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Politique Publié le lundi 21 juin 2010 | L’expression

Affaire 2/3 des places au concours de police réservées au Fpi - Désiré Tagro peut-il être poursuivi ?

© L’expression Par DR
Gouvernement ivoirien - Désiré Tagro, ministre de l`Intérieur
La Mouvance parlementaire pour la réconciliation et la paix regroupant les groupes parlementaires Pdci, Udpci et Solidarité a décidé d’ouvrir une enquête parlementaire à l’encontre du ministre de l’Intérieur et a également demandé sa démission et sa comparution devant les juridictions compétentes. En tant que ministre de la République, Désiré Tagro peut-il être poursuivi ?Un spécialiste des questions de droit passe au scanner les différents cas de figure dans lesquels le premier flic du pays peut comparaître devant la justice.

La responsabilité politique et pénale des membres du gouvernement.

Le combat fratricide entre le président Mamadou Koulibaly et le ministre Désiré Tagro a gagné en intensité politique avec la publication de la déclaration de la Mouvance parlementaire pour la réconciliation et la paix, le vendredi 18 juin. Au-delà des considérations partisanes et des positionnements idéologiques, du reste politiquement corrects, la déclaration suscitée a le mérite de poser la massive interrogation de la responsabilité politique et pénale des ministres. Conséquence imparable de la nature présidentielle du régime politique ivoirien, le Premier ministre et les ministres, au regard de l’art 41 de la Constitution, sont politiquement responsables devant le seul président de la République.

De ce qui précède, quelle est la portée politique et judicaire de l’enquête parlementaire souhaitée par les groupes parlementaires Pdci-Rda, Updci, Solidarité ?

Paradoxe heureux, notre système présidentiel consacre la collaboration entre les pouvoirs exécutif et législatif, conformément aux articles 57, 82, 83 de la loi fondamentale. Les deux derniers articles donnent compétence aux députés d’exercer un véritable contrôle sur l’action gouvernementale. Les ministres sont entendus à la demande des Commissions parlementaires. Le hic est que le gouvernement, politiquement, n’est pas responsable devant le Parlement. Aucune motion de censure, encore moins une question de confiance ne peuvent être votée par les députés pour contraindre le gouvernement à rendre le tablier ou obliger un de ses membres à la démission.
Cependant, si l’enquête parlementaire aboutit à une culpabilisation du ministre, il en sort politiquement affaibli. L’éthique politique peut inciter le Premier ministre à présenter sa révocation au président de la République. Ce dernier ne peut que faire droit à cette demande, d’autant plus que, lors de son serment d’investiture, il a juré urbi et orbi de faire respecter la Constitution en toute circonstance (art 39 de la Constitution). Or justement, l’article 17 de la norme des normes dispose que tout citoyen investi d’un mandat public ou chargé d’un emploi public ou d’une mission de service public, a le devoir de l’accomplir avec conscience, loyauté et probité. Si par extraordinaire les accusations de M. Koulibaly étaient avérées, nous serions dans une telle hypothèse. Par ailleurs, le ministre mis en cause, pour sauver son honneur et gagner la bataille de l’émotion, peut in limine litis, présenter sa démission à sa hiérarchie.

Au pénal, le régime de la responsabilité repose sur la distinction des actes extérieurs à la fonction de ceux commis dans l’exercice de la fonction.

Dans le premier cas de figure, les juridictions de droit commun sont compétentes pour statuer sur les infractions commises par le ministre en tant que personne privée. Ce peut être le cas d’un ministre pyromane, ou, attentant à la vie de sa petite amie lors d’une scène de rupture. Il en est de même pour les actes accomplis au titre de leurs mandats locaux, il y a alors dédoublement fonctionnel (à la fois ministre et maire par exemple), il appartient au juge judiciaire d’apprécier au titre de laquelle des deux fonctions les actes critiqués ont été commis. Les réunions électorales sont propices à la condamnation, par une juridiction de droit commun, pour diffamation à l’égard d’un adversaire politique. Dans ce cas, le ministre agit en citoyen ou en militant.

A l’inverse, lorsque l’acte incriminé est accompli dans l’exercice de sa fonction, seule la Haute Cour de Justice est compétente pour juger le ministre mis en cause. Seulement à deux conditions conformément aux articles 110 et 111 de la loi fondamentale.

Primo, il faut que les faits soient qualifiés de crimes ou de délits. Selon l’art 3 du Code pénal, l’infraction est qualifiée de crime si elle est passible, soit de la peine de mort(interdite par l’art 2 in fine de la Constitution), soit d’une peine privative de liberté perpétuelle ou supérieure à dix ans ; de délit, si elle est passible d’une peine privative de liberté supérieure à deux mois et inferieure à dix ans ou d’une amende supérieure à 360.000 Fcfa.
La qualification juridique des faits reprochés à monsieur le ministre relève de la seule compétence du juge de la Haute cour de justice. S’agit-il d’un abus d’autorité ? D’un avantage illégitime ? D’un trafic d’influence ? D’un acte de corruption ? D’un excès de pouvoir ? Dans tous les cas de figure, toutes ces infractions sont des délits conformément aux articles 231 à 242 du Code pénal.

Secundo, selon l’article 111 de la Constitution, la mise en accusation des membres du gouvernement est votée au scrutin secret, par l’Assemblée nationale à la majorité absolue.

De ce qui précède, l’enquête parlementaire a une portée politique redoutable. Si les faits font peser de graves soupçons sur le ministre, une mise en accusation serait plausible. Les groupes parlementaires Pdci, Udpci et Solidarité doivent alors réunir 114 voix sur 225. Cependant, un problème demeure. La Haute cour de justice reste une fiction juridique. Elle n’est encore constituée. Peut-elle l’être à l’occasion ? L’article 108 de la Constitution dispose que la Haute cour de justice est composée de députés que l’Assemblée nationale élit en son sein, dès la première session de la législature. Elle est présidée par le président de la Cour de cassation. Une interprétation stricte de la Constitution oblige au scepticisme.


Geoffroy Julien Kouao
Juriste-politiste
Julien.kouao@ yaoo.fr
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