Alors qu'à Abidjan et dans de nombreuses villes du pays, la consommation des produits à base de manioc demeure forte, les producteurs de cette denrée tirent paradoxalement le diable par la queue dans le Sud-Comoé. Notre reportage.
Mercredi 30 juin, 13h, nous sommes à Médina, village situé à environ 11 km de la commune de Bonoua. Le champ de manioc de Tindoré Ousmane qui s'étend à l'horizon est pris d'assaut par de hautes herbes. Ce cultivateur, la quarantaine environ, s'est vêtu d'un tee-shirt de couleur jaune tachetée assorti d'un pantalon en tissu grossier, le corps ruisselant de sueur, est au labour. A l'aide d'une machette, il tente de venir à bout de ces pousses exubérantes et nocives. En attendant la période de la pulvérisation de ses plants qui n'est plus loin, le désherbage est la principale occupation des producteurs de ces arbustes vivaces de la famille des euphorbiacées, originaire d'Amérique du Sud qu'est le manioc. Autrefois, Tindoré Ousmane a été planteur d'ananas.
Hier, déçus par l'ananas…
C'est pour fuir le martyre que subissaient les planteurs de ce fruit qu'il s'est converti au manioc. Mais, aujourd'hui, les espoirs qu'il a placés en cette culture sont devenus maigres pour diverses raisons. A ce propos nous essayons de lui soutirer quelques mots. Il accepte de se confier, comme pour se «vider» voire se décharger d'un fardeau. Le quadragénaire commence par révéler que, dès le départ, il a choisi de se spécialiser dans la culture du manioc blanc, appelé communément «Yacé». Cette variété est très répandue dans la zone de Bonoua. Sa transformation permet d'obtenir le placali, le gari, le bèdèkouman (mets beaucoup prisé par les Abouré). Avec sa plantation d'un hectare, Tindoré explique qu'il n'arrive plus à joindre les deux bouts. Comme lui, soutient-il, tous les producteurs de manioc se sont appauvris. Cette année, pleure-t-il, les productions un ralentissement important. «L'appauvrissement des sols a fait chuter ma production. Pourtant, j'avais placé tout mon espoir , cette année, en cette culture. En avril, lorsque j'ai terminé la récolte, j'ai été surpris de constater que j'ai juste réussi à faire le plein de deux bâchées. C'est la moisson la plus maigre que j'ai jamais eue. Alors qu'avant, je pouvais atteindre la dizaine de bâchées», se désole-t-il. Son amertume se fait plus compréhensible lorsque l'homme révèle que la terre qu'il a cultivée est en sous-location et qu'il a dû débourser beaucoup de fonds pour l'entretien. Son souci aujourd'hui : Où trouver les moyens pour payer la sous-location de cette année et faire face à de nouveaux investissements ?
Moustapha Traoré est aussi planteur de manioc blanc à Assé, village situé à 12 km de Bonoua. Lui dispose d'un champ de 2 hectares. Ancienne victime de déboires des petits planteurs d'ananas, il avait cru trouver un meilleur devenir grâce au palmier à huile, dont il possède également une plantation, mais surtout grâce au manioc qui lui a donné de bons résultats tout au début. Il s'était essayé au manioc rouge. Mais là, le taux d'échec à la récolte est élevé.
En fait, le manioc rouge est une variété très contraignante. «Il faut attendre au moins 14 mois avant de le récolter. Il faut également mettre un accent particulier sur l'entretien. Lorsqu'il est envahi de touffes d'herbes, il ne donne plus grand chose. Bien plus, nos terres sont devenues très pauvres pour cette culture»,
… aujourd'hui doublement déçus
souligne Moustapha Traoré. Ce qui n'est pas le cas du manioc blanc, moins contraignant et qui jouit d'une forte demande sur les marchés. Notre interlocuteur explique qu'il n'éprouve aucune difficulté dans l'écoulement de sa production. La plupart de ses clients viennent d'Abidjan. Ce sont en général, des Haoussa (populations allogènes venues du Nigéria et du Niger). Ceux-ci se sont spécialisés, particulièrement à Abidjan, dans la vente du «garba», l'un des dérivés de l'attiéké (tiré du manioc). Toutefois, son inquiétude est aujourd'hui grande devant les problèmes qui assaillent la filière manioc, en amont. Outre l'appauvrissement des terres, il souligne d'autres facteurs qui viennent assommer la production. Il s'agit des difficultés d'accès au foncier. Les allogènes éprouvent des difficultés à sous-louer des terres cultivables. Les raisons, dira-t-il, c'est que les autochtones privilégient les cultures pérennes jugées plus rentables. Les propriétaires terriens, dans leur grande majorité, révèle Moustapha, se sont simplement tournés vers l'hévéaculture et le palmier à huile estimant que là, les investissements sont plus prometteurs.
Tous refusent désormais de céder une portion de leur terre à la culture du manioc. Pour les parcelles déjà sous-louées, les prix varient, selon la qualité du sol, entre 40.000 Fcfa et 60.000Fcfa. A ces difficultés, il faut ajouter la spéculation abusive des «acheteurs véreux», charge Moustapha.
Pas de terres pour le manioc
«Sur 1ha à l'époque, on pouvait avoir 10 bâchées. Mais, aujourd'hui, on atteint à peine 5 bâchées, pour les plus chanceux. Nos sols deviennent très pauvres. Des acheteurs en profitent pour prendre le manioc à des prix bas. Cela est devenu leur habitude. Ils fixent eux-mêmes les prix entre 75.000FCfa et 80.000FCfa pour le chargement d'une bâchée. A prendre ou à laisser», se plaint l'ancien producteur d'ananas.
Il ajoute par ailleurs, que le producteur de manioc ne bénéficiant d'aucune subvention, il doit faire face au coût de l'entretien des cultures tout seul. «Il faut payer au moins 30.000Fcfa pour le nettoyage d'une parcelle avant le début de la culture. Il faut également trouver une main-d'œuvre journalière pour faire les buttes. Là aussi, il faut prévoir au moins une somme de 50.000 FCfa. Il y a aussi les herbicides à acheter pour l'entretien des plants. Pour 1ha, il faut au moins 5 litres d'herbicide à raison de 5.000 Fcfa le litre.
En un semestre, il faut avoir désherbé au moins deux fois à raison de 40.000 Fcfa chaque semestre. Soit 80.000 Fcfa l'an», gémit Moustapha. A ces lourdes charges, souligne-t-il, il faut additionner la main-d'œuvre qui se pose avec acuité. «Les manœuvres ont déserté les champs depuis le début de la crise», affirme Moustapha. Propos que Kéïta Yacou acquiesce de la tête. Ce dernier vit la même galère. Son champ s'étend sur 4ha. Ce jeune planteur se plaint plutôt des difficultés d'ordre structurel. Il déplore le fait que les cultivateurs opèrent en rang dispersé. Conséquence immédiate de ce choix : ils subissent le diktat des acheteurs. Cela contribue au final à effriter leur pouvoir d'achats. Kéïta souhaite la mise en place d'une organisation des producteurs appuyée par l'Etat pour sauver la filière «des mains des vautours».
Sawadogo Boukary, planteur de manioc à Medina depuis 9 ans est amer. Lui aussi se convainc que les paysans souffrent à cause du diktat des acheteurs. Notamment les pisteurs. A côté, il y a les grossistes Haoussa et les femmes venues de régions diverses du pays. «Avant la crise, souligne-t-il, les grossistes venaient vers les paysans pour acheter leurs produits. Aujourd'hui, les données ont changé. Les commandes se font désormais au téléphone. Des propriétaires de bâchées ont investi la filière. Ce sont eux les pisteurs. Ils fixent les prix contre le gré des paysans. Ils achètent nos produits autour 75.000F la bâchée et vont les revendre sur les marchés d'Abidjan à partir de 110.000FCfa voire plus. Cette situation n'est pas faite pour arranger les planteurs que nous sommes bien que nous exigeons le cash», avoue Sawadogo. Il rappelle que l'entretien d'un champ de manioc demande de lourds investissements. Contrairement aux autres producteurs rencontrés jusque-là, Sanou Moumouni s'est spécialisé dans la culture du manioc de foutou, communément appelé «Ehoulé».
Les pisteurs accusés
Cette variété s'adapte à tout type de sol. Moumouni ensache ses produits pour la vente. «Cela, soutient-il, rapporte plus que la vente par contenu d'une bâchée. Le prix d'un sac de manioc de foutou est fixé entre 4.000 et 5.000 Fcfa. Ici, il n'y a pas d'intermédiaires. C'est le paysan qui fixe le prix du manioc», se réjouit Moumouni conseillant à ses collègues de s'investir dans la vente au sac. Principaux mis en cause face aux déboires des paysans, nous avons approché les acheteurs (les pisteurs). Clamant leur innocence, ceux-ci jettent plutôt la pierre aux grossistes. Ils affirment que tous comme les paysans, eux aussi travaillent souvent à perte. «Les grossistes nous paient en monnaie de singe. Le manque-à-gagner s'évalue lourdement en notre sein», plaide Konaté Dodiomon, transporteur et propriétaire de 3 bachées. Il prend son exemple pour étayer ses dires. «Le samedi 26 juin, j'ai envoyé mon chauffeur à Koumassi chez l'une de mes clientes à qui nous avons livré du manioc blanc. Elle devrait me payer la somme de 110.000 Fcfa. Mais, la dame a soustrait 10.000Fcfa en prétextant que le manioc était de petite taille», raconte-t-il, amer.
Emmanuelle Kanga à Grand-Bassam
Mercredi 30 juin, 13h, nous sommes à Médina, village situé à environ 11 km de la commune de Bonoua. Le champ de manioc de Tindoré Ousmane qui s'étend à l'horizon est pris d'assaut par de hautes herbes. Ce cultivateur, la quarantaine environ, s'est vêtu d'un tee-shirt de couleur jaune tachetée assorti d'un pantalon en tissu grossier, le corps ruisselant de sueur, est au labour. A l'aide d'une machette, il tente de venir à bout de ces pousses exubérantes et nocives. En attendant la période de la pulvérisation de ses plants qui n'est plus loin, le désherbage est la principale occupation des producteurs de ces arbustes vivaces de la famille des euphorbiacées, originaire d'Amérique du Sud qu'est le manioc. Autrefois, Tindoré Ousmane a été planteur d'ananas.
Hier, déçus par l'ananas…
C'est pour fuir le martyre que subissaient les planteurs de ce fruit qu'il s'est converti au manioc. Mais, aujourd'hui, les espoirs qu'il a placés en cette culture sont devenus maigres pour diverses raisons. A ce propos nous essayons de lui soutirer quelques mots. Il accepte de se confier, comme pour se «vider» voire se décharger d'un fardeau. Le quadragénaire commence par révéler que, dès le départ, il a choisi de se spécialiser dans la culture du manioc blanc, appelé communément «Yacé». Cette variété est très répandue dans la zone de Bonoua. Sa transformation permet d'obtenir le placali, le gari, le bèdèkouman (mets beaucoup prisé par les Abouré). Avec sa plantation d'un hectare, Tindoré explique qu'il n'arrive plus à joindre les deux bouts. Comme lui, soutient-il, tous les producteurs de manioc se sont appauvris. Cette année, pleure-t-il, les productions un ralentissement important. «L'appauvrissement des sols a fait chuter ma production. Pourtant, j'avais placé tout mon espoir , cette année, en cette culture. En avril, lorsque j'ai terminé la récolte, j'ai été surpris de constater que j'ai juste réussi à faire le plein de deux bâchées. C'est la moisson la plus maigre que j'ai jamais eue. Alors qu'avant, je pouvais atteindre la dizaine de bâchées», se désole-t-il. Son amertume se fait plus compréhensible lorsque l'homme révèle que la terre qu'il a cultivée est en sous-location et qu'il a dû débourser beaucoup de fonds pour l'entretien. Son souci aujourd'hui : Où trouver les moyens pour payer la sous-location de cette année et faire face à de nouveaux investissements ?
Moustapha Traoré est aussi planteur de manioc blanc à Assé, village situé à 12 km de Bonoua. Lui dispose d'un champ de 2 hectares. Ancienne victime de déboires des petits planteurs d'ananas, il avait cru trouver un meilleur devenir grâce au palmier à huile, dont il possède également une plantation, mais surtout grâce au manioc qui lui a donné de bons résultats tout au début. Il s'était essayé au manioc rouge. Mais là, le taux d'échec à la récolte est élevé.
En fait, le manioc rouge est une variété très contraignante. «Il faut attendre au moins 14 mois avant de le récolter. Il faut également mettre un accent particulier sur l'entretien. Lorsqu'il est envahi de touffes d'herbes, il ne donne plus grand chose. Bien plus, nos terres sont devenues très pauvres pour cette culture»,
… aujourd'hui doublement déçus
souligne Moustapha Traoré. Ce qui n'est pas le cas du manioc blanc, moins contraignant et qui jouit d'une forte demande sur les marchés. Notre interlocuteur explique qu'il n'éprouve aucune difficulté dans l'écoulement de sa production. La plupart de ses clients viennent d'Abidjan. Ce sont en général, des Haoussa (populations allogènes venues du Nigéria et du Niger). Ceux-ci se sont spécialisés, particulièrement à Abidjan, dans la vente du «garba», l'un des dérivés de l'attiéké (tiré du manioc). Toutefois, son inquiétude est aujourd'hui grande devant les problèmes qui assaillent la filière manioc, en amont. Outre l'appauvrissement des terres, il souligne d'autres facteurs qui viennent assommer la production. Il s'agit des difficultés d'accès au foncier. Les allogènes éprouvent des difficultés à sous-louer des terres cultivables. Les raisons, dira-t-il, c'est que les autochtones privilégient les cultures pérennes jugées plus rentables. Les propriétaires terriens, dans leur grande majorité, révèle Moustapha, se sont simplement tournés vers l'hévéaculture et le palmier à huile estimant que là, les investissements sont plus prometteurs.
Tous refusent désormais de céder une portion de leur terre à la culture du manioc. Pour les parcelles déjà sous-louées, les prix varient, selon la qualité du sol, entre 40.000 Fcfa et 60.000Fcfa. A ces difficultés, il faut ajouter la spéculation abusive des «acheteurs véreux», charge Moustapha.
Pas de terres pour le manioc
«Sur 1ha à l'époque, on pouvait avoir 10 bâchées. Mais, aujourd'hui, on atteint à peine 5 bâchées, pour les plus chanceux. Nos sols deviennent très pauvres. Des acheteurs en profitent pour prendre le manioc à des prix bas. Cela est devenu leur habitude. Ils fixent eux-mêmes les prix entre 75.000FCfa et 80.000FCfa pour le chargement d'une bâchée. A prendre ou à laisser», se plaint l'ancien producteur d'ananas.
Il ajoute par ailleurs, que le producteur de manioc ne bénéficiant d'aucune subvention, il doit faire face au coût de l'entretien des cultures tout seul. «Il faut payer au moins 30.000Fcfa pour le nettoyage d'une parcelle avant le début de la culture. Il faut également trouver une main-d'œuvre journalière pour faire les buttes. Là aussi, il faut prévoir au moins une somme de 50.000 FCfa. Il y a aussi les herbicides à acheter pour l'entretien des plants. Pour 1ha, il faut au moins 5 litres d'herbicide à raison de 5.000 Fcfa le litre.
En un semestre, il faut avoir désherbé au moins deux fois à raison de 40.000 Fcfa chaque semestre. Soit 80.000 Fcfa l'an», gémit Moustapha. A ces lourdes charges, souligne-t-il, il faut additionner la main-d'œuvre qui se pose avec acuité. «Les manœuvres ont déserté les champs depuis le début de la crise», affirme Moustapha. Propos que Kéïta Yacou acquiesce de la tête. Ce dernier vit la même galère. Son champ s'étend sur 4ha. Ce jeune planteur se plaint plutôt des difficultés d'ordre structurel. Il déplore le fait que les cultivateurs opèrent en rang dispersé. Conséquence immédiate de ce choix : ils subissent le diktat des acheteurs. Cela contribue au final à effriter leur pouvoir d'achats. Kéïta souhaite la mise en place d'une organisation des producteurs appuyée par l'Etat pour sauver la filière «des mains des vautours».
Sawadogo Boukary, planteur de manioc à Medina depuis 9 ans est amer. Lui aussi se convainc que les paysans souffrent à cause du diktat des acheteurs. Notamment les pisteurs. A côté, il y a les grossistes Haoussa et les femmes venues de régions diverses du pays. «Avant la crise, souligne-t-il, les grossistes venaient vers les paysans pour acheter leurs produits. Aujourd'hui, les données ont changé. Les commandes se font désormais au téléphone. Des propriétaires de bâchées ont investi la filière. Ce sont eux les pisteurs. Ils fixent les prix contre le gré des paysans. Ils achètent nos produits autour 75.000F la bâchée et vont les revendre sur les marchés d'Abidjan à partir de 110.000FCfa voire plus. Cette situation n'est pas faite pour arranger les planteurs que nous sommes bien que nous exigeons le cash», avoue Sawadogo. Il rappelle que l'entretien d'un champ de manioc demande de lourds investissements. Contrairement aux autres producteurs rencontrés jusque-là, Sanou Moumouni s'est spécialisé dans la culture du manioc de foutou, communément appelé «Ehoulé».
Les pisteurs accusés
Cette variété s'adapte à tout type de sol. Moumouni ensache ses produits pour la vente. «Cela, soutient-il, rapporte plus que la vente par contenu d'une bâchée. Le prix d'un sac de manioc de foutou est fixé entre 4.000 et 5.000 Fcfa. Ici, il n'y a pas d'intermédiaires. C'est le paysan qui fixe le prix du manioc», se réjouit Moumouni conseillant à ses collègues de s'investir dans la vente au sac. Principaux mis en cause face aux déboires des paysans, nous avons approché les acheteurs (les pisteurs). Clamant leur innocence, ceux-ci jettent plutôt la pierre aux grossistes. Ils affirment que tous comme les paysans, eux aussi travaillent souvent à perte. «Les grossistes nous paient en monnaie de singe. Le manque-à-gagner s'évalue lourdement en notre sein», plaide Konaté Dodiomon, transporteur et propriétaire de 3 bachées. Il prend son exemple pour étayer ses dires. «Le samedi 26 juin, j'ai envoyé mon chauffeur à Koumassi chez l'une de mes clientes à qui nous avons livré du manioc blanc. Elle devrait me payer la somme de 110.000 Fcfa. Mais, la dame a soustrait 10.000Fcfa en prétextant que le manioc était de petite taille», raconte-t-il, amer.
Emmanuelle Kanga à Grand-Bassam