observer une encadreuse. Mireille Lopoua, l'orthophoniste regarde la jeune fille polyhandicapée. Elle lui caresse doucement le cou et lâche : " Je me mets dans la peau d'une mère quand je suis ici. Je me dis que ce doit être dur pour elles de voir le fruit de leurs entrailles, avec des handicaps aussi lourds et divers ".

Elle prend sur ses genoux une de ses " élèves ", lui enlève une poussière sur sa robe parfumée, et déclare comprendre la douleur des parents d'enfants handicapés moteurs et psychiques : " Ils n'ont pas encore fait le deuil du handicap de leurs enfants ".

Au dehors, le soleil lance ses rayons ardents et dans la deuxième cour gazonnée, un groupe d'enfants danse au son de la musique jouée dans une cour mitoyenne. " Ils adorent danser ", fait observer l'éducatrice spécialisée. Son regard s'arrête sur l'un des compagnons d'Abdoul, qui porte des lunettes correctrices en loupe. Il est le plus grand danseur du jour en dépit de son poids. Elle répond à son sourire par un sourire, avant de lancer après un long silence : " Les parents, d'ordinaire, payent les cours pour que leurs enfants deviennent un jour, médecins, professeurs, pilotes, etc. Ici, les parents payent pour que leurs enfants apprennent à tenir une cuillère ".

André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr
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