Relations Côte d’Ivoire-Burkina Faso, accord politique de Ouagadougou (Apo), flux migratoire des Burkinabé vers la Côte d’Ivoire, cinquantenaire de l’indépendance des pays africains francophones… Hermann Yaméogo livre sa part de vérité. Dans cette interview accordée à Notre Voie depuis Ouagadougou via le net, le président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (Undd), opposition burkinabé, parle en toute franchise.
Notre Voie : M. Hermann Yaméogo, vous êtes un ancien ministre burkinabé et, par ailleurs, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (Undd). Quel bilan faites-vous des 50 ans d’indépendance des pays africains au sud du Sahara ?
Hermann Yaméogo : Le bilan est loin d’être positif. Tout se passe rétroactivement comme si nous avions mangé notre blé en herbe, en ne sachant pas rebondir sur l’accession à l’indépendance, pour bâtir un développement partagé et durable. Pour autant, tout dans ce passé n’est pas à jeter.
En soi, l’indépendance, c’est d’abord le premier fait révolutionnaire dans nos pays francophones au sud du Sahara, en cela qu’elle porte sur des ruptures structurelles. La fin du lien colonial qui néantisait l’homme noir, la mise en place de nouvelles structures de gouvernance avec à leur tête des Africains, ce sont des évènements majeurs qui méritent d’être toujours célébrés en dépit de tout ; le plus important étant, à mon sens, à l’occasion de ces 50 ans, de faire un pèlerinage aux sources afin d’en revenir plus motivés à faire face à nos défis du présent et du futur.
N.V. : Que pensez-vous de la proposition du président français Nicolas Sarkozy d’inviter, le 14 juillet prochain, les chefs d’Etat africains et leurs armées en France afin de célébrer leur cinquantenaire ?
H.Y. : On ne peut pas contester à la France la volonté de célébrer le cinquantenaire. ça fait aussi partie de son histoire. Tout cependant est dans la philosophie qui guide cette célébration et dans sa mise en œuvre. Une célébration à charge et à décharge qui privilégie le transport des autorités françaises en Afrique comme le Roi des Belges l’a fait pour la Rdc aurait été plus indiqué. Le fait d’avoir invité, certains diront convoqué, des chefs d’Etat à Paris, accompagnés d’éléments de leurs armées, pour y célébrer ce cinquantenaire, donne la désagréable et même humiliante impression qu’ils y vont comme pour renouveler, selon cette pratique moyenâgeuse, leur serment d’allégeance à leur seigneur et suzerain.
C’est vous dire que je partage tout à fait la décision du Président Gbagbo de ne pas se rendre personnellement à Paris. C’est un symbole fort.
N.V. : Pour vous, l’action de la France a-t-elle été positive durant ces 50 dernières années ?
H.Y. : L’indépendance dans les pays d’expression française, contrairement à celle dans les pays anciennement colonisés par la Grande-Bretagne et le Portugal, a été plombée dès les signatures, en cela que l’ancien colonisateur a donné d’une main pour reprendre de l’autre. Accorder la souveraineté nationale et internationale à des Etats mais les garder dans les liens de dépendance militaire, économique, diplomatique et en définitive, politique, par des contrats léonins, empêchait la pleine jouissance de la liberté acquise. Finalement, le système colonial a continué sous d’autres formes, maintenant l’extraversion structurelle des économies africaines. De cela, le président Félix Houphouët-Boigny n’en était pas dupe, qui disait à l’occasion que sa génération a pu obtenir l’indépendance politique mais qu’il appartenait à celle à venir de conquérir l’indépendance économique. L’exemple de la Côte d’Ivoire, en lutte pour parachever l’œuvre des devanciers, illustre à perfection combien l’acquisition de cette indépendance est autrement plus ardue.
J’ai donc forcément un regard critique, vous le comprendrez, par rapport à l’action de la France ces 50 dernières années. Mais les relations internationales n’étant pas, on le sait, faites du lait de la conscience universelle, seule la lutte paie.
N.V. : En tant que homme politique burkinabé, comment expliquez-vous les problèmes du flux migratoire entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ?
H.Y. : Ces problèmes ont des sources historiques, économiques comme politiques.
Historiquement, le Burkina Faso, ancienne Haute-Volta, et territoire morcelé entre le Mali, le Niger et la Côte d’Ivoire, était dans la politique du colonisateur, considéré comme un vaste réservoir de main-d’œuvre pour les besoins de l’administration coloniale et surtout des planteurs. L’afflux de ressortissants des pays de l’Hinterland a constitué cette main-d’œuvre taillable et corvéable à merci qui a permis bien de grands travaux (chemin de fer, Port d’Abidjan…) et le développement des plantations. Mais cette émigration n’a pas tari, une fois l’indépendance acquise.
En Côte d’Ivoire, le président Félix Houphouët-Boigny a continué à ouvrir les bras de son pays à l’émigration, et nos autorités dans la Haute-Volta d’hier comme dans le Burkina Faso d’aujourd’hui se sont accommodées de cette émigration qui, au demeurant, était source pour le pays de transferts sans contrepartie très importants.
Dans l’un comme l’autre pays, il n’y a pas eu de politique de gestion des flux migratoires conséquente. Cette lacune a également été manifeste au niveau des organisations d’intégration, ce qui fait que la Côte d’Ivoire bénéficiant de plus de ressources, d’infrastructures et donc d’offres d’emploi, a été l’objet d’une émigration incontrôlée qui ne pouvait que déboucher sur des phénomènes de rejet avec le dépassement du seuil de tolérance et les tensions sur le marché du travail dues à la mévente du café-cacao.
N.V. : Ces problèmes étaient-ils prévisibles ? Quelle est la responsabilité de la France, pays colonisateur, qui est à l’ origine de la partition de la Haute et de la Basse Côte d’Ivoire (aujourd’hui Burkina Faso et Côte d’Ivoire) ?
H.Y. : Ces mêmes problèmes sont vécus par plusieurs pays. En Afrique par le Gabon, la Guinée équatoriale, l’Afrique du sud, etc., en dehors du continent par l’Europe et par l’Amérique.
Mais comme je le disais tantôt, la politique des flux migratoires sous la colonisation est responsable de cette situation, mais nos Etats comme nos organisations d’intégration ont aussi leur part de tort pour n’avoir pas su prévenir et gérer cette question.
La création de nombreux instruments financiers, de fonds structurels, qui ont permis à l’Europe d’intervenir selon une politique de discrimination positive en faveur des pays membres en retard de développement, a eu pour conséquence de promouvoir la croissance desdits pays et de réguler les mouvements de population. L’émigration en provenance du Portugal, d’Espagne, d’Italie vers la France, l’Allemagne et l’Angleterre a fortement diminué. Nos organisations d’intégration auraient pu prendre exemple sur cette réussite pour combattre l’émigration sauvage.
N.V. : Comment expliquez-vous qu’en dépit de la présence des organismes sous régionaux et régionaux, l’on n’arrive pas à juguler le phénomène migratoire ?
H.Y. : Nos organisations n’y arrivent pas parce qu’il n’y a pas de volonté de la part de nos dirigeants de consentir des transferts de compétences à des structures supranationales. C’est en définitive le même problème qui se pose dans tous les secteurs où les convergences devaient nous guider vers l’intégration économique et politique.
Si des politiques communes peinent à se réaliser véritablement en matière de transport, de santé, d’éducation, d’énergie…, comment y parvenir au niveau de la régulation des flux migratoires ? Sinon il est clair qu’avec la réorientation des priorités, l’impulsion donnée par les gouvernants, on peut changer les choses, encourager, par exemple, des joint-ventures, des investissements à haute intensité d’intégration, des pôles de développement… Autant de choses qui aideront à mieux maîtriser le phénomène.
N.V. : La question des Burkinabé en Côte d’Ivoire pose problème parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’exprimer leur droit de vote au Burkina Faso. Cela est aussi le cas en Côte d’Ivoire parce qu’ils sont des étrangers. Que préconisez-vous pour résoudre cette situation ?
H.Y. : Les Burkinabé sont comme assis entre deux chaises. Dans leur pays d’origine, on ne reconnaît pas pleinement leurs droits politiques. En Côte d’Ivoire, ils ne remplissent pas les conditions pour participer à la vie politique du pays. Autant de considérations qui les exposent à des instrumentalisations malheureuses préjudiciables aux relations entre nos deux pays et partant, à des accusations de vouloir prendre le contrôle politique de la Côte d’Ivoire.
Face à cette situation, nous ne cessons de demander à l’Undd de mettre réellement nos compatriotes vivant en Côte d’Ivoire en situation de participer à la vie politique de leur pays, le Burkina Faso. La reconnaissance du droit de vote, la création de sièges à pourvoir au niveau d’organes élus pour eux, celle d’une instance représentative comme il en existe dans nos régions, mais à statut particulier, un système d’encouragement aux entreprises détenues par des Burkinabé de Côte d’Ivoire désireux d’investir au pays sont autant d’actes qui peuvent aider à dissiper toutes ces appréhensions, ces frayeurs qui habitent nombre d’Ivoiriens.
N.V. : La question des étrangers dans les pays africains pose également des problèmes électoraux. Les résultats des élections sont contestés à cause de la présence supposée ou réelle de ressortissants d’autres pays sur la liste électorale. Comment faire pour sécuriser les élections en Afrique ?
H.Y. : Les étrangers utilisés comme bétail électoral, on sait que c’est une pratique fortement implantée dans la sous- région. Ce n’est pas étonnant que la Côte d’Ivoire en fasse l’amère expérience pour le scrutin à venir puisque dans le passé, elle a déjà vécu cela. Du reste, après la signature de l’Apo, nous n’avons cessé de mettre en garde contre la tentation pour certains de vouloir recourir à la déstabilisation électorale après avoir fait l’échec de celle militaire.
C’est bien pour les partis politiques, les associations, de dissuader les étrangers de se laisser enrôler dans des combats qui ne sont pas les leurs ; mais les Etats et les organisations d’intégration doivent se distinguer sur ce chantier.
Au Burkina Faso, Blaise Compaoré, en tant que chef d’Etat et Facilitateur, doit donner de la voix pour décourager tous ceux qui sont tentés par ces aventures. La CEDEAO, l’UEMOA, de leur côté, au lieu d’attendre à chaque fois que des élections mal organisées, fraudées, débouchent sur des troubles pour intervenir, doivent aussi, par des mesures appropriées et anticipatrices, décourager ces pratiques négatives. Sur ce plan, une politique de convergence est aussi nécessaire, car l’objectif d’intégration concerne aussi la démocratie, les Droits de l’homme… Le travail qui se fait en Côte d’Ivoire, à cet égard, n’a pas seulement ceci de particulier que l’on y voit un parti au pouvoir se battre pour la transparence quand la plupart des partis au pouvoir en Afrique s’y sont toujours refusés.
Ce travail est aussi important parce qu’il constitue une expertise incomparable qui pourra, demain, aider la cause de la démocratie partout en Afrique.
N.V. : Des voix s’élèvent ça et là pour affirmer que l’Accord de Ouagadougou, censé mettre fin à la crise en Côte d’Ivoire, a échoué. Faites-vous la même lecture de la situation ?
H.Y. : C’est un jugement excessif. C’est vrai que l’accord n’a pas encore permis, contrairement à ses stipulations, que les élections se déroulent dans le cadre d’un Etat reconstitué, réunifié, mais on ne doit pas en tirer argument pour oublier tous les acquis qui lui sont redevables.
Au lieu d’en faire l’autodafé encore et surtout qu’on n’a pas d’autre proposition raisonnable convaincante en remplacement, pourquoi ne pas s’activer à favoriser son exécution de bonne foi par les signataires bien sûr mais aussi par toute la communauté internationale qui s’en est portée garante ?
Tout se passe comme si des esprits chagrins et inconsolables devant la signature de l’APO s’échinaient à lui mettre les bâtons dans les roues pour son échec.
Si tel n’était pas le cas, l’accord connaîtrait un meilleur niveau d’exécution. La communauté internationale qui, depuis Linas-Marcoussis, a promis de financer la sortie de crise, le désarmement…, aurait été beaucoup plus réactive aux sollicitations des autorités ivoiriennes. De la même façon, le commerce frauduleux, le pillage des ressources ivoiriennes dans le nord du pays qui hypothèquent la reconstitution du territoire ivoirien dans ses attributs de souveraineté, conformément à l’Accord complémentaire IV, n’existeraient pas. La lassitude, on peut parfaitement la comprendre dans ces conditions, mais sans jamais aller jusqu’à signer l’arrêt de mort de l’Apo.
N.V. : Le Facilitateur de cet Accord, le président burkinabé Blaise Compaoré, a l’intention de se retirer à la fin de 2010. Il l’a confié à la télévision française France 24. Comment jugez-vous cette décision ?
H.Y. : Je me suis laissé convaincre que sa sortie sur France 24 était beaucoup plus destinée à mettre la pression pour inciter les uns et les autres à revenir aux fondamentaux de l’accord et non à préparer les esprits pour un jet d’éponge en cours.
Un tel retrait non seulement ne serait pas souhaitable pour son image personnelle, mais il serait surtout contre-performant pour nos deux peuples qui pourraient se retrouver plongés dans les crispations et oppositions consécutives aux évènements de 2002. Mais c’est peut-être là aussi qu’on veut en venir.
Alors sachons éviter le piège !
N.V. : Comment voyez-vous la coopération Burkina Faso-Côte d’Ivoire dans les années à venir. Comment comptez-vous apporter votre part à sa consolidation ?
H.Y. : Nous avons félicité, au niveau de notre parti, les bases de la coopération établie entre nos deux pays à la suite de la visite officielle de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire. Nous estimons que l’Accord politique de Ouagadougou, qui scelle la réconciliation entre les deux chefs d’Etat ivoirien et burkinabé, est la poutre maîtresse qui doit déboucher sur la mise en œuvre concrète de cette stratégie de coopération devant faire de nos deux pays la locomotive de l’intégration dans la sous région.
Comme nous avons dénoncé l’agression injuste dont la Côte d’Ivoire a été victime, lutté conséquemment pour une sortie de crise bénéficiant de l’implication du Burkina Faso, nous sommes d’ores et déjà mobilisés pour donner un contenu à la coopération qui se dessine entre les deux pays.
Interview réalisée par Didier Depry et Serge Armand Didi
sardidi@yahoo.fr
Notre Voie : M. Hermann Yaméogo, vous êtes un ancien ministre burkinabé et, par ailleurs, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (Undd). Quel bilan faites-vous des 50 ans d’indépendance des pays africains au sud du Sahara ?
Hermann Yaméogo : Le bilan est loin d’être positif. Tout se passe rétroactivement comme si nous avions mangé notre blé en herbe, en ne sachant pas rebondir sur l’accession à l’indépendance, pour bâtir un développement partagé et durable. Pour autant, tout dans ce passé n’est pas à jeter.
En soi, l’indépendance, c’est d’abord le premier fait révolutionnaire dans nos pays francophones au sud du Sahara, en cela qu’elle porte sur des ruptures structurelles. La fin du lien colonial qui néantisait l’homme noir, la mise en place de nouvelles structures de gouvernance avec à leur tête des Africains, ce sont des évènements majeurs qui méritent d’être toujours célébrés en dépit de tout ; le plus important étant, à mon sens, à l’occasion de ces 50 ans, de faire un pèlerinage aux sources afin d’en revenir plus motivés à faire face à nos défis du présent et du futur.
N.V. : Que pensez-vous de la proposition du président français Nicolas Sarkozy d’inviter, le 14 juillet prochain, les chefs d’Etat africains et leurs armées en France afin de célébrer leur cinquantenaire ?
H.Y. : On ne peut pas contester à la France la volonté de célébrer le cinquantenaire. ça fait aussi partie de son histoire. Tout cependant est dans la philosophie qui guide cette célébration et dans sa mise en œuvre. Une célébration à charge et à décharge qui privilégie le transport des autorités françaises en Afrique comme le Roi des Belges l’a fait pour la Rdc aurait été plus indiqué. Le fait d’avoir invité, certains diront convoqué, des chefs d’Etat à Paris, accompagnés d’éléments de leurs armées, pour y célébrer ce cinquantenaire, donne la désagréable et même humiliante impression qu’ils y vont comme pour renouveler, selon cette pratique moyenâgeuse, leur serment d’allégeance à leur seigneur et suzerain.
C’est vous dire que je partage tout à fait la décision du Président Gbagbo de ne pas se rendre personnellement à Paris. C’est un symbole fort.
N.V. : Pour vous, l’action de la France a-t-elle été positive durant ces 50 dernières années ?
H.Y. : L’indépendance dans les pays d’expression française, contrairement à celle dans les pays anciennement colonisés par la Grande-Bretagne et le Portugal, a été plombée dès les signatures, en cela que l’ancien colonisateur a donné d’une main pour reprendre de l’autre. Accorder la souveraineté nationale et internationale à des Etats mais les garder dans les liens de dépendance militaire, économique, diplomatique et en définitive, politique, par des contrats léonins, empêchait la pleine jouissance de la liberté acquise. Finalement, le système colonial a continué sous d’autres formes, maintenant l’extraversion structurelle des économies africaines. De cela, le président Félix Houphouët-Boigny n’en était pas dupe, qui disait à l’occasion que sa génération a pu obtenir l’indépendance politique mais qu’il appartenait à celle à venir de conquérir l’indépendance économique. L’exemple de la Côte d’Ivoire, en lutte pour parachever l’œuvre des devanciers, illustre à perfection combien l’acquisition de cette indépendance est autrement plus ardue.
J’ai donc forcément un regard critique, vous le comprendrez, par rapport à l’action de la France ces 50 dernières années. Mais les relations internationales n’étant pas, on le sait, faites du lait de la conscience universelle, seule la lutte paie.
N.V. : En tant que homme politique burkinabé, comment expliquez-vous les problèmes du flux migratoire entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ?
H.Y. : Ces problèmes ont des sources historiques, économiques comme politiques.
Historiquement, le Burkina Faso, ancienne Haute-Volta, et territoire morcelé entre le Mali, le Niger et la Côte d’Ivoire, était dans la politique du colonisateur, considéré comme un vaste réservoir de main-d’œuvre pour les besoins de l’administration coloniale et surtout des planteurs. L’afflux de ressortissants des pays de l’Hinterland a constitué cette main-d’œuvre taillable et corvéable à merci qui a permis bien de grands travaux (chemin de fer, Port d’Abidjan…) et le développement des plantations. Mais cette émigration n’a pas tari, une fois l’indépendance acquise.
En Côte d’Ivoire, le président Félix Houphouët-Boigny a continué à ouvrir les bras de son pays à l’émigration, et nos autorités dans la Haute-Volta d’hier comme dans le Burkina Faso d’aujourd’hui se sont accommodées de cette émigration qui, au demeurant, était source pour le pays de transferts sans contrepartie très importants.
Dans l’un comme l’autre pays, il n’y a pas eu de politique de gestion des flux migratoires conséquente. Cette lacune a également été manifeste au niveau des organisations d’intégration, ce qui fait que la Côte d’Ivoire bénéficiant de plus de ressources, d’infrastructures et donc d’offres d’emploi, a été l’objet d’une émigration incontrôlée qui ne pouvait que déboucher sur des phénomènes de rejet avec le dépassement du seuil de tolérance et les tensions sur le marché du travail dues à la mévente du café-cacao.
N.V. : Ces problèmes étaient-ils prévisibles ? Quelle est la responsabilité de la France, pays colonisateur, qui est à l’ origine de la partition de la Haute et de la Basse Côte d’Ivoire (aujourd’hui Burkina Faso et Côte d’Ivoire) ?
H.Y. : Ces mêmes problèmes sont vécus par plusieurs pays. En Afrique par le Gabon, la Guinée équatoriale, l’Afrique du sud, etc., en dehors du continent par l’Europe et par l’Amérique.
Mais comme je le disais tantôt, la politique des flux migratoires sous la colonisation est responsable de cette situation, mais nos Etats comme nos organisations d’intégration ont aussi leur part de tort pour n’avoir pas su prévenir et gérer cette question.
La création de nombreux instruments financiers, de fonds structurels, qui ont permis à l’Europe d’intervenir selon une politique de discrimination positive en faveur des pays membres en retard de développement, a eu pour conséquence de promouvoir la croissance desdits pays et de réguler les mouvements de population. L’émigration en provenance du Portugal, d’Espagne, d’Italie vers la France, l’Allemagne et l’Angleterre a fortement diminué. Nos organisations d’intégration auraient pu prendre exemple sur cette réussite pour combattre l’émigration sauvage.
N.V. : Comment expliquez-vous qu’en dépit de la présence des organismes sous régionaux et régionaux, l’on n’arrive pas à juguler le phénomène migratoire ?
H.Y. : Nos organisations n’y arrivent pas parce qu’il n’y a pas de volonté de la part de nos dirigeants de consentir des transferts de compétences à des structures supranationales. C’est en définitive le même problème qui se pose dans tous les secteurs où les convergences devaient nous guider vers l’intégration économique et politique.
Si des politiques communes peinent à se réaliser véritablement en matière de transport, de santé, d’éducation, d’énergie…, comment y parvenir au niveau de la régulation des flux migratoires ? Sinon il est clair qu’avec la réorientation des priorités, l’impulsion donnée par les gouvernants, on peut changer les choses, encourager, par exemple, des joint-ventures, des investissements à haute intensité d’intégration, des pôles de développement… Autant de choses qui aideront à mieux maîtriser le phénomène.
N.V. : La question des Burkinabé en Côte d’Ivoire pose problème parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’exprimer leur droit de vote au Burkina Faso. Cela est aussi le cas en Côte d’Ivoire parce qu’ils sont des étrangers. Que préconisez-vous pour résoudre cette situation ?
H.Y. : Les Burkinabé sont comme assis entre deux chaises. Dans leur pays d’origine, on ne reconnaît pas pleinement leurs droits politiques. En Côte d’Ivoire, ils ne remplissent pas les conditions pour participer à la vie politique du pays. Autant de considérations qui les exposent à des instrumentalisations malheureuses préjudiciables aux relations entre nos deux pays et partant, à des accusations de vouloir prendre le contrôle politique de la Côte d’Ivoire.
Face à cette situation, nous ne cessons de demander à l’Undd de mettre réellement nos compatriotes vivant en Côte d’Ivoire en situation de participer à la vie politique de leur pays, le Burkina Faso. La reconnaissance du droit de vote, la création de sièges à pourvoir au niveau d’organes élus pour eux, celle d’une instance représentative comme il en existe dans nos régions, mais à statut particulier, un système d’encouragement aux entreprises détenues par des Burkinabé de Côte d’Ivoire désireux d’investir au pays sont autant d’actes qui peuvent aider à dissiper toutes ces appréhensions, ces frayeurs qui habitent nombre d’Ivoiriens.
N.V. : La question des étrangers dans les pays africains pose également des problèmes électoraux. Les résultats des élections sont contestés à cause de la présence supposée ou réelle de ressortissants d’autres pays sur la liste électorale. Comment faire pour sécuriser les élections en Afrique ?
H.Y. : Les étrangers utilisés comme bétail électoral, on sait que c’est une pratique fortement implantée dans la sous- région. Ce n’est pas étonnant que la Côte d’Ivoire en fasse l’amère expérience pour le scrutin à venir puisque dans le passé, elle a déjà vécu cela. Du reste, après la signature de l’Apo, nous n’avons cessé de mettre en garde contre la tentation pour certains de vouloir recourir à la déstabilisation électorale après avoir fait l’échec de celle militaire.
C’est bien pour les partis politiques, les associations, de dissuader les étrangers de se laisser enrôler dans des combats qui ne sont pas les leurs ; mais les Etats et les organisations d’intégration doivent se distinguer sur ce chantier.
Au Burkina Faso, Blaise Compaoré, en tant que chef d’Etat et Facilitateur, doit donner de la voix pour décourager tous ceux qui sont tentés par ces aventures. La CEDEAO, l’UEMOA, de leur côté, au lieu d’attendre à chaque fois que des élections mal organisées, fraudées, débouchent sur des troubles pour intervenir, doivent aussi, par des mesures appropriées et anticipatrices, décourager ces pratiques négatives. Sur ce plan, une politique de convergence est aussi nécessaire, car l’objectif d’intégration concerne aussi la démocratie, les Droits de l’homme… Le travail qui se fait en Côte d’Ivoire, à cet égard, n’a pas seulement ceci de particulier que l’on y voit un parti au pouvoir se battre pour la transparence quand la plupart des partis au pouvoir en Afrique s’y sont toujours refusés.
Ce travail est aussi important parce qu’il constitue une expertise incomparable qui pourra, demain, aider la cause de la démocratie partout en Afrique.
N.V. : Des voix s’élèvent ça et là pour affirmer que l’Accord de Ouagadougou, censé mettre fin à la crise en Côte d’Ivoire, a échoué. Faites-vous la même lecture de la situation ?
H.Y. : C’est un jugement excessif. C’est vrai que l’accord n’a pas encore permis, contrairement à ses stipulations, que les élections se déroulent dans le cadre d’un Etat reconstitué, réunifié, mais on ne doit pas en tirer argument pour oublier tous les acquis qui lui sont redevables.
Au lieu d’en faire l’autodafé encore et surtout qu’on n’a pas d’autre proposition raisonnable convaincante en remplacement, pourquoi ne pas s’activer à favoriser son exécution de bonne foi par les signataires bien sûr mais aussi par toute la communauté internationale qui s’en est portée garante ?
Tout se passe comme si des esprits chagrins et inconsolables devant la signature de l’APO s’échinaient à lui mettre les bâtons dans les roues pour son échec.
Si tel n’était pas le cas, l’accord connaîtrait un meilleur niveau d’exécution. La communauté internationale qui, depuis Linas-Marcoussis, a promis de financer la sortie de crise, le désarmement…, aurait été beaucoup plus réactive aux sollicitations des autorités ivoiriennes. De la même façon, le commerce frauduleux, le pillage des ressources ivoiriennes dans le nord du pays qui hypothèquent la reconstitution du territoire ivoirien dans ses attributs de souveraineté, conformément à l’Accord complémentaire IV, n’existeraient pas. La lassitude, on peut parfaitement la comprendre dans ces conditions, mais sans jamais aller jusqu’à signer l’arrêt de mort de l’Apo.
N.V. : Le Facilitateur de cet Accord, le président burkinabé Blaise Compaoré, a l’intention de se retirer à la fin de 2010. Il l’a confié à la télévision française France 24. Comment jugez-vous cette décision ?
H.Y. : Je me suis laissé convaincre que sa sortie sur France 24 était beaucoup plus destinée à mettre la pression pour inciter les uns et les autres à revenir aux fondamentaux de l’accord et non à préparer les esprits pour un jet d’éponge en cours.
Un tel retrait non seulement ne serait pas souhaitable pour son image personnelle, mais il serait surtout contre-performant pour nos deux peuples qui pourraient se retrouver plongés dans les crispations et oppositions consécutives aux évènements de 2002. Mais c’est peut-être là aussi qu’on veut en venir.
Alors sachons éviter le piège !
N.V. : Comment voyez-vous la coopération Burkina Faso-Côte d’Ivoire dans les années à venir. Comment comptez-vous apporter votre part à sa consolidation ?
H.Y. : Nous avons félicité, au niveau de notre parti, les bases de la coopération établie entre nos deux pays à la suite de la visite officielle de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire. Nous estimons que l’Accord politique de Ouagadougou, qui scelle la réconciliation entre les deux chefs d’Etat ivoirien et burkinabé, est la poutre maîtresse qui doit déboucher sur la mise en œuvre concrète de cette stratégie de coopération devant faire de nos deux pays la locomotive de l’intégration dans la sous région.
Comme nous avons dénoncé l’agression injuste dont la Côte d’Ivoire a été victime, lutté conséquemment pour une sortie de crise bénéficiant de l’implication du Burkina Faso, nous sommes d’ores et déjà mobilisés pour donner un contenu à la coopération qui se dessine entre les deux pays.
Interview réalisée par Didier Depry et Serge Armand Didi
sardidi@yahoo.fr