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Économie Publié le vendredi 7 mai 2010 | Le Mandat

Main mise des multinationales sur la filière café-cacao -Les producteurs à Gbagbo : « Tu nous as trahi »

Le divorce entre producteurs ivoiriens de la filière cacao et le Chef de l’Etat semble être désormais consommé. Ils estiment que depuis 1999, rien n’a été fait pour eux, sinon le pillage et le vol organisés par les refondateurs qui ne cherchent qu’à vivre du pouvoir sans rien laisser aux autres. Pis, la filière est en train de (s’elle ne l’est déjà) revenir aux mains des multinationales.

«Donnez-moi le pouvoir pour que je puisse vous le remettre », dixit le chef de l’Etat lorsqu’il sollicitait les suffrages des producteurs. Une fois à la tête du pays, ce slogan populaire de campagne a été rangé dans les tiroirs. En lieu et place du retour d’ascenseur, c’est un lot de désespoir qui est servi à ceux dont-on dit être à la base du succès du pays. La main mise des gros bonnets sur la filière serait la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase. Aggravant la crise de confiance qui existait déjà entre les producteurs de la filière cacao et le Chef d’Etat ivoirien. « Que penser de nos gouvernants qui accepteraient ainsi, sans remords, de nous livrer à la pauvreté et la mendicité! Parce qu`en vendant nos terres, l’on nous appauvrit par les prix non incitatifs, et démobilisés par une anarchie organisée de la commercialisation intérieure du cacao ayant pour conséquences la fuite de notre production au Burkina, au Mali et au Ghana, notre Pays risque la banqueroute! Car, jamais nous ne serons 1er producteur mondial de palmier à huile, d`hévéa, d`anacarde, de riz, de maïs, de tomate, d`igname, de manioc, d’ananas, de mangues, ou que sais-je encore », s’est interrogé récemment le président du Syndicat National des Producteurs Individuels de Café et de Cacao en Côte d`Ivoire (SNAPRICC-CI). Il ne sera jamais question pour eux d`accepter de fouler aux pieds ce que leurs parents leurs auraient légués à la sueur de leur front et dans le sang parfois... « L`histoire du Syndicat Agricole Africain nous interpelle en cette année du cinquantenaire de nos indépendances africaines fécondées par la lutte pour la liberté et la dignité », a-t-il demandé à ses pairs. Le premier acte de la première libéralisation, sans mesures d`accompagnement idoine, il faut le reconnaître, a contribué à vider les campagnes de la jeune relève paysanne, désœuvrée, désemparée, ne comprenant pas la misère que vivent leurs parents producteurs de cacao. Pour les spécialistes du secteur, tout serait parti de la fin des années 90, avec les injonctions de la Banque mondiale appelant la libéralisation du secteur café-cacao, afin de mieux maîtriser le circuit export.

L’échec d’une réforme

Créée en 1964, la Caisse de Stabilisation des Productions Agricoles de Côte d’Ivoire (CAIST AB) était l’instrument de l’Etat chargé de la supervision des opérations de commercialisation du café et du cacao. Il s’agissait d’une Société d’Etat autonome et indépendante. Ses principales missions étaient la régulation de prix des produits agricoles, la compensation entre les prix d’achat garantis aux producteurs et les prix de vente à l’exportation, et l’organisation et le contrôle de la commercialisation et du conditionnement des produits agricoles. Outre les velléités exprimées de libéraliser la filière café-cacao, la Caistab présentait des inconvénients qui ont finalement conduit à sa dissolution: bureaucratisation pesante, manque de transparence, principe de stabilisation peu opérationnel. Le nouveau dispositif doit répondre aux écueils enregistrés par la Caistab en termes de transparence, de réactivité aux fluctuations des marchés mondiaux, de coût et de souplesse de fonctionnement avec pour but de tendre, autant que faire ce peut vers une libéralisation raisonnée de la filière. Les incitations à la production sont maintenues par la garantie d’un prix minimum au producteur par période de 3mois (le prix «bord-champ ») à partir d’un CAF de référence, lui-même dépendant étroitement des cours mondiaux. Pour ce faire, le nouveau dispositif a introduit cinq nouvelles structures en remplacement de la Caistab: l’ARCC, Société d’Etat, créé en octobre 2000, chargée des aspects administratifs et du respect des règles de concurrence au sein de la filière; la BCC, organe privé de type particulier, créée en octobre 2001, chargée de la régulation commerciale de la filière; le FRC, organe privé de type particulier, créé en avril 2002, chargé de la régulation financière et de la gestion de la trésorerie de la filière; le FDPCC, organisme privé de conception corporative, chargé du financement des actions menées à l’initiative des producteurs; le FGCCC (Fonds de Garanties de Coopératives Café-Cacao), société anonyme, chargée d’octroyer des garanties aux coopératives qui empruntent auprès des banques. En dehors de l’Autorité de Régulation Café-Cacao (ARCC), mise en place sous la transition militaire, les quatre autres structures ont vu le jour avec l’arrivée du front populaire aux affaires. Ainsi, à part la BCC et le FDPCC contrôlés exclusivement par des cadres de l’ancien régime (Pdci), les trois grosses structures de la filière à savoir le FRC, l’ARCC et le FGCCC sont gérés par ceux issus de l’actuel parti au pouvoir (FPI). Messieurs Placide Zoungrana, président de l’ARCC est également le secrétaire général du FPI chargé de l’Agriculture et directeur de campagne du président Gbagbo à Toumodi ; Mme Kili et M. Kouakou Firmin sont les deux patrons du FRC ; Le dernier est également le directeur de campagne du président Gbagbo à Bouaflé et enfin monsieur Bayou Jean Claude, l’homme fort du FGCCC est bien un militant très actif dans le parti d’Affi. Bien d’autres cadres du FPI gèrent à d’autres échelles les fonds générés par le secteur, fleuron de l’économie ivoirienne. Au sommet, les plus importants portefeuilles ministériels sont aux mains du pouvoir FPI. Ainsi MM. Affi Nguessan, actuel président du parti, Alphonse Douati et Paul Antoine Bohoun Bouabré, deux caciques du parti de gauche se taillèrent la part du lion au moment de la restructuration de la filière comme Premier ministre, Ministre de l’Agriculture et Ministre de l’Economie et des Finances. C’est bien ce trio qui formait l’épine dorsale du comité inter ministériel (crée par Décret présidentiel) qui avait en charge, la sécurisation des fonds issus des différentes redevances des structures de la filière et logés à la BCEAO. Ce comité avait plein pouvoir de décision pour engager l’Etat de Côte d’Ivoire y compris les paiements des dépenses afférentes à la réforme. « Toutes les décisions de paiement se prennent en Comité Interministériel, dès lors, le Ministre de l’Agriculture et le Ministre de l’Economie et des Finances émettent un ordre de paiement à partir du compte logé à la BECEAO vers le compte bancaire de la Structure de la filière concernée par le paiement ; Le Ministre de l’Agriculture informe la Structure de la filière sous tutelle des décisions du Comité Interministériel, notamment en ce qui concerne les dépenses à effectuer » stipule le décret portant création du comité inter ministériel. La mise en place cette réforme, répondait clairement aux attentes des paysans à qui, il a été promis de redonner le pouvoir. « Donnez-moi le pouvoir et je vous le rendrez ». Une promesse réitérée dans un discours solennel lors de la signature de la Convention de prêt entre la Banque Sud-Africaine (ABSA), la Caisse Autonome d’Amortissement (CAA) et la Société Coopérative Agro-industrielle d’Oumé (SOCATENF), le 10 Novembre 2001. « Nous voulons vous rendre le pain qui vous a été arraché » avait dit le président Gbagbo avant d’avertir : « celui qui s’amuse à détourner cet argent, je serai sauvage avec lui, il n’y aura ni grâce, ni amnistie pour lui ». Les cadres du parti et en particulier ceux qui avaient la lourde responsabilité de gérer cet autre volet du programme de société du Front populaire Ivoirien, avaient-ils bien saisi le message de leur chef ? Car plus qu’un slogan de campagne, la réforme de la filière café-cacao se devait d’avoir un contenu : Sa gestion. Et le président Gbagbo pensait bien trouver des génies au sein de sa formation politique pour l’aider à tenir toutes ses promesses. Mais hélas. Comme Seul au Monde, Gbagbo est aujourd’hui contraint de nager à vue. En procédant à la mise sur pied de certaines structures de régulation et de contrôle, le chef de l’Etat croyait bien fait pour les producteurs. Au finish, ces derniers se sont rendu compte qu’ils ont tout simplement été roulés dans la farine. Parce que ces dites structures de régulation et de contrôle n’étaient que des caisses noires pour financer les activités des frontistes. Face aux nombreux cas de détournements révélés ça et là, il faut sauver les meubles. Survient l’arrestation, en septembre 2008, d’une vingtaine de personnes impliquées dans la gestion du secteur. Etait-elle un coup de bluff ou le début d’une réforme en profondeur ? Serait-ce le procès des innocents aux mains pleines ? Sont-ils les seuls, sinon où sont les autres ? Comment la libéralisation d’un secteur aussi vital, exportateur de 1,2 million de tonnes par an, a-t-elle pu dériver à ce point ? Aussi, l’exportation des « poids théoriques » des ports d’Abidjan et San Pedro serait entre autre la raison d’un manque à gagner de 200 à 300 milliards FCFA par an. A qui profite ce gouffre financier ? Les politiciens, les juges et la police économique fouinent, chacun de leur côté, à la recherche d’indices. Plongée dans le conflit.

La main mise des multinationales

Tout Etat, désireux de se développer en comptant sur ses propres ressources, doit veiller à l’exactitude de ses pesées. Si les produits ne sont pas correctement pesés, les niveaux de production, et donc les revenus attendus, sont faussés. Les autorités avaient très tôt pris la mesure de cet enjeu et avaient engagé des actions pour restaurer la traçabilité dans ce secteur stratégique de l’économie ivoirienne. L’objectif était de reconstruire le système intérieur, d’assurer la traçabilité tout le long de la chaîne de commercialisation et, surtout, de sécuriser les recettes publiques (DUS en particulier, soit 220 FCFA/kg), tout en fiabilisant les statistiques du commerce extérieur. Malheureusement, l’essentiel n’a jamais été réalisé : on est surpris de voir cette recette principale toujours sous la gestion des sociétés privées. En effet, le DUS est toujours perçu par les transitaires et non par l’Etat... Ainsi, les principaux transitaires du pays, notamment le groupe Bolloré et le groupe Billon, contrôlent 90% des volumes transités et, par conséquent, des ressources publiques du secteur économique numéro un de la Côte d’Ivoire. Ces 250 milliards FCFA représentent-ils un crédit très généreux pour la trésorerie de ces prestataires ? On dirait bien. A l’analyse, la vraie cause du fiasco constaté provient moins de la Banque mondiale que des difficultés et des intrigues internes rencontrées dans l’instauration de la traçabilité et de la transparence dans ce secteur économique le plus important du pays. L’aboutissement ultime de ces manœuvres a été, sans aucun doute, d’abandonner cette mission de traçabilité et de pesage à la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire (CCI-CI). Paradoxalement, de toutes les taxes instaurées dans ce secteur, le DUS est la seule qui ne soit pas perçue par l’Etat. Ainsi, l’Etat se trouve en incapacité d’entreprendre une prévision budgétaire sur ses rentrées fiscales tirées du café et du cacao, et dépend de quelques opérateurs économiques qui contrôlent une part majeure de ses recettes. Pourquoi cette situation ? Pour les initiés du secteur, la délégation de la pesée et de la traçabilité, notifiée par le décret du 31 octobre 2001, à la Chambre de commerce était une erreur monumentale, compte tenu de l’implication des multinationales et des principaux acteurs dans cette structure. La CCI-CI regroupe, en effet, l’ensemble des acteurs censés être contrôlés dans le cadre de sa mission de traçabilité et de pesage, notamment les plus grandes sociétés exportatrices du secteur café-cacao, les transformateurs, les armateurs, les transitaires, etc. Cette haute instance, présidée par Jean-Louis Billon (lui-même à la tête du 2ème plus grand groupe de transit dans le secteur), dont nos nombreuses tentatives de prise de contact sont restées vaines à ce jour, est à la fois juge et partie. D’aucuns se demandent, dans ces conditions, s’il était vraiment de l’intérêt de ces éminents membres d’instaurer une réelle traçabilité sur toute la filière et de céder l’encaissement des DUS à la douane plutôt qu’aux transitaires. On peut comprendre les inquiétudes des producteurs. Avec le retour de ces multinationales, ils ne peuvent que se sentir trahis. Parce que la filière leur a définitivement échappée.

Jules César
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