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Société Publié le mercredi 2 juin 2010 | Nord-Sud

Education / Denguélé : Le déficit d’enseignants menace les résultats scolaires

Le déficit d’enseignants est le dénominateur commun des établissements scolaires de la région du Denguélé. Les mesures prises pour pallier cette situation ne se sont pas déroulées sans heurt durant cette année scolaire.

«Nous avons commencé l’année scolaire 2009-2010 avec un déficit de 42 professeurs pour quarante salles de classes au total. Surtout en enseignants de français. Dans cette discipline, nous avons seulement trois professeurs, alors que le besoin s’élève à 12», révèle M. Cissé Youssouf, proviseur du Lycée moderne d’Odienné. A l’approche de la fin de l’année scolaire, nous lui avons rendu visite récemment pour avoir une idée de la situation. Dans cet établissement, situé à l’entrée Sud de la cité du Kabadougou et séparée de l’usine de transformation d’anacarde, SITA par l’artère principale, les espoirs sont minces. La vaste cour de l’école dont un côté est broussailleux brave les efforts des deux manœuvres (ils jouent également le rôle de gardiens des lieux).

5000F par élève pour les heures sup

Tandis que de l’autre côté, les élèves sont à la tâche. «Notre Lycée, pour être mieux entretenu, révèle M. Cissé, a besoin de huit manœuvres». Composé de plusieurs bâtiments de deux niveaux, l’établissement présente une clôture fortement dégradée par endroits. Seuls des piliers en bétons témoignent qu’autrefois, un mur en briques clôturait l’édifice. Les élèves, y compris les professeurs, n’hésitent pas à ignorer la voie officielle d’entrée, pour emprunter des raccourcis qu’offre l’inexistence de la clôture. Ce jour-là, Mlle Soro Sognon, élève en classe de 1ière D, le visage renfrogné, signalait à son éducateur, M. Bakayoko, le vol de son vélo. «Chaque semaine, on nous signale un vol de vélo dans cet établissement», regrette l’éducateur. Là encore, les deux gardiens censés veiller au grain, sont impuissants du fait non seulement de la porosité du local, mais aussi parce qu’ils ont à faire le travail d’au moins quatre personnes chacun. Ainsi, des personnes indélicates réussissent à s’infiltrer dans cette vaste cour pour poser des actes malhonnêtes. Mais, par des sus toué, insiste M. Cissé, ce qui pourrait surtout constituer une menace pour les résultats de fin d’année, c’est le problème lié au manque de personnel. En plus du manque criant d’enseignants, M. Cissé se plaint qu’un établissement de la dimension de son lycée ne compte que deux animateurs pédagogiques régionaux. «Il n’y a qu’un seul censeur ! Nous n’avons aucun conseiller d’éducation», déplore-t-il en précisant que le Lycée compte deux-mille-deux-cent-quarante-et- un élèves (2241).
Au collège moderne d’Odienné (Cmo), même son de cloche. Seulement vingt enseignants se partagent, cette année, les mille-six-cent-quinze élèves que compte l’établissement. «Nous avons commencé la rentrée avec 15 enseignants et les cinq autres sont venus en janvier, soit avec près de quatre mois de retard», souligne M. Konan Edouard, principal du collège qui en est à sa première année à ce poste. Pour sauver cette situation, le recours aux enseignants volontaires (vacataires) s’est imposé. Ainsi, au Lycée Moderne, ils sont au nombre de seize (16) à prêter main forte aux «titulaires». Au Cmo, ce sont onze enseignants vacataires qui interviennent pour sauver les meubles. Et tous ces enseignants sont à la charge des conseillers des comités de gestion des établissements scolaires (Coges).
Aussi, des heures supplémentaires ont-elles été négociées avec les enseignants, moyennant la somme de mille francs par heure. Somme que le Coges mobilise en faisant payer à chaque élève la somme de 5 mille francs Cfa. Le vendredi 12 mars, les élèves se sont révoltés contre cette dîme, prétextant que le Premier ministre aurait, lors de son séjour dans la cité du Kabadougou en fin d’année dernière (2009), soldé totalement ces heures supplémentaires. Au cours de cette grève, un professeur du Cmo a essuyé des jets de pierre. Par solidarité, tous les autres professeurs des établissements secondaires de la région ont décrété le lundi 15 mars un arrêt des cours.

Des programmes presque jamais achevés

«Tant que les élèves ne viennent pas nous voir pour nous expliquer la raison pour laquelle ils s’en prennent à nous, nous allons rester à la maison», fulminait M. Touré Mamadou, secrétaire général du Syndicat des enseignants du secondaire de Côte d’Ivoire (Synesci). Cette grève des professeurs durera près d’une semaine avant que des négociations permettent la reprise des cours. La rumeur du paiement de l’intégralité des heures supplémentaires par le Premier ministre sera balayée par le directeur régional de l’éducation nationale, M. Barro Mamadou. Pour lui, les heures supplémentaires sont considérées par les enseignants comme un sacrifice qu’ils consentent au profit des enfants «démunis pédagogiquement». « Nous devons enseigner 18 heures par semaine. Mais, figurez-vous qu’avec les heures supplémentaires, j’ai 25 heures au total par semaine, certains de mes collègues atteignent les trente heures de travail ! Malgré tous ces efforts, des personnes pensent qu’on gagne gros. Mille francs l’heure, c’est dérisoire. Nous faisons des efforts pour ces enfants», soutient un enseignant du lycée moderne. Qui menace de renoncer à octroyer ces heures supplémentaires de cours l’année prochaine. Car, dit-il, rien ne peut l’y contraindre.
Dans une telle situation, les professeurs ont du mal à finir les programmes avec les élèves. «Il n’est pas facile pour les professeurs d’achever les programmes. Nous leur demandons surtout de miser sur les classes d’examen. Et ils font l’effort de satisfaire cette doléance», explique le proviseur du lycée moderne. Sur la question de savoir pourquoi ne pas faire de même avec les élèves des classes intermédiaires, les enseignants répondent tous que cela est difficilement possible. Ils disent ne pas pouvoir retenir les élèves après l’arrêt des notes. «Vous constaterez que les classes intermédiaires ont commencé à se vider depuis le 14 mai, date de l’arrêt des notes. Seuls ceux qui sont en classe d’examen et qui sont sous la pression morale de ces épreuves, se sentent obligés de suivre les cours jusqu’à leur terme», explique M. Konan, principal du Cmo. Elève en classe de 6ième au lycée moderne, B. I. a 13 ans. Il fait partie des nombreux élèves en classes intermédiaires qui tentent de justifier leur propension à mettre fin prématurément à l’année scolaire même si les programmes ne sont pas achévés. «Je viens de Lenguenzo, village situé dans la sous-préfecture de Bako. Les notes sont arrêtés, donc j’attends juste le calcul des moyennes pour retourner au village». D. D. lui est en 5ème au Cmo. Il dit être prêt à regagner Goulia, son village natal dès la fin des calculs de moyennes dans toutes les disciplines. «Vous savez, la plupart sont sous la responsabilité de tuteurs. Et, souvent, les conditions de vie chez ces tuteurs laissent à désirer. Donc les élèves, quand ils ne sont pas en classe d’examens, leurs parents les pressent de retourner au village afin de permettre au tuteur de souffler un peu avant la nouvelle année scolaire», éclaircit Mlle B, élèves en classe de Première au Lycée moderne. Le non-achèvement des programmes est aussi expliqué par le retard de la rentrée des classes. «Les cours ont effectivement commencé fin octobre au lieu du 14 septembre comme prévu. Et du fait du manque d’enseignants, les cours dans bien de disciplines ont commencé avec un retard de plus d’un mois», soutient le chef du Cmo. Pour la rentrée prochaine, M. Konan entend innover pour rendre effective la rentrée en septembre prochain. Soit au jour j qui sera fixé par l’Etat. « Il annonce que, cette année, les bulletins des élèves seront accompagnés d’une note circulaire avertissant les parents d’élèves de l’effectivité de la rentrée en septembre. Nous allons prendre des mesures énergiques pour corriger cette situation de retard», rassure-t-il. Pour M. Konan, pas de doute. Les échecs aux examens trouvent leur source dans l’inachèvement des programmes. «Les élèves accumulent des lacunes et cela leur est préjudiciable aux examens», conclut-il.

Etablissements privés cherchent élèves

Au sein des deux établissements privés qui ont ouvert leurs portes dans le Denguélé, c’est plutôt la chute des effectifs qui inquiète les responsables des lieux. Au Groupe scolaire Mamadou Coulibaly, Le directeur des études, M. Dégbégnon, révèle que son établissement ne dispose actuellement que de 308 élèves. «En 2002, nous avions 1050 élèves», se souvient-il. Une saignée qu’il explique par l’avènement de la crise qui a fait fuir les fonctionnaires. «La majorité de nos élèves, commente-t-il, étaient issus des familles de ces fonctionnaires». Le directeur du plus grand établissement privé du Denguélé (Gsmc) ne cache pas son inquiétude face à un autre phénomène qu’il dit ne pas comprendre. «Certains de nos élèves dans des classes intermédiaires se retrouvent dans les établissements publics», observe-t-il. «Nous pouvons nous réjouir que nos élèves, après leur succès aux examens, se retrouvent affectés dans des établissement publics. Mais quand nous recevons des élèves pour la plupart d’un niveau très bas, et que nous tavaillons à relever ce niveau, nous souhaitons aller avec ces élèves jusqu’aux classes d’examens. Parce que, nous aussi, nous avons besoin de palmarès. Mais quand, sans avoir terminé le cycle en cours chez nous, on retrouve ces élèves dans le public, cela nous donne le sentiment que nos efforts ne sont pas récompensés», gémit le directeur des études du Gsmc. Il révèle qu’une fois sortis ainsi de leurs mailles, le recouvrement des scolarités que ces élèves restent devoir à leur établissement devient hypothétique. «La scolarité des classes 6ème, 2nd et de Tle coûte respectivement 35 mille F, 65 mille F et 85 mille F contre 75 mille F, 95 mille F et 120 mille Fcfa avant la crise. Malgré ces réductions, les parents ont du mal à solder ces dûs que nous échelonnons pourtant sur toute l’année scolaire», explique M. Dégbégnon. Avant de relever que cela lui cause d’énormes problèmes. Notamment dans les payements réguliers des salaires des enseignants et les charges de l’établissement. Concernant le nombre d’enseignants, le responsable du groupe scolaire le trouve acceptable. «En plus de nos enseignants permanents, nous faisons recours aux vacataires», indique-t-il.

Le délestage : un blocage

Au delà des problèmes internes aux établissements du Denguélé, d’autres facteurs extérieurs ont constitué une entrave au bon déroulement des cours cette année. Les délestages tiennent le peloton de tête de ces facteurs nuisibles. En effet, avec les coupures intempestives de courant, les élèves ont beaucoup de mal à étudier. Les professeurs, quant à eux, ont eu à reporter des devoirs faute d’énergie pour le tirage des copies. En dépit de ces difficultés dont ont souffert les établissements scolaires de la région, le directeur régional de l’éducation nationale, M. Barro Mamadou ne s’alarme pas. Se voulant très positif face à ce sombre tableau, il espère que les résultats aux examens qui se tiendront dans les semaines à venir, seront acceptables, comparativement à ceux de l’année écoulée. «Nous travaillons à résorber le déficit d’enseignants qui est notre véritable problème. Mais, avec le travail de ceux qui sont-là, nous espérons faire mieux», soutient M. Barro. Tous les chefs d’établissements, à l’instar du Dren, sont optimistes quant aux résultats des examens à venir. Ils entendent «couver» au mieux ces classes d’examens pour corriger le tir après le constat des résultats «mauvais dans l’ensemble» aux examens blancs.


Ténin Bè Ousmane à Odienné
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